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Falling Skies, une fiction post-apocalyptique
Falling Skies, la série produite par Steven Spielberg, diffusée entre 2011 et 2015, s’inspire visiblement du roman de H.G. Wells, La Guerre des Mondes (1898) : des extraterrestres envahissent la Terre, décimant l’humanité pour ne laisser que des poches de résistance disséminées dans le monde [1]. À la manière de The Walking Dead, Falling Skies s’ouvre six mois après le début de l’invasion. On ne verra la catastrophe, en ouverture du pilote, qu’à travers des dessins et des témoignages d’enfants qui racontent leurs traumatismes :
« J’étais à l’école quand les vaisseaux sont arrivés. Ils étaient vraiment gros, et ils ont dit qu’on ne les attaquerait pas avec des bombes nucléaires parce qu’ils auraient pu vouloir être nos amis. Mais ils ne voulaient pas être nos amis. Pas du tout. Et puis, il y a eu une lumière aveuglante qui a mis toute notre électronique en panne. Les ordinateurs. Les radios. Les satellites. Les voitures. Les télés. Tout. Ils ont détruit nos bases armées les bateaux, la Navy, les sous-marins et tous les soldats sont morts. Maintenant, nos mamans et nos papas doivent se battre. Après ça, ils ont détruit toutes les capitales, New York, Washington DC, Paris jusqu’aux villes les plus importantes. Puis ils sont venus. Ils étaient des millions. Des milliards partout. » (S1:E01).
L’originalité de Falling Skies est le rapport entretenu avec l’histoire, en particulier l’histoire américaine [2]. D’ailleurs, pendant tout le développement du projet, la série s’appelait « Concord ». Ce titre renvoie aux batailles de Lexington et de Concord (1775), qui marquaient le début de la Guerre d’indépendance. Finalement, Spielberg a pensé que « la chute des cieux » était un titre plus en phase avec l’esprit du projet. Et si l’équipe de production a changé quasiment chaque saison, rendant les personnages de moins en moins cohérents, une des constantes de la série reste son rapport à l’histoire [3].
Les passés qui se mélangent
Avant l’invasion des Esphenis (le nom des extraterrestres), Tom Mason, le héros, était professeur d’histoire à l’université de Boston, ce qu’on apprend dès le début du pilote : « Vous, Professeur Mason, vous avez lu des tas de livres […] Maintenant, je vous accorde que nombre de ces livres portaient sur l’histoire militaire. » Un peu plus tard, il rencontre le chef d’un gang de hors-la-loi qui lui demande : « Alors, que faisiez-vous… avant ?», il répond « J’enseignais l’histoire… américaine » (1:02). Quand on lui propose de travailler à la reconstruction du pays, il répond modestement : « Je suis juste un professeur d’histoire » (1:03). Et c’est parce qu’il connait bien l’histoire militaire, qu’il deviendra commandant en second de la 2e division des Massachusetts. Pourtant, au début, il est moqué par les militaires, qui l’appellent « Professeur Botte-Cul » (1:01). D’ailleurs, son fils ainé, Hal, gêné par la culture de son père, lui demande : « Papa, tu penses que tu pourrais, euh, lever le pied sur les leçons d’histoire… quand les gars sont dans les parages, au moins. » Mais Mason, qui ne peut s’en empêcher, multipliera les références historiques tout au long de la série.
Planifiant la destruction d’un énorme vaisseau extraterrestre, Tom Mason se réfère à la Première Guerre mondiale et à l’Empire romain : « De l’extérieur, ce truc sera comme une forteresse. Il faudrait y pénétrer… – un cheval de Troie. Ou, comme les sapeurs de la Première Guerre mondiale, creuser un tunnel en dessous, planter le plus gros tas de TNT que tu n’aies jamais vu juste sous son centre. Ou comme les Romains à Pontus » (1:01). Quand on lui demande si son plan peut fonctionner, il prend l’exemple d’Alexandre le Grand : « Tu penses que ça pourrait marcher de passer par en dessous ? Eh Bien, ça a déjà marché par le passé, Alexandre menant les Macédoniens. » (1:01) Il se sert du même argumentaire, un peu plus tard : « Nous n’avons pas à tous les tuer. Nous devons juste en tuer suffisamment. Si nous pouvons faire en sorte que ça leur coûte trop cher, que ce soit trop douloureux pour eux de rester, alors ils partiront. Ce sont des loups. Nous devons être des porcs épis. Si nous pouvons les blesser, ils partiront. Ça n’a pas marché jusqu’à présent. Eh bien, ça marchera cette fois, parce que ça a déjà marché. L’Histoire est pleine d’armées en infériorité numérique qui ont causé tellement de soucis que les envahisseurs ont dû partir… Les Athéniens à Marathon. Les Écossais contre les Anglais au pont de Stirling, et notre propre révolution, ici aux États-Unis… Les Red Sox contre les Yankees en 2004. Nous pouvons les battre. » (1:01) Après avoir fait des références successives à la Grèce antique (490 avant J.C.), à une bataille de 1297, et à la révolution américaine, le professeur se rend compte que personne ne le suit. Il cite donc une célèbre série de matchs de baseball pour se faire comprendre, ce qui fait rire tout le monde.
