La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et de communication d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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Contenu
Changement de titre
À la suite d’un courriel que nous a adressé Bernard Miège (professeur émérite de l’université de Grenoble-Alpes, et lecteur régulier de la Web-revue), nous avons décidé de modifier le titre de cette rubrique. D’après lui, l’attelage des industries culturelles et numériques implique alternativement, et de manière ambiguë, deux industries distinctes, une seule et même industrie, ou bien des industries culturelles avant et après l’avènement du numérique, ce qui relèverait du déterminisme technologique. Sur ce point, Bernard Miège a raison, car tel n’est pas notre propos. Nous cherchons plutôt à traiter le processus complexe de convergence entre les industries culturelles et les nouvelles industries de communication au sens très large. La convergence avec les médias est déjà ancienne ; celle avec des industries plus récentes se produit sous nos yeux (les télécommunications, les réseaux sociaux, l’informatique, l’intelligence artificielle). Il manque sans doute un terme générique satisfaisant pour désigner cette convergence, la « communication » étant assez polysémique. Nous insistons cependant sur la relative unicité de ce processus, d’où les références au stade « tardif » du capitalisme, et à l’École de Francfort que nous voulons mettre à l’épreuve, quitte à en infléchir les thèses.
Amazon domine le marché du cloud computing
En ouverture de sa grande conférence annuelle à Las Vegas le 29 novembre, Amazon Web Services (AWS), filiale du géant du commerce en ligne, a dévoilé de nouveaux services numériques destinés à faciliter le travail des sociétés qui souhaitent tirer profit des dernières avancées en apprentissage automatique (des programmes informatiques capables d’apprendre seuls). AWS a notamment présenté un nouveau service permettant de simplifier la conception, l’entraînement, puis le déploiement des algorithmes de l’apprentissage automatique. La société propose également une librairie de programmes de reconnaissance d’image, de reconnaissance vocale, de conservation vocale ainsi que de retranscription. « Au lieu de coder, il suffit désormais d’assembler des briques déjà existantes qui permettent de créer des algorithmes beaucoup plus rapidement », dit Jean-Louis Fuccellaro, directeur de PredicSis, une société française spécialisée dans l’intelligence artificielle.
Amazon a été l’une des premières sociétés à miser sur le marché du cloud, en proposant ses serveurs aux clients. Ainsi, les entreprises et les administrations n’ont plus besoin de faire des investissements coûteux et risqués pour acheter et pour maintenir leurs propres serveurs. Elles sont facturées selon leur consommation, et peuvent adapter leur capacité de trafic plus rapidement. AWS revendique des millions de clients comme Samsung, Disney, Goldman Sachs, Netflix et… la CIA.
Onze ans après son lancement, AWS est le leader incontesté du secteur. Selon le cabinet d’études Gartner, sa part de marché est de 44 %, soit davantage que ses neuf principaux rivaux réunis (comprenant Microsoft et Google). Entre janvier et octobre 2017, son chiffre d’affaires a crû de 42 %, et devrait monter à 17 milliards de dollars pour l’année. Pour Amazon, le cloud est d’autant plus stratégique qu’il est devenu sa principale source de profits. Depuis janvier, AWS a fait un bénéfice opérationnel de près de trois milliards de dollars, contre une perte d’un milliard pour la maison mère.
