Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
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Le ciblage des « ressemblants » introduit par Facebook transformera le marketing
Dans le passé, écrit Ben Elowitz, cofondateur et président de la société Wetpaint (dont la plateforme assez trash attire plus de 15 millions de visiteurs uniques par mois), la plus grande partie d’un plan marketing tournait autour de la vente des « impressions », mais la connectivité omniprésente de Facebook va pousser les annonceurs à vendre plutôt des « relations » (relationships). Depuis quelques mois maintenant, Facebook a ouvert sa base de données aux marques pour qu’elles puissent faire des correspondances avec leurs propres listes ; ce, afin de développer une relation avec des consommateurs dans leur « habitat social » naturel, le tout affiné par la segmentation, les tests, les mesures et d’autres paramètres d’optimisation. Avec sa dernière application, le ciblage d’une « lookalike audience », Facebook ouvre la voie à une nouvelle ère de la publicité, permettant à l’annonceur d’aller au-delà de ses consommateurs actuels pour toucher une cible potentielle qui leur ressemble.
Le marché publicitaire des marques vaut dans les 540 milliards $. Ce marché de produits présents d’abord sur tout le territoire national, et ensuite dans le monde entier est le seul où toucher un public de masse fait sens ; c’est ce marché que la radio et puis la télévision ont historiquement réussi à capter à travers le modèle de pénétration/fréquence (reach and frequency), autrement dit s’adresser au plus grand nombre dans la durée dans l’espoir de faire connaître la marque et de provoquer un achat ultérieurement en raison de cette reconnaissance (la stratégie dite spray and pray, asperger et prier). Mais alors que beaucoup de sites en ligne peuvent prétendre au statut de médias de masse en eux-mêmes, pour l’instant seulement 18% du marché publicitaire des marques s’est déplacé en ligne, en grande partie parce que les relations avec des consommateurs y sont si difficiles à mesurer et à quantifier (voir « Actualités #1 »).
Une branche de l’industrie publicitaire, en revanche, s’est déplacée en ligne avec succès : celle du marketing direct, qui s’adresse à des individus. Le grand concurrent de Facebook, Google, a fait accroître par lui-même le marché global de marketing direct par environ 40 milliards $ en revenus annuels, tout simplement parce que sa « performance » peut être quantifiée très rapidement (mais voir aussi ci-dessous) ; quelques minutes à peine séparent un premier clic d’un achat en ligne. Le rêve de Facebook d’attirer des annonceurs des marques se fonde sur la capacité – qui échappe pour l’instant — à développer des relations durables et mesurables avec des consommateurs. Selon Elowitz, avec le ciblage de « ressemblants » (des consommateurs potentiels qui ressemblent du moins statistiquement aux consommateurs réels), Facebook est en mesure de réussir son pari.
La beauté de cette application, toujours selon Elowitz, c’est qu’elle joint les deux bouts : le marketing direct et la publicité des marques. Cette dernière vise à créer une expérience puissante pour un public de masse. Le premier vise des individus déjà identifiés à des moments optimaux pour déclencher un achat. Mais la « science » du CRM (consumer relationship management) n’entre en jeu qu’après le premier achat. Maintenant, cependant, grâce au ciblage des ressemblants, les marques pourraient commencer une relation avec le consommateur en amont. De nouvelles techniques de mesure et d’analyse pourraient aussi identifier les interactions qui renforcent, ou qui affaiblissent la relation avec le consommateur, en amont et en aval du premier achat. En ligne de mire : des recommandations « personnalisées », « contextualisées » pour les usagers de Facebook, ce qui sera, selon Elowitz, bénéfique pour tout le monde. Si cette stratégie réussit, Facebook deviendra incontournable pour les annonceurs, au détriment de la télévision entre autres.
