La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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YouTube progresse en France
Chez les 16-44 ans, un Français sur deux consulte YouTube (Google) tous les jours, pourcentage qui monte à trois sur quatre chez les 16-24 ans (audit TNS). Médiamétrie crédite YouTube de plus de 4 millions de visiteurs uniques par jour en France.
La troisième édition française de Brandcast, raout annuel organisé par YouTube, a drainé plus de 1000 créateurs-vedettes, publicitaires, marketeurs et annonceurs fin novembre à Paris. « C’est l’occasion de faire le bilan de deux années où beaucoup de choses se sont passées, dit le patron de Google France, l’Australien Nick Leeder. Le plus marquant, c’est de voir que les contenus de la plate-forme ne sont plus seulement humoristiques, mais concernent tous les secteurs, du sport à la science, en passant par la gastronomie ». Jean-Luc Melenchon est de loin le premier youtubeur des personnalités politiques en France avec près de 140 000 abonnés [ajouté en février : 214 000 abonnés], chiffre impressionnant dans son domaine, mais peu par rapport aux 10 millions affichés par l’humoriste Cyprien.
Lors du Brandcast 1 (2014), un prix fut décerné aux chaînes totalisant un million d’abonnés. À l’époque, elles furent 10 dans cette catégorie, aujourd’hui elles sont 85. Six d’entre elles cumulent un milliard de vues (voir liste ci-dessous). Le temps de visionnage sur la plateforme a augmenté de 40% entre 2015-16, et encore de 40% entre 2014-15. Seul Facebook est capable de rivaliser avec le nombre de visites. « La technologie rend YouTube plus accessible, le mobile notamment [plus de la moitié des vidéos consommées], mais la télévision connectée commence aussi à peser », explique Nick Leeder.
En un an, le YouTube Space Paris, lieu de formation et de production vidéo à disposition des créateurs, a été utilisé par plus de 6000 personnes. Les créateurs, dont certains bénéficient d’une avance sur recettes, reçoivent environ 2 euros pour 1000 vues, les revenus publicitaire étant partagés, avec presque 60% pour la chaîne (2014). Ses dirigeants prétendent que YouTube n’a pas vocation à se positionner sur l’ensemble de la chaîne de valeur, mais Google vient de racheter Famebit, société qui met en relation marques et « influenceurs ». Toujours selon Nick Leeder, « Nous avons parfois aidé les marques à trouver de bons créateurs, mais tout un écosystème se développe et il faut laisser faire ».
Commentaire. En attendant que « l’écosystème » en question soit suffisamment mûr pour le rachat ?
Le top 10 producteurs sur YouTube en France 2016 (en nombre de vues)
SQUEEZIE | 1 960 000 000 |
Rémi GAILLARD | 1 505 000 000 |
Cyprien | 1 108 000 000 |
MaitreGimsVEVO | 1 066 000 000 |
The SoundYouNeed | 1 051 000 000 |
Cauet | 1 009 000 000 |
Universal Music France | 994 500 000 |
Norman fait des vidéos | 990 128 000 |
Monde des Titounis | 824 996 000 |
FilmsActu | 811 806 000 |
Sources : « YouTube continue de gagner du terrain en France » (Nicolas Rauline), Les Échos, 23 nov. 2016. http://web-hobbies.com/2016/01/top-10-des-chaines-youtube-france-selon-le-nombre-des-vues.html ; http://www.theheraldbusinessjournal.com/article/20150324/BIZ02/150329435/Are-you-willing-to-pay-to-watch-video-clips-online ; « Melenchon à l’assaut des nouveaux médias » (Raphaëlle Besse Desmoulières et Damien Leloup), Le Monde, 20 déc. 2016, p. 7.
Les vidéoclips ne font plus recette à la télévision
La musique à la télévision a du mal à trouver sa place face à YouTube et aux clips en accès libre sur Internet. En conséquence, le groupe M6 (filiale de RTL) a demandé au CSA de revoir à la baisse ses obligations musicales pour les chaînes M6 et W9, à la fois en volume (M6 devrait diffuser 20% de musique dans sa grille, proportion progressivement abaissée dans le temps) et en valeur. Contractuellement, le groupe doit investir chaque année un peu plus de 21 millions d’euros dans la production d’émissions musicales, obligation qui n’a pas été respectée en 2015. M6 voudrait diviser ce montant par deux. « Les émissions musicales et les clips favorisent surtout les grandes sociétés de production internationales et soutiennent une industrie de musique qui se porte très bien », se plaint Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, qui doit être bien le seul à penser que l’industrie musicale « se porte très bien ».