« Nous n’en sommes encore qu’aux débuts », prétend Andy Jassy, le président d’AWS, qui avance le chiffre de 1300 nouveaux outils lancés par l’entreprise en un an. Selon Lydia Leong, analyste au cabinet Gartner, « c’est un domaine stratégique. Cela prendra du temps avant que l’apprentissage automatique constitue un immense marché. [En attendant], AWS dispose d’un écosystème de solutions externes beaucoup plus riches. » La concurrence se réveille, et Microsoft, Google et le chinois Alibaba investissent massivement dans leurs infrastructures, leurs services et leurs équipes commerciales. De nombreuses entreprises n’ont toujours pas basculé vers le cloud, et ceux qui y ont déjà migré ne l’ont pas fait à 100 %. Le potentiel de croissance du marché reste important. « À terme, prédit Andy Jassy, très peu d’entreprises posséderont leurs propres centres de données. »
Source : « Amazon veut gagner la bataille du cloud » (Jérôme Marin), Le Monde, 3-4 décembre 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
L’empreinte du numérique
Le secteur de l’informatique est loin d’être virtuel, et son bilan carbone représentait 2 % des émissions de gaz à effet de serre en 2016, autant que l’aviation civile. Ce chiffre devrait doubler en 2019 avec la montée en puissance du cloud computing, des objets connectés, et des internautes toujours plus nombreux. Le volume des données stockées dans les centres dédiés augmente en moyenne de 20 % par an. Le stockage sur le cloud, qui nécessite le transfert de fichiers importants, parfois à l’autre bout du monde, est beaucoup plus énergivore que le stockage sur des disques externes. Selon le baromètre Click Clean de l’organisation Greenpeace, le bonnet d’âne dans le domaine du numérique revient justement à Amazon Web Services, dont le taux d’énergies renouvelables n’est que 17 % (par rapport à 23 % en 2014), alors qu’il s’était engagé à porter ce taux à 40 % sur ses centres de données en 2016. Trois nouveaux centres appartenant à AWS doivent s’ouvrir prochainement dans la région parisienne.
Les centres de données ne seraient pas, cependant, la principale source de pollution numérique. Pour fabriquer un ordinateur, il faut l’équivalent de 100 fois son poids en matières premières, et pour une puce électronique, 16 000 fois. Quant à l’empreinte « humaine », le coltan (mot-valise pour colombite-tantalite), minerai rare nécessaire à la fabrication des ordinateurs portables et des smartphones, est extrait par le travail forcé des enfants au Congo (qui contient 80 % des réserves mondiales connues) dans une région marquée par la guerre civile. Alors qu’en 1985, la vie d’un ordinateur était en moyenne de 10,7 ans, elle a été divisée par trois en 30 ans, l’obsolescence artificielle faisant partie de la stratégie des fabricants, et des attentes des consommateurs. Explique Frédéric Bordage, consultant chez Green IT : « On nous répète à satiété qu’il faut lutter contre les émissions de CO2 du numérique, notamment celles des centres de données. Mais, toutes les analyses de cycle de vie montrent que c’est surtout la fabrication des équipements qui concentre les impacts environnementaux : épuisement des ressources naturelles non renouvelables, pollution de l’eau, du sol et de l’air. »
Sur l’économie des réseaux sociaux, voir Actualités #13, déc. 2013
Le jazz et la musique classique intègrent avec difficulté les sites de streaming
Le prestigieux label de jazz ECM, dont le catalogue comprend notamment le pianiste Keith Jarret et le saxophoniste Jan Garbarek, sera désormais disponible sur Spotify, Deezer et Apple Music. Label indépendant fondé en 1969 par le contrebassiste allemand Manfred Eicher, ECM s’est rendu célèbre pour sa qualité sonore excessivement soignée, ce qu’il l’a rendu logiquement farouche adversaire du streaming en format MP3. Mais face au piratage de ses titres, la société a capitulé, et a passé un accord de distribution numérique avec Universal Music. L’annonce est importante, car le jazz et la musique classique, caractérisés par une dynamique sonore non rendue en format MP3, restent sous-représentés sur ce support. Explique Eicher : « Bien que nos médiums préférés restent les CD et les LP, notre priorité absolue est que la musique soit entendue. » Le streaming musical représente à lui seul plus de 50 % des revenus issus du numérique.
Dans le cas du jazz, 48 % du volume des ventes aux États-Unis sont encore physiques (CD, vinyle). Seulement 18 % du volume total des ventes du jazz est lié à l’écoute en ligne. « On constate que les ratios entre les revenus numériques et physiques sur les musiques adultes sont beaucoup plus faibles que sur les musiques jeunes », indique Romain Vivian, patron du distributeur Believe Digital. Sur Spotify, le leader des plates-formes en la matière, 72 % des utilisateurs sont des « millennials » (ou « génération Y »), terme de marketing pour ceux nés entre 1980 et 2000. La consommation en ligne se fait au titre, alors que l’écoute du jazz se fait généralement en termes d’album. Selon l’étude annuelle (2017) sur la consommation musicale menée par la société de mesure médiatique Nielsen, pour la première fois, le rock, lui aussi écouté historiquement plutôt en album, a été dépassé par le rap (hip-hop).