C’est le moment d’insister sur le statut des discours traités dans cette rubrique. Il faut démarquer les courts résumés d’articles journalistiques à but informatif des résumés synthétiques du point de vue d’un acteur de l’industrie publicitaire, toujours identifié dès le début. Le marketing n’est pas une « science » dans le sens universitaire du terme. Comme d’autres matières enseignées dans les écoles de commerce, et qui restent entièrement soumises aux paramètres du marché, il s’agit d’une pensée de calcul stratégique qui ne se soumet longtemps au débat contradictoire, car la sanction du marché est sauf exception irrémédiable. En d’autres termes, il s’agit d’interventions profondément intéressées. Les publicitaires qui écrivent dans Advertising Age sont tous à la recherche d’une renommée, à même de faire venir des clients. Il faut noter également un biais structurel dans ces interventions : ceux qui ont le plus grand besoin d’attirer des annonceurs (les fondateurs d’agences start-up) sont aussi ceux qui ont le plus intérêt à insister sur un avenir qui passe obligatoirement par les nouveaux médias où les grandes agences publicitaires sont moins présentes. À cet égard, il est intéressant de noter que, une dizaine d’années après le début de la « révolution numérique », la publicité pour les marques en ligne ne dépasse pas 18% du marché global ; la télévision et le modèle d’aspersion rationalisée qu’elle implique sont loin d’être morts.
Revenons à M. Elowitz. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a misé gros sur Facebook, à tort ou à raison, l’avenir dira. Ce qui échappe à la « science » du marketing, c’est la réaction des « cibles », qui pourraient toujours renâcler à être instrumentalisées de la sorte. Que la plupart des gens soient heureux de recevoir une recommandation « personnalisée » indiquant l’achat d’un produit de marque à réaliser, c’est une utopie, voire un fantasme publicitaire. Mais la notion des « ressemblants » est intéressante pour deux raisons. D’abord, elle entérine et accentue l’importance des industries culturelles pour l’industrie publicitaire : on est « ressemblant » à un profil identitaire qui passe le plus souvent par des chanteurs, des actrices, des produits culturels dont on est « fan ». Ensuite, il faut savoir qu’Elowitz a une formation en informatique et en mathématiques. En insistant sur l’importance de la mesure des « relations » créées en ligne (ce qui implique l’élaboration d’algorithmes dédiés pour traiter les montagnes de données générées), on risque d’enlever une part de la « créativité » de cette « industrie créative » qu’est la publicité. En effet, le professionnalisme du publicitaire s’est depuis longtemps appuyé sur un mélange de flair s’agissant des tendances socioculturelles à venir, et d’expertise dans l’analyse des enquêtes de marketing, renforcée éventuellement par le travail de sociologues internes à l’industrie. Finalement, l’utilité des algorithmes fondés sur l’identification de « ressemblants » est dépendante d’une certaine diversité au sein des industries culturelles, ce qui va à l’encontre de la tendance à la massification de celles-ci (films blockbuster etc.). Par rapport au modèle existant d’aspersion rationalisée, on ne gagne pas grand-chose en s’adressant aux « ressemblants » des fans d’Harry Potter.
Source : « Advertising Age », mars 6, 2013. On peut suivre le blog de Ben Elowitz (en anglais) sur l’avenir des technologies numériques à digitalquarters.net. C’est lui qui a fait le graphique powerpont ci-dessus.
L’exploitation des leaders d’opinion (KOLs) dans les médias sociaux en Chine
« Thoughtful China » (« média social » basé à Shanghai), en anglais.
L’explosion des médias sociaux (et surtout des microblogs, weibo) en Chine pousse les professionnels de marketing à s’appuyer sur des leaders d’opinion (key opinion leaders ou KOLs). « Un aspect fascinant du paysage numérique chinois, c’est l’inclination des netizens à descendre dans les cyberrues pour donner leurs opinions, pensées et conseils. Des 500 millions d’usagers chinois en ligne, la moitié prétend être des blogueurs actifs », dit Chris Maier, directeur des solutions médiatiques et numériques chez Millward Brown Greater China. Le plus grand réseau social en Chine, Tencent QZone a 712 millions d’usagers inscrits (dont 580 millions actifs), suivi par Tencent Weibo, qui ressemble à Twitter (507 millions d’inscrits), Sina Weibo (400 millions), PengYou (propriété de Tencent, 259 millions) et RenRen, qui ressemble à Facebook (172 millions).
