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La radio Skyrock est née de l’initiative et de l’envie de concurrencer l’hégémonie du réseau NRJ. Son fondateur, Pierre Bellanger veut lancer un réseau radiophonique national destiné aux jeunes. Ainsi, il transforme sa radio La Voix du Lézard [1], créée en 1983 et spécialisée dans la diffusion de rock, de new wave et de world music. Avec son format déjà original pour l’époque, La Voix du Lézard est devenue l’une des premières radios FM de la région parisienne en termes d’audience. L’autorisation de la publicité sur les ondes FM par le gouvernement Mauroy en 1984 permet à la Voix du Lézard d’intéressantes perspectives d’évolution, mais la radio disparait en 1986 et laisse sa place la même année à Skyrock, signant, ainsi, les débuts de la radio commerciale.
Le réseau renforce son format musical dance, pop, transe, rock alternatif, autrement dit un format jeune ciblant les 15-25 ans, tout comme NRJ, leader sur cette même tranche. La radio trouve son propre style et sa propre signature, en réquisitionnant des animateurs charismatiques ayant une totale liberté d’expression et de ton. Elle mise sur trois émissions cultes : « La Voix du Lézard », clin d’œil à l’appellation d’origine de la station, le morning show « Les Zigotos », et le talk show « Bonsoir La Planète » [2], qui est la première émission à succès de « libre antenne » de la FM, diffusée de 20h à 22h entre 1992 et 1994 [3], et présentée par Malher, un animateur vedette. Bien que Skyrock soit la première radio qui adopte le concept de libre antenne, la radio se fait voler la vedette par Fun Radio qui inaugure à son tour « Lovin’ fun » [4], diffusée en 1992 et présentée par le charismatique Difool et le docteur Christian Spitz appelé « le Doc ». L’émission est un succès et réalise des pics d’audience impressionnants, elle atteint 8,7% d’audience [5], alors qu’en juin 1995, les audiences de Skyrock sont au plus bas (4,3%) [6].
Pierre Bellanger décide de riposter en lançant sa libre antenne (« Sky Club ») dans le même format avec la porno star Tabatha Cash, accompagnée du Toubib. Même si l’émission ne change pas l’équilibre entre Skyrock et Fun Radio, l’apport de la présentatrice vedette a contribué au futur revirement du réseau radiophonique. « Tabatha Cash a apporté à la station la culture des cités, c’est elle qui nous a fait découvrir le rap français. » [7] En effet, Tabatha Cash a grandi dans des cités HLM de Saint-Denis [8].
Cependant, la conversion de Skyrock au rap ne s’est pas faite tout de suite. A partir de 1984, la publicité sur les ondes est autorisée, et en 1986, les réseaux radiophoniques peuvent faire appel aux annonceurs. Ceux-ci doivent choisir de devenir commerciales, autrement dit des « entreprises », ou alors de rester associatives. Cette nouvelle configuration du paysage radiophonique va ouvrir une vive concurrence entre les différents réseaux diffusant le même format musical. NRJ, Fun Radio et Skyrock jouent sur le même tableau musical en diffusant principalement des nouveautés destinées à un public « jeune », et préfèrent miser sur le format américain Top-40, qui consiste à diffuser les titres les plus vendus parmi les nouveautés du moment entremêlant des titres soft rock (ou MOR, Middle of the Road) et des chansons de variétés.
Au début des années 1990, le rap ne rentre pas dans la programmation des radios destinées à un public jeune. Jugé marginal et pas assez mélodique, le rap est toujours associé à la banlieue et aux problèmes sociaux qu’elle implique [9]. La médiatisation du rap dans les années 1990 privilégie une définition nouvelle de ce genre musical. En effet, les médias évoquent le rap comme moyen d’anti-galère pour les jeunes qui y habitent. Les grands réseaux radiophoniques commerciaux destinés aux « jeunes » souhaitent fonder leur image sur une programmation neutre, sans dimension politique. Dans ce sens, le rap français n’est pas très présent dans les programmations des radios de NRJ, Fun Radio et Skyrock, car trop marqué politiquement.
Skyrock mise tout sur le rap en français
La spécialisation de Skyrock dans la diffusion de rap francophone va s’accélérer par la mise en place de la loi des quotas de chansons françaises. Cette loi datant du 1er février 1994 impose aux radios privées de diffuser, aux heures d’écoute significatives, 40% de chansons d’expression française [10].
Avec l’arrivée de cette nouvelle loi, le réseau comprend qu’il ne fait pas le poids avec ses émissions de libre antenne face à la concurrence, et décide de miser sur une programmation beaucoup plus musicale. Le slogan « plus de tubes, moins de pub » résonnait sur les ondes dans les années 1990. La loi des quotas votée en 1994, et mise en vigueur deux ans plus tard en 1996, va orienter le changement de direction musicale, et marquer un tournant dans la programmation musicale de la station Skyrock. En 1996, sous l’impulsion de Laurent Bouneau, directeur général des programmes chargé de détecter les courants musicaux émergents, Skyrock parie sur les musiques « urbaines », à savoir le rap. Cette culture hip-hop née dans les rues du Bronx était, pour le coup, déjà médiatisée à la télévision avec l’arrivée de l’émission H.I.P H.O.P., (43 émissions sur TF1 non encore privatisée en 1984, première émission de télévision présentée par un Noir), mais l’absence de coopération des réseaux de radiodiffusion musicaux rend difficile la mise en place d’une dynamique de star-system, et d’une diffusion massive du rap.
Lorsque que Skyrock décide, à partir de septembre 1995, de modifier sa programmation, l’antenne adopte les musiques « urbaines » telles que le rap, le R’N’B qui sont des genres musicaux encore peu diffusés par les autres radios de la FM. C’est un tournant dans la programmation du réseau commercial Skyrock. Lors d’une interview donnée à CB News en 1998, Pierre Bellanger dit qu’…
…avec ses coûts de production aisés et sa créativité évidente, on savait qu’on pouvait compter sur le rap», d’autant que sa scène française avait déjà dix ans d’histoire derrière elle » [11].