Mason a aussi un rapport historique aux lieux qu’il traverse. Alors que la division militaire se déplace vers un lieu plus sûr, il remarque au docteur : « Tu sais où nous sommes ? C’est Bartlett Hill. Il y a de cela 400 ans, c’était une réserve Pennacook. La variole les a tous tués. » Elle répond, amusée, « Toujours l’Histoire, Professeur ». C’est aussi le cas pour ses lectures. En effet, lors du pilote, au milieu d’une pile de livres, on le voit examiner deux en particulier : Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne et Le Conte de deux villes de Charles Dickens.
Il hésite entre les deux livres, mais repose rapidement celui de Jules Verne. Il choisit le livre de Dickens, un roman historique. Tom donne aussi son avis sur les livres : « Oh, wow. De Tocqueville, « La Démocratie en Amérique ». J’adorais enseigner ce livre » (5:06).
Pour expliquer la stratégie de l’ennemi, Tom se sert également de références historiques à son fils ainé Hal :
Hal : Les Skitters (les Esphenis) les ont fait abattre. Ils m’ont laissé partir.
Tom : Laissé partir ?
Hal : Oui, comme s’ils voulaient que je voie ça. Ils les ont tués et m’ont laissé partir.
Tom : Les nazis le faisaient parfois avec des prisonniers. En guise d’avertissement… Prenez-en un et on tue les autres. C’est pour ça que tu es en vie. Tu es le messager (1:03).
Il fait également référence à un épisode de la Seconde Guerre mondiale, le Blitz, à son fils Ben :
Ben : Je pensais à ce que tu nous as dit sur la seconde guerre mondiale en Angleterre. Durant la guerre. Oui, les Allemands ont bombardé Londres, c’est ça ?
Tom : Oui, et les Anglais envoyèrent leurs enfants à la campagne pour les mettre à l’abri pendant que les parents restaient. Je ne suis pas sûr que ce soit la même situation. Mais rien ne l’est (1:06).
Finalement, Ben convainc son père de faire de même pour les enfants de leur compagnie. Les enfants de Tom ont donc bien compris les leçons d’histoire transmises par leur père. Matt, son fils cadet, invoque Jeanne d’Arc pour convaincre son père de devenir soldat :
Matt : Je veux aussi m’inscrire.
Tom : Non, tu n’as que 13 ans.
Matt : Jeanne d’Arc était adolescente quand elle a voulu se battre pour son pays (4:10).
Quant à Hal, son fils ainé, il discute avec le commandant Weaver :
Hal : Je me souviens seulement de ce que mon père me racontait sur le jour qui a suivi l’attaque de Pearl Harbor, comment des milliers de gars, la plupart aussi jeune que moi, ont envahi les bureaux de recrutement. Il n’y avait absolument aucun moyen pour eux de savoir combien de temps durerait cette guerre ou combien elle pourrait être dure, mais ils venaient de se rendre compte qu’ils devraient combattre.
Weaver : Tel père, tel fils, hein ? Toujours avec une leçon d’histoire (1:10).
La Guerre d’indépendance est aussi évoquée avec les batailles de Lexington et de Concord du 19 avril 1775 : « Je veux que vous pensiez où nous en sommes. Les batailles de Lexington et de Concord se sont déroulées près d’ici. Des simples colons contre la puissance de l’Empire britannique. Personne ne leur donnait la moindre chance. Patrick Henry a appelé ça : « Le combat n’est pas juste la force. C’est aussi être vigilant, actif, et brave. » Une petite milice disciplinée peut résister à une force supérieure et même la repousser. Ils se battent pour ce qui leur revient de droit. C’est notre pays, notre planète. Souvenez-vous-en s’ils viennent. » (1:10) Tom avec sa milice se compare donc aux colons qui se battaient contre la puissance de l’Empire britannique, référence aux valeurs supposées de cette époque, avec des milices populaires et des hommes de vision.
