Cet article sur la culture dite numérique a été écrit d’après une conférence donnée aux Journées « Institutions culturelles et médiations numériques » coorganisées par la BnF et les universités Paris Ouest Nanterre La Défense et Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
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Industries culturelles, culture numérique et parataxe
Quel bénéfice peut-on escompter d’une approche de la culture dite numérique au travers du filtre des industries culturelles ? Comment le champ interdisciplinaire de recherche sur les industries culturelles, par son invite au retour à une analyse critique plus radicale de l’industrialisation et de la marchandisation de la culture, pourrait-il nous donner des clefs pour comprendre et analyser les nouvelles pratiques numériques et les nouveaux dispositifs d’accès à l’information ? A fortiori, ce champ interdisciplinaire serait-il en capacité de proposer des repères théoriques pour appréhender les enjeux et les usages de la numérisation ?
Dans mon dernier ouvrage [1] consacré à l’actualité des questions posées dans ce champ, notamment par l’un de ses précurseurs, T. W. Adorno, je pense avoir levé les objections qui collent à la théorie critique des industries culturelles. L’objection commune, la réduisant à une déploration périmée et passéiste, concerne son impuissance à comprendre l’évolution des processus culturels et médiatiques.
Adorno et les industries culturelles par mhiver1
Or, le premier chapitre de mon livre : « La Forme parataxique adornienne et la navigation hypermédia » remet d’emblée en cause ce faux procès, en ouvrant une piste pour donner un corps théorique à ces nouvelles pratiques de recherche d’information et de communication recouvertes justement par l’appellation un peu rapide de navigation hypermédia.
J’ai donc expérimenté une lecture hypermédia de La Dialectique de la raison [2], écrite par T. W. Adorno et Max Horkheimer, autour du texte fondateur où apparaît pour la première fois le concept de Kulturindustrie, traduit en français par industrie culturelle.
J’ai montré que cette constellation de fragments, refusant — dans sa composition même — l’esprit de système, répond toutefois à une double exigence de cohérence, au travers d’une organisation générale de l’ensemble mais aussi d’un jeu de correspondances et de cohérence locale. Les raccords entre les essais sont autant de coupures micrologiques qui s’affichent en tant que telles. Cette dialectique de la syntaxe et de la parataxe m’a permis de poser, entre autres, le rapport au temps dans la navigation hypermédia.
Fort de ce précédent,le dangereux récidiviste que je suis propose donc de réitérer cette expérimentation en pensée sur les usages et les pratiques qui nous réunissent aujourd’hui. Les professionnels de la culture ne se lassent pas de renouveler les segmentations marketing et leurs stratégies de communication nourries par les nouveaux outils techniques qui, d’après eux, induiraient mécaniquement de nouveaux usages. Ces professionnels n’ouvrent-ils pas déjà la voie à un marché de la vie privée au travers de la notion de profil, voire même à une marchandisation du lien social ?
Quelques repères sur le concept d’industrie culturelle
Il importe, avant d’approcher les cultures dites numériques sous l’angle de la théorie critique des industries culturelles, d’en baliser les questions.
Première thèse : Publicité et distinction entre libre et gratuit
Si la publicité est ce média idéologique [3], qui est devenu de surcroît le modèle des industries culturelles, son élixir de vie [4], comme l’analysaient déjà Adorno et Horkheimer dans La Dialectique de la raison, alors il s’agit de recadrer les présupposés idéologiques de l’industrialisation de l’information et des nouvelles pratiques dites numériques. En effet, le modèle économique de la gratuité existe depuis longtemps à la télévision, pour les chaînes privées et pour partie dans les chaînes publiques, en phase d’ailleurs avec l’univers du Print pour les journaux gratuits distribués, matin et soir, dans le métro. Et ce modèle devient peu à peu dominant dans l’univers de la culture numérique, de Google à Facebook.
