Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et créatives du côté des professionnels de la publicité et du marketing, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
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Les tendances concernant les contenus partagés sur les iPads
Un rapport publié par eMarketer en décembre 2013 a prédit une augmentation dans les dépenses publicitaires pour appareils mobiles d’environ 5 milliards $ en 2014 (par rapport aux dépenses de 9,60 milliards $ en 2013, augmentation de 120% du chiffre de 2012). À titre de comparaison, les dépenses publicitaires pour les ordinateurs de bureau et des laptops, chiffrées à 32,98 milliards $ en 2013 (-6,60% par rapport à 2012), devraient se stabiliser en 2014 (+ 1,69%). Jason Baptiste, le jeune président-fondateur de la plateforme d’édition mobile Onswipe, a livré à Advertising Age les résultats (et les conseils qui s’ensuivent) de l’analyse de 120 millions d’iPads uniques (soit des milliards de pages vues) effectuée par sa société en 2013.
1. Le courriel (ou e-mail) reste de loin le moyen préféré de partage sur des iPads. De tous les contenus partagés sur la plateforme Onswipe en 2013, 54,5% sont passés par courriel, par rapport à 28,7% par Facebook, 13,5% par Twitter et 3,23% par Pinterest. Selon J. Baptiste, les éditeurs (voir commentaire en dessous) devraient mettre l’accent sur les courriels dans leurs appels « sociaux ».
2. Google est la force dominante sur les iPads. Le moteur de recherche a référé 2,6 fois plus de visiteurs vers la plateforme Onswipe que Facebook. Qui plus est, les visiteurs dirigés vers le site par Google ont passé deux fois plus de temps (en moyenne 4 minutes et 8 seconds) sur le site, et ont consommé deux fois plus de pages que ceux venus de Facebook. Pour les éditeurs cherchant à attirer et à maintenir une audience sur des iPads, il faudra optimiser le référencement dans les moteurs de recherche.
3. Le créneau horaire qui génère le plus de trafic sur les iPads, c’est entre 9 heures et 10 heures (« Eastern Time », l’heure de New York). Le créneau où les consommateurs restent le plus longtemps sur le site, c’est entre minuit et 1 heure (une moyenne de 7 minutes). Minuit, selon J. Baptiste, est donc le meilleur moment pour mettre en ligne des contenus (journalistiques, par exemple) nécessitant un peu de réflexion.
4. Le temps moyen passé sur le site Onswipe sur les iPads est de 4 minutes 21 seconds. Parmi les 16 catégories de contenus mesurés par Onswipe, la plus populaire fut men’s lifestyle (5 minutes 43 seconds), suivie par business/finance (5 minutes 8 seconds). Les éditeurs de contenus dans ces deux catégories devraient les mettre en ligne pendant les créneaux de consommation haute, dit J. Baptiste.
Source : « Advertising Age », 3 janvier 2014.
Dans ce genre de revue professionnelle américaine, le sens conventionnel des mots peut glisser de manière déroutante pour le lecteur non initié, ce qui pose problème pour le rendement en français. Le terme « publisher » (éditeur), autrefois réservé pour les (grands) professionnels du livre, et accessoirement pour les propriétaires de journaux, désigne désormais tous ceux qui gagnent leur vie en postant des contenus en ligne, quelle que soit leur nature. « Social calls to action » n’a aucun rapport avec l’engagement militant, mais désigne désormais les opérations de marketing dirigées à une « communauté » de consommateurs présente sur les « médias sociaux ». Pour le sociologue, le problème de cette étude, quantitativement importante certes, et d’une valeur indicative pour les professionnels, c’est la représentativité des visiteurs à la plateforme Onswipe, qui propose d’aider les publicitaires à s’orienter davantage vers les supports mobiles. Il s’agit d’un monde toujours fortement masculin, d’où l’importance de contenus s’adressant à des hommes disposant des moyens d’avoir un lifestyle, mais trop occupés pour lire un article demandant un peu de réflexion avant minuit.
Box office : forte augmentation en Chine
Le chiffre d’affaires de l’exploitation du cinéma en Chine est passé de 2,7 milliards $ en 2012 (17 milliards RMB) à 3,57 milliards $ en 2013 (21,6 milliards RMB). Cette estimation, due aux études de marketing locales (Ent Group, Artisan Gateway et le site MTime), est néanmoins un chouia en dessous des prévisions (22-23 milliards RMB). On attend toujours les chiffres officiels, mais l’augmentation estimée de 27% est assez spectaculaire.