Il semble que Skyrock se soit contenté de surfer sur une vague, et de saisir la balle au bond en diffusant des artistes rap qui connaissaient déjà le succès. IAM et MC Solaar, tout comme d’autres diffusés à l’antenne, avaient déjà une carrière bien entamée [12]. La culture hip-hop arrivant à maturité, le développement d’une scène française est très dynamique. De plus, la médiatisation du rap était encouragée par « Rapline », une émission diffusée sur M6, conçue et présentée par Olivier Cachin, journaliste passionné par la culture hip-hop. Cette émission fut l’unique fenêtre télévisuelle du rap et a été diffusée de 1990 à 1995, les samedis soirs puis les vendredis soirs vers minuit. Elle avait pour but de diffuser des clips de rap américain sous-titrés, de réaliser des séquences interviews de rappeurs français et de réaliser les clips de ces mêmes artistes spécialement pour l’émission, cela venait ainsi combler la rareté des clips de rap français. Des titres comme « Bouge de là » d’MC Solaar, « Le pouvoir » de NTM, ou encore « Traîtres » du Minister AMER ont été réalisés par l’équipe de production de l’émission « Rapline ».
En termes d’images, le rap français n’existait pas. On essayait de faire des petits clips comme ceux du Minister AMER, NTM, Ideal J histoire de rendre un peu propre, un peu présentable le rap, parce que c’était vraiment ghetto à l’époque [13].
Ainsi, entre 1995 à 1998, Skyrock transforme sa programmation musicale jusqu’à diffuser 80% de rap, majoritairement francophone [14]. Bien que le rap ne soit pas né avec Skyrock, il est indéniable que la station ait participé à son décollage commercial. La radio a opéré un retournement spectaculaire dans sa programmation, tel qu’en 1997, la station concentre 74% de sa programmation musicale au rap francophone par rapport à 34% en 1996 [15].
Skyrock devient « Skyrap »
L’adoption en 1998 du slogan « premier sur le rap » traduit l’aboutissement de cette mutation [16]. L’antenne va massivement diffuser les succès commerciaux du moment en recourant aux forts taux de rotations des singles à succès. Stomy Bugsy, Passi, membres du Ministère AMER, Oxmo Puccino ou encore Busta Flex bénéficieront d’un appui promotionnel important de la radio, vendant chacun 50 000 à 400 000 albums, sans compter les groupes à la notoriété déjà établie comme NTM, IAM qui, eux, vendant entre 700 000 et 1 000 000 exemplaires des albums [17]. En diffusant ces artistes, Skyrock rompt avec une programmation rap des débuts, beaucoup plus consensuelle, caractérisée par un gimmick reconnaissable [18]. En effet, au mitan des années 1990, lorsque Skyrock se tourne vers la diffusion de rap francophone, l’antenne n’accepte que des morceaux structurés autour de refrains chantés. Skyrock, tout comme NRJ et Fun Radio, opère un clivage dans le monde du rap, alimenté par la presse généraliste qui étiquettera un rap « cool » comme MC Solaar, à qui on accordera le statut de poète [19]. Le premier 45 tours de MC Solaar, « Bouge de là », va être diffusé sur Skyrock et sur toutes les radios, y compris les FM, ce qui valide le fait qu’il peut y avoir un artiste qui rappe en français et qui est écouté par le grand public.
Solaar et ses comparses apparaissent à la télévision avec des chemises fleuries, planqués sous des chapeaux africains et des insignes « peace and love » pour le plus grand bonheur d’une France jusqu’à la sceptique » ; « banlieusards poétiquement corrects, qui sourient, chantent sur des rythmes sympathiques, loin des bandes sanguinaires [20].
En face de MC Solaar, un autre genre de rap est étiqueté « hardcore ».
Le rap français s’installe pour durer. IAM signe chez Labelle Noir/Virgin Editions en 1990, NTM chez Epic Records qui est une filiale de Sony Music Entertainment, et MC Solaar chez Polydor qui appartient depuis 1999 à Universal. Mais la parenthèse enchantée se referme vite :
Une fois passée cette mini-euphorie, c’est terminé. Chaque label a pris son rappeur histoire d’avoir son quotas de trucs black à la française et ça s’est arrêté là pour un bon moment [21].
En optant pour le rap et le R’N’B dans sa programmation musicale, Skyrock « tente le diable ». Pierre Bellanger déclare:
On a pris cette décision contre toutes les études marketing. On se proposait d’être xénophile dans une société plutôt xénophobe, de donner de l’importance à cette marge qui angoisse tant certains.
Et encore :
Le rap est vraiment devenu la musique des jeunes et ce qui est diffusé sur Skyrock souligne les changements intervenus au fil des ans dans ce pays, avec ces jeunes artistes issus de la diversité .
Et ailleurs :
En France, ce courant musical arrivait à maturité. Le rap produit la chanson française d’aujourd’hui. Il y a une effervescence créatrice extraordinaire et un vivier foisonnant dans ce milieu. J’ai décidé de prendre tous les risques et de faire complètement basculer le format de l’antenne [22].
Skyrock opte pour le rap car il a l’avantage de mettre en avant des artistes, contrairement à la techno par exemple, où les acteurs sont des disc-jockeys, en retrait. Le rap, lui, parle de la réalité des banlieues, et passe pour plus « contestataire » que la techno [23].
Les difficultés de la conversion
En 2000, vingt-cinq stations locales affilées au réseau Skyrock, et regroupés en un collectif comprenant les régions de Lille, Le Havre, Brest, Ploërmel, demandent à la direction du réseau Skyrock de modifier la programmation de la radio. Le collectif pointe du doigt le format rap adopté par Skyrock, qui ne serait pas favorable à la commercialisation de la radio auprès des annonceurs locaux, leur unique source de revenus. L’ensemble de ces affiliés se plaignent d’une baisse des recettes publicitaires de l’ordre de 20% risquant, ainsi, de mettre en péril leur équilibre économique.
Depuis 1998 et son format tout rap, Skyrock dérive de la cible 15-34 vers celle des 10-20 ans[24].
A travers cette réclamation, on comprend que le collectif associe le rap à des catégories raciales peu vendeuses. Bellanger met en cause les régies locales qui ne feraient pas correctement leur travail, et qui adopteraient une attitude de mépris face à une nouvelle génération multiculturelle en se plaignant de la diffusion de rap, mais aussi de rai sur l’antenne de Skyrock. Le collectif attaquerait le réseau sur le fait qu’il ne diffuse que de la musique pour les Noirs et les Arabes [25].