La musique classique en streaming
Pour la musique classique, la situation est encore pire. Les consommateurs de ce genre, souvent des mélomanes pointus, s’intéressent aux œuvres entières, aux chefs d’orchestre, aux interprètes, autant d’informations qui font défaut sur les sites de streaming, qui rangent au mieux la musique classique dans des playlists « relaxation » ou « travailler en musique ». Même si l’on fait abstraction de la piètre qualité sonore du format MP3, se pose pour les sites la question du catalogage. Selon la journaliste de radio américaine Anastasia Tsioulcas, « On parle d’un genre qui englobe des centaines d’années de musique, plusieurs milliers de compositeurs, avec des titres similaires – symphonie 103 ou symphonie 104 -, de multiples mouvements, d’innombrables enregistrements différents, dans différents lieux… »
Certaines plates-formes (Qobuz, et dans une bien moindre mesure, Deezer) se mettent à proposer des fichiers en haute résolution, avec pour objectif d’attirer des consommateurs en quête de classique ou de jazz. Explique Glen Barros, directeur de Concord Music Group, qui développe l’un des plus grands labels de jazz au monde : « Nous ne voulons laisser personne au bord du chemin, nous voulons que tous les genres musicaux soient représentés. » D’autant que les amateurs du jazz et de la musique classique ont généralement des revenus supérieurs à la moyenne.
Né en 2007, et reprise par Xandrie au tribunal de commerce en 2016, Qobuz a lancé en juin 2017 une nouvelle offre, à 350 euros par an, qui propose la haute résolution (« Hi-Res ») à ses abonnés sur une large partie de son catalogue. Cette haute résolution nécessite une taille de fichiers multipliée par trois par rapport à la qualité CD, des enceintes haut de gamme et une très bonne connexion Internet. Qobuz propose déjà pour 20 euros par mois (comme la plate-forme Tidal) un son en qualité CD, contre 10 euros pour le format MP3. Le problème de Qobuz, c’est que le nombre d’abonnés peine à décoller (25 000 fin 2015), alors qu’il vise un million. La tendance chez les jeunes est à l’écoute en mobilité, dans les transports ou les salles de gym. Une étude publiée en septembre 2016 par la Fédération internationale de l’industrie phonographique précise que 55 % des internautes écoutent la musique sur un smartphone. Sur la plate-forme « élitiste » Qobuz, les trois genres les plus écoutés sont la musique classique, le jazz et… « le rock classique ».
Sources : « Le dernier grand label de musique résistant au streaming a capitulé » (Jean-Philippe Louis), Les Échos, 21 nov. 2017 ; « Pourquoi le jazz et le classique peinent à s’imposer dans le streaming » (Jean-Philippe Louis), Les Échos, 30 juillet 2017 ; « Qobuz, Deezer : le difficile pari du streaming haut de gamme », Les Échos, 9 juin 2017.
Beethoven, Coltrane, Jimi Hendrix, dans le même panier ?
Dans son temps, Adorno raillait l’habitude de la radio commerciale de diffuser de bons passages piochés dans la répertoire classique*. Il se serait retourné dans son tombeau s’il savait que ces mêmes passages étaient désormais proposés dans des playlists de relaxation, et d’accompagnement au travail. On sait tout le mal qu’il pensait du jazz.
Je retiens deux choses de l’approche marketing de la musique en streaming. D’abord, la distinction entre musiques jeunes (rap, R & B, variétés) et musiques adultes (rock, jazz, classique). Autant le rap et les variétés sont bien adaptés à la forte compression (faible dynamique) du format MP3, étant même produits et mixés pour lui, autant le jazz et la classique sont à la peine. À cet égard, l’argument du catalogage évoqué par la journaliste Anastasia Tsioulcas est spécieux : les multiples interprétations enregistrées par des orchestres différents ne présentent pas en principe plus de problèmes que les titres identiques ou similaires, et les reprises de la même chanson dans la musique pop.