Ce modèle économique se double aussi d’une prescription esthétique puisque « la publicité devient l’art par excellence » [5]. Mais, pour éviter toute confusion, la notion de gratuité doit être distinguée d’une tradition universitaire de recherche liée à la création d’Internet d’où est issu l’univers du libre. Linux et les logiciels open source ne sont pas à mettre sur le même plan que les produits et services culturels payés directement ou sponsorisés par la publicité (la colonne de droite sur Google), indirectement sur Facebook, voire même sur Wikipédia. Les conséquences pour l’accès à l’information s’en trouvent instrumentalisées. Ainsi, le croisement en terme de référencement entre Google et Wikipédia pollue totalement la recherche d’information sur le Net pour bon nombre d’étudiants. En effet, l’usage des internautes ne prend souvent en compte que la première page délivrée par le moteur de recherche et, parfois, ne s’attache qu’aux quatre ou cinq premiers résultats en tête de cette première page. Par exemple, si l’on saisit « industrie culturelle » ou « industries culturelles » sur Google, le premier résultat est l’article « industrie culturelle » de Wikipédia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Industrie_culturelle
À propos de cet article Wikipédia : « industrie culturelle » et pour faire preuve, sinon d’un empirisme des produits, des services et de leur réception, du moins de ce qu’on pourrait appeler, pour éviter toute confusion avec un paradigme philosophique qui n’est pas le mien, d’une empiricité, j’ai dû batailler pendant trois mois pour faire un ajout dans le chapô réducteur, purement « économie de la culture », qui déterminait la lecture du reste de l’article : « En économie, le concept d’industrie culturelle désigne l’ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l’essentiel de la valeur tient dans leur contenu symbolique : livre, musique, cinéma, télévision, radio, jeux vidéo, tourisme de masse. ».
J’ai réussi à imposer un deuxième paragraphe dans ce chapô pour rappeler l’historique de la notion, l’ouverture d’un champ interdisciplinaire et pas seulement économique : « En philosophie (esthétique) et en sociologie de la culture d’abord, puis en sciences de l’information et de la communication, la notion d’industrie culturelle, première traduction en français de l’expression allemande Kulturindustrie (T. W. Adorno et Max Horkheimer), a une dimension critique et a ouvert un champ interdisciplinaire où sont interrogées la vision et l’instrumentalisation de la culture populaire — industrialisée — des médias et des grands groupes de communication. ».
J’ai enfin trouvé le nom, et surtout la qualité de l’initiateur de l’article, après avoir longuement débattu sous le pseudo de marc92 contre des seconds couteaux de type apprentis jedis (padawan) dans l’onglet « afficher l’historique » de l’article « industrie culturelle » :
http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Industrie_culturelle&action=history
Cet initiateur de l’article « industrie culturelle » était un certain Bokken (pseudo se référant au nom d’un sabre du type utilisé dans Kill Bill, le film de Quentin Tarentino), haut gradé équivalent à Jedi dans la hiérarchie Wikipédia. Un tel statut permet d’insérer de nouveaux articles et surtout de les surveiller. Dans sa fiche Wikipédia personnelle, Bokken se déclare étudiant en dernière année dans une école de commerce. Pour ce maître jedi, l’expression « industrie culturelle » renvoie — au mieux — à l’historique de ce secteur culturel et des médias dans la discipline des sciences économiques. En effet, ce secteur jouit d’une reconnaissance institutionnelle assez récente, dans la mesure où il a commencé à générer richesses et emplois quand le capitalisme a transformé ses propres agents de production en consommateurs, notamment de biens culturels et de services de loisirs.
Ce faisant, j’ai aussi découvert, au travers des résistances rencontrées — voire des insultes (par les petites mains de Wikipédia, il est vrai) à l’encontre de mon statut universitaire —, la revendication de cette hiérarchie, déguisée sous couvert de pseudos facétieux, d’appartenir à une cyberculture qui se définit elle-même comme une contre-culture. On retrouve là un autre grand thème instrumentalisé par les nouveaux industriels de la culture numérique qui, tout en devenant — de fait — les acteurs d’un nouveau capitalisme, tiennent à inscrire leur appartenance rock and roll et rebelle en opposition avec la culture institutionnelle des clercs et des savants. Or, ne sommes-nous pas réunis aujourd’hui pour participer à une des journées « Institutions culturelles et médiations numériques », coorganisées et accueillies par cette grande institution qu’est la BnF ?
Cyberculture et contre-culture
Pour comprendre le lien entre cyberculture et contre-culture et leur charge critique sur les institutions, il convient de rappeler leur filiation, après la Deuxième Guerre Mondiale, avec des courants de pensée qui se sont fondés en réaction à la conséquence désastreuse de la crise de la culture savante. Mais dans le même temps, des penseurs critiques plus institutionnels, comme Adorno et Horkheimer, s’attelaient bien avant eux à une réflexion sur cette double crise. « La crise de l’humanité européenne et la philosophie », conférence prononcée par Edmond Husserl le 7 mai 1935 au Kulturbund de Vienne, en est une autre manifestation à l’instar du Malaise dans la civilisation de Freud, dont le titre allemand est on ne peut plus explicite : Das Unbehhagen in der Kultur (Vienne, 1929).