En cause, le désamour des téléspectateurs pour une certaine présence de la musique à la télévision. « Avant l’arrivée des sites comme YouTube, dans les années 2000, les clips avaient une vraie valeur d’exclusivité à la télévision, d’autant qu’ils étaient faits par de grands réalisateurs. Mais quand les maisons de disques ont commencé à les donner gratuitement sur Internet comme des bandes-annonces, cela a démonétisé totalement l’audience à la télévision », explique Thierry Cammas, président de MTV-Viacom France.
Ce sont donc les vidéoclips qui ne font plus recette. Par ailleurs, certains divertissements musicaux continuent à faire des cartons. Depuis 2010, des émissions de variétés sur TF1 ont enregistré des scores impressionnants : La boîte à musique des Enfoirés (13,6 millions de téléspectateurs, le 15/3/2013) ; The Voice (10,1 millions, le 11/1/2014) ; NRJ Musical Awards (7 millions, le 28/1/2012) ; Samedi soir on chante (6,9 millions, le 19/1/2013) ; Stars 80, le concert (6,8 millions, le 9/5/2015). Même en perte de vitesse, l’édition 2016 des NRJ Musical Awards a tout de même attiré 5,3 millions de téléspectateurs en novembre dernier.
Les chaînes musicales spécialisées résistent plus ou moins bien en se positionnant sur une niche porteuse. « Les chaînes musicales sont des chaines d’accompagnement, qui offrent un accès à la musique parmi d’autres. La télévision n’a jamais eu le monopole de la musique », dit Richard Lenormand, directeur du pôle TV de Lagardère Active. La franchise MTV a choisi d’élargir sa programmation à du divertissement générationnel (la télé-réalité par exemple), et de produire en même temps des contenus exclusifs (captations de concerts, documentaires). En novembre 2015, a été lancée une version française de MyMTV, dans laquelle les abonnés de Canal+ et de Numericable-SFR peuvent créer leur propre chaîne de musique à la demande sur divers supports : 100 000 « chaînes » personnelles sont ainsi créées en France chaque mois. « Pour se distinguer, il faut offrir quelque chose de plus que les clips que l’on retrouve partout », résume Philippe Bailly, fondateur de NPA Conseil.
Commentaire. Le problème à terme de ces « chaînes personnelles », c’est que chacun piochera dans sa bulle musicale jusqu’à la source ne se tarisse, faute d’apport créatif en amont, forcement trop peu connu et trop peu rentable pour entrer immédiatement dans la danse. Imagine-t-on l’émergence historique du rock sans le patrimoine ignoré et déconsidéré du blues, et la présence décisive de quelques passeurs éclairés dans les médias, en l’occurrence la presse magazine et surtout la radio commerciale pirate ou périphérique à l’époque (les années 1960) ?
Source : « Pourquoi la musique à la télévision ne fait plus recette » (Marina Alcaraz), Les Échos, 18 nov. 2016.
La réalité virtuelle (VR) devient réelle
2017, l’an 2 de la VR ? Le Mexicain Alejandro Iñarritu (Birdman, The Revenant) prépare un moyen métrage sur l’expérience d’un groupe de migrants traversant la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Le cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh tourne un documentaire sur le Cambodge. Steven Spielberg, qui à Cannes en 2016 expliquait que la VR pouvait « s’avérer dangereuse pour les réalisateurs », dit qu’il travaille sur un projet. Michael Mann (Miami Vice) aussi. Finalement, le réalisateur chinois Jia Zhangke (A Touch of Sin) commence une « romance » coproduite par la société française MK2.
