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Évolution des supports promotionnels
La vidéo est l’un des supports principaux de communication aujourd’hui dans le secteur du jeu vidéo. Outre la présence sur le marché d’influenceurs qui proposent du contenu en streaming, ici il est question de la création pré-lancement : les teasers, trailers et cinématiques qui introduisent l’univers d’un jeu au consommateur potentiel.
Auparavant, les vidéos promotionnelles (trailers) étaient très simples : du gameplay et du contenu présent dans le jeu avec le moteur graphique de celui-ci. Durant le développement du jeu, une équipe réduite prenait contrôle de l’interface de création, et enregistrait quelques passages intéressants du futur produit. Cette même équipe mettait alors les morceaux enregistrés bout à bout pour en faire une cinématique, voire deux. Cette manière de faire s’expliquait par la faiblesse relative du budget promotionnel ; aujourd’hui, celui-ci tend à augmenter (1). Montrer quelques bouts du jeu final avec seulement du gameplay et quelques effets ne suffit plus pour toucher les joueurs potentiels, place désormais à la cinématique de qualité pour marquer les esprits.
Là où l’évolution est significative, c’est dans la mise en place et la présentation de ces trailers et cinématiques pré-lancement. Le premier point est l’évolution de la technologie, avec des méthodes de production qui se rapprochent parfois du cinéma, notamment la branche d’animation. Les producteurs n’hésitent plus à faire des vidéos d’une qualité bien supérieure à celle du jeu final, alors que précédemment les vidéos étaient faites à partir du moteur du jeu. Les exemples de Blizzard et de Starcraft 2 démontrent cette évolution. Lors de la sortie du premier StarCraft et de son extension Brood War en 1998, les trailers montraient le gameplay et une partie de la narration bien loin de ce qu’était le jeu, un RTS (real time strategy). Starcraft 2 est ensuite sorti, dans la lignée de son prédécesseur, avec une caméra fixe placée au-dessus du jeu, sans rapport avec les cinématiques promotionnelles tournées comme des mini-films. Ces productions sont d’ailleurs d’une autre qualité que le jeu lui-même, utilisant des rendus 3D sans obligation d’être en temps réel, et qui peuvent donc dévoiler tout leur potentiel sans souffrir de limitations techniques. C’est d’ailleurs ce point précis qui est au centre des vidéos promotionnelles dans le secteur ; les rendus 3D dans l’interface de jeu avec les différents plans, les décors, les actions du joueur sont très lourds et, dans la plupart des cas, moins impressionnants que dans la vidéo. Il est donc nécessaire d’avoir des projets spécifiques avec des éléments du jeu revus à la hausse, pour en proposer quelque chose de plus attirant sur les réseaux sociaux. Malgré la conscience de promouvoir un produit qui sera esthétiquement moins beau (ici on parle de downgrade), ces trailers sont au centre du processus de déclenchement d’achats, grâce à leur façon d’impliquer le joueur potentiel dans l’univers et dans la narration du jeu.
Mise en place d’un univers fictif
Cette implication doit se réfléchir dès les prémisses de la création de l’univers du jeu. En premier lieu vient la création d’un univers fictif ou, dans certains cas, l’adaptation de parties de la réalité dans une production ludique (les jeux dits « de guerre » en sont un bon exemple).
Dans le processus d’achat, la première étape lors du visionnage de vidéo promotionnelle ou de visuels faits par l’équipe marketing est le gameplay qui sera présent dans le jeu final. Dans l’industrie, pour qu’un jeu soit désigné comme potentiellement porteur, celui-ci doit répondre à des critères d’exigence très strictes, il doit être accessible sans être simpliste (dans le cadre des die and retry par exemple (2), un genre popularisé par le jeu Dark Souls), et doit surtout être cohérent avec l’univers du jeu sur les plans visuel et sonore. Prenons deux exemples concrets, Mirror’s Edge et Assassin’s Creed : l’un est un jeu à la première personne (c’est-à-dire que le joueur ne voit que ses mains et ses pieds, la caméra est positionnée à la place de la tête de celui-ci) et l’autre est un jeu à la troisième personne (la caméra est donc un peu en retrait du personnage), mais tous deux possèdent une partie de gameplay similaire, celui de la liberté de mouvement de son personnage. Grimper, courir, sauter et être en équilibre sont au centre de la cohérence de l’univers du jeu.