Étonnamment, les extraterrestres eux-mêmes ont des connaissances très précises sur notre histoire :
Extraterrestre : On vous a étudié dans les moindres détails, professeur. Nous sommes venus pour faire une proposition qui mettrait fin aux hostilités entre nous. En échange d’un refuge, nous installerons une zone protégée où les survivants humains seront relocalisés. Une sorte de camp de prisonniers. Un endroit où vous pourrez vivre en paix. Ce concept doit vous être familier. C’est inspiré de votre propre histoire. La pire partie.
Tom : Vous ne pouvez pas choisir de nos moments les plus sombres comme le Cambodge, ou les nazis allemands, ou Nankin, My Lai, la Piste des Larmes [4].
Extraterrestre : S’il vous plaît, Professeur Mason. On peut penser à des douzaines d’exemples en plus. Soyez honnête. L’oppression est dans votre nature.
Tom : Et c’est votre justification pour le meurtre de milliards ? Si ces atrocités sont le pire de nous… ça fait quoi de vous ?
Extraterrestre : Celui qui décidera si votre monde survit ou meurt (2:01).
Cet échange permet de justifier l’invasion extraterrestre sans donner de raison précise, ce que l’on apprendra à la toute fin. Un peu plus tard, Tom compare les Volms (extraterrestres qui se battent contre les Esphenis) à Staline :
Weaver : Que faisons-nous là ? Que faisons-nous vraiment ?
Tom : Nous gagnons… Dan, purement et simplement. Et Cochise [commandant des Volms] et les Volms nous en remercient.
Weaver : Vous pensez sincèrement qu’une fois les chefs suprêmes éliminés, ils vont juste, quoi ?
Tom : Je ne me fais aucune illusion au sujet de nos alliés, si c’est là que vous voulez en venir.
Weaver : C’est exactement là que je veux en venir, Tom, sauf votre respect.
Tom : Vous pensez que Roosevelt et Churchill voulaient travailler avec Staline ? Ils savaient tout à son propos. Ils avaient besoin de lui pour gagner la guerre.
Weaver : C’est notre guerre, Tom. C’est une guerre humaine (3:01).
Quand il s’agit d’expliquer son plan, Tom prend l’exemple de Geronimo contre l’armée mexicaine le jour de Saint Jérôme, le 30 septembre 1859 :
« C’est en gros la même stratégie que Geronimo a utilisée contre l’armée mexicaine en Guadeloupe. La légende est qu’il aurait fait la fête à Saint Jérôme. Un évêque local et tout le laiton d’armée étaient réunis dans la célébration, tous vêtus avec leurs parures. Du désert vient cet apache solitaire courageux désarmé, portant un t-shirt en coton, un pagne et des mocassins. Il avait déjà un peu bu. Les soldats mexicains commencent à le provoquer, à se moquer de lui. De l’intérieur de sa chemise, le courageux sorti une petite arbalète, tire sur l’évêque par le cou et retourne en marchant dans le désert. Les soldats mexicains sautent sur leurs chevaux et le chassent dans une embuscade dans un canyon resserré. Les prêtres, les femmes debout sur les parapets pouvaient seulement voir que l’armée mexicaine était anéantie dans ce feu croisé apache. Quand tout est fini, le brave se dresse sur un rocher au-dessus des soldats mourants, et il les écoute implorer pitié, prier Saint Jérôme, San Geronimo, pour la délivrance. Voilà comment Geronimo a obtenu son nom. Voilà comment il a obtenu sa revanche. C’est ce qu’on va faire. On va les attirer dans une embuscade. » (4:03)
C’est donc une véritable leçon d’histoire, et non pas une proposition de plan stratégique, que fait Tom à ses coéquipiers. Professeur d’histoire, il continue à l’être aux yeux de ses enfants, car quand on lui demande pourquoi il tague un mur, Hal répond : « C’est un message pour mon père. Un truc qu’un prof d’histoire comprendrait, mais pas les Esphenis (les extraterrestres). Les colons de Roanoke [l’une des premières colonies dans les années 1580] ont gravé ça sur les murs de leur fort quand ils ont dû abandonner leur colonie pour un abri sûr. » [5]
Le QG de la résistance se trouve dans une école portant le nom du président John F. Kennedy :
La formule qui orne l’entrée du lycée est une citation d’Edward Everett (1794-1865), représentant, puis gouverneur du Massachusetts, qui fut aussi président de l’université de Harvard : « L’éducation est meilleure garante de la liberté qu’une armée professionnelle ». À l’intérieur de l’école se trouve une statue de Kennedy devant une fresque monumentale de quelques figures de l’histoire américaine (on reconnait le président Lincoln, des Indiens, la statue de la Liberté) :
Rien n’est laissé au hasard. Ici, les personnages se trouvent devant une citation du général sécessionniste Robert E. Lee inscrite sur un mur [6] : « Heureusement que la guerre est une chose horrible, sinon on pourrait l’apprécier. » Cette citation confirme l’affirmation du général unioniste Sherman [7], « la guerre, c’est l’enfer », et nous rappelle que, malgré le contexte post-apocalyptique, il s’agit d’une guerre mondiale où les humains affrontent les extraterrestres.