« Les marques veulent cultiver leurs fans à un niveau pratique, plutôt que de recourir à des reines weibo (blogueuses vedettes) comme l’actrice Yao Chen. Nous recherchons des KOLs à un niveau plus terre à terre », dit Tina Hu, directrice de la société de conseil CIC. Les marques de luxe et de fashion sont très actives dans les médias sociaux, de manière directe : Cadillac, BMW, Mercedes-Benz, Coach, Dior, Burberry, Audi, Louis Vuitton, Chanel, Ferrari. Mais d’autres, moins connues ou moins connotées, préfèrent miser sur des KOLs, qui peuvent jouer le rôle d’ambassadeurs.
Selon Angie Au-Yeung, directrice numérique pour Lee Jeans China (VF Corp) : « Beaucoup de marques travaillent avec des KOLs depuis quelques années et en ont appris les avantages et les inconvénients. Cela va aussi dans l’autre sens. Nous mesurons l’efficacité de nos KOLs d’un point de vue qualitatif et quantitatif, ce qui permet d’affiner nos sélections au début. Nous examinons le contenu généré par nos KOLs, que ce soit de la copie, des images ou de la musique. Sur le plan quantitatif, nous utilisons les mesures habituelles, à savoir le nombre d’interactions sur les plateformes numériques et le trafic qui se dirige vers nous. »
Un problème majeur pour des annonceurs, c’est le commerce de « faux » fans, de followers purement virtuels qui augmentent artificiellement l’importance des blogs, et des sites des marques. D’après Andrew Collins, président fondateur de la société d’analyse des médias sociaux, Mailman Group : « C’est un problème récurrent. Il faut analyser le contexte des discussions, les niveaux d’engagement, les commentaires, les retweets. Ensuite il faut analyser les followers, combien sont de véritables fans, et le niveau d’interaction que les KOLs ont avec eux ».
Source : « Advertising Age », mars 1, 2013.
Nielsen a commencé à mesurer l’efficacité des annonces sur les appareils mobiles
Avec son nouveau produit Nielsen Mobile Brand Effect, Nielsen appliquera ses catégories de mesure élaborées pour la télévision – reconnaissance, disposition, approbation et intention d’achat – aux appareils Android, iOS et Windows (mais pas au BlackBerry). Les usagers seront invités à répondre à une question concernant une marque ou un produit. La Mobile Marketing Association (MMA) a approuvé l’initiative de Nielsen, et affirme que, même si ce genre d’enquête risque d’être « gênant » (intrusive), l’amélioration de la mesure des annonces sur appareils mobiles est cruciale pour l’avenir de l’industrie. Selon Michael Becker, directeur de la MMA, « Sans outils de mesure, et sans évaluation de l’expérience qu’on fournit, on ne peut continuer à s’améliorer et à évoluer ». Les résultats de l’enquête permettront aussi de savoir quels types d’annonce sont jugés trop gênants.
Nielsen sera en concurrence avec la société d’analyse numérique comScore (voir « Actualités #6 »), qui a déjà mené plus de 200 études de cas sur les effets des campagnes publicitaires sur mobiles. D’autres start-ups comme LocalResponse essayent aussi de se faire une place. L’avantage distinct apporté par Nielsen sera sa capacité à croiser les résultats avec ceux des autres médias (notamment la télévision) où la société a une longue expérience. Dans un premier temps, cependant, les résultats de la nouvelle application seront croisés avec les mesures effectuées par Nielsen sur les navigateurs.