Dans le cas de Mirror’s Edge, le joueur incarne Faith (voir l’image en tête de l’article), une messagère de la résistance, se déplaçant exclusivement sur les toits pour éviter les rues surveillées par le régime tyrannique qui gouverne la ville. Le jeu nous met donc aux commandes d’une personne sautant de passerelle en passerelle avec un gameplay prenant ses bases dans la discipline du parkour (sport d’extérieur consistant à se déplacer en milieu urbain en franchissant divers obstacles). Il était donc nécessaire pour le producteur de créer un univers et une narration poussant l’immersion au maximum pour permettre au futur joueur d’avoir des sensations, certes virtuelles, lors de ses parties et déplacements en toute verticalité. La particularité ici est que si le joueur tombe et touche le sol en bas des immeubles, il perdrait la partie. « La vue subjective ou vue à la première personne, dont les techniques visent à favoriser l’immersion et l’identification au personnage. Ce choix diffère des autres modes de représentation (vue aérienne, vue à la troisième personne, vue de côté) par l’absence totale ou quasi totale du personnage à l’écran. (3) » Marion Coville montre ici qu’une vue subjective dans le cadre d’un jeu comme Mirror’s Edge est un choix cohérent pour coller à la narration du titre, et favoriser une immersion plus grande de la part du joueur. Une immersion que l’on retrouve d’ailleurs comme argument de vente, étroitement lié au gameplay ; les trailers cherchent alors à provoquer le frisson du danger dans ce monde collant à la réalité. Le joueur se trouve alors dans le personnage de Faith, peu importe qu’elle soit une femme. On se projette alors dans un monde virtuel où ses capacités sont décuplées, et où l’on peut défier les lois de la physique. Cette frontière entre réalité et rêve peut être franchie dans les productions vidéoludiques, et dans le cas de Mirror’s Edge, c’est au centre de l’idée même du titre.
Assassin’s Creed, quant à lui, ne place pas le joueur en vue subjective, mais bien en vue plus éloignée, permettant alors de voir le personnage joué et non le personnage incarné. Le but ici est bien différent de Mirror’s Edge, car on y mêle histoire et jeu de rôle. Cette saga fut fédératrice pour le jeu vidéo, qui a repris ses scénarios et ses univers ancrés dans les faits réels, ce qui en fait une œuvre abordable pour le grand public, y compris pour les non-initiés. Dans la démarche de création d’univers, les producteurs ont fait des recherches sur la réalité historique pour y broder une narration et une trame narrative neuve et exclusive. La véracité des faits est alors au centre de tout ; le monde doit paraître fidèlement reproduit jusqu’au moindre détail. Par exemple, dans la dernière version en date, Assassin’s Creed Odyssey, qui se situe en Grèce antique, la présence de NPC (non playable characters, créés pour donner vie au jeu) sont disséminés partout sur la carte du monde. Dans Athènes, on y voit des personnes reprenant le processus de fabrication de poteries basé sur les récits historiques, le tout pour créer un monde qui semble réaliste. Malgré tous ces efforts, dans sa communication, Ubisoft (les créateurs de la licence) préfère mettre en avant l’aspect fictif de leur jeu. Le choix est facilement compréhensible, compte tenu que le monde sera une reproduction quasi parfaite de ce qu’était le lieu à l’époque dite du jeu ; le joueur et futur client ne cherche pas à jouer à un jeu historique, il cherche du fictif, de l’irréalisme, de la nouveauté. C’est alors que le studio lui propose de jouer un assassin pouvant se déplacer avec aisance sur les toits, les murs et effectuer des cascades dignes des plus grands films d’action, le tout dans un univers connu. Le cas des Assassin’s Creed est intéressant, car l’univers créé a pour but de faciliter l’insertion du futur joueur dans le jeu, mais n’est pas au centre de la communication et des annonces. Ce qui prouve l’intérêt de créer un univers cohérent et attractif.