Weaver, le commandant de la 2e division des Massachusetts, se cache devant un panneau qui porte le nom du président Lincoln :
La référence à Lincoln est également présente sur une pierre tombale où Tom Mason va faire un discours [8] :
On pourrait traduire la citation (légèrement modifiée) par : « Honneur à celui qui brave, pour le bien commun, les orages du ciel et les tempêtes de bataille. » Cette obsession pour Lincoln est présente tout au long de la série jusqu’à la bataille finale avec les extraterrestres, puisqu’ils ont choisi le monument Lincoln à Washington comme QG de la reine comme le comprend Tom Mason : « Au pied du géant. Le Monument Lincoln. La reine est localisée au pied du géant. La statue d’Abraham Lincoln. » (5:09)
Sur ce plan, on voit la reine extraterrestre prendre la place d’Abraham Lincoln :
Enfin, quand les humains ont gagné la bataille, Tom Mason fait son discours final sous la statue d’Abraham Lincoln restaurée :
Lincoln incarne donc une figure historique importante de la série, même si se mélangent d’abondantes autres références historiques [9].
De grands discours
Les discours prononcés par Tom Mason sont très nombreux. On compte, en effet, seize discours prononcés par le héros (six dans la première saison, un seul dans la deuxième, trois dans la troisième, un dans la quatrième et cinq dans la dernière). Au début, il intervient comme professeur d’histoire, mais c’est en qualité de leader incontesté du « monde libre » qu’il prononce le discours final qui clôt la série.
Au début, Tom Mason ne fait que donner son avis, puis il propose son propre plan militaire. Plus tard, il affirme vouloir devenir le leader du groupe, et prend la parole pour calmer ceux qui ont peur pour leurs enfants enlevés par les extraterrestres : « N’oubliez pas qui est l’ennemi. Tout le monde ici a dû faire des choix difficiles pour arriver jusqu’ici. Et nous en ferons encore. Mais si nous nous divisons maintenant et nous commençons à nous attaquer les uns les autres… alors peu importe quand l’attaque arrivera, parce que nous aurons déjà perdu. Et qui décidera de ce que nous ferons, s’ils attaquent ? [Le commandant] Weaver ? Non, moi. » La question de pouvoir distinguer l’ami de l’ennemi pendant une guerre est évidemment centrale. Il faut identifier ses ennemis pour mener une guerre juste. Et le peuple attend un leader pour ce faire. On voit que Tom connait bien l’histoire militaire, et se sert de ses connaissances pour instrumentaliser la foule.
C’est tout naturellement qu’il fait un discours lors de l’enterrement de Mike Thompson, un soldat dans son régiment. Il y fait référence à Taps, une sonnerie datant de la Guerre de Sécession, jouée aux enterrements militaires (1:07). C’est la première fois que Tom fait un discours formel. Le dispositif filmique le montre seul, il commence à se détacher des autres personnages. D’ailleurs, dans ces précédentes prises de parole, il était soit accroupi alors que les autres étaient debout, soit séparés d’eux par un bureau, ou alors cadrés par un monument aux morts.
Quand il est invité à prendre la parole par Arthur Manchester, son ancien professeur d’histoire devenu le président de la communauté de Charleston, et vice-président des nouveaux États-Unis, c’est pour lire un extrait de son livre sur la Guerre d’indépendance, et en faire un parallèle : « Je veux vous lire quelque chose qu’un de mes amis a écrit sur une guerre différente. « Certains recommandaient un arrangement et croyaient que seule une rébellion ouverte enragerait l’ennemi. Mais ils étaient plus nombreux ceux qui comprenaient que la liberté ne viendrait qu’une fois que l’ennemi aurait été chassé de leur pays. » Cela a été écrit par Arthur Manchester. Sur les Américains qui ont lutté contre les Britanniques durant notre révolution. Mais il se pourrait tout aussi bien que ce soit écrit aujourd’hui. » (2:09) Encore une fois, Tom prend exemple de la Guerre d’indépendance pour la comparer à leur guerre contre les extraterrestres. Pour lui, il faut déclarer une guerre totale aux envahisseurs jusqu’à ce qu’ils soient chassés complètement de notre planète.