Mais après la Deuxième Guerre Mondiale et la faillite de la Raison[6] à Auschwitz, certains ne croient plus au rachat de cette vieille tradition des Lumières où, sous couvert d’un progrès annoncé, une forme de rationalité a fait bon ménage avec le totalitarisme, tous les totalitarismes. Comme le dénonçait, mais par antiphrase, l’Administrateur, Mustapha Menier, du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, l’ancienne culture s’est faite complice d’un état de guerre qu’il faut éradiquer : « Parce que notre monde n’est pas le même que celui d’Othello. On ne peut pas faire de tacots sans acier, et l’on ne peut pas faire de tragédies sans instabilité sociale. […] Il faut choisir entre le bonheur et ce qu’on appelait autrefois le grand art. Nous avons sacrifié le grand art. Nous avons à la place les films sentants et l’orgue à parfums. » [7].
Google, la machine à penser
Dans un documentaire de Gilles Cayatte : Google, la machine à penser, produit par Dream Way Productions avec la collaboration de France 5 en 2007 et diffusé sur la chaîne LCP de l’Assemblée nationale, le paradoxe entre la référence à une contre-culture et ce qu’il faut bien appeler le modèle économique du nouveau capitalisme est patent.
Ainsi, dans ce documentaire, Marissa Mayer, vice-présidente « recherche et expérience utilisateur » de Google, rappelle d’abord la mission qui a présidé chez ces deux créateurs, Sergey Brin et Larry Page, issus de Stanford : « Google est le plus populaire des moteurs de recherches. Notre mission est d’organiser toutes les informations et de les rendre universellement accessibles. ».
Puis la vice-présidente scande quelques fondamentaux qui n’ont plus rien d’utopique : « Le moteur de recherche et la publicité sont le cœur de notre métier. Nous devons donc nous assurer que ce cœur fonctionne bien et c’est pourquoi nous y allouons la majorité de notre personnel technique ».
Entre son utopie d’entreprise et ses réalités financières, il est rappelé que Google, en 2007, date de réalisation du documentaire, c’est 10 milliards de chiffre d’affaires, 3 milliards de bénéfice et 165 milliards de valeurs en bourse. Google, à rebours du 1984 d’Orwell, ne supprime pas les mots au regard de sa novlangue, mais les vend, ces mots, aux annonceurs qui les achètent pour les réserver. Et tous les mots de toutes les langues — Google assure une présence dans tous les pays — sont à vendre. La Kulturindustrie, cette industrialisation de la culture, s’attaque désormais au cœur même de la culture : ses mots pour se dire.
Notons toujours le grand écart du nouveau capitalisme entre les grands idéaux de départ de jeunes gens en jeans et casquettes et la réalité économique qu’ils assument. Ce sens des réalités s’accommode même de pratiques politiques de recul (Google toujours) face au régime chinois. Mais finalement, le régime chinois dictatorial repose lui aussi sur un cocktail détonnant : un modèle économique capitaliste et un modèle politique communiste. Dans les deux cas, version soft ou version hard, on rencontre un projet idéologique, qui implique une tension, et même une contradiction, entre le projet et la logistique mise en place pour le réaliser.
Toujours dans le documentaire, Michael Malone, du Wall Street Journal, souligne d’ailleurs ce paradoxe : « Il y a un paradoxe évident avec Google. Le service est gratuit, le nom est sympa, c’est plein de jeunes [moins de trente ans en général], le décor est branché, il y a des “baballes” en plastique et des tables de billard. Google est synonyme “d’éclate”, de contre-culture et plus encore… Mais en fait, quand vous lisez les journaux, le Google que vous découvrez n’est pas le Google de votre imagination. Ce Google-là est énorme, il domine tous les secteurs qu’il a pénétrés. Il est en train d’avaler l’ensemble du monde de la publicité morceau par morceau. Il a cédé aux Chinois sur la censure. Il ressemble à un énorme prédateur et en même temps, dans votre esprit, c’est Google ! ».
