La concurrence fait rage dans les programmes météo : France 2 change de prestataire, de cartes et d’animations, mais court toujours derrière TF1 avec son écran tactile et son audience… Les chaînes en continu scrutent le ciel minute par minute. Internet devient le laboratoire de nouvelles prestations. Afin d’évaluer dans les médias le poids du temps qu’il fait, revenons aux débuts de sa présentation à la télévision française…
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Le développement des médias audiovisuels a donné naissance à une profession nouvelle, celle de présentateur météo, intermédiaire et médiateur entre ceux qui élaborent la prévision météorologique et le public qui la reçoit. Ces professionnels allient dans l’exercice de leur métier deux expertises : celle de comprendre l’information météorologique et celle de la communiquer.
Ce constat est à la base de la création du Collège des Présentateurs Météo le 13 janvier 1999 qui se donnait pour objectif de « créer et développer une unité de la profession ». L’enjeu semble, à la fois, économique et symbolique. Les bulletins météo sont les émissions les plus regardées. L’information météorologique nécessite une compétence accrue, notamment lorsqu’elle fait l’actualité.
À l’occasion de la conférence de presse, sous la double égide de la Société météorologique de France et du Press Club de France, ce sont des professionnels de la télévision qui s’expriment sur les programmes météo (de gauche à droite sur la photo : André Lebeau, son président, Alain Gillot-Pétré, Évelyne Dhéliat, Florence Klein, François Fandeux et Sophie Davant, La météorologie n°25 mars 1999). Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Les présentateurs météo sont apparus en 1978 et, en quatre ans, ont définitivement remplacé à l’écran les ingénieurs météorologistes, renouvelant par la même occasion le genre et son exercice. L’histoire du bulletin météorologique à la télévision française se présente comme la genèse d’un groupe et la construction de sa position sociale.
L’invention du bulletin météo
Lors d’une émission sur les coulisses de la télévision dans les années soixante, c’est un ingénieur de la Météorologie nationale qui explique les secrets de la réalisation du bulletin météo. La fabrication des images et la rédaction du commentaire sont assurées par les météorologistes ; la prise de vue, par la Télévision française, mais au siège même de la Météorologie nationale, quai Branly à Paris. La chaîne de production se décompose ainsi : un ingénieur synthétise les données météorologiques à partir des informations fournies par les prévisionnistes pour les rendre plus visuelles. Sous sa direction, un dessinateur met en place les différents éléments préfabriqués. Enfin, l’opérateur de télévision filme en banc-titre les cartes fabriquées.
La présentation du bulletin en direct et en plateau dans les locaux de la télévision, si elle est intermittente au cours de ces années de formation, est aussi assurée par le personnel de la Météorologie nationale. Le dispositif télévisuel d’une personne présentant une carte à l’aide de mots et de gestes est construit dès le premier bulletin diffusé en décembre 1946 sur l’unique chaîne.
Nous nous sommes trouvés les premiers au monde à notre connaissance, à inaugurer, le 17 décembre 1946, l’emploi régulier de la télévision pour montrer et expliquer au public anonyme une carte de situation générale, et tâcher, à l’aide de cette carte, de lui faire “assimiler” par un commentaire verbal direct la prévision du temps pour le lendemain. [1]
Avec ce dispositif, proche de la classe et sa vocation pédagogique, s’installe le mode de contact dominant entre la télévision et son public : la personnalisation. Dans le cadre du premier bulletin météo s’élaborent ses principes qui vont présider à la présentation des programmes par la speakerine, de l’information au journal télévisé ou à l’animation des émissions de variétés.