Pour certains professionnels, animateurs ou annonceurs, le nouveau format de Skyrock est « segmentant », c’est-à-dire qu’il risque de ne toucher qu’une petite partie des auditeurs. C’est ce qu’explique l’animateur Rémy Jounin :
Les sondages permettent d’être toujours premier sur quelque chose. On est premier sur la ménagère de moins de 50 ans, on est premier sur le cadre sup de la région de Grenoble, on segmente pour être premier sur quelque chose. Évidemment pour attirer l’annonceur. Et Skyrock va d’un seul coup être première sur le rap. Et pour cause. Puisqu’elle va être toute seule. Et donc c’est ghettoïsant, obligatoirement. Il n’y a rien de plus segmentant que ça.
En 2002, Bruno Guillon, animateur sur NRJ, résume la position de Skyrock :
Une radio comme Skyrock, qui va communiquer sur le fait qu’elle est première sur le rap et tout ça, est une radio, qui, commercialement parlant, se vend moins bien. Les gens se font une idée préconçue de ce que véhicule le rap et font l’amalgame : « Skyrock = Rap, Rap=Racaille, Racaille=Problèmes, donc Mauvaise Image donc Pas de Pub.
De plus, lors d’une interview de Fred Musa [26], l’animateur radio avoue que la recherche d’annonceurs était délicate dans les années 1995-6, car ces derniers ne souhaitaient pas investir dans une radio comme Skyrock. Le mot « rap » semble dégager une mauvaise image face aux annonceurs et aux personnes qui ne connaissent pas cette musique. Fun Radio, concurrent direct du réseau Skyrock, décide à son tour de se lancer dans la diffusion de rap en créant en 1997, période qui signe l’âge d’or du rap français [27], une émission appelée Check ça, qui aura pour but d’introduire la culture hip-hop à l’antenne. Le pari que s’est lancé Skyrock semble avoir largement réussi.
Évolution de l’entreprise Skyrock : programmation, sélection et commercialisation
Skyrock a effectué de nombreux changements dans sa programmation au fil des années. L’âge d’or du rap français s’est étendu consécutivement des années 1990 à 2000, Skyrock ayant pris une partie du rap tel qu’il était, il n’y avait alors aucun formatage de son antenne, mais plutôt une envie de faire découvrir à ses auditeurs un maximum d’artistes. Les émissions spécialisées diffusées la nuit étaient présentées par des rappeurs ou des DJ qui avaient une totale autonomie sur la programmation musicale. Khéops avec Total Khéops ; Cut Killer avec le Cut Killer show, Bumrush ; Joey Starr avec SkyBOSS ou encore Jacky des Neg’Marron avec Couvre feu entre autres [28], toutes ces émissions ont permis de faire découvrir des talents encore inconnus du grand public, des labels indépendants. Pour ces derniers, ces émissions constituent la seule chance pour eux de faire leur promotion. Elles permettaient également de profiter des talents des DJs qui offraient des sessions de mixage impressionnantes. De plus, elles permirent également à Skyrock de se crédibiliser dans le choix de sa nouvelle programmation auprès de ce public d’amateurs. Cependant, 2007 signe la fin de ces émissions spécialisées. L’arrêt de ces programmes n’est pas anodin, il marque dans un premier temps, un profond désir de la part de l’antenne de ne plus s’attarder sur une démarche de découverte de nouveaux talents, mais plutôt de privilégier la diffusion du Top 40. Dans un second temps, une envie de s’ouvrir à d’autres genres musicaux, afin ne pas s’enfoncer dans la diffusion de rap français. La nouvelle programmation de Skyrock tend vers une fusion du rap et du R’N’B. Laurent Bouneau a expliqué la raison de la fin des émissions spécialisées :
Quand nous avons mis en place ces émissions spécialisées, c’était pour que les artistes-animateurs fassent découvrir aux auditeurs d’autres talents que ceux joués à l’antenne pendant la journée. Aujourd’hui, nous avons un instrument, Skyblog Music, qui permet à n’importe qui de mettre en ligne ses chansons et de les faire découvrir. On a vu récemment avec Kenza Farah, dont les quatre morceaux ont été écoutés plus de cinq millions de fois, que la communauté réagissait fortement. Kenza Farah a aujourd’hui signé dans une major et elle est jouée sur Skyrock. Il n’y a désormais plus besoin d’attendre minuit pour découvrir le rap underground, on peut se connecter à Skyblog Music 24 heures sur 24. C’est un lien direct entre ceux qui créent et la communauté. Cette décision a aussi été prise pour une raison pratique : on a besoin de ces tranches horaires pour former de nouveaux animateurs pour les tranches horaires de la journée[29].
L’arrêt de ces émissions a réduit considérablement la diffusion de rap à l’antenne. Le reste de la programmation correspond au Top 40 hebdomadaire qui occupe une très grande place.
Ces deux graphiques de l’Observatoire de la Musique/Yacast nous montre que, sur les périodes de 2003 à 2007, le pourcentage de musique rap a baissé, et celui de groove ou R’N’B a augmenté.
La diffusion du Top 40 à l’antenne de Skyrock épouse le « modèle de flot », comme la plupart des radios commerciales. Le modèle de flot [30], développé par Bernard Miège et d’autres, se caractérise par la continuité des programmes diffusés à l’antenne, avec notamment une grille de programmes précise et des horaires fixes, permettant de fixer des rendez-vous réguliers avec les auditeurs. Le but étant de mettre en œuvre des procédures de fidélisation d’audience en diffusant les programmes de façon continue et régulière, le renouvellement permanent est de rigueur. On constate que ce « modèle de flot » structure la logique de programmation et de diffusion des œuvres musicales. Il permet d’étaler et de répartir les audiences sur l’ensemble de la journée en proposant à l’antenne un catalogue de titres au sein de la playlist, le « modèle de flot » permet d’assurer le maintien de l’audience. L’objectif d’une radio comme Skyrock est de diffuser les titres musicaux qui plaisent ou qui heurtent le moins possible les oreilles des auditeurs pour qu’ils restent à l’écoute de la même fréquence.
L’analyse d’un éventail de documents et de révélés provenant de Yacast (qui mesure la diversité des titres qui sont proposés à la radio 24/24 et 7/7) sur la période de novembre-décembre 2012 [31] démontre que la part du Top 40 hebdomadaire de Skyrock atteint un pourcentage de 79%. Ce chiffre prouve que Top 40 continue de constituer une part importante de la programmation de l’antenne. Entre 2007 et 2012, le pourcentage n’a guère baissé. Cependant, le pourcentage de rap a considérablement baissé par rapport à 1998, lorsqu’il plafonnait à 80%. Sur la période étudiée, le pourcentage de groove et de R’N’B s’élève à 27%, soit 6 points de plus que novembre-décembre 2011, et la dance à 23%. Skyrock a modifié sa programmation, proposant une fusion entre le rap et le « R’N’B » [32] et même la dance [33]. La radio semble s’être adaptée aux goûts musicaux beaucoup plus éclectiques de son public, car « il n’y a pas une musique jeune qui fasse l’unanimité » [34].