Contrairement à 2012, qui a vu la domination des films hollywoodiens, 59% des revenus en 2013 furent générés par des films chinois (7 sur 10 des plus grosses entrées). Seuls trois films américains ont réussi à se hisser dans le Top 10 : Pacific Rim, Iron Man 3 et Gravity (ces deux derniers ayant un lien avec la Chine). Le succès des films chinois cette année est en grande partie dû à des titres à petit ou à moyen budget qui touchaient la corde d’un nouveau public de jeunes habitant en dehors des grandes métropoles. Six ont gagné plus de 500 millions RMB (82 millions $), notamment les films « d’aspiration » So Young, American Dreams in China, Finding Mr Right, Personal Tailor et Young Detective Dee du grand réalisateur hongkongais Tsui Hark. En tête se trouvait le film du comique populaire hongkongais Stephen Chow (à droite) Journey to the West : Conquering the Demons,qui a gagné l’équivalent de 200 millions $, par rapport à 121 millions $ pour le deuxième placé, Iron Man 3. Confirmant la tendance générale, fin décembre, le nouveau film kung fu de Jackie Chan a gagné 277 millions RMB (45,3 millions $) dans les six jours suivant sa sortie. Commentaire : il faut noter l’importance, dans ce « renouveau » chinois, de l’industrie de cinéma hongkongaise, historiquement indépendante, mais désormais ralliée au régime de Beijing, tout en conservant son savoir-faire et ses traditions.
Source : « Variety », 2 janvier 2014.
Box office 2 : baisse sensible en France. Le rapport Bonnell sur l’avenir du cinéma français
Le chiffre d’affaires du cinéma en France (cinquième marché mondial) a été 1,2 milliard € en 2013, et le nombre d’entrées 192,8 millions, soit une baisse de 5,3%, selon un rapport du CNC. Les films hollywoodiens se sont attribués 54% du marché (par rapport à 42,7% en 2012), les films français 33,3% (40,3% en 2012), et les films des autres pays, 12,8% (17% en 2012). Pour la première fois en une décennie, aucun film n’a fait 5 millions d’entrées ; en 2012, il y en avait trois (Skyfall, L’Âge de Glace et Sur la Piste du Marsupilami). C’est Django Unchained (Quentin Tarantino) qui a fait le plus d’entrées en 2013 (4,2 millions). Quinze films américains ont fait plus de 2 millions d’entrées, alors que 35 films ont réalisé 1 million d’entrées. La baisse des revenus des films français s’explique en partie par l’absence de locomotif, le premier titre étant Les profs (avec Christian Clavier), cinquième au box office avec 23 millions €.
Manifestement, l’industrie du cinéma français est en difficulté chronique, et la situation s’aggrave. Le rapport de René Bonnell (Le financement de la production et de la distribution cinématographiques. A l’heure du numérique), remis à la ministre de la Culture Aurélie Filipetti le 8 janvier, fait état d’un défaut de rentabilité globale, et confirme la tribune publiée dans Le Monde en décembre 2012 par le producteur Vincent Maraval, qui y dénonçait l’inflation des budgets des films, en grande partie due aux cachets des stars, et le système d’aides qui ne profitent qu’à une minorité de films. Dans son classement financier annuel publié le 7 janvier, BFM Business estime que seuls 10% des films français sortis en 2013 étaient rentables, et qu’aucun des vingt plus gros budgets n’avait gagné de l’argent ; ajoutons, cependant, par souci d’objectivité, que certains professionnels de l’industrie contestent les chiffres issus de cette étude. Quoi qu’il en soit, le constat général s’impose. Toujours d’après BFM Business, les films français les plus rentables en 2013 étaient La Vie d’Adèle (budget : 4 millions € ; recettes : 8,6 millions €), Les Profs (11,6 millions € ; 23 millions €), Neuf mois ferme (7 millions € ; 11,5 millions €), Les Garçons et Guillaume, à table ! (8 millions € ; 11,5 millions €, chiffre provisoire). Seuls 7,4% des films français sortis en 2012 ont réalisé plus de 100 000 entrées, et près de 50% en ont fait moins de 20 000, ce qui indique, selon le rapport Bonnell, une mauvaise appréhension du potentiel commercial des films, mais aussi un trop plein de films sortis en salles. Le rapport de la réalisatrice Pascale Ferran (à gauche) en 2008 relève un niveau de concentration malsain et une quasi-absence de régulation du secteur de l’exploitation, délétères à la durée de vie des films, malgré le grand nombre d’écrans en France (près de 5500). Peu de cinémas d’art et d’essai en dehors de Paris ont survécu à la prolifération des multiplexes depuis quinze ans. Le cinéma français souffre d’une forte concentration des moyens sur un petit nombre de films avec des stars, bénéficiant des pré-ventes aux chaînes de télévision, et d’une bonne partie des aides disponibles. Le rapport Bonnell est cinglant en ce qui concerne cette minorité de productions françaises à plus de 7 millions € :
La rentabilité du film devient trop souvent presque secondaire, producteur et acteurs ayant été très bien rémunérés dès la mise en production […] [De tels films sont ] presque trop faciles à financer par les télévisions privées sur le seul nom des acteurs vedettes, indépendamment de la qualité ou de l’aboutissement du scénario, du talent du réalisateur, du soin apporté à la fabrication du film, etc.