C’est ici qu’on voit apparaître la prédominance du facteur humain sur les facteurs durée et technique […] Ce que le public voit c’est une carte ; il faut la lui faire comprendre, au moins en partie. Ce qu’il entend c’est une voix : elle doit être claire, sympathique, convaincante ; ce serait un défaut que ce ne soit que la voix d’un lecteur, car il lui manquerait cette chaleur et cette confiance du technicien qui maîtrise son sujet, ou bien ce lecteur devrait être un sujet choisi et bien savoir sa leçon. À l’instruction générale et professionnelle développée et approfondie, aux qualités congénitales bien entretenues, en particulier sang-froid et rapidité de réflexes, qui lui sont indispensables dans sa vie professionnelle, le prévisionniste doit, depuis que la télévision est rentrée dans sa vie, ajouter maintenant une psychologie éprouvée, pour intéresser, éduquer et convaincre des usagers dont il ne peut enregistrer les réactions et une voix qui passe bien le micro. Plus que jamais le prévisionniste idéal devrait être un surhomme ! [2]
Si elle reste ici fortement attachée au modèle radiophonique en privilégiant les qualités de la seule voix, excluant de la communication télévisuelle le reste du corps qui ne cessera pourtant de prendre une part de plus en plus grande dans les années à venir, la personnalisation n’en est pas moins définie comme une nouvelle compétence à acquérir. Les pionniers du bulletin météo rejettent le speaker, simple acteur choisi pour sa voix, au profit de l’ingénieur-prévisionniste qui saura transmettre au public « cette chaleur et cette confiance du technicien qui maîtrise son sujet. »
Mais trente-cinq ans plus tard, un autre ingénieur constate que si « la personnalisation de la météo à la radio ou à la télévision a été réussie, car elle répond mieux à l’attente du public qu’un bulletin anonyme […] elle a été mieux réussie par les météorologistes indépendants ou les journalistes que par le personnel de la Météorologie nationale ». [3] C’est sur le terrain de la personnalisation, qu’ils ont pourtant contribué à définir, que les ingénieurs vont perdre la bataille de la présentation du bulletin météo. L’éclatement de l’ORTF en 1974 introduit la concurrence entre les trois chaînes comme force régulatrice. Cette mise en concurrence prend une forme particulièrement vive sur les journaux télévisés. La présentation de l’actualité par un seul et même journaliste sur la semaine s’impose comme moyen de fidéliser l’audience.
Tout l’audiovisuel se personnalise : à la radio, il est impossible aujourd’hui de faire quoi que ce soit sans personnalisation. À la télévision, c’est pareil. Les USA, qui, vous le savez, possèdent une expérience que nous vérifions après eux, avec un certain décalage, ont à cet égard apporté la preuve qu’il n’est pas possible d’y échapper. Le courant est irréversible désormais. [4]
Après 28 mois d’expérience, les sondages d’audience créditent le journal de 20 heures sur TF1, présenté par Roger Gicquel, de 10 à 12 millions de téléspectateurs.
La personnalisation du bulletin météo est l’œuvre de la deuxième chaîne. En 1978, quatorze ans après sa création, elle fait toujours figure de « petite » chaîne à côté de la première qui, pour de nombreux Français, constitue le programme unique de télévision. Pour imposer l’image du nouveau présentateur de l’édition du soir, Patrick Poivre d’Arvor, Antenne 2 intègre la météo au journal et la fait présenter en direct, chaque fin de semaine, par un journaliste, Laurent Broomhead :
J’étais un scientifique, ayant fait de l’astronomie et de l’aviation, et on m’a demandé de vulgariser la météo. J’ai lancé le bulletin narratif : au lieu de dire le temps, je racontais une histoire en mouvement. Et puis, il y avait mon aspect bizarre : jeune, lunettes, cheveux longs !
Lui succède en 1981 Alain Gillot-Pétré, quand la formule s’installe quotidiennement en fin d’édition. Les personnalisations respectives du journal et du bulletin météo se renforcent mutuellement. Par le dialogue entre le présentateur météo et le journaliste, instance d’information légitime, l’événement météorologique accède au statut d’information générale. La présentation météo, quant à elle, humanise le présentateur du journal :
J’étais outrageusement sérieuse à l’antenne, réservant à Gillot-Pétré et à sa météo quelques fous rires de fin de journal. Je l’étais d’instinct autant que par conviction. J’ai toujours pris l’information pour un exercice sérieux, grave même, explique Christine Ockrent.