Par ailleurs, 79% de la musique diffusée sur Skyrock correspond au Top 40 hebdomadaire contre 66% pour le concurrent NRJ et 69% pour l’autre concurrent Fun Radio. Laurent Bouneau déclare en 1990 que si la radio plaît, c’est bien sûr grâce à son format qu’il définit comme le « Top 40 ». Skyrock diffuse ces 40 titres par jour avec une forte rotation allant de 2 à 7 fois par jour. Son système de programmation est, il est vrai, fortement inspiré par un panel, ou selon son vocabulaire « un jury musical ». Pourtant, il précise que ce jury, composé de 300 auditeurs, interrogés soit par téléphone, soit en auditorium, est surtout employé pour les oldies [35] et les tubes. Ce jury révèle surtout ce qu’il ne faut pas passer à la radio (aidé par 15 enquêteurs, pour un coût de 3 millions de francs par an). Il est jugé plus sain de se fier aux auditeurs qu’au Top 50 : certains artistes peuvent vendre des disques sans pour autant être « fédérateurs ». A l’époque de cette interview, Skyrock n’a pas encore basculé dans la diffusion totale de rap français, mais l’utilisation et la programmation de la rotation du Top 40 est restée la même. Selon Bouneau, un quart de sa programmation est tout de même réservée aux nouveautés, soit 10 titres par jour. Il les choisit en fonction de ses coups de cœur, mais aussi en fonction des priorités des maisons de disques. « Pourquoi passer un disque même une fois par jour, s’il n’est pas soutenu en promotion et en distribution ». Selon le directeur général des programmes de Skyrock, ce nouveau système améliore la qualité de la playlist et différencie la radio de la concurrence [36]. Actuellement, les professionnels de l’industrie radiophonique s’appuient sur des techniques de marketing, afin de réactualiser le format aux attentes des auditeurs. Une cellule d’étude interroge régulièrement leurs goûts musicaux. A partir des résultats de ces enquêtes, les stations musicales sont amenées à modifier régulièrement leurs programmes et à développer des stratégies reposant par exemple sur la plus ou moins forte rotation d’un titre, sur la taille de la playlist et sur la proportion des nouveautés ou des titres plus anciens [37].
Le système des rotations et du nombre de diffusions des titres sur Skyrock
Concernant la période étudiée par les relevés Yacast, 54 est le nombre de rotations que subissent les titres faisant partie du Top 40 de façon hebdomadaire. Autrement dit, ce chiffre (énorme) correspond au nombre de fois où un même titre revient dans la programmation hebdomadaire. Dans une chronique à l’émission Masse critique sur France Culture [38], Françoise Benhamou, spécialiste de l’économie de la culture, a rappelé qu’en 2006, la part des diffusions francophones aurait été de 46% contre 41% pour la période novembre-décembre 2012. Et, le nombre total de titres différents diffusés de près de 46 000. 6,4 serait le pourcentage des diffusions renvoyant au nombre de rotations effectuées des titres sur une semaine, à savoir le nombre de fois où un même titre revient dans la programmation hebdomadaire. Et pour les titres internationaux il atteindrait 4,3%.
Le taux de rotation hebdomadaire est plus élevé sur les radios dont le public est jeune. Les diffusions des chansons du top 40 représenteraient sur ces radios plus de 60% de la diffusion, un pourcentage qui ne cesse de croitre. Pourquoi ?
Parce-que l’écoute de ce public là, les jeunes, est plus discontinue que l’est celle des adultes, les radios passeraient en boucle leur titre phare dans l’espoir de capturer et captiver l’attention des jeunes et de la conserver.
On peut alors se demander si la découverte de l’immense variété de l’offre musicale passera par les échanges sur internet, faute d’être présente sur les radios de variété.
Avec la diffusion du Top 40 de manière hebdomadaire, on constate un grand écart entre des titres que l’on entend très peu, et ceux qui font l’objet d’un véritable matraquage. En effet, la concentration sur quelques titres est impressionnante. Pour la période de novembre-décembre 2012, le titre de Rihanna, « Diamonds », qui occupe la première place du classement du Top 50 [38] a été diffusé 359 fois par semaine sur Skyrock, et celui d’Alicia Keys, « Girl on fire », occupant la seconde place, 336 fois. Dans sa chronique, Françoise Benhamou évoque le fait que le nombre total des entrées en playlist est en baisse pour la troisième année consécutive, à savoir 1388 titres, soit un recul de près de 10%. L’entrée dans les listes des titres diffusés se fait de plus en plus difficilement.
Selon les chiffres provenant de l’Observatoire de la Musique (ci-dessous), il y a bien une baisse du nombre de nouveautés entrées en playlist. Skyrock, qui est la station qui possède le plus faible nombre de nouvelles entrées en playlist, conserve le même nombre de titres qui s’élève à 36 pour l’année 2003 et également 36 titres en 2007. Cependant, le nombre de diffusions des nouvelles entrées en playlist augmente sur la radio.
[39]
Ainsi, la part de diffusions des nouvelles entrées en playlist en moyenne trimestrielle représente 21,9% pour Skyrock, pour l’année 2007. Nous observons ainsi une réduction du nombre d’entrées en playlist et corrélativement une augmentation du nombre de diffusions de ces nouvelles entrées en playlist.
[40]
Pierre Bellanger réagit à la critique de Françoise Benhamou en déclarant que les chiffres sont justes mais ne reflètent pas la réalité. L’utilisation du mot « matraquage » est très dure, car :
la réalité pour un auditeur c’est que lorsque vous diffusez un titre toutes les 1h30, ce n’est pas le même auditeur qui l’écoute. Il est entendu par le même auditeur tous les un jour et demi. En ce sens, il y a une mauvaise compréhension de la réalité de l’écoute, la réalité de l’écoute c’est quand on aime un titre on veut l’entendre souvent et (…) Skyrock est le premier diffuseur de nouveautés francophones en France. Pour qu’une nouveauté soit connue, faut qu’elle soit beaucoup entendue. Le fait est qu’on prend un risque, déjà, énorme sur peu de nouveautés, sur peu d’artistes auxquels on croit. C’est comme ça que ça fonctionne, pour pouvoir réussir il faut peu de nouveautés qu’on fait connaitre vite.