La narration a aussi un rôle important dans la mise en place d’univers fictifs, et surtout dans l’immersion du joueur dans son futur jeu. De plus en plus, les vidéos, et les posts promotionnels reprennent leurs codes de l’industrie du cinéma, proposant une recherche plus poussée des méthodes de tournages, de gestion de caméras, de plans. Comme le dit Pierre Louis, « la particularité des cinématiques réside dans leur capacité à prodiguer à l’objet vidéoludique une double identité de récit et de spectacle, tout en procurant au joueur un sentiment d’accomplissement. […] [La cinématique] joue un rôle primordial dans l’insertion dans le jeu des schémas fictionnels établis qui placent le joueur en position de sujet singulier d’un monde spécifique. (4) » Tout cela confirme l’importance de placer le joueur au centre du monde que l’on a créé, en s’inspirant de codes existants pour favoriser son immersion. Le récit doit être cohérent avec le monde, et surtout doit proposer des thèmes qui touchent de près ou de loin le joueur. Par exemple, un jeu traitant de l’esclavage dans un monde postmoderne steampunk, certes attirant, marchera moins bien qu’un jeu mettant le joueur aux commandes d’une révolution visant à faire tomber un gouvernement corrompu et tyrannique. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le joueur ressent moins le besoin d’être quelqu’un, méchant ou gentil, que d’incarner une personnalité qui accomplira quelque chose au fur et à mesure des événements. A. J. Greimas précise que le projet narratif peut se diviser en quatre phases bien distinctes : la manipulation, où un contrat est passé entre le sujet et le destinataire pour accomplir une mission (récupérer un objet, sauver la princesse) ; la qualification, c’est à dire l’acquisition des compétences par le sujet pour avancer dans la quête ; la performance qui constitue la phase d’affrontement après acquisition des compétences pour obtenir l’objet de la quête et enfin la sanction, qu’elle soit positive ou négative, pour parachever le récit (5). Dans la démarche de progression, le monde et l’univers fictif doivent répondre à des critères stricts pour permettre au joueur de ne pas s’arrêter, s’ennuyer ou relâcher l’attention.
Un des meilleurs exemples est le jeu The Witcher 3, qui crée un monde fantastique où des « Sorceleurs » (5) chassent les créatures mythiques comme des griffons et des sorcières. Le monde de Witcher est médiéval-fantastique, et reprend les codes du cinéma et de la littérature du genre, avec forêts, grottes sombres, marécages, ce qui conviendra à immerger le joueur dans un monde auquel il s’attendait, tout en gardant des éléments inattendus, par exemple les personnages (surtout celui de Ciri, formée par les Sorceleurs). L’inattendu dans un univers connu force l’immersion en jouant sur la curiosité. Ainsi, les jeux vidéo mettent en œuvre une forme de narration très spécifique : la narration spatialisée. C’est en découvrant différents lieux et espaces que le joueur va être à même de prendre connaissance des événements qui composent une histoire, et d’en découvrir l’intrigue, comme le dit Janet Murray (7). Et c’est vers cet aspect de liberté qu’évoluent les jeux modernes, qui proposent de plus en plus d’environnements ouverts permettant au joueur de pouvoir vivre sa propre aventure, sa propre expérience à travers ses propres yeux et non ceux du game designer. Cette notion de monde ouvert (open world) est devenue plus importante au fil du temps ; c’est en grande partie grâce à elle que le jeu vidéo à pris de l’ampleur.