Le premier discours de Tom Mason en tant que président des États-Unis se déroule à l’extérieur d’une ville en ruines.
Le cadrage est très classique, il est filmé en plongée, dominant le peuple tourné vers lui, en plan de coupe avec un mur rempli de photos en arrière-plan, ou bien en plan d’ensemble en contre-plongée, ce qui montre qu’il est au centre de son peuple : « Avant de commencer le forum traditionnel des citoyens, j’espère que vous me laisserez annoncer l’arrivée de notre nouvelle citoyenne des nouveaux États-Unis… Alexis Denise Glass-Mason. Merci. On a aussi perdu un homme bon cette semaine… Arthur Manchester, sa légende continuera de vivre en chacun de nous… les citoyens de Charleston. Il a été la dernière victime dans cette guerre qui nous a déjà pris plus qu’on ne peut en compter. Notre ennemi s’acharne à nous détruire. Ils n’accepteront rien de moins que notre complète et totale annihilation. Pendant deux longues années, nous avons souffert des mains de nos oppresseurs, et pourtant, contre toute attente, nous avons survécu. Et au cours des sept derniers mois, on a fini par gagner ! Nos alliés aliens, les Volms, nous ont fourni des armes supérieures. Ils nous ont apporté espoir et encouragements. Mais notre véritable arme… L’arme qui au bout du compte nous a donné la victoire est la force et la ténacité de l’esprit humain. » (3:01) À la manière du discours en deux minutes de Lincoln à Gettysburg du 19 novembre 1863, il rappelle les valeurs de la démocratie américaine contre l’oppression.
Il utilisera le même registre épique lors de son discours suivant, qui se déroule de nuit, afin d’inaugurer l’arbre de la Liberté, un mémorial qui honore les victimes de la guerre contre les extraterrestres. Il commence par lire un texte qui fait référence au président Clinton, donnant au discours (et à la série) un effet de réel. Il y parle d’endroit dédié à la mémoire, d’espoir, de sacrifice, car « chacun de nous compte ». On reste dans le même dispositif de cadrage que le précédent discours :
Le Président Clinton a dit une fois qu’il devrait toujours y avoir un endroit dédié à la mémoire collective pour ceux qui ont donné leur vie pour que d’autres puissent vivre. Il y a deux ans, nos vies ont changé à tout jamais. Beaucoup d’entre nous ont perdu familles, amis, voisins, mais de ce que je vois… La vérité c’est lorsque je regarde tout autour ce soir, rien n’a finalement réellement changé. On se bat toujours, on perd toujours ceux qu’on aime, on vit toujours dans la peur, on cherche toujours… de l’espoir. En réalité, quand je regarde autour ce soir, il est difficile de voir ce qu’on a construit et de ne pas le comparer à ce qu’on a perdu. J’ai perdu une amie aujourd’hui. Et son sacrifice est un rappel bien trop familier que chaque jour compte. Chacun d’entre nous compte. Chacun d’entre nous. Ce soir, nous allons inscrire sur les feuilles de cet arbre les noms de ceux que nous aimions, qui ont combattu et qui sont tombés ceux qui sont morts et qui méritent qu’on s’en souvienne. Et, comme mon amie, ils vivront ici, sur l’arbre de la liberté, pour toujours. Et même si les branches vont indéniablement grossir, parce que le prix de la liberté est élevé, ce mémorial signifie que peu importe le temps qui passe, peu importe combien la vie est dure, nous nous souviendrons. Nous nous souviendrons que l’important n’est pas le temps que nous vivons, mais comment nous vivons et ce que nous laissons derrière nous. Et nous nous rappellerons mon amie, Lee Tedeschi, et tous les autres, et pourquoi ils se sont battus, et pourquoi nous le faisons (3:03).
À la fin de son discours, il se met en scène seul, descendant de la tribune pour traverser la foule, et commence alors la cérémonie des feuilles.