Pour la période étudiée sur mes relevés Yacast, 24 correspond au chiffre d’entrées en playlist. La station marque 6 points de plus par rapport à la période novembre-décembre 2011, ce qui est une belle évolution malgré tout. Une entrée en playlist correspond à un titre récent sur l’antenne. De plus, paradoxalement à la diffusion accrue du Top 40, soit 54 fois par semaine, le taux de nouveautés atteint tout de même 88% soit deux points de plus que l’année précédente (novembre-décembre 2011). C’est un chiffre important, même si la radio est toujours derrière NRJ, qui plafonne à 91% de nouveautés et Fun Radio à 92%. Skyrock sait que les auditeurs sont de plus en plus sollicités par différents médias. Ainsi, l’auditeur devient de plus en plus volage. Pour pallier à cela, les stations musicales proposent systématiquement des nouveautés.
La part de titres francophones programmée à l’antenne de Skyrock a atteint 41%, contre 59% de titres internationaux. D’autre part, le Top 50 diffusions sur Skyrock renferme 24 titres internationaux, dont sept occupant les 10 premières places du classement de ce même Top 50 avec la présence donc de Rihanna, Alicia Keys, Kesha, C2C, Chris Brown, Kendrick Lamar et ASAP Rocky. De plus, le Top 10 des artistes est accaparé par des artistes américains, à savoir Rihanna avec la diffusion de huit titres à 433 fois, Sean Paul avec sept et obtenant 48 diffusions, Black Eyed Peas (73 diffusions), Chris Brown (393 diffusions), Beyoncé (25 diffusions), Kanye West (148 diffusions), Eminem (34 diffusions). La septième place est occupée par Sexion d’Assaut qui, malgré son rang, obtient le plus de diffusions, à savoir 641, nombre le plus élevé dans le classement. Et la dixième et dernière est occupée par le groupe IAM. Concernant le Top 20 des titres golds, il n’est pas étonnant, à nouveau, de découvrir que la majorité des morceaux sont anglo-saxons. Seuls trois morceaux sont francophones et appartiennent au groupe IAM. Il s’agit de « Petit frère », « Nés sous la même étoile » et « La saga ».
Cependant, le Top 20 exclusivités de Skyrock renferme une majorité de titres francophones. En effet, uniquement trois titres sont internationaux contre dix-sept morceaux français. La tête du classement est occupée par Sexion d’Assaut, « J’reste debout », avec 233 diffusions, La fouine, « J’avais pas les mots », avec 220 diffusions, et Booba, « Tombé pour elle » obtenant 179 diffusions. Tout comme les nouvelles entrées en playlist qui comptent 24 nouveautés avec la présence de 18 titres francophones contre 6 titres internationaux. Les 10 premiers morceaux appartiennent au genre rap comme la majorité des autres titres.
La sélection des titres à l’antenne
À travers cette analyse de la programmation de Skyrock, force est de constater qu’il s’agit toujours des mêmes titres diffusés en boucle à la radio. Dans l’interview donnée à France Culture déjà évoquée, Pierre Bellanger affirme que le choix de la diffusion des artistes qui seront playlistés revient à Laurent Bouneau, qui les sélectionne avec l’émotion ressentie à l’écoute des titres. Selon le PDG de Skyrock, son directeur général des programmes ne peut pas passer à côté de talents, et que ceux qui ne sont pas sélectionnés mettent en place les scénarios les plus paranoïaques afin d’expliquer leur « boycottage », ce qu’il juge absurde. Pierre Bellanger estime qu’il y a d’autres radios pour diffuser les artistes qui n’ont pas été retenus par la sienne et que, de toute manière, un choix éditorial est à faire. Laurent Bouneau déclare, lors d’une interview donnée au site Booska-p [41], que le point de départ dans le processus de sélection des titres qui seront playlistés, c’est lui ! En effet, à la question « comment savez-vous qu’un morceau peut être un tube potentiel ? », il répond : « Bah, quand je l’écoute et que je me dis que celui-là, ça va le faire, la première chose c’est moi, c’est mon gout ». Le directeur général des programmes déclare que « le point de démarrage est totalement subjectif », créant de tensions, car bon nombre d’artistes souhaitent être diffusés sur sa radio.
Ainsi, les titres diffusés sur Skyrock sont triés sur le volet et répondent à des critères assez précis. Notamment, le format obligatoire qui est de 3’30 minutes. Au-delà, les programmateurs radio sont amenés à demander un raccourci, ou une modification du morceau en question. Le directeur des programmes avait déclaré dans un article :
Si le refrain vient trop tard, c’est mauvais pour la chanson. Le public décroche… Oui, ça m’est arrivé plusieurs fois de demander à des rappeurs qu’ils déplacent leur refrain. Pour les textes, je ne censure pas à proprement parler (…) On en discute, et s’ils veulent passer chez nous, ils refont leur chanson. Le rap est une musique jeune, vous savez, il faut qu’elle mûrisse (…) Je suis une radio commerciale. Mon objectif, quand je mise sur un titre ou un album, c’est d’en faire au minimum un Disque d’Or, c’est à dire 100 000 exemplaires.
Par ailleurs, Lassana Diakité, manager du rappeur indépendant Youssoupha, a confirmé cette information lors d’un entretien personnel. D’après lui, le titre de son artiste « On se connait » en featuring avec Ayna, une chanteuse de R’N’B, a été modifié à la demande de Laurent Bouneau, qui a souhaité que le titre commence par la voix féminine. A travers ces dires, on constate que le rap fonctionne comme la variété, il s’est plié aux formes et aux suggestions des radios qui le diffusent : il est formaté.
Entretiens avec Laurent Bouneau
Lors d’une interview donnée à Aligre FM, dans l’émission « Old School, New School » [42], en réponse à la remarque qu’il serait le directeur artistique commun de toutes les maisons de disques en ce qui concerne la scène rap, Bouneau répond :
Non, non mais le talent est difficile à trouver et j’ai une idée précise de ce que c’est qu’un mass média… Le fait que je ne sois pas un enfant du hip-hop fait que justement, j’ai suffisamment de recul. Quand t’es un enfant du hip-hop, t’as très vite des potes et très vite, tu favorises tes amis. Moi, je suis un professionnel de la radio, j’ai une culture de ce qui peut toucher le public, de ce qui peut fonctionner et de ce qui ne peut pas le toucher.