Au début des années 2000, les jeux étant faits sous forme de couloir, ou de petites zones fermées, le héros/joueur entrait alors dans ces zones, y résolvait les énigmes et/ou battait les ennemis présents, puis passait à la zone suivante, jusqu’à arriver au dénouement. L’inattendu n’existait pas et toutes les actions menées étaient « scriptées » pour coller aux envies du créateur du jeu. Les consommateurs jouaient alors au jeu pour d’autres raisons : la trame narrative, un personnage en particulier, un pan de l’univers présenté. Graduellement, les règles ont été transgressées par quelques exceptions, qui sont d’ailleurs encore aujourd’hui vues comme les meilleures créations de tous les temps en matière de jeux vidéo. On notera Zelda : Ocarina of Time, Grand Theft Auto IV et V, ou encore Tony Hawk Pro Skater 2. Tous ces jeux ont un point commun : l’ouverture et la non-obligation de suivre le chemin prédestiné. Dans Zelda : Ocarina of Time, le joueur a le choix de suivre une route prédéfinie ou d’explorer le monde, les donjons dans l’ordre qu’il désire à un moment donné. Et aujourd’hui, quand l’on regarde les jeux qui se vendent le mieux, on y retrouve Red Dead Redemption 2, Zelda : Breath of the Wild, God of War (2018), qui sont tous des jeux en monde ouvert ou semi-ouvert via des quêtes guidées, mais qui s’ouvrent une fois celles-ci terminées. Il est clair que cette ouverture à un impact sur le joueur, celui de lui laisser libre cours à ses envies. Deux joueurs peuvent très bien acheter le même produit pour des raisons totalement différentes. Dans Red Dead Redemption 2, celui qui aime les westerns va se diriger vers le jeu pour y mener une vie de cow-boy, sans se soucier spécialement de l’histoire ou d’autres pans du jeu, et a contrario celui qui recherche un dépaysement avec des personnages charismatiques pour l’épauler y trouvera aussi son compte. Je prends l’exemple de Zelda : Breath of the Wild et son influence sur moi et mon entourage. Mes proches se sont procuré le jeu, car ce sont de fervents fans de la saga Zelda, et retrouver leur héros en monde ouvert pour aller affronter encore une fois le terrible Ganondorf leur fait plaisir. De mon côté, je n’avais joué à aucun Zelda, et ce qui m’a attiré dans l’univers de ce titre était l’aspect liberté poussée à son paroxysme, car pour la première fois, on avait le choix total de toutes ses actions (explorer, faire des missions annexes, chercher des trésors, etc.), autant de possibilités, même celle de finir le jeu en quelques minutes en allant directement au boss de fin. Et c’est précisément sur ce point que le studio a vu juste.
Conclusion
En résumé, le processus de création d’un jeu vient directement impacter la façon dont celui-ci sera distribué et vendu. Que ce soit par son univers ou par son propos, le public visé ne sera jamais le même, et c’est aux créateurs de bien définir leur cible en amont pour pouvoir réaliser un jeu qui sera à la hauteur des attentes du public visé. La vidéo promotionnelle est devenue un argument d’achat valable de par son lien visuel étroit avec le cinéma. Les plans sont de plus en plus travaillés, les histoires racontées touchent un plus grand public et surtout on peut intégrer les vidéos sur n’importe quel support, l’accessibilité de l’information étant au cœur du processus. Quant à l’univers des jeux, il se doit d’être travaillé lui aussi, mais il ne faut pas pas trop mélanger des sources d’inspiration pour ne pas perdre le joueur.
Extrait d’un mémoire de recherche en M2 ICEN à l’université de Paris Nanterre, sous la direction de David Buxton.
Notes
1. Quelques chiffres indicatifs, qui illustrent l’importance des coûts de marketing par rapport à ceux de développement dans l’industrie des jeux vidéo : Final Fantasy VII (Square, 1997) : coût de développement, 45 millions $ ; coût de marketing, 100 millions $ ; Shenmue (Sega, 1999) : 47 : 23 ; Call of Duty 2 (Activision, 2009) : 50 : 200 ; GTA V (Rockstar, 2013) : 137 : 69-109 ; Assassin’s Creed Unity (Ubisoft, 2014) : 70 : 70. Source : Wikipédia.
2. Type de jeu où la mort du joueur est au centre du gameplay, par exemple dans l’obtention de nouveaux outils à chaque début de partie.
3. COVILLE, Marion, « L’hypervisibilité de Bayonetta et la vue subjective de Portal et Mirror’s Edge : politique des représentations de l’héroïne de jeux vidéo ». HAL archives ouvertes, le 12 octobre 2018. [Consulté le 12 janvier 2019].
4. LOUIS, Pierre, « Le jeu vidéo, du logiciel dans l’art ». Web revue des industries culturelles, le 1er septembre 2015. [Consulté le 8 janvier 2019].
5. GREIMAS, A. J. (avec COURTÈS, Joseph), Sémiotique : dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, 1979.
6. Mages guerriers, mutants aux capacités surnaturelles.
7. MURRAY, Janet, Hamlet on the Holodeck, MIT Press (Boston), 1998.
BEAUBRAS Loïc, « Processus de création et de marketing des jeux vidéo – Loïc BEAUBRAS», Articles [En ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2019, mis en ligne le 1er juillet 2019. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/processus-creation-et-marketing-des-jeux-video-loic-beaubras/
Loïc Beaubras est étudiant en Master 2 ICEN (Industrie Culturelle et Environnement Numérique) 2018-19 à l’université de Paris-Nanterre