Comme le font souvent les contre-cultures dans la fausse naïveté qui les unit à leur modèle économique, les contradictions sont écartées de façon pudique et apolitique par la Vice-présidente de Google : « Google a posé son empreinte sur le monde et nous en sommes très conscients. Cela a accru notre sens des responsabilités et les dilemmes éthiques qui se posent à nous. Les googlers sont très impliqués, c’est débattu de façon très ouverte : notre décision d’aller en Chine, les problèmes autour des droits d’auteurs, ce sont des sujets que nous débattons en interne. Nous nous rendons compte que des gens raisonnables peuvent ne pas être d’accord entre eux. Pour la Chine, nous reconnaissons que la censure est un véritable inconvénient, mais nous fournissons un service à plus d’un milliard de personnes qui n’auraient pas d’autres outils pour chercher de l’information s’ils n’avaient pas Google. Et si nous sommes évidemment obligés de coopérer avec les lois locales pour offrir ce service, l’avantage d’avoir Google pour ce milliard de personnes supplante ces inconvénients, aujourd’hui [2007] tout du moins. ».
La contre-culture et l’émergence d’un style de vie
Dans le chapitre de son livre Le Rock, star-system et société de consommation [8] intitulé : « La contre-culture et l’émergence de “style de vie” », David Buxton démonte politiquement, économiquement et esthétiquement, dans son domaine d’application, ce paradoxe entre l’absence d’une conscience politique, et l’idéal d’une nouvelle société fondée sur les valeurs de la jeunesse et de sa pseudo-rébellion.
Ainsi, le refus par cette jeunesse de la consommation de masse de ses parents et le rejet affiché des médias de masse comme la télévision se réduisent en l’émergence d’une nouvelle « conscience de consommateur » plus discriminante, d’une segmentation du marché de la culture populaire à venir. Et cette supra classe de la jeunesse (pourtant éphémère et toujours renouvelée) adhère à cette croyance en une fin des classes sociales de type marxiste, pour lui substituer un idéal de réconciliation générationnelle.
La culture rock joue donc un rôle stratégique dans l’introduction et l’élaboration de certaines idéologies sociales. David Buxton insistait déjà, dans le cadre de la mutation du capitalisme, sur la distinction entre consommation passive, celle des parents et de son média privilégié, la télévision, et la consommation active, liée aux pratiques de réception de la musique rock comme véhicule justement de cette conception nouvelle de la consommation : « Le rock devenait alors symbolique des besoins sous leur forme pure et libidinale par rapport aux faux besoins de la société de consommation. On a caractérisé celle-ci comme une agglomération de moutons, au cerveau lavé par un médium docile en soi : la télévision. L’opposition entre le rock et la télévision fut investie des oppositions entre la consommation active et la consommation passive aussi bien que de celles entre les vrais besoins et les faux besoins… » [9].
Et David Buxton de souligner tout ce que ce courant de pensée doit à Marshall McLuhan et son Pour comprendre les médias [10] : « La contre-culture a tiré des conclusions plus nuancées de l’analyse de McLuhan. Les positions de la contre-culture ont oscillé entre le déterminisme technologique (« les médias sont en train de changer le monde pour le mieux ») et une approche volontariste (« si les médias conditionnent la conscience, il faut travailler dans les médias »). Dans l’une et l’autre approche, les médias occupaient un lieu central dans la société. » [11].
Actif/passif, le vieux débat sur l’interactivité est déjà là, qui pollue souvent l’histoire des médias et des technologies de l’information et de la communication, comme il en refoule une contextualisation politique. Bien sûr, il faut rappeler que la théorie critique sur les industries culturelles articule en priorité la recherche dans son champ interdisciplinaire avec les nouvelles formes de culture populaire. Bref, pour ce qui nous concerne ici, ne faut-il pas distinguer les usages grand public de ceux de l’information spécialisée ?
L’enseignant-chercheur en sciences humaines et sociales constate souvent que la frontière s’estompe entre les approches et les précautions méthodologiques préconisées par lui et les usages grand public de ses étudiants. Ces étudiants, nouveaux usagers des institutions culturelles, de plus en plus inféodés à leurs propres contre-cultures spontanées, assimilent, par exemple, copier/coller Wikipédia et dossier universitaire. C’est pourquoi toutes les institutions représentées dans notre journée d’étude ne peuvent simplement défendre le pré carré d’une information spécialisée qui pourrait s’exonérer de cette nouvelle donne et de ces pratiques culturelles. Mais dans le même temps, cela ne veut pas dire se livrer pieds et poings liés aux modes idéologiques qui accompagnent les nouveautés techniques.
Dans un autre domaine, Pierre Mœglin, à propos du satellite éducatif [12], a montré comment les promoteurs de satellites de deuxième génération avaient mis à profit l’irresponsabilité politique et financière des milieux de l’éducation pour amorcer la transformation de leur innovation en un média. Son étude éclaire l’analyse et la compréhension des mécanismes et logiques sociales présidant à la naissance et au développement des médias en général.