Deuxièmement, que le jazz et même le rock soient rangés avec la musique classique est un développement qu’Adorno – que personne ! – n’eût jamais pu prédire. Pour les marketeurs, il s’agit de trois formes qui exigent une bonne résolution sonore ; de fait, les trois sont vues comme des musiques patrimoniales. Mais qu’est-ce que ces traditions très différentes, voire historiquement opposées, peuvent avoir en commun ? Peut-être simplement le fait qu’au lieu de recourir à des plug-ins, des boucles électroniques, et des échantillonnages, elles sont créées par des musiciens qui jouent des instruments, avec d’autres musiciens. Beethoven, Coltrane et Jimi Hendrix, dans le même panier ? En tout cas, avec le streaming en haute résolution, les trois genres jouent leur avenir.
*T.W. Adorno, « De l’usage musical de la radio », Beaux passages (trad. Jean Lauxerois), Payot, 2013, p. 87.
Disney expose sa nouvelle stratégie dans le streaming
Confronté à une érosion de ses revenus et de ses bénéfices, Disney a exposé aux investisseurs sa nouvelle stratégie, notamment dans le streaming. La crise couve en particulier dans ses studios, dont le chiffre d’affaires a chuté de 21 % au dernier trimestre, et de 11 % sur l’année. Mais les réserves liquides, en hausse à 8,7 milliards de dollars, devrait permettre de financer les investissements du groupe, voire de réaliser quelques acquisitions. Le 14 décembre, Disney a annoncé le rachat de 21st Century Fox pour 60 milliards de dollars (estimation) ; j’aborderai les conséquences de cette fusion importante le mois prochain.
La stratégie anti-Netflix de Disney passe d’abord par la distribution directe de ses contenus. Un service de streaming sera lancé au deuxième semestre 2019, avec des séries tirées de ses licences vedettes (Star Wars, Monsters Inc., High School Musical, Marvel), diffusées en exclusivité. Le prix d’abonnement serait entre 8 et 12 dollars par mois, inférieur à celui de Netflix, mais augmenterait au fur et à mesure que le catalogue grossira.
Disney a aussi révélé qu’il produira une suite à l’actuelle trilogie de Star Wars qui s’achèvera en 2019. Une quatrième trilogie a été confiée à Rian Johnson, le scénariste et réalisateur des Derniers Jedi, épisode VIII, actuellement en salle. Souligne Stan Meyer, analyste chez Piper Jaffray, dans une note à ses clients : « La société [Disney] reste la mieux positionnée, dans le paysage médiatique actuel très fragmenté, pour porter ses contenus sur un nombre croissant de plates-formes de distribution, ses propres parcs à thème et ses produits grand public. »
Source : « Disney rassure les marchés en exposant sa nouvelle stratégie » (Nicolas Rauline), Les Échos, 12 nov. 2017.
Amazon acquiert les droits d’adaptation télévisée du Seigneur des anneaux
Contre 200 millions de dollars, Amazon vient d’acquérir les droits d’adaptation du Seigneur des anneaux pour la plate-forme Amazon Prime Video, sans préciser la date de diffusion. Netflix et HBO étaient aussi sur le coup pour les droits. Le site Deadline évalue le budget par saison (tournage et post-production) entre 100 et 150 millions. Jusqu’ici, aucune série produite par Amazon, malgré des succès d’estime (Transparent) n’a eu l’impact mondial de House of Cards (Netflix) et de Game of Thrones (HBO).
Prévue sur plusieurs saisons, l’adaptation du Seigneur des anneaux va être produite par Amazon Studio en collaboration avec New Line Cinema, une division de Warner Bros, qui a produit la trilogie du Seigneur des anneaux au cinéma, et qui a co-produit celle du Hobbit. Le deal inclut de potentielles séries dérivées (spin-offs). Netflix rétorque sur le même créneau générique avec Stranger Things (saison 2, 2017), Apple avec Histoires fantastiques (produit par Steven Spielberg) en 2018, et Disney avec Star Wars en 2019.