J’ai également eu l’opportunité de m’entretenir avec Laurent Bouneau, le 6 juin 2013. Tout d’abord, il m’explique qu’il a été l’instigateur du tournant rap de l’antenne, en effet, il est celui qui a insufflé l’idée de miser sur le rap et les cultures urbaines. Tout au long de notre entretien, le directeur des programmes de Skyrock n’a cessé de s’octroyer la réussite du rap français, de s’autoféliciter de l’évolution que cette musique a prise, grâce à sa radio. Selon lui, les artistes devraient le remercier, ainsi que l’antenne pour avoir développé une culture dont personne ne voulait.
Avant 1996, il y avait les précurseurs NTM, IAM, quelques figures marquantes et quelques autres artistes contemporains mais pas très connus, et ensuite on a réécrit l’histoire dans laquelle j’avais un rôle considérable. Après 1996, étant le mass média en France spécialiste de rap, on la popularisé, c’est nous qui avons contribué à sa popularisation. Vous me parlez de ma culture hip-hop ! Le hip-hop en France à partir de 1996, c’est nous qui avons contribué à le faire. On a joué des artistes dont personne ne voulait, dont personne ne voulait parler. On en a même souffert, car commercialement un auditeur de Skyrock, comparé à un auditeur d’NRJ, rapportait beaucoup moins d’argent… Ils [les artistes et les amateurs de rap] devraient dire « putain c’est super, Sky », cette radio a popularisé le rap, elle a été capable d’en faire une radio qui a 4 millions d’auditeurs, qui est sans arrêt en train de développer des nouveaux talents, c’est le courant dans la musique française qui est le plus créatif, et qui diffuse le plus de nouveaux artistes.
A travers ses paroles, Laurent Bouneau adopte une attitude paternaliste vis-à-vis du rap francophone, s’attribuant la réussite du genre grâce à son réseau national.
Ce qu’on a fait, c’est formidable ! Très peu de gens auraient pu résister à la pression. Mais je résiste, je me blinde. Mais comment on peut dire à quelqu’un en gros « tu connais rien de ce que t’as construis ». On a fait marcher le rap. Le rap nous a aidé et on l’a aidé, vice-versa. J’ai bénéficié du travail des artistes et les artistes ont bénéficié de mon exposition.
A plusieurs reprises, au cours de notre entretien, il se pose en « victime », en disant que les artistes, tout comme les amateurs de rap, n’hésitent pas à reprocher à Skyrock le fait que certains ne passent pas à l’antenne, et que ce soit toujours les mêmes. Il explique que Planète Rap, l’émission de rap référence où les artistes font la promotion de leur nouvel album et communique sur leurs projets respectifs, est bouclée jusqu’au 14 juin, sachant que l’interview a eu lieu début février. Les places sont chères, et passer dans cette émission est pour les artistes une consécration. Lassana Diakité, manager du rappeur Youssoupha, m’a dit que l’émission Planète Rap est théoriquement gratuite, mais payante en même temps, car le marketing est à prendre en compte. Il s’agit d’un compromis mis en place avec le programmateur et les artistes. Ces artistes vont acheter, en échange de leur passage dans Planète Rap, s’ils le souhaitent, de la publicité qui leur sera faite à l’antenne. Le manager m’a expliqué que c’est « un package pub complet avec annonce de sortie de l’album et date de venue dans Planète Rap qui couterait entre 5000 et 9000 € négociable ».
Skyrock : une radio critiquée et controversée
Skyrock a subi énormément de critiques de la part d’artistes, plus ou moins intéressées, plus ou moins intéressantes. Parmi les critiques réellement artistiques, le rappeur Booba avance qu’il n’y ait même pas un DJ à l’antenne qui diffuserait des mixes et des freestyles qui font l’essence du genre rap, et qu’aucun travail pédagogique de cette musique n’est effectué par la radio. Le rappeur dénonce le fait que les classiques du rap soient rarement diffusés.
Mais qu’en est-il des publics, des auditeurs de rap français ? En surfant depuis 1996 sur la vague du rap et du R’N’B qui sont les nouvelles musiques des jeunes, Skyrock attire toute une génération de pré-ados et d’adolescents. Les résultats d’audience annoncés par Médiamétrie confirment Skyrock comme la 2ème radio musicale nationale avec 4 014 000 auditeurs de plus de 13 ans par jour, en progression de 169 000 auditeurs par rapport à janvier-mars 2012, et la première radio musicale à Paris avec 927 000 auditeurs [43]. Skyrock est la première radio des 15-25 ans. Cette tranche d’âge compose l’essentielle des auditeurs de l’antenne. Cette jeune audience est surreprésentée, à tel point que la radio réclame une extension des mesures d’audience de Médiamétrie afin de prendre en compte les auditeurs de moins de 13 ans.
La mesure de l’audience radio par Médiamétrie ne prend pas en compte les moins de treize ans, audience qui est pourtant mesurable et mesurée dans de nombreux pays. Skyrock demande à Médiamétrie de ne plus fausser la mesure d’audience en privant le marché des chiffres réels sur l’écoute de la radio en France.[44]
Il s’agit d’un long combat pour lequel milite l’antenne. Lors d’une interview de Laurent Bouneau donnée au Monde en 2010 [45], ce dernier évoquait déjà cette même demande :
Nous militons toujours pour que les auditeurs de moins de 13 ans soient pris en compte dans les sondages d’audience. Si c’est le cas nous gagnerions près de 500 000 auditeurs. Ce qui nous permettrait de talonner Europe 1 ! Aujourd’hui, sur nos quatre millions d’auditeurs, 60% ont moins de 25 ans.
Une marotte qu’il ressasse dans de nombreuses interviews. Lors de son entretien à Aligne FM, Laurent Bouneau explique que :
les sondages démarrent à 13 ans. On dit « il y a 4 millions d’auditeurs chaque jour », c’est 4 millions d’auditeurs de plus de 13 ans. Donc déjà nous on se bat en France pour qu’il y ait une prise en compte des sondages à partir de 11 ans, ou de 8 ans. Donc il y a toute une partie de l’audience de Skyrock qui n’est pas comptabilisée. Non, mais c’est important, parce que si elle était comptabilisée, ça nous mettrait dans un peloton où on trouve actuellement… peloton qui est aux alentours de 9 points (d’audience).