L’apparition de nouveaux agents télévisuels s’accompagne de la revendication d’un savoir-faire spécifique. Pour remplacer Alain Gillot-Pétré parti animer une émission de jeu sur La Cinq nouvellement créée (1986), « l’un des directeurs d’Antenne 2 envisageait d’embaucher un comédien pour présenter le bulletin… Ce fut une rude bataille pour faire admettre que la météo, c’étaient aussi des informations, qu’il était nécessaire d’acquérir une compétence, que l’on ne pouvait pas prendre n’importe qui », explique Brigitte Simonetta. L’histoire bégaie, partiellement, puisque l’acteur se trouve être encore exclu comme en 1946, quand les météorologistes définissaient les nouvelles qualités requises par l’avènement de la télévision. Mais cette fois, c’est un membre de la télévision qui souligne le caractère original de la présentation météo.
Une nouvelle compétence
La définition d’une compétence spécifique est au centre de la construction du groupe des présentateurs météo issus de la télévision. Son contenu varie en fonction des interlocuteurs. Face à la Météorologie nationale la compétence est attachée à la maîtrise des techniques de la communication. Celles-ci empruntent à la fois au journalisme et à l’animation : respecter la rigueur scientifique des prévisions tout en leur donnant un caractère attrayant pour être le plus proche possible du public. Le présentateur météo se fait d’autant mieux l’intermédiaire entre les météorologistes et les téléspectateurs qu’il a assimilé le propos scientifique, reconnaissant ainsi le caractère de source d’informations obligée que représente Météo France : « Il ne suffit pas à mes yeux de réciter le texte préparé. Je veux comprendre et qu’on m’explique le pourquoi des choses. Un service spécial a été créé à l’usage des médias. On y obtient renseignements, précisions et synthèse, parce qu’on n’est pas crédible si l’on ne sait pas », affirme Alain Gillot-Pétré. L’animation, elle, construit le lien avec le public : « Nous donnons une météo sensible, proche des gens… la prévision qui leur dira comment il faut s’habiller demain, s’il est prudent de rentrer les bégonias ou s’il va falloir conduire prudemment sur la route du bureau. La médiatisation de la météo, et surtout son côté humain et personnalisé, a rendu notre langage moins hermétique », explique Michel Cardoze. L’animation est à proportion valorisée comme compétence particulière aux professionnels de télévision que l’on souligne l’absence de savoir-faire chez les météorologistes : « Finie l’époque des ingénieurs, des spécialistes figés devant la caméra, qui ne savaient pas rendre vivant leur propos. C’est Gillot-Pétré qui a révolutionné le genre par son humour et sa décontraction », affirme François Fandeux (mort en 2003). Mais l’intéressé lui-même a dû se former : « Il a fallu que j’apprenne à être debout, à savoir quoi faire de mes mains, à improviser. Au début, ce n’était pas bon. J’ai tout réappris », raconte-t-il.
L’argument technique opposé aux météorologistes par les professionnels de la télévision tend à légitimer une manière unique de faire l’information météorologique dont ils sont, non moins légitimement, désormais les dépositaires. Jusqu’au bout, les météorologistes ont contesté cette prétention au monopole d’un savoir-faire, mais en vain :
Doit-on laisser à d’autres le soin de présenter le résultat de notre travail, sous le prétexte qu’ils sont formés pour cela, et que cette tâche d’information présente pour nous des servitudes ? Ou devons-nous persévérer dans la voie que nous avons ouverte à TF1 et à France-Inter, par exemple, en formant nos personnels aux techniques de la communication, soit au sein de notre École, soit par le canal de stages auprès des professionnels (INA, CFJ, etc.) ? [5]
Aux journalistes, cette fois à l’intérieur même de l’institution télévisuelle, les présentateurs-météo objectent que la météorologie est une information et un exercice à part entière : « La météo ce n’est pas du sous-journalisme. Ce n’est pas un pis-aller, mais une activité noble », souligne Laurent Cabrol. Objet de lutte entre les deux groupes, la hiérarchie des compétences et des genres télévisuels est inversée avec la volonté de réhabiliter ou de prendre sa revanche, voire de déprécier : « La météo, c’est la meilleure école […] Maintenant, je suis capable de tout faire : demandez-moi de présenter le JT de 20 heures, je n’aurais aucun problème », affirme Alain Gillot-Pétré. La lutte peut prendre un tour plus agressif : « Les gens intelligents me prennent pour un journaliste, les cons pour un animateur », assène-t-il.