Distinguer le Web 2.0 par une interactivité enfin réalisée d’un vieux web 1 passif qu’on nous avait pourtant vendu, lui aussi, en son temps, pour interactif, devrait, sinon alerter, du moins sensibiliser les thuriféraires du déterminisme technologique. En 1984 (cela ne s’invente pas), l’arrivée du Mackintosh d’Apple, qui reprenait la notion de « bureau électronique » élaborée par Rank Xerox, n’annonçait-elle pas, grâce à sa nouvelle interface graphique (icônes, multifenêtrage, et son pilotage par la souris), l’ère interactive enfin démocratisée de la gestion et la valorisation des informations ?
L’apport de la théorie critique des industries culturelles à la défense scientifique des institutions culturelles et éducatives confrontées aux cultures numériques
En résumé, les points forts du filtre « industrie culturelle » pour appréhender les cultures numériques sont :
1. La thèse de la publicité comme modèle économique et esthétique des industries culturelles.
2. Le rappel de la greffe, sur cet invariant publicitaire, du nouveau modèle économique reposant sur une segmentation du marché culturel et se distinguant d’un modèle relevant d’une massification indifférenciée. Dans sa drague publicitaire, ce nouveau modèle poursuit la voie d’une industrialisation croissante de l’humain : ouverture d’un marché de la vie privée (Facebook) autour de la notion de profil
3. L’hypothèse à interroger — dans le cadre de cet approfondissement de la logique du capitalisme — d’une extension du marché de la vie privée à la marchandisation du lien social dans les réseaux sociaux.
4. Le double langage pseudo-libertaire et hégémonique que nous avons pointé dans l’exemple de l’alliance objective entre Google et Wikipédia. Ce paradoxe interpelle toutes les institutions, liées à l’information et à la formation, confrontées aux problèmes inhérents à l’industrialisation de la formation et de la recherche.
5. Interroger les notions « serpent de mer », comme celles d’interactivité (nouvel avatar du rapport actif/passif) et de participatif, dans leur dimension idéologique qui s’incarne dans le déterminisme technologique toujours en vigueur.
6. S’armer pour un rapport de force entre les institutions culturelles et l’idéologie des contre-cultures autour de l’enjeu numérique. Le déterminisme technologique, s’alliant à une sensibilité éthique, cherche d’une manière démagogique à occuper tout le terrain de la recherche sur ces nouveaux objets d’étude.
7. En conclusion, le champ des industries culturelles nous invite à un travail de mémoire, à la défense et l’illustration de l’importance du retour à une dimension critique et historique dans la recherche. Cette dimension critique n’est-elle pas refusée objectivement par Wikipédia — et c’est pour moi un cas d’école — au nom de la neutralité de sa charte et du recours imposé dans les articles aux seules sources secondaires ?
[1] Marc Hiver, Adorno et les industries culturelles, communication musiques et cinéma, Paris, L’Harmattan, collection « communication et civilisation », 2010.
[2] T. W. Adorno, M. Horkheimer, La Dialectique de la raison, Paris, Gallimard, « Tel » (traduction française Éliane Kaufholz), 1974.
[3] Ibid, p. 171.
[4] Ibid, p. 170.
[5] Ibid, p. 171.
[6] À comprendre comme Aufklärung ou philosophie des Lumières.
[7] Aldous Huxley, Le meilleur des Mondes, Paris, Plon, « Pocket », 1977, p. 244.
[8] David Buxton, Le Rock, star-system et société de consommation, Grenoble, éditions La Pensée Sauvage, 1985.
[9] Ibid, p. 116.
[10] Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, Paris, Seuil, collection « Points », 1968.
[11] David Buxton, Le Rock, star-system et société de consommation, op. cit., p. 119.
[12] Pierre Mœglin, Le Satellite éducatif, média et expérimentation, CNET, collection « Réseaux », 1994.
Lire d’autres articles de Marc Hiver
HIVER Marc, « Les cultures numériques au risque de la théorie critique des industries culturelles », Articles [En ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2012, mis en ligne le 19 décembre 2012. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/les-cultures-numeriques-au-risque-de-la-theorie-critique-des-industries-culturelles-marc-hiver/
Philosophe, spécialiste des sciences de l’information et de la communication, d’Adorno et des industries culturelles
Dernier livre : « Adorno et les industries culturelles – communication, musique et cinéma »,
L’Harmattan, collection « communication et civilisation »