La durée des films en VR pose néanmoins problème. Il est difficile d’imaginer rester plus de 35 minutes sous un casque dans un univers mouvant, détaché du monde réel, avec la technologie encombrante actuelle. « Si l’histoire est bonne, peut-être que dans deux ans on tournera des longs-métrages », prétend Gilles Freissinier, responsable du développement numérique chez Arte. Jésus VR, le premier long-métrage de 90 minutes en 360°, a été présenté à la Mostra de Venise (festival) en septembre ; il s’agit d’une leçon de catéchisme sans intérêt cinématographique, filmé avec une caméra statique qui rend le temps passé sous le casque supportable. Pierre Zandrowicz, du studio Okio, qui a réalisé I, Philip, court-métrage de 14 minutes racontant l’histoire d’un robot-réincarnation de l’auteur de la science-fiction Philip K. Dick, avait essuyé les plâtres pour la fiction en VR en février 2016 : « Les gros plans, le montage, le travelling, tous les instruments classiques ne fonctionnent plus en VR. Il a fallu tout réapprendre ».
Toute la grammaire du cinéma est à revoir. L’œil du téléspectateur peut aller partout, y compris et surtout derrière la caméra (360°) ; l’équipe technique doit donc se cacher dans le décor pour maintenir l’illusion. La notion du hors-champ, qui fonde l’approche esthétique du cinéma, n’est plus opérante. Sans parler de l’interactivité… Au fond se pose la question de la légitimité de celui qui prétend diriger le regard, et de l’idée d’une œuvre fixée.
Le 2 décembre dernier à Paris, à une réunion d’Uni-VR, un think tank rassemblant des acteurs du secteur, Philippe Fuchs de l’École des Mines a cherché à faire comprendre aux nouveaux créateurs que ce n’est pas la technologie qui est au cœur du processus, mais l’homme et ses réactions visiosensorielles. Autrement dit, il faudra intégrer les caractéristiques physiologiques qui peuvent amener au rejet de la VR, comme la cinétose (mal des transports) liée aux signaux incohérents produisant un décalage entre la vision (courir, voler, monter) et l’oreille interne (être assis sur une chaise). Explique Philippe Fuchs, « La vue ne nous sert pas seulement à regarder, mais aussi à nous stabiliser dans l’espace. Or le casque supprime toute référence au monde réel » Rien n’empêche de jouer expérimentalement avec ce malaise, mais il faudra surmonter celui-ci pour pouvoir toucher le grand public. Pas de place a priori en VR pour des bastons spectaculaires entre superhéros…
Documentaires, films d’horreur et films pornos en particulier ont des yeux braqués sur un marché prometteur, qui est aussi un champ vierge de la création. C’est dans ce contexte que le réseau de salles indépendantes MK2, fondé par l’ancien cinéaste militant Marin Karmitz, a ouvert le 9 décembre la première salle consacrée à la VR, adossée au MK2 Bibliothèque (Paris 13e). Sous la forme de six box individuels aux sols matelassés en cas de chute, la salle est équipée de casques immersifs et d’un espace PlayStation, au tarif de 12 euros les 20 minutes (découverte) et de 20 euros les 40 minutes (immersion). Convertir la masse des spectateurs aux joies de la VR, c’est l’ambition affichée d’Élisha Karmitz, fils cadet de Marin Karmitz : « Car maintenant il y a un travail de médiation à faire pour amener ce nouveau mode d’expression au grand public. La VR est perçue comme dédiée aux geeks, compliquée, déshumanisante, chère. C’est notre rôle de changer cette image-là. »
La petite équipe du pickupVRcinéma a déjà tenté l’expérience rue de Turenne entre mai et août l’année dernière, mais la salle n’a pas rouvert après la fermeture estivale. « Le vrai problème, dit Camille Lopato qui relancera l’affaire en janvier, c’est celui des contenus. […] Il n’y a pas assez de films produits. Au-delà de l’expérience, comment se renouveler ? »
Élisha Karmitz en est bien conscient : « La salle VR est la première brique d’une stratégie, qui implique la création d’événements, des partenariats… et la production de films. » Sa référence : L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat de Louis Lumière, 1895, 35 mm, 50 seconds. « À l’époque, les gens avaient l’impression que c’était la réalité. Cet effet de sidération, on le retrouve aujourd’hui devant la réalité virtuelle. Les frères Lumière ne montraient pas un film, ils montraient une technologie d’images animées. »
Source : « La réalité virtuelle devient réelle » (Laurent Carpentier), Le Monde, 8 déc. 2016, p. 18-19.