Néanmoins, au-delà de l’opposition les deux groupes partagent une même conception de leur rôle, compris comme médiateur, à laquelle les présentateurs météo tentent, à leur tour, de donner corps avec la création du Collège. Le mouvement de professionnalisation du journalisme a été mené, lui aussi, avec la croyance en une mission particulière, d’abord d’éducation, puis de médiation, notion moderne qui renvoie, à la fois, au modèle « scientifique » de la communication, technique de transmission de messages entre source et récepteur, et à la place des journalistes dans l’espace public.
S’ils dénient la part d’animation dans leur passage à l’écran, préférant parler de présentation comme pour mieux se rapprocher des journalistes, les présentateurs météo empruntent aux animateurs d’émissions de variétés le plébiscite du public comme principe de légitimité professionnelle : « Je ne juge jamais mes confrères : le seul juge, c’est le public. Ce sont les scores d’audience qui font que je suis le premier » (Alain Gillot-Pétré). La référence au public prend la forme de l’anecdote dans laquelle ils mettent en scène leur relation sensible avec les téléspectateurs. Selon Laurent Cabrol, « C’est fou le nombre de gens qui identifient le présentateur à la météo. En juin, les téléspectateurs en avaient marre de mon temps pourri. Il m’arrivait de recevoir des photos de moi transpercées d’épingles ! » Mais, de plus en plus, les présentateurs météo se réfèrent au public sous la forme abstraite du chiffre d’audience devenu principe régulateur et critère de jugement dominant : « C’est le pic de la soirée ! Si par exemple, vous avez un indice d’écoute de 25 % pour le journal, la météo obtiendra de 28 à 30 %. Avant hier, j’ai fait l’un des records de toute l’histoire de la télévision française : 41 % » (Alain Gillot-Pétré).
Comme la popularité, l’audience évalue le poids financier de l’émission, lui aussi, source de légitimité : « Je ne suis pas habilité à vous confier combien rapporte la météo, ce sont des choses qui ne se disent pas quand on n’a pas de pouvoir, mais ce que je puis vous assurer, c’est que ça représente beaucoup, beaucoup d’argent ! » (Alain Gillot-Pétré). Pour donner une idée des enjeux financiers, les 6 bulletins météo quotidiens de TF1 diffusés au cours du premier semestre 2007 auraient généré un chiffre d’affaires publicitaire de 171 millions d’euros pour 7 millions de téléspectateurs et 30% de part de marché . C’est le programme qui rapporte le plus devant les jeux et les JT (source : Journal du Net). Dans le cadre concurrentiel qui est le sien, le présentateur météo fait un double usage de l’audience. Il condamne ceux qui ne sont pas, ou n’on pas été, capables d’en faire : « Mais tous (les présentateurs météo) sont des professionnels de la télévision qui aiment leur métier, en suivent strictement les règles et ont le respect du public. Personne ne peut en dire autant d’un ex-présentateur [Guy Larivière] ayant réussi la performance de rester anonyme d’un bout à l’autre de sa carrière […] ». [6] Le présentateur météo se sert aussi de l’audience pour asseoir sa position au sein de l’institution télévisuelle en réclamant plus de moyens techniques : « La valse des patrons à Antenne 2 m’a beaucoup servi. J’en ai connus trois. A chaque fois qu’un nouveau arrivait, j’allais le voir en lui présentant d’un côté mes taux d’audience et de l’autre les instruments dont j’avais besoin. Comme les PDG ignorent généralement ce que leur prédécesseur accorde, j’ai beaucoup obtenu en peu de temps » (Alain Gillot-Pétré).