À la fin de la troisième saison, Tom prend la parole sans faire de discours. Il se situe alors au même niveau que ses coéquipiers : « J’ai fait trop de discours, donné trop de cours, je veux porter un toast. Malheureusement, de simples mots ne suffisent pas à exprimer toute la gratitude que j’ai pour ceux que j’ai eu le privilège d’appeler famille depuis le début de ce cauchemar. Mais à présent, nous sommes au début de la fin, et nous nous apercevons que la lumière au bout du tunnel brille enfin sur nous. Alors… À la fin du voyage ! »
La fin est proche, la fin de la guerre contre les extraterrestres, mais aussi la fin de la série. Un peu plus tard, dans un rêve de Tom, Weaver nous l’apprendra aussi : « Ouvrez les yeux ! « La fin est proche » », nous crie-t-il.
Quand il s’agit de mettre fin au combat contre les militaires, qui allaient exécuter ses fils et sa femme, il fait une demande aux militaires de déposer les armes, car les humains ne doivent pas être ennemis : « Nous sommes tous des soldats ! Et nous avons prêté serment de combattre l’ennemi, pas les uns les autres ! Certains d’entre vous ont été empoisonnés par la peur, manipulés à se méfier, et c’est compréhensible, vu qu’on vit dans un monde où nos amis [il sort Cochise, un extraterrestre, du camion] ressemblent à nos ennemis. Et nos ennemis peuvent avoir notre apparence. Ce n’est plus une excuse désormais ! Il est maintenant temps… que nous nous alliions ! Pour nous unir, pour avancer ensemble jusqu’à Washington ! » (5:08) Et immédiatement, son discours convainc les militaires de marcher sur Washington.
Mason prononce aussi des discours à la radio. Quand un officier ne sait pas quoi dire aux milices rebelles, il prend le micro d’autorité pour motiver les soldats. Il est au centre du cadre, entouré de son fils ainé, de Weaver et du technicien de la radio : « Attention. Ici Tom Mason. Tom Mason de la seconde division. Et on a le plein contrôle de notre réseau de communication, et il y a plus qui nous attend. Bientôt, on aura plus d’infos qui affecteront le plan, mais pour le moment, continuez ce que vous faites. Prenez position à 1,5 kilomètre de Washington et attendez des infos sur la cible. Ce en quoi nous sommes sur le point de nous embarquer est énorme, imprévisible. Si vous êtes comme moi, il y a un peu de peur et d’impatience, et c’est normal. Mais ne laissez pas vos émotions se transformer en doutes. On est si proche. Croire en ce qu’on fait nous mènera là-bas. » (5:09) Et si on ne voit pas le public, on entend les cris de joie des personnes qui l’ont écouté. Encore une fois, il réussit instantanément à convaincre les soldats de le suivre.
Au début du dernier épisode, tout le monde est réuni autour d’un feu la nuit avant la bataille, et Tom demande qui a envie de parler, parce que c’est « le bon moment ». Un panoramique nous dévoile des personnes silencieuses. Finalement, Tom se lève, et souffle pour se donner de la force : « En commençant la phase finale de ce périple … », puis il parle des sacrifices faits, « vous êtes ce pour quoi je me bats … » et enfin, « nous gagnerons cette guerre grâce à vous. » Il se rassoit et demande : « si quelqu’un d’autre aimerait dire un truc ». Là encore, personne ne répond, sauf le commandant Weaver, qui lui dit : « Je pense que tu as tout dit, partenaire ». Tout le monde lève son verre et trinque (5:10). Cette séquence, qui arrive à la fin, montre que seul Tom se sent légitime pour parler en public.
La dernière séquence se divise en deux parties. Tout d’abord, on voit l’ensemble des personnages fêter la fin de la guerre : Anne se porte bien et attend un bébé. Hal et Maggie sont ensemble et devraient se marier, si ce n’est pas déjà fait. Matt a une petite amie. Anthony a retrouvé la confiance de Weaver, Cochise et d’autres membres de son espèce sont toujours là. Cette scène se déroule alors que Tom professe, en voix off, un discours patriotique :
Et tandis que les survivants du monde émergeaient des conséquences fumantes, nous nous étions retrouvés liés ensemble comme jamais auparavant. On a besoin d’un leader, bien sûr, c’est pourquoi nous sommes rassemblés ici aujourd’hui. Mais ce besoin est maintenant éclairé par le consentement du gouvernement, comme le voulaient les Pères fondateurs de l’Amérique. Différents, arguments, même un fervent débat… ce sont de bonnes choses. Mais à la fin, on est tous ensemble. […] Malgré les horreurs, nos pertes, nos morts, la guerre avec les Esphenis aurait finalement fait de nous des êtres meilleurs. Nous pouvons vraiment fonder une nouvelle civilisation… une civilisation mondiale. Notre objectif premier… est d’accueillir ceux, surtout ceux dont nous n’avons pas toujours compris les méthodes. Cependant, notre ouverture d’esprit, ainsi que notre égalitarisme, ne devraient jamais se faire au détriment de notre vigilance. Car comme dit l’homme, « Ceux qui échouent à apprendre de l’Histoire sont condamnés à la répéter ». Et pour toujours nous porterons notre regard sur les cieux. Maintenant commence le travail pour reconstruire notre monde. Et dans ce travail, on a la responsabilité et l’opportunité d’appliquer ces leçons. Et ainsi, on a une chance de peut-être le reconstruire juste un petit peu mieux qu’avant.