Sources : « Avec le Seigneur des anneaux, Amazon veut lutter contre Netflix et HBO dans les séries TV » (Nicolas Richaud et Alexandre Rousset), Les Échos, 14 nov. 2017 ; http://deadline.com/2017/11/amazon-the-lord-of-the-rings-tv-series-multi-season-commitment-1202207065/
Le play-back musical, nouvelle tendance mondiale chez les adolescents
Musical.ly, une application chinoise qui permet de synchroniser les mouvements des lèvres et des mains sur des extraits musicaux de 15 seconds, vient d’être racheté par le géant chinois des médias Beijing Bytedance Technology pour 1 milliard de dollars selon The Wall Street Journal, ou pour 800 millions selon Bloomberg. L’application revendique 200 millions d’utilisateurs, et près de 13 millions de vidéos créées chaque jour. Lancé à Pékin en 2014 par les ingénieurs Alex Zhu et Luyu Yang après l’échec de leur start-up dans les vidéos éducatives, Musical.ly (aujourd’hui basé à San Francisco et à Shanghai) a très vite capté un public entre 8 à 15 ans. Comme Instagram permet d’embellir n’importe quelle photo, Musical.ly aide à sublimer les gestes, y compris chez les non doués. La société a réussi à créer une forte communauté d’utilisateurs qui se reconnaissent entre eux comme étant des « musers ».
Musical.ly fait un carton aussi chez les enfants et adolescents aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Canada, au Japon, au Brésil, et depuis peu, en France. C’est l’application la plus téléchargée sur iOS dans 19 pays. De plus en plus, elle se transforme en réseau social à l’image de Snapchat ou d’Instagram, permettant, outre le partage des vidéos, des conversations instantanées. À noter cependant que Musical.ly n’a pas de business model défini, et que pour l’instant, l’industrie publicitaire s’est montrée peu intéressée.
En 2016, Musical.ly a lancé live.ly, une application de diffusion en direct, pour éviter de subir le même sort que Vine (application de vidéos courtes), qui a dû fermer, malgré son succès initial, après avoir été déserté par les jeunes. Quant à la maison mère Beijing Bytedance Technology, elle serait évaluée à 20 milliards de dollars, du même ordre que SpaceX d’Elon Musk. Son application principale Toutiao, devenue en cinq ans l’un des plus grands services de curation des contenus au monde grâce à l’intelligence artificielle, a généré près de 2,5 milliards de dollars de revenus cette année.
Sources : « Musical.ly, appli phare des adolescents, rachetée 1 milliard de dollars » (Jean-Philippe Louis), Les Échos, 10 nov. 2017 ; http://www.strategies.fr/actualites/marques/1058398W/musical-ly-une-operation-seduction-pour-les-millennials.html ; https://www.billboard.com/articles/news/magazine-feature/7549094/musically-app-lip-sync-billboard-cover
Les médias numériques américaines à la peine
Coup de froid pour les médias numériques aux États-Unis : l’un des sites le plus à la mode il y a cinq ans, Mashable, consacré aux nouvelles technologies et à la pop culture, a été racheté par Ziff Davis, la branche médias du groupe numérique j2 Global, pour 50 millions de dollars. Soit bien moins que la valorisation de 250 millions avancée en 2016, quand le site avait récolté 15 millions de dollars, notamment auprès de Ted Turner, propriétaire de la chaîne CNN. Commente Peter Vernon, journaliste à la Columbia Journalism Review : « La vente de Mashable est un avertissement. Ce n’est pas forcément un bon signe pour les autres pépites numériques, qui peuvent être surévaluées. »
Justement, le Wall Street Journal (16 novembre) a annoncé que BuzzFeed et Vice Media, deux pure players mêlant informations et divertissement pour un public jeune, n’atteindront pas leurs objectifs de chiffre d’affaires en 2017. Le premier devrait rater de 15 % à 20 % sa cible de 350 millions de dollars, et le second ne pas réussir les 800 millions de dollars prévus.