Les moyens techniques, en l’occurrence l’informatique et la vidéo, sont investis de la croyance qu’ils ont « révolutionné » le traitement télévisuel de la météo et sont partie prenante dans la concurrence entre les chaînes et leurs performances : « Si TF1 a une meilleure image satellite que nous, c’est qu’elle a un contrat d’exclusivité avec Météo France qui coûte cher. Autre exemple : Antenne 2 a refusé de s’abonner au service « Météo des plages » à cause du prix trop élevé : 50 000 francs pour l’été » (Laurent Cabrol). S’attache aussi à ces moyens techniques une croyance en leur toute puissance. À propos de NHK (Japon), Annick Beauchamp explique : « Ça nous fait rêver : douze bulletins météo par jour, l’électronique au service de la météorologie nationale. J’espère que l’on pourra en faire autant ici, à Météo Première ». Cependant, cette primauté donnée à la technique va de pair avec la référence à un savoir-faire né de l’expérience ou lié à des ressources plus personnelles — « le talent » — qui se présente alors comme un autre principe de légitimité permettant de répondre à ceux qui leur contestent une compétence scientifique et technique, voire une qualité professionnelle quelle qu’elle soit. Ce « talent » est incarné par John Coleman (à gauche), créateur du Weather Channel aux États-Unis en 1982, « le meilleur présentateur météorologiste du monde » selon Alain Gillot-Pétré. Celui-ci s’est inspiré de son expérience pour façonner son style, et devenir à son tour celui que les nouveaux venus imitent. La référence aux « trouvailles » de John Coleman (le fond bleu, les animations satellitaires, la fleur à la boutonnière) et le rôle de « biographe de la profession » qu’il se donne sont autant d’indices de la constitution de la présentation météo en pratique spécifique. Par le récit qu’il fait du travail du présentateur américain, après un voyage d’étude, Gillot-Pétré construit en même temps que la mémoire du groupe sa propre position de fondateur d’une météo à la française.
La construction d’une position
Dans les années 1990, la lutte pour une définition de ce que doit être le bulletin météorologique à la télévision se fait plus vive. L’offre de programmes météo s’est accrue et, avec elle, le nombre de professionnels avec des manières de les penser et de les faire qui cherchent à se distinguer les unes des autres. La création du Collège des Présentateurs météo se présente alors comme une tentative de donner une identité à ce groupe naissant en réglementant son entrée et son art. Il souhaite « protéger l’intégrité » de la profession en délivrant un label à ses meilleurs représentants. Le candidat est évalué par un jury, composé de deux présentateurs et de deux météorologistes, « sous le double aspect de la qualité de l’information météorologique et de la qualité de la communication ». [7]
Ce que le Collège appelle la « profession de présentateur météo » est, jusqu’ici, une des moins codifiées dans l’institution télévisuelle. Sa tâche est mal définie : entre information et divertissement ; comme celui qui l’exerce, entre journaliste et saltimbanque. Son accès n’est réglementé par aucune formation ou carte professionnelle. Elle se caractérise plutôt par une grande hétérogénéité des trajectoires des agents et des positions qu’ils occupent dans cet espace professionnel encore en devenir. On semble entrer dans cette « profession » par hasard et souhaiter en sortir rapidement. Elle permet de faire une première expérience de l’antenne pour aller vers des programmes plus valorisés. Elle offre une position d’attente : « Je suis plutôt au creux de la vague en ce moment. Alors mieux vaut être présent cinquante secondes à la télé que chez soi à attendre un coup de fil ! » (Michel Touret). C’est une solution à laquelle on a recours, faute de mieux : « Lorsque, après différentes activités journalistiques — dans la presse communiste, puis à la radio et à la télévision — on m’a demandé en 1987 si je voulais présenter la météo, je n’avais pas tellement le choix. À la suite de la privatisation de TF1 (que j’avais combattue), c’était ça ou rien. En vieille amie, Michèle Cotta m’a fait la proposition, en ajoutant : « Je ferai de toi une star ! » » (Michel Cardoze). Situation stigmatisante que l’on vit sur le mode de la dénégation : « Être à l’antenne quatre jours par semaine à une heure où tout le monde vous regarde, vous trouvez que c’est un placard ? » (Michel Cardoze). On va rechercher dans son parcours professionnel une position plus valorisante pour atténuer la blessure d’amour propre : « J’ai accepté parce que c’était un nouveau défi pour moi. Mais je reste journaliste, et je garde une distance philosophique par rapport à la notoriété nationale qu’offre la météo » (Michel Cardoze).