Précédemment sur la VR dans la Web-revue : Actualités #47 ; Actualités #41 ; Actualités #24.
L’avenir de l’industrie musicale selon Pascal Nègre : la chaîne de valeur numérique
Ancien PDG d’Universal Music France, remercié en février 2016 par le groupe Vivendi, Pascal Nègre va lancer ce mois-ci une société qui fournit des services de management à une vingtaine d’artistes français, dont Marc Lavoine, Matthieu Chedid et Anne Sila, finaliste de The Voice. Baptisée #NP (d’après ses propres initiales, mais aussi par référence à now playing), cette société est une joint-venture avec le géant américain Live Nation. Celui-ci est leader mondial de l’industrie musicale, et intègre quatre activités différentes : l’organisation de 26 000 concerts par an dans sept pays, et de 75 festivals ; la vente de plus d’un demi-milliard de billets en ligne ; la licence de la musique à 900 marques ; et le management de plus de 350 artistes (Coldplay, Calvin Harris, Kanye West, Rihanna, Madonna, U2, etc.). Le concept d’un management intégré des artistes est nouveau en France, et devrait susciter la création d’autres sociétés dans les années à venir. Extraits d’une interview donnée au journal Le Monde :
« … Le développement numérique provoque une vraie révolution, en remettant l’artiste au cœur du dispositif, dans un monde où la musique n’a jamais été aussi accessible. L’artiste devient son propre média et se produit lui-même. […] Si l’artiste crée sa communauté, il ne peut pas tout faire seul. Il a besoin d’être entouré, d’avoir un manager en qui il a confiance. L’idée, c’est d’apporter cette expertise à son juste prix. Je me rémunérerai en prenant un pourcentage sur ce que touche l’artiste. […] C’est une pièce de puzzle qui s’imbriquera avec l’ensemble des intervenants dans la filière pour le compte de l’artiste. […] Pour oser une comparaison sportive : soit vous allez à la salle de sport, soit vous avez un coach, moi je suis un peu le coach personnel.
« … Reparti à la hausse pour au moins une dizaine d’années, le marché va se déconcentrer. Les maisons de disques ne vont pas disparaître, mais leur business model est en train d’être fondamentalement modifié. Dans la musique électronique ou urbaine, tous les jeunes artistes se produisent eux-mêmes. […] 70% des revenus phonographiques des DJ et des rappeurs sont d’ores et déjà générés par le streaming. D’ici à deux ans, le marché de la musique enregistrée sera à 70% porté par le streaming payant.
« Aujourd’hui, la plupart des artistes possèdent leur maison d’édition et produisent ou coproduisent leurs spectacles. À l’ère du numérique dominant, le business model d’une major va de plus en plus ressembler à celui d’une major de publishing [édition musicale]. Actuellement, on n’assiste pas à une industrialisation du modèle de la musique, mais plutôt à sa financiarisation. Le modèle de la musique demain, c’est celui des start-up financées par des banquiers qui leur prêtent de l’argent avec un retour à court ou moyen terme ».
Selon Pascal Nègre, optimiste, grâce à l’explosion du streaming, « l’industrie phonographique est partie pour dix ans de croissance ». Chez Warner Music, depuis mai 2016, les recettes mondiales de streaming ont dépassé celles qui provenaient des CD. Le PDG de Sony Music, Doug Morris, parie sur un chiffre d’affaires issu du streaming approchant le milliard de dollars pour l’année 2016, soit le double de l’année dernière, et 100 millions de dollars de plus que les ventes de CD. Une étude datant de juillet 2016 du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) montre que 22 millions de Français écoutent de la musique en streaming, dont près de 4 millions paient un abonnement. Le volume d’écoutes en ligne en France a presque triplé depuis septembre 2014, pour atteindre plus de 2 milliards par mois ; reste à convaincre une masse critique de consommateurs de s’abonner à des plateformes payantes. Le leader mondial, le suédois Spotify, lancé en 2008 et fort de ses 30 millions de titres (mais seulement 2000 salariés), pourrait devenir bénéficiaire en 2017, après avoir franchi la barre de 40 millions septembre dernier. Le nouveau venu Apple (depuis juin 2015) annonce 20 millions d’abonnés, mais près d’un tiers (6 millions) bénéficient des trois premiers mois gratuits.