Pierre Bellanger, PDG de la radio, milite pour l’élargissement des audiences à la tranche des 8-12 ans. Ainsi, ce dernier a commandé une étude spécifique auprès de l’institut CSA. Les résultats de cette étude prouvent non seulement une importante consommation de la radio par cette population, mais surtout de bons résultats d’audience de Skyrock sur les 8-12 ans. Selon cette étude, menée dans des conditions analogues à celles des enquêtes Médiamétrie, Skyrock est écoutée quotidiennement par 389 424 auditeurs âgés de 8 à 12 ans, soit une pénétration dans la zone de diffusion définie de 23%. Au sein de cette tranche d’âge, ce sont les 11-12 ans qui écoutent le plus Skyrock, avec 36%, soit plus d’un auditeur sur trois [46].
Par ailleurs, selon la sociologue Stéphanie Molinero [47], il y a deux grands groupes de récepteurs : les amateurs et les non-amateurs. Dans le groupe des amateurs, on retrouve trois catégories principales qui n’écoutent pas le même type de rap, ni de la même façon, ni pour les mêmes raisons : les consommateurs de rap, le grand public du rap, et enfin le public branché du rap. Je m’intéresse aux « consommateurs du rap », comme l’auteure les appelle ; selon son enquête, il s’agit des auditeurs formant le grand public du rap, ils entretiennent une relation au rap fortement conditionnée par les choix des majors, et de Skyrock entre autres, et y recherchent essentiellement du divertissement. Ces consommateurs se recrutent parmi les classes populaires et les plus jeunes. Laurent Bouneau le sait et adapte sa programmation à ce public.
A travers les discours des enquêtés, on en déduit que la diffusion du rap sur Skyrock est considéré comme du rap de masse par les « amateurs », destiné à des « consommateurs », encore appelés « moutons ». L’antenne façonne leur goût et leur écoute, et ces derniers passifs, « volatiles », et ignorants n’en demandent pas plus. Durant son enquête datant de 2003-2004, Stéphanie Molinero fait remarquer que les artistes les plus appréciés par les consommateurs étaient des rappeurs en promotion. Autrement dit, avec une activité importante et avec des succès, tels que Diam’s, Rohff, Sniper ou encore 113. Ces artistes ont été, à cette période, très diffusés sur Skyrock.
Conclusion
La massification du genre opérée par l’antenne passe, obligatoirement, par la dénaturation de l’essence même de cette musique, marginale au départ. Le directeur général des programmes de Skyrock ne se gênent pas pour « proposer » aux artistes des modifications sur leurs morceaux, afin qu’ils puissent intégrer la playlist de Skyrock. Les rappeurs sont, ainsi, façonnés à l’image de l’antenne et répondent à des critères précis. En effet, les morceaux doivent être efficaces, accrocher dès les premières notes ; pour ce faire, le refrain ne doit pas arriver trop tard. Quant aux critères artistiques, eux, ils sont passés au second plan.
Ainsi, en acceptant de se plier au format Skyrock, les rappeurs concourent eux-mêmes à cette « variétisation » du rap. Beaucoup d’artistes soutiennent Skyrock, et admettent devoir énormément au réseau radiophonique, qui avait (en 1999) lancé une grande campagne de mobilisation pour obtenir plus de fréquences. Nombre de rappeurs s’étaient empressés de signer cette pétition afin de soutenir la radio « première sur le rap ». Kool Shen et Joey Starr, MC Solaar, Akhenaton, Shurik’n, Fonky Family, Passi, Stomy Bugsy, Doc Gynéco, Arsenik sont de ceux qui ont apporté leur soutien à la campagne « Plus de fréquences pour Skyrock !!! ». « Plus de Sky, plus de rap, plus de fréquences pour la radio n°1, qu’on se le disent, on roule avec Skyrock ». En lisant le petit texte d’Arsenïk sur cette pétition, on comprend clairement les intérêts communs qui se sont dégagés de cette campagne, surtout chez les acteurs du rap francophone [48].
La conversion historique de Skyrock au rap fut opportuniste. Le réseau radiophonique y a vu un gros potentiel commercial, au moment où le rap s’est véritablement installé dans le paysage musical français. A cette époque (années 1990), une tranche d’âge a réclamé cette musique, les jeunes. Aujourd’hui, cette même tranche d’âge veut du R’N’B, voire de la dance, ou de la pop électro. Comme toujours, Skyrock suit le mouvement.
Notes
[1] Anciennement La Voix du Lézard, Skyrock est gérée par la SARL Vortex. Daniel Filipacchi, président d’honneur d’Hachette Filipacchi Médias prendra également part dans le capital de la société Vortex.
[2] « Skyrock a développé une culture de l’auditeur », article paru dans le supplément « Télévisions » du Monde du 15/03/2010. Interview de Laurent Bouneau, directeur général des programmes de Skyrock. Archivé à l’INA.
[3] http://letransistor.unblog.fr/2010/12/30/30-decembre-1990-lancement-de-bonsoir-la-planete-sur-skyrock/
[4] Le principe de « Lovin’ Fun », inspiré de l’émission américaine «Loveline» animée par Dr. Drew, était une émission de libre antenne mêlant divertissement et réponses aux interrogations des auditeurs principalement adolescents abordant des questions concernant la sexualité.
[5] http://membres.multimania.fr/radiophonic/funradio.html
[6] Amaury de Rochegonde, « Pourquoi Skyrock est devenue l’emblème de la génération « rap » français », CB News, 27/04/1998. Archivé à l’INA.
[7] Propos tenus par Pierre Bellanger, ibid.
[8] http://www.over-blog.com/Tabatha_Cash_biographie-1095203994-art84451.html
[9] « Nous ne passerons pas de rap parce que nous aimons les choses mélodiques. Et pour nous, à NRJ, le rap n’est pas mélodique, donc nous on n’en passera pas ». Propos tenus, au début des années 1990, par Max Guazzini, directeur général de NRJ. Cités par Karim Hammou, Une histoire du rap en France, La Découverte, 2012.
[10] Issu d’un amendement parlementaire (dit « Pelchat ») accepté par le Gouvernement, l’article 12 de la loi n° 94-88 du 1er février 1994 (dite « Carignon ») a prévu à l’article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication que les radios devraient diffuser, à compter du 1er janvier 1996, au sein de leur temps d’antenne consacré à la musique de variétés, 40 % d’œuvres musicales créées ou interprétées par des auteurs et artistes français ou francophones et, sur ce quota, 20 % de nouveaux talents ou de nouvelles productions. La loi précisait que ces œuvres devaient être diffusées aux heures d’écoute significatives. Voir http://www.ddm.gouv.fr/article.php3?id_article=681, site officiel de la direction générale des médias et des industries culturelles.