Jusqu’à la manière de présenter le bulletin météo qui diffère en fonction de la position occupée. Si l’on débute sur une nouvelle chaîne : « Nous sommes souriants, mais sans la truculence des vieux routiers. Il ne faut pas en faire des kilos ! C’est une question de génération » (Véronique Touyé). Si l’on ne jouit pas de la même visibilité que sur une chaîne de plus grande audience : « Notre problème est un problème de minutage. Le bulletin tombe à 20 heures, à la fin du « 19-20 », au moment du générique des journaux sur les autres chaînes, et il dure 2 min 15 s (contre 4 minutes sur A2). On n’a donc pas le temps de faire une info tra-la-la, même si l’on en avait envie ! » (M. Touret). La tension entre les positions se fait plus vive quand émerge un nouveau public, plus jeune et plus urbain, et avec lui une nouvelle conception de la télévision. Canal Plus, avec l’émission Nulle part ailleurs, créée en 1987, opte pour un bulletin de contre-programmation, positionnement caractéristique d’une jeune et petite chaîne dans l’ensemble des programmes télévisuels, soit en le confiant aux invités de l’émission qui improvisent le temps qu’il va faire, soit en adoptant une attitude décalée : « On a demandé à la présentatrice météo de jouer délibérément à la pin-up. Agnès (“Mademoiselle Agnès”) ne prétend pas être une spécialiste. Mais elle n’est ni plus ni moins compétente que les speakers des autres chaînes ! », affirme Philippe Gildas, présentateur de l’émission. Aujourd’hui au Grand journal, Doria Tillier ajoute son nom à la longue liste des Miss Météo, véritables produits d’appel de la chaîne cryptée.
L’opposition entre les tenants, déjà consacrés, de l’exercice météo et les nouveaux venus se focalise sur l’aspect ludique de la présentation alors même que l’aspect « spectacle » était revendiqué contre les ingénieurs de la Météorologie nationale par les professionnels de la télévision, une quinzaine d’années plus tôt. La fraction la plus ancienne des présentateurs météo est passée d’un usage offensif de la conception « météo spectacle » à un usage défensif : « Il y a des limites à ne pas franchir. Pour présenter la météo, il est inutile de se rouler par terre », estime Patrick Tchang de Météo France. Mais c’est un ingénieur, aujourd’hui, qui prend part à la défense du bulletin météo contre la subversion de Canal Plus. En associant météorologistes professionnels et spécialistes de la télévision, le Collège des Présentateurs météo entérine une définition de l’information météorologique qui s’impose à tous, et un état du rapport entre Météo France et la télévision, en faveur de cette dernière.
À la prévision didactique des ingénieurs, les présentateurs issus de la télévision substituent une information météorologique dé-spécialisée, c’est-à-dire moins « hermétique », ainsi moins dépendante du pouvoir de l’institution scientifique, et « plus proche des téléspectateurs », en fait davantage liée aux attentes de ces derniers, que mesurent les sondages. Cette définition de l’information météorologique élargie à la vie quotidienne s’impose parce qu’elle est plus à même de capter une audience toujours croissante, devenue au cours de ces vingt dernières années principe économique et source de légitimité dominants. Plus que jamais, Météo France doit se positionner face à une demande croissante de prévision grand public. Pour preuve, ce constat par l’ingénieur-présentateur, Guy Larivière dès 1982 :
La météorologie est devenue crédible, tant auprès du public que des responsables de l’information sur la chaîne de télévision la plus écoutée (TF1). Cela montre aussi que la concurrence qui se fait jour depuis quelques années entre les chaînes, en ce qui concerne la présentation des informations météorologiques, ne nous permet pas de rester passifs.