Encore une fois, on pense à Abraham Lincoln, tant les références historiques aux Pères fondateurs de la nation, à la démocratie, à l’histoire sont présentes. De fait, les 20 secondes d’applaudissements qui suivent et qui précédent son discours officiel devant les représentants du monde nous montre l’imposante statue de Lincoln, énième itération du même motif.
Puis, Tom commence son discours : « Il était une fois, il était un endroit qui s’appelait l’Amérique. » Cette référence au conte place ce récit dans un registre merveilleux, ce que corrobore le « happy end » qui se déroule sous nos yeux.
Un récit qui ne débouche sur rien
« Ceux qui échouent à apprendre de l’Histoire sont condamnés à la répéter », nous apprend donc Tom à la fin de la série, citant le philosophe George Santayana. Quelle est donc la leçon de l’Histoire ? Elle n’est certainement pas à rechercher dans l’explication finale de l’invasion extraterrestre. En effet, les scénaristes auront attendu la toute fin de la série pour nous révéler que la reine des extraterrestres veut se venger, car quand ils sont venus sur Terre 1500 ans plus tôt, les humains avaient, alors, tué sa fille. Cette histoire de vengeance individuelle semble complètement absurde au regard de l’enjeu narratif, puisqu’il s’agit de lutter contre des envahisseurs qui ont exterminé la quasi-intégralité de la population humaine.
L’ultime discours de Tom, qui repose sur l’idée d’une humanité enfin unifiée, d’un humanisme retrouvé, et d’un nouveau départ pour les États-Unis, est très instructif à cet égard : « Mais à partir de maintenant, les frontières n’ont plus la même signification. Car avant d’être des pays, nous étions des êtres humains. Et malgré l’horreur, la perte, et la mort, la guerre contre les Esphenis a peut-être fait de nous de meilleurs êtres humains, car nous avons découvert que nous ne sommes pas seuls. » Pour Tom, la frontière est devenue l’espace, la frontière finale. En effet, « il est possible de soutenir que la conquête spatiale, commencée dans les années 1950 avec le lancement du premier Spoutnik (en 1957), a consisté en une nouvelle incarnation du mythe de la Frontière, un mythe que les États-Unis ont su vendre, à coups de films hollywoodiens, bien au-delà des limites territoriales du pays [10]. » La série Falling Skies participe de ce discours. En faisant clairement référence à la question de la frontière dans son discours, le « mythe national de la Frontière » [11], Tom se situe dans la continuité des présidents Lincoln et Kennedy (« la Nouvelle Frontière »). Mais ici, il ne s’agit pas de conquérir l’espace à la manière de Star Trek (« la frontière finale »), mais plutôt de se défendre contre les envahisseurs, à la manière des colons contre l’Empire britannique pendant la Guerre d’indépendance.
La Guerre civile revient deux fois dans les exemples historiques convoqués par Tom (voir ci-dessus). Pourtant, de cette histoire fondatrice, on ne mentionnera aucune bataille. La première référence de la Guerre de Sécession se déroule à l’enterrement de Mike Thompson. Dans son discours, Tom mentionne en passant la sonnerie unioniste Taps. La deuxième référence est la citation sur un mur de Robert E. Lee, le général sudiste. De fait, on a l’impression que la guerre contre les extraterrestres annihile l’antagonisme fondateur de l’histoire américaine, il n’y a plus que des patriotes défendant la terre/le territoire.
En outre, de quelle connaissance est-il réellement question quand Tom parle « d’apprendre de l’Histoire » ? Le philosophe Alain Badiou, qui propose de dresser un bilan du vingtième siècle, affirme, le dénombrement des morts valant bilan du siècle, que « l’interdiction d’une répétition vient de la pensée et non de la mémoire [12] ». En cela, il oppose pensée (histoire) et mémoire. Il met du côté de la mémoire, la logique comptable des chiffres des morts. Pour lui, cela n’est pas la compréhension du processus historique. La mémoire est figée, contrairement à l’histoire, qui est processus. De fait, pour que les crimes ne se répètent pas, il faut qu’il y ait connaissance, c’est-à-dire pensée et non pas mémoire. La citation de Santayana lors du discours final de Tom permet de sortir d’une conception de l’histoire qui semble réduite aux agissements et aux (res)sentiments personnels.