[11] Amaury de Rochegonde, « Pourquoi Skyrock est devenue l’emblème de la génération « rap » française », art. cit.
[12] Libération, 26 janvier 1999, « RAP. 20 ans de rap ». En 1994, Je danse le Mia propulse IAM à la tête des hit-parades. En 1995, l’industrie du disque salue MC Solaar comme meilleur artiste de l’année, et IAM, meilleur groupe de l’année aux Victoires de la Musique.
[13] Olivier Cachin, créateur et présentateur de l’émission télévisée « Rapline », cité par Thomas Blondeau, Fred Hanek, Combat Rap II, 20 ans de rap français/ Entretiens, Castor Music, 2008.
[14] Karim Hammou, Une histoire du rap en France, La Découverte, p. 183.
[15] Observatoire de la radio de la régie publicitaire IP France, référence citée dans CB News, 27/04/1998. Voir note 10.
[16] Morgan Jouvenet, Rap techno, électro… Le musicien entre travail artistique et critique social, Maison des Sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France », p. 37.
[17] « L’économie du rap français », Karim Hammou dans La musique : Une industrie, des pratiques, Pierre François, 2008, p. 134.
[18] Je danse le MIA du groupe IAM en est un bon exemple.
[19] « Le hip-hop sera donc affublé du terme « mode » selon le sens habituellement attribué : celui de la superficialité ». Hugues Bazin, La culture hip-hop, p.10.
[20] Thomas Blondeau, Fred Hanak, Combat rap II, 20 ans de rap français/Entretiens, Castor music, 2008. Propos d’Olivier Cachin.
[21] ibid.
[22] « Le repaire des rappeurs », Télérama n°2549, 18 novembre 1998 ; « Skyrock a développé une culture de l’auditeur », Le Monde, 15/03/2010 ; « Skyrock version rap », Le Monde, 6/04/1998.
[23]« Skyrock version rap », Le Monde, 6/04/1998.
[24] Propos tenus par Eric Wicart, gérant de Skyrock le Havre.
[25] « Le rap et le rai de Skyrock heurtent les annonceurs de ses affiliés régionaux ». Article paru dans CB News 17/01/2000.
[26] http://www.buzzdefou.com/index.php. Interview du 12/01/2010.
[27] L’année 1997 marque l’explosion des ventes de rap francophone et cette percée se maintient à un niveau très élevé jusqu’en 2002.
[28] Il s’agit d’artistes issus des grandes « familles » ou encore dit « posses » du rap français, à savoir, le 93 avec Joey Starr du groupe NTM, Sarcelles et le 95 avec Jacky des Neg’Marron, un groupe proche du Secteur A et Marseille avec Total Kheops, membre du groupe IAM.
[29] Propos tenus par Laurent Bouneau . « Skyrock est une alternative à fun radio ou NRJ », interview datant du 22/03/2007 sur le site internet http://www.ozap.com.
[30] Bernard Miège, La société conquise par la communication, 1996, PUG, p. 178.
[31] Du lundi au vendredi de 5h à 24h.
[32] Le genre R’N’B (abréviation de Rhythm and Blues) prend sa source dans le gospel et la soul. Cependant avec sa commercialisation accrue, cette musique a subi des changements. A présent on évoque les termes pop R’N’B, pop urbaine ou encore R’N’B contemporain. La pop R’N’B est aujourd’hui caractérisée par des artistes tels que Chris Brown, Justin Timberlake, Rihanna, Akon, Ne-Yo et même Beyoncé sur certains morceaux.
[33] La dance est un genre musical électronique destiné aux discothèques, utilisé par les DJs.
[34] Propos tenus par Pierre Bellanger. http://bric-a-brac.org/radio/fiches/skyrock.php
[35] Encore appelés « titres gold », ce terme désigne un titre diffusé ayant plus de trois ans d’ancienneté.
[36] «Skyrock, c’est le panel», La Lettre de l’Audiovisuel, 06/07/1990.
[37] http://www.observatoireomic.org/pdf/VMassiale_These_programmation_diversite_musicale_radios_commerciales_francaises.pdf
[38] « Les nouvelles cultures jeunes », Masse critique, émission de France Culture animée par Frédéric Martel, 21/10/2006.
[39] Le Top 50 correspond aux 50 titres les plus diffusés sur un panel de plusieurs radios. Dans notre relevé, 15 radios dont Skyrock sont concernées : NRJ et Fun (les concurrents), Chérie, Fip, France Bleue, Le Mouv’, MFM Radio, Nostalgie, Oui Fm, Radio Nova, RFM, Rire & Chanson, RTL2 et Virgin.
[40] http://www.observatoireomic.org/pdf/Viale_These_programmation_diversite_musicale_radios_commerciales_francaises.pdf
[41] http://www.booska-p.com/video-laurent-bouneau-interview-urban-peace-v572.html
[42] « Rap, la loi du fric », Télérama n°2612, 02/02/2000.
[43] Ce titre en est à son quatrième mois de diffusion à l’antenne, soit huit fois par jour.
[42] Aligre FM est une des dernières radios libres, indépendante et non commerciale de la bande FM parisienne, avec Radio Libertaire. L’interview est diffusée le 14/02/2013.
[43] http://www.lalettre.pro/Skyrock-4-014-000-auditeurs_a2196.html
[44] Ibid.
[45] « Skyrock a développé une culture de l’auditeur », Le Monde, 15/03/2010.
[46] http://www.radioactu.com/actualites-radio/81715/skyrock-les-resultats-d-audience-sur-les-8-12-ans/#.UZI_rbWpqSo
[47] Les publics du rap, enquête sociologique, coll. « Musiques et champ social », L’Harmattan, 2009. L’enquête de Stéphanie Molinero a été réalisé sur un panel de récepteurs de rap rencontré dans des lieux stratégiques tels que les sorties de concerts, les magasins spécialisés et sur internet également. Il s’agit d’un panel toutes catégories confondues (âge, milieu, classe, profession).
[48] J’ai retrouvé la pétition dans l’hebdomadaire Marianne du 18 juillet 1999, cet encart a été retrouvé dans les archives de l’INA, on peut y retrouver les nombreuses signatures de rappeurs soutenant l’antenne de Skyrock.
https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/skyrock-emergence-rap-francais/