Avec l’imposition d’une nouvelle définition de l’information météorologique, c’est le rapport entre Météo-France et la télévision qui se renverse. L’institution scientifique a non seulement abandonné, non sans résistance, la présentation des bulletins à la télévision, mais elle en reconnaît implicitement les critères d’excellence en s’associant aux présentateurs météo les plus populaires dans le cadre du Collège. La compétence accordée aux professionnels de la télévision apparaît comme le produit d’une négociation entre les deux partenaires. La télévision reconnaît la qualité de la source d’information que constitue Météo France, en retour l’institution scientifique admet le savoir-faire des présentateurs météo. En occupant une place dans le Collège des Présentateurs météo, Météo France participe à la « labellisation » des produits du marché météorologique grand public dont l’organisme scientifique est, par ailleurs, le producteur le plus important. L’intensification de la concurrence dans ce secteur est le fait non seulement d’une augmentation du nombre des programmes (émissions thématiques, chaînes en continu, web), mais aussi de l’entrée de nouveaux fournisseurs de services. Le marché de la météo dans les médias (presse, radio, TV) représente environ 5 millions d’euros. Canal Plus depuis sa création fait appel à un organisme privé pour la réalisation de ses cartes. La chaîne privée est doublement hérétique : une présentation « show-biz » et une source d’information concurrente. Quant à Météo France, il vient de perdre en ce début d’année 2014 l’appel d’offres concernant les bulletins météo nationaux des chaînes publiques France 2 et France 3 au profit de la société anglaise Meteogroup, le plus important prestataire privé de services météorologiques en Europe fournissant notamment M6 et W9, qui propose des réalisations vidéographiques équivalentes 30 % moins chères.
La création du Collège des Présentateurs météo en 1999 apparaît comme le produit de l’intérêt partagé des grandes chaînes (TF1, FR2-FR3) et de Météo France à travers la Société météorologique de France dont le Collège fait partie. Plus largement, ces modifications dans la vision de l’information météorologique et du rapport entre les agents concernés ont engendré « une négociation permanente consistant à redéfinir la compétence afin de maintenir la clôture du territoire et d’assurer la reproduction du groupe professionnel ». [8] Les présentateurs météo en sont encore à dessiner la clôture du territoire plutôt que de la maintenir, et à produire le groupe professionnel plutôt que de le reproduire. Le Collège est momentanément le terme d’un processus de construction d’une position que les présentateurs météo occupent, de fait, avant même qu’elle ne soit établie. Depuis 1978, les nouveaux principes de production et de légitimité de l’information météorologique sont élaborés et un mouvement d’autonomisation relative par rapport à l’institution météorologique, engagé. Les compétences sont inversées. Les techniques de communication priment le savoir scientifique sous la contrainte montante de l’audience. Et ce, bien avant l’arrivée des chaînes privées qui ne font qu’accélérer la transformation de l’information météorologique avec le détachement des bulletins des journaux télévisés permettant ainsi leur autonomie et leur construction en émission à part entière, leur parrainage, leur « star », leur score d’audience et les gains financiers qui y sont attachés. La création du Collège a été une étape sur le chemin de la reconnaissance de la profession de présentateur météo et une manière de dénier la dévaluation qui lui était attachée en en faisant une spécialité télévisuelle pleine et entière. Mais son évolution est aussi celle de la télévision contemporaine où animation et information se rejoignent.
NOTES
[1] Roger Clausse et Paul Douchy, Météorologie et télévision, La Météorologie, octobre-décembre 1947, p. 379-380.
[2] Ibidem, p. 382.
[3] Guy Larivière, « Sur les progrès des prévisions météorologiques pour le public », La Météorologie, novembre 1982, p. 50.
[4] Christian Bernadac, rédacteur en chef à TF1, Le Monde, mai 1977.
[5] G. Larivière, op. cit., p. 54.
[6] Extrait d’un communiqué rédigé par un collectif de présentateurs météo, 1992.
[7] Extrait du règlement du Collège des Présentateurs météo, p. 5, janvier 1999.
[8] Denis Ruellan, Les « pro » du journalisme. De l’état au statut, la construction d’un espace professionnel, Rennes, PUR, 1997, p. 153.
LIEN EXTERNE
Pour en savoir plus (émission radiophonique du 11/01/2014 avec Francis James et Évelyne Dhéliat, présentatrice et chef du service météo sur TF1) :
JAMES Francis, « Naissance d’une spécialité télévisuelle : la présentation de la météo – Francis JAMES », Articles [en ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2014, mis en ligne le 1er février 2014. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/naissance-specialite-televisuelle-presentation-meteo/
Enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, spécialiste de l’audiovisuel et notamment de la télévision,
Université Paris Ouest Nanterre La Défense