Source : « Advertising Age », mars 6, 2013.
eBay met en question l’efficacité des annonces sur Google
Un des plus gros annonceurs en ligne, eBay, a récemment publié une étude (http://conference.nber.org/confer/2013/EoDs13/Tadelis.pdf) sur la valeur des annonces payées placées par Google à la droite des résultats d’une recherche. L’étude conclut que les bénéfices d’une annonce sur Google étaient beaucoup moins que prévus, parce que beaucoup de clients existants seraient venus à eBay de toute façon. Trois économistes affiliés à l’eBay Research Labs, Thomas Blake, Chris Nosko, et Steve Tadelis, ont analysé les ventes sur eBay entre avril et juillet 2012 dans deux régions composées pour l’enquête, l’une où les annonces Google avaient été arrêtées et l’autre où les annonces ont continué. Il n’y a avait pas de baisse significative là où les annonces avaient été arrêtées. En ce qui concerne les clients réguliers d’eBay (trois achats sur l’année précédente), les annonces Google n’ont pas déclenché des achats en plus. Selon les auteurs, les annonces Google n’ont génèré que 25 cents en revenus pour chaque dollar dépensé. Un porte-parole pour Google a affirmé que, d’après leurs propres études sur des centaines d’annonceurs, 89% des clics sur les annonces liées aux recherches sur Google étaient « progressifs » (incremental). Mais ce qui est mesuré ici, ce sont des visites supplémentaires au site de l’annonceur, et non pas des ventes.
À première vue, cette étude est une très mauvaise nouvelle pour Google. Dans un blog paru dans le Harvard Business Review, un professeur au Columbia Business School, Ray Fisman, a carrément conseillé aux annonceurs de bien réfléchir au retour sur investissement de la publicité sur Google, tout en concédant que les sociétés n’ayant pas le même niveau de reconnaissance qu’eBay pourraient toujours trouver le service bénéfique. Car dans quelle mesure peut-on généraliser à partir de l’exemple d’eBay, société (comme Amazon) qui a déjà fait sa réputation pour l’achat en ligne sur simple clic ? Le problème ici, c’est que l’étude d’eBay est à la fois intéressée (eBay a sa propre carte à jouer) et « égocentrique » (elle ne concerne qu’eBay). Symptomatiquement, alors que la recherche relève de plus en plus du financement privé, deux des trois économistes, Nosko et Tadelis, ont une double affiliation : eBay Research Labs, et respectivement l’université de Californie à Berkeley, et l’université de Chicago. Finalement, il faut noter que l’étude effectuée par eBay et les études « maison » de Google (là aussi, quelle crédibilité faut-il les accorder?) ne mesurent pas la même chose : les ventes directes provoquées pour le premier et les visites supplémentaires au site de l’annonceur pour le dernier.
Source : Reuters, mars 2013.
Facebook va adopter le hashtag (#) afin de concurrencer Twitter
Facebook est en train de tester un moyen de permettre aux usagers de cliquer sur un hashtag (mot-dièse ou mot-clic) et ensuite d’accéder à une page regroupant les messages autour du même sujet. Ce sont les usagers de Twitter qui ont inventé le hashtag il y a cinq ans afin de regrouper les posts sur un thème d’intérêt général ou sur une actualité. En dehors de son application publicitaire évidente, la nouvelle fonction a plus à voir avec l’exploitation des données, et avec la recherche sur Graph (voir « Actualités #6 »). Cette dernière est dépendante sur le « like » comme expression d’intérêt, mais ce genre de clic est jugé moyennement fiable, indice d’un « engagement minime », ou du conformisme ambiant. Les posts avec hashtag, par contre, seraient l’expression d’une affinité plus nette, rendant les recherches Graph plus significatives, ce qui inciterait les usagers à rester connectés pour être exposés à davantage d’annonces. Il y aurait plus de chance que la personne qui envoie un message avec hashtag soit un vrai « fan » qui continue à suivre un produit bien après un simple clic. Un problème de taille pour l’instant : la vie privée est plus respectée sur Facebook que sur Twitter. Comme la plupart des posts sur Facebook sont « privés », les messages figurant sur les pages hashtag seraient seulement la partie émergée de l’iceberg par rapport à l’ensemble, donc d’une valeur moindre pour les professionnels du marketing.