Toutes les plateformes de streaming sont vent debout contre la politique jugée déloyale de YouTube, qui ne récompense les artistes qu’avec des miettes (voir ci-dessus). En effet, la filiale de Google rémunère 54 fois moins les artistes que Spotify. « C’est un problème de valeur, dit Thierry Chassagne, président de Warner Music France. Comme si un boulanger vendait une baguette de pain à 2 centimes et un autre à 1 euro ».
Stéphane Le Tavernier, PDG de Sony Music France, pense que le streaming, en favorisant une consommation de plus en plus éphémère, oblige à « produire beaucoup plus rapidement. Avant, il fallait compter six ans pour développer un artiste, faire trois albums et attendre quinze ans pour qu’il trouve vraiment son public. Aujourd’hui, un artiste peut émerger en un mois, faire un hit mondial et disparaître […] Le streaming a aussi révolutionné nos métiers, notamment la façon de repérer les artistes [qui ont désormais] davantage de références, une curiosité plus forte pour tous les répertoires, ce qui leur donne plus d’inspiration ».
Nègre est très bien introduit dans le milieu musical en France. Son modèle – comme d’habitude, la France est présentée comme étant en retard – est inspiré de celui de l’agent littéraire, qui à réussi à s’intercaler comme filtre entre écrivains et maisons d’édition aux États-Unis. Mais jusqu’ici ce modèle-là ne s’est pas vraiment imposé en France, en raison de l’opposition des maisons d’édition, qui ont généralement refusé de traiter avec des médiateurs en amont. Il reste à voir si le manager de musiciens d’autan pourrait se muer en super agent maîtrisant toute la chaîne de valeur numérique. Dans l’histoire de la musique populaire, le rapport entre musiciens et leurs managers a toujours été problématique (ruptures de contrat, procès), tant la juste valeur apportée par les derniers est contestée en cas de succès.
Finalement, du point de vue de la créativité, la « financiarisation » de l’industrie dont parle Nègre, où la production deviendrait l’apanage de banquiers investissant dans des « coups » à court terme, n’est pas de bon augure. Reste à savoir dans quelle mesure un certain style de musique urbaine – du rap, de l’électro, du R&B – fait corps avec la mode de l’écoute en streaming, de piètre qualité sonore, mais adaptée aux appareils mobiles. Le Tavernier, dont les propos « postmodernes » sur les artistes contemporains sont lénifiants, évoque mais ne répond pas à cette question. Pour le moment, c’est cette musique-là qui est particulièrement streamée : dans le classement annuel de Spotify (décembre 2016), le rappeur canadien Drake arrive largement en tête avec 4,7 milliards de streams, suivi par Justin Bieber, Rihanna, Twenty One Pilots (hip-hop) et Kanye West.
Sources : « Pascal Nègre : offrir un service personnalisé aux artistes » (propos recueillis par Alain Beuve-Méry), Le Monde, 20 déc. 2016, p. 12 ; « L’industrie musicale renaît avec le streaming » (Nicole Vulser), Le Monde, supplément Éco & Entreprise, déc. 28 2016, p. 11.
Précédemment sur le streaming dans la Web-revue : Actualités #45 ; Actualités #27 ; Actualités #18
Les sujets les plus discutés sur Facebook et sur Twitter en 2016
Facebook et Twitter ont publié début décembre leurs classements des sujets les plus lus, partagés et débattus sur leurs plateformes en 2016. Si les deux classements sont différents, trois thèmes ont dominé : le sport (avec les Jeux Olympiques et l’Euro de football), la politique (élections américaines et françaises), et les attentats terroristes en France et en Belgique.