Dans une tribune parue dans Le Monde en octobre 2013, « le collectif 109 » (des producteurs indépendants) donnait l’exemple de 100% Cachemire de Valérie Lemercier, « qui a réussi le tour de force d’avoir six chaînes de télévision en pré-achat : Canal+, Ciné+, France 2, France 4, M6 et W9. Facile d’arriver à 15 millions de budget ». Un producteur anonyme cité par Libérationopinait qu’ « il y a très peu de projets [en France] qui justifient véritablement par leur coût de fabrication un budget supérieur à six millions d’euros ». Bref, on ne sait pas toujours comment de telles sommes ont pu être dépensées, au vu de résultat.
Dans un article de fond sur le rapport Bonnell, et sur la nouvelle convention collective accouchée en 2013 (où tous les salariés de l’industrie seront soumis dans cinq ans aux mêmes barèmes fixes, sauf pour les films à moins d’un million d’euros), les journalistes Julien Gester, Bruno Icher et Didier Péron (Libération, 8 janvier) pointent un autre danger pour l’avenir du cinéma français, alors que celui-ci est le dernier en Europe d’avoir survécu de manière conséquente. Ce qui inquiète le plus les professionnels du cinéma, en dehors de la concurrence des séries et des jeux vidéo, c’est l’arrivée prochaine (dès septembre 2014, dit-on) de la plateforme internationale de vidéo à la demande, Netflix (voir Actualités #15), qui étudie actuellement les conditions de son entrée sur le marché français. Pour l’instant, le grand frein au débarquement de Netflix, c’est la « chronologie des médias » (fenêtres de diffusion sur supports différents) en vigueur en France : il faudrait attendre 36 mois après la sortie d’un film en salles avant qu’un site puisse le proposer à ses abonnés. Dans Le Journal de Dimanche (26 janvier), la ministre Aurélie Filipetti affirme que « Netflix ne doit pas être un passager clandestin qui profite du système sans y participer ». Mais pour compenser les effets néfastes d’une distribution en salles verrouillée et sociologiquement sclérosante, le rapport Lescure (mai 2013) avait proposé de réduire cette fenêtre à 18 mois. Beaucoup de professionnels estiment qu’une telle mesure fragiliserait sensiblement Canal+, et avec elle, toute l’industrie, compte tenu du rôle cardinal que joue la chaîne cryptée dans le financement des films français. Mais c’est justement ce modèle qui est désormais en crise.
Si les consommateurs s’y retrouvent, l’arrivée inévitable de Netflix risque de changer radicalement la donne. Cité par Libération, le producteur Denis Freyd explique que :
jusqu’à présent, nous discutions avec les chaînes dont le périmètre était localisé, ayant leur siège social en France. Si demain, c’est Netflix ou d’autres mastodontes américains qui redistribuent une partie des cartes, avec des stratégies internationales très offensives et hors Hexagone dans leur implantation, il faut voir comment on encadre ces arrivées en termes de chronologie des médias et d’investissement dans la création.
Sources : « Variety », janvier 3, 2014 ; « Challenges » (Laure-Emmanuel Husson), 8 janvier 2014 ; « Libération » (J. Gester, B. Isher, D. Péron), « 2014, une année Chaotique », 8 janvier 2014.
Lire aussi : « René Bonnell répond aux critiques » (interview avec Hervé Brusini), FranceTV info, 17 janvier 2014.
Les séries suscitent plus d’interactions sur les réseaux sociaux que la télé-réalité
Selon une étude du groupe de communication Omnicom rendue publique le 16 janvier, ce sont les séries, et pas les émissions de télé-réalité, qui incitent le plus à interagir sur les réseaux sociaux. L’étude porte sur « la TV sociale », c’est à dire les commentaires postés sur les programmes, les partages de vidéos, etc. Des 1048 sondés âgés de 15-60 ans, 31% citent les séries en priorité, devant le divertissement (28%), l’information (27%), le sport (25%), le documentaire (25%), les émissions politiques (21%) et la télé-réalité (21%). 19% des sondés déclarent interagir « souvent » sur les programmes de télévision sur les réseaux sociaux, 23% « occasionnellement », 14% « rarement », et 44% « jamais ». C’est le programme qui est le catalyseur : 75% des interactions concernent le programme lui-même, et seulement 20% un acteur ou un animateur. On s’intéresse aux candidats dans The Voice, pas à Nikos Aliagas. Et ce n’est pas parce qu’un programme comme Bref ou Secret Story a beaucoup de fans sur Facebook qu’il génère beaucoup d’engagement (likes, partages avec ses amis). Des émissions comme Allô Nabilla (voir Actualités #10) ont plus de tweets que d’audience.
Globalement, les interactions ne sont pas si houleuses que cela. 41% des commentaires sont positifs, 39% humoristiques, et 18% sarcastiques. La positive attitude se retrouve surtout sur Facebook, et l’ironie et l’humour sur Tweeter. Les commentaires « d’un ton plus dur » se retrouvent sur Google+. Il faut noter, finalement, que ce genre d’étude de marketing, destiné aux publicitaires, a une valeur plus stratégique que scientifique (voir Actualités #8).
Source : « Les Echos », 16 janvier 2014 (Fabienne Schmitt).
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)