Selon eMarketer, Twitter va gagner 0,5 milliards $ cette année, alors que Facebook a gagné 4,3 milliards $ en 2012. L’écart est moins important pour la publicité sur appareils mobiles : on prédit que Twitter gagnera 249 millions $ cette année, par rapport à 851 millions $ pour Facebook. De plus en plus de spots publicitaires à la télévision américaine (une bonne moitié lors du final du Superbowl) comportent un hashtag.
La concurrence est désormais vive entre Facebook (le leader) et Twitter (le challenger) pour les revenus publicitaires sur le marché des réseaux sociaux. Le respect de la vie privée (déjà très relatif) aura du mal à résister aux impératifs commerciaux. Facebook, qui ne pourrait survivre en tant que réseau dédié seulement à la famille et aux amis véritables, a déjà annoncé que les posts « publics » seront plus ouverts à la recherche dans l’avenir ; de plus en plus, le réseau social incite les usagers à « partager » leurs contenus, en copiant les fonctionnalités de Twitter (listes « d’abonnés », tagging des célébrités et des marques avec le signe @).
Source : « The Wall Street Journal », mars 15, 2013.
Les appareils mobiles sont en train de déplacer la consommation de la télévision
Selon le Fourth Annual Media Engagement Barometer de Motorola Mobility (Google), publié le 19 mars, les consommateurs de la télévision souhaiteraient plus de souplesse dans la manière dont les contenus télévisuels sont délivrés. L’étude de 9500 consommateurs dans 17 pays (effectuée par une agence indépendante, Vanson Bourne) a révélé que ceux-ci regardent en moyenne 25 heures de télévision par semaine (19 heures d’émissions programmées et 6 heures de films) dans une fourchette qui va de 17 heures (15 et 2) en Suède et au Japon à 29 heures (23 et 6) aux États-Unis. 29% des contenus consommés sont pré-enregistrés, mais 36% des enregistrements ne sont jamais visionnés (41% aux États-Unis). Alors que 50% des sondés continuent à regarder la télévision dans le salon (Suède 81%, Royaume-Uni 75%), 36% la regardent dans la chambre (Argentine 62%, États-Unis, 54%), de plus en plus sur des appareils mobiles (smartphones 46%, tablettes 41%, téléviseurs 36%). Les propriétaires de tablettes sont des « super-consommateurs » par rapport aux non-propriétaires, regardant plus de films (6,7 heures par semaine par rapport à 5,5 heures) et plus de télévision catch-up (47% recourent à ce service par rapport à 31%).
76% des sondés se disent intéressés par un service qui téléchargerait des contenus télévisuels choisis aux smartphones ou aux tablettes (en Turquie, 85%, aux États-Unis, 71%, mais seulement 50%, 47% et 41% en France, au Royaume-Uni et en Allemagne respectivement). Quant aux consommateurs entre 15-24 ans, 60% suivent des conversations en ligne pendant qu’ils regardent la télévision (50% de l’ensemble), mais les conversations en ligne seules sont nettement en déclin au Royaume-Uni (39% en 2010, 23% en 2012) et aux États-Unis (32% et 23%). 78% des sondés aimeraient relier leur profil dans un média social à un service qui permet de partager ce qu’ils regardent et d’en discuter en ligne en temps réel.