Un modèle économique instable
Le problème ne serait pas le volume des visites, mais le modèle économique non stabilisé. À cet égard, BuzzFeed et Vice Media parlent tous les deux d’une diversification de leur offre publicitaire, annonce qui reste opaque. En réalité, Google et Facebook raflent 67 % du marché de la publicité en ligne aux États-Unis selon eMarketer, ne laissant que des miettes à tous les autres acteurs. Face à cette situation, Mashable, BuzzFeed et Vice Media se sont tournés vers la vidéo, mieux valorisée. Mais selon Zach Schonfeld, journaliste à Newsweek (hebdo papier) : « Cela apparaît comme une stratégie visant plus à satisfaire les demandes des annonceurs que les priorités des lecteurs. » Le HuffPost avait décidé en 2016 de produire moins de vidéos en direct, et plus de vidéos courtes destinées à être relayées sur les réseaux sociaux. Résultat des courses : en juin 2017, une quarantaine de salariés ont été licenciés.
L’autre filon du modèle économique, c’est le « brand content », des publicités sur mesure réalisées par le média grâce à une agence interne. Mais la concurrence – car l’idée s’est généralisée – a fait baisser les prix, et a augmenté les retours attendus par les annonceurs. De même, la télévision, en position de force, ne veut pas payer trop chers les droits des contenus. Reste le marché international. Vice Media a annoncé en 2016 vouloir passer de 35 à 80 pays, mais cela exigerait des investissements de long terme. En plus, les marchés publicitaires restent plutôt nationaux, même pour la publicité des marques*.
Pour certains pure players, la solution pourrait passer par l’intégration au sein d’un grand groupe de médias ou de télécommunications. NBCUniversal a beaucoup investi dans BuzzFeed, de même que Disney dans Vice Media. Ce sont des start-up numériques qui ne survivent que grâce à l’apport financier des industries culturelles établies.
Source : « Coup de froid sur les médias numériques américains » (François Bougon et Alexandre Piquard), Le Monde, 26-27 nov. 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
*Voir Armand Mattelart, L’International publicitaire, La Découverte, 1989, pp. 62-71.
Sur BuzzFeed, voir Actualités #15, déc. 2013. Sur le « brand content » (ou la « publicité native »), voir Actualités #24, oct. 2014.
Jeff Bezos (Amazon) vaut 100 milliards de dollars
Jeff Bezos a détrôné Bill Gates en octobre pour le titre de la plus grosse fortune au monde, à la faveur de l’envolée du cours d’Amazon. En janvier 2017, il n’était que quatrième dans ce classement tenu par l’agence Bloomberg, mais il a vu sa fortune augmenter de 32,6 milliards de dollars depuis. Grâce au Black Friday (24 novembre) et à Cyber Monday (27 novembre), deux jours de promotions avant la période des fêtes, la capitalisation boursière d’Amazon a atteint 586 milliards de dollars, permettant à Bezos de franchir le cap symbolique de 100 milliards de dollars (déjà franchi temporairement par Bill Gates en 1999). Selon les premiers chiffres d’Adobe Analytics, les ventes en ligne pendant cette nouvelle mini-période de soldes ont augmenté aux États-Unis de 18,4 % par rapport à 2016, et Amazon, à lui seul, a raflé la moitié de cette croissance. Contrairement à Bill Gates et à Warren Buffet, Bezos s’est peu intéressé à la philanthropie, se contentant de racheter à titre personnel le Washington Post, et de financer Blue Origin, son lanceur de fusées spatiales. En juin, il a toutefois lancé un appel sur Twitter pour recueillir des idées dont il pourrait aider des causes.
Source : « Jeff Bezos, l’homme qui valait 100 milliards » (Nicolas Rauline), Les Échos, 27 nov. 2017.
Pour le précédent classement des plus grosses fortunes, voir Actualités #45, sept. 2016. Sur Bezos et l’achat du Washington Post, voir Actualités #13, oct. 2013.
Lire les autres articles de la rubrique.
Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)