Finalement, au regard de la dernière séquence et à la lumière de l’explication finale, on pense à la formule de Marx : l’histoire se répète toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce [13].
Notes
[1] Série en 52 épisodes de 42 minutes, créée par Robert Rodat et produite par Steven Spielberg, diffusée chaque été entre 2011 et 2015 sur la chaîne TNT.
[2] La Guerre des Mondes (2005) de Spielberg évoquait à la fois la Seconde Guerre mondiale, et l’attentat du 11 septembre 2001.
[3] Après le pilote écrit par Robert Rodat, ce sont Graham Yost et Mark Verheiden qui ont été en charge pendant le reste de la saison. Remi Aubuchon (24 heures chrono) a pris la suite pour les saisons 2 et 3, avant que David Eick (Battlestar Galactica) ne supervise les deux dernières années. Remarquons que le titre fait référence au dessin animé Chicken Little (Disney, 1943, reprise 2005), racontant les aventures d’un petit poulet convaincu que « the sky is falling ».
[4] Nankin est une référence au massacre commis par l’armée impériale japonaise en 1937 (environ 200 000 morts). My Lai renvoie au massacre d’un village vietnamien commis par des militaires américains en 1968. « La piste des Larmes » se réfère au déplacement forcé du peuple Cherokee entre 1831 et 1838.
[5] Nommé gouverneur de la colonie naissante de Roanoke par Sir Walter Raleigh, John White revenait alors d’Angleterre avec des provisions extrêmement attendues. À son arrivée sur la côte le 18 août 1590, il n’a retrouvé qu’une colonie pillée et abandonnée. Les colons disparus n’avaient laissé derrière eux que deux indices de leur destination : le mot « Croatoan » (référence à la tribu indienne), gravé sur un poteau bien visible, et l’abréviation « Cro » sur un arbre. http://www.nationalgeographic.fr/histoire/2017/03/enfin-des-indices-sur-le-mystere-de-la-colonie-perdue-aux-etats-unis (S04E04).
[6] Robert Edward Lee (1807-70) était un militaire de carrière, qui s’illustra à la tête des armées des États confédérés (sécessionnistes) pendant la Guerre de Sécession.
[7] William Tecumseh Sherman (1820-91) était général de l’armée de l’Union lors de la Guerre de Sécession. Il était très critiqué dans le Sud pour la dureté de sa politique de la terre brûlée. Le 19 juin 1879, il a fait un discours devant les cadets de l’Académie militaire du Michigan, au cours duquel il a probablement proféré son célèbre « War is Hell ».
[8] La citation exacte est : « Honor to the Soldier, and Sailor everywhere, who bravely bears his country’s cause. Honor also to the citizen who cares for his brother in the field, and serves, as he best can, the same cause, honor to him, only less than to him, who braves, for the common good, the storms of heaven and the storms of battle. » Lettre à Messrs. George Opdyke, Jos. Sutherland, Executive Mansion, Benj. F. Manierre, Prosper M. Wetmore Washington, and Spencer Kirby, Committee, déc. 2, 1863.
[9] Spielberg, le producteur, en a fait un film (Lincoln), sorti en 2012.
[10] Frédéric Neyrat, La Part inconstructible de la Terre, Le Seuil, Coll. « Anthropocène », 2016, p. 92.
[11] Voir le très beau livre de William Cronon, Nature et récits. Essais d’histoire environnementale, Éditions Dehors, 2016.
[12] Alain Badiou, Le Siècle, Le Seuil, Coll. « L’ordre philosophique », 2005, p.11.
[13] « Hegel fait remarquer quelque part que, dans l’histoire universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. », Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1853), La Table ronde, 2001, p. 172.
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MELQUIOND, Anne-Lise, « « Falling Skies », la leçon d’histoire – Anne-Lise MELQUIOND », Articles [En ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2017, mis en ligne le 1er décembre 2017. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/falling-skies-lecon-dhistoire-anne-lise-melquiond/
Anne-Lise Melquiond prépare une thèse sur le thème de l’apocalypse dans les séries actuelles à l’université de Paris Ouest (directeur : David Buxton). Elle est enseignante en Lettres – Histoire dans le secondaire à Rouen.