Top 5 des mots-clés les plus discutés sur Twitter en France en 2016
1. #Euro2016 (championnat d’Europe de football)
2. #TPMP (l’émission télévisée Touche Pas à Mon Poste, animée par Cyril Hanouna)
3. #PokemonGo (jeu vidéo pour smartphone)
4. #Nice (l’attentat du 14 juillet)
5. #Rio2016 (Jeux Olympiques)
Par contre, aucune trace de Cyril Hanouna et son émission dans le classement de Facebook, où les sujets politiques ont plus d’importance.
Top 10 des sujets les plus discutés sur Facebook en France en 2016
1. Élection présidentielle française de 2017 (primaires etc.)
2. Euro 2016 (football)
3. Attentat terroriste de Nice
4. Pokémon Go
5. Élection présidentielle américaine de 2016
6. Mort de David Bowie
7. Attaques terroristes de Bruxelles
8. Jeux Olympiques de Rio
9. Brexit
10. Attaque terroriste de l’église à Saint-Étienne-du-Rouvray
Source : « Quels sont les sujets les plus discutés sur Facebook et Twitter en 2016 ? » (Alexandre Rousset), Les Échos, 9 déc. 2016.
L’axe franco-allemand se mobilise pour le numérique
Le deuxième sommet numérique franco-allemand a eu lieu le 13 décembre à Berlin, en présence d’Angela Merkel et de François Hollande, et leurs ministres de l’Économie respectifs, Sigmar Gabriel et Michel Sapin. Afin que puisse émerger un véritable écosystème numérique européen face à la concurrence américaine et asiatique, les deux ministres ont annoncé la création d’un fonds d’investissement franco-allemand de 1 milliard d’euros destiné au financement des start-up, et à l’élaboration de standards communs. En effet, dans ce domaine, les Européens accusent un retard énorme sur les poids lourds californiens et chinois, dont les modèles économiques commencent à s’en prendre à la création de valeur industrielle. Grâce aux plateformes numériques, des acteurs comme Google, Amazon ou Uber, qui tendent à devenir monopolistiques, peuvent s’insérer entre le produit et le consommateur, approprier et exploiter les données échangées, et imposer ses prix et ses conditions, sans fabriquer aucun des produits qu’ils vendent. Les conséquences en Europe seraient le déclassement dans la chaîne de valeur, la destruction de milliers d’emplois, et la segmentation accrue du marché du travail.
Admettant que les banques allemandes ont longtemps méprisé les start-up en faveur des industries de taille moyenne (Mittelstand), Sigmar Gabriel a demandé : « La question est de savoir si nous dominons ces nouvelles plateformes, sans délaisser le produit. Nous étions jusqu’ici, la France et l’Allemagne, les équipementiers industriels du monde, le serons-nous encore demain, dans un monde numérisé ? » Il voit dorénavant les start-up dans le numérique comme des départements de recherche et de développement délocalisés, qui pourront déblayer le terrain pour les entreprises plus grandes. La priorité sera donc l’amélioration du financement des start-up par la banque publique d’investissement BpiFrance, et son homologue allemande la KfW. D’autres initiatives privées ont été annoncées dans la foulée : un partenariat entre le moteur de recherche français Qwant et le fournisseur de messagerie allemand Open-Xchange, tous deux garantissant la protection des données personnelles par rapport à Google ; un contrat entre la Deutsch Bank et CybelAngel, start-up française créatrice d’un logiciel qui scanne le Dark Web, là où les attaques de pirates se préparent et se réalisent. Ancien de la grande école de commerce ESCP Europe, Erwan Keraudy, cofondateur et directeur de CybelAngel, estime : « Je trouve très bien qu’on agisse au niveau franco-allemand sur ces questions. Les décisions se prennent plus rapidement qu’à 28. C’est pertinent en termes de marché : une start-up, pour se développer correctement, a besoin d’un marché suffisant. La France seule ne suffit pas ».
Sources : « Berlin et Paris misent un milliard d’euros sur le numérique » (Cécile Boutelet), Le Monde, supplément Éco & Entreprise, 15 décembre 2016, pp. 1 et 7 ; http://business.lesechos.fr/entrepreneurs/actu/0211557112838-la-pepite-francaise-cybelangel-conquiert-la-tech-mondiale-a-helsinki-302946.php
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)