Comme toujours, il faut prendre les résultats de ce genre d’enquête de marketing avec un grain de sel, ne serait-ce qu’en raison de sa dépendance des réponses invérifiables. 10% des sondés avouent regarder la télévision sur leurs smartphones dans la cuisine, mais combien dans les toilettes, et est-ce important de le savoir ? Quelle est la pertinence d’une moyenne de 17 pays allant de la Chine aux États-Unis en passant par l’Inde, le Brésil et la Russie ? Mais si les résultats de cette enquête se confirment dans la durée, plusieurs tendances se dégagent déjà : l’alignement progressif du volume de la consommation télévisuelle sur les normes américaines, dans les pays européens et dans les pays émergents ; le fait que le smartphone et la tablette font augmenter sensiblement la consommation de la télévision (ce qui nuance le commentaire critique que j’ai fait dans «Actualités #6») ; le déclin des tchats sur les réseaux sociaux en faveur de… la télévision (avec ou sans discussion en ligne). La révolution attendra.
Source: http://mediacenter.motorola.com/Content/Detail.aspx?ReleaseID=15389&NewsAreaID=2&ClientID=1 (Merci à Célia Loingeville qui m’a attiré l’attention sur cette étude).
La Femis propose une nouvelle formation sur les séries télévisées
La prestigieuse École Nationale Supérieure Nationale des Métiers de l’Image et du Son (communément appelée la Femis d’après son ancien acronyme) vient d’ouvrir les candidatures pour une nouvelle formation d’une année consacrée aux séries, réservée à une douzaine d’étudiants déjà diplômés et qui ont déjà une expérience d’écriture. La formation sera encadrée par le producteur Emmanuel Daucé (voir « Actualités #7 ») et le scénariste Franck Philippon (La Crim‘). Extraits d’un entretien avec Marc Nicolas, directeur de la Femis :
Les séries télé sont devenues un genre qui produit des œuvres. Le sujet n’est pas tant l’industrialisation que la qualité. Aujourd’hui, quelqu’un qui veut faire une bonne série a du mal à trouver les gens qui savent travailler immédiatement sur ce genre particulier. Ça évolue [chez les diffuseurs]. L’idée est d’ailleurs accueillie très favorablement, notamment à France Télévisions et à Canal +… [Les séries comme «Plus belle la vie»], ce n’est pas notre cible principale, mais l’industrie culturelle est un va-et-vient entre des productions d’art et des productions de flux… Je pense que ce que nous ferons n’existe encore nulle part…
« Par ailleurs, le cinéma est une industrie » dit André Malraux à la fin de son livre consacré à l’esthétique du cinéma (Esquisse d’une psychologie du cinéma, 1946). Art et industrie : il y a forcement dans le capitalisme une tension entre les deux pôles, même si la dimension économique l’emporte en dernière instance. Dans un lointain écho de Malraux, Nicolas – qui a lui-même une double formation en économie (ESCP et Paris 9-Dauphine) et en cinéma (Paris 8) – affirme que la série fait partie de « l’industrie culturelle » (singulier curieux dans ce contexte), mais avec la variante suivante : la série télévisée à la française sera tantôt une œuvre d’art (relativement cher à produire), tantôt une production de flux (peu cher mais faiblement rediffusable ou vendable). On demandera donc aux scénaristes de faire le « va-et-vient » entre les deux, au risque qu’ils ne se trouvent nulle part. Depuis les « États généraux de la fiction » organisés par TF1 en juin 2007, les professionnels appellent régulièrement à l’adoption de méthodes industrielles pour la production de fictions télévisuelles en France, mais ils rechignent à épouser les « méthodes américaines », qui impliquent non seulement le travail hiérarchisé en équipe, mais aussi une forte spécialisation. Au risque d’être pédant, je rappelle qu’une série télévisée n’est pas un « genre » (comédie, drame, science-fiction, horreur etc.), mais une forme ou mieux, un format (série, feuilleton, sitcom ou série feuilletonnante), historiquement mal adapté aux grilles de programmation françaises. Dans cette imprécision de langage, c’est peut-être là où – symptomatiquement – le bât blesse…
Source : « Libération », 22 mars 2013, p. 26 (propos recueillis par Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts).
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)