La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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Dernière mode sur YouTube : des vidéos des achats courants
Les vidéos grocery haul (résultat des courses au sens propre) sont apparues pour la première fois sur les chaînes américaines de YouTube vers 2008. Pendant longtemps, elles sont restées confidentielles, atteignant tout au plus quelques dizaines de milliers de vues. Mais depuis quelques années, les chiffres pour les plus populaires d’entre elles peuvent monter à 1,3 millions de vues. Rien qu’en janvier 2017, près de 200 000 vidéos grocery haul anglophones ont été publiées, et depuis février 2016, près de trois millions. Le genre, dérivé des chaînes de télévision lifestyle, semble même en train de dépasser celui, voisin, de la beauté, de la mode et de la décoration (voir Actualités #2, oct. 2012), ainsi que les vidéos de déballage (Actualités #37, déc. 2015). Le phénomène inspire depuis peu des youtubeurs en France, qui constatent que les vidéos grocery haul attirent deux fois plus de visites que les vidéos de mode et de beauté.
Les courses familiales classiques, qui ont fait le bonheur des premières adeptes, ne sont plus les seules à plaire. On assiste ces dernières années à une spécialisation des grocery hauls, qui ciblent désormais des fans de musculation cherchant un régime, des intolérants au gluten, des mangeurs bio, des végans, des végétaliens et même des accros au junk food.
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Source : « Sur YouTube, le grand déballage des courses du supermarché » (Perrine Signoret), Le Monde, 23 févr. 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Tant de banalité, caricaturale comme un sketch des Monty Python parodiant des boring people. On pourrait ironiser à bon escient sur une manifestation de plus du narcissisme aigu qui caractérise l’époque. Mais ce serait oublier que des millions de personnes y trouvent un intérêt.
Comme le démontre l’historien américain Stuart Ewen dans son ouvrage classique [1], la venue de la consommation de masse (aux États-Unis, à partir des années 1940) s’accompagnait d’une culture dédiée, fortement appuyée sur les industries culturelles (d’abord les stars de cinéma, puis de la musique), propagée par l’industrie publicitaire naissante avec tous les moyens à sa disposition. Un des ressorts de cette culture, c’est l’idée de la consommation comme vecteur d’intégration sociale, qu’il y existe un comportement correct, et normatif [2]. Les vidéos des courses de supermarché constituent un prolongement « démocratisé » de ce conformisme, adapté à de nouveaux styles de vie et modes de consommation, devenus identitaires et hyper fétichisés. Le conformisme en la matière, pléthorique mais différencié, passe par la présentation personnalisée de marques bien choisies, aussi « saines » (?) que leurs exposant(e)s. Les fruits et les légumes primeurs brillent logiquement par leur absence.
Une autre piste est la distinction faite par Marx entre la subsomption formelle au capital (où le rapport marchand intervient après coup, une fois fabriqué, artisanalement, le produit), et la subsomption réelle (où le rapport marchand intervient bien en amont, dès la conception du produit) [3]. Il faut voir la dernière comme un processus continu dans l’évolution du capitalisme, comme un approfondissement de celui-ci. Le temps « libre » est de plus en plus consacré au « travail » de la consommation, commencé lui aussi en amont [4]. Dans ce cas précis, s’informer volontairement sur les marques promues par d’autres, et s’en inspirer se présentent comme un divertissement. Tendanciellement, il n’y a plus de vie en dehors du marché.
[1] Stuart Ewen, Captains of Consciousness (1976), traduction française, Consciences sous influence, Aubier-Montaigne, 1983. Voir un résumé dans la web-revue. Une nouvelle édition, sous le titre plus que discutable de La Société d’indécence, est parue en 2014 chez un petit éditeur dans l’orbite de l’extrême droite, Le Retour aux sources. La préface de Lucien Cerise, militant « anti-système » et proche du mouvement d’Alain Soral, est donc à manier avec des pincettes. Précisons que cette appropriation du livre d’Ewen est un contre-sens total.
[2] Les deux autres ressorts, selon Ewen, étant l’idée de la consommation comme forme de libération individualiste des contraintes puritaines, et la consommation comme marqueur de la jeunesse, et de la vie « moderne ».
[3] Karl Marx, http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/capital_chapitre_inedit/capital_chapitre_VI_inedit.pdf/ La discussion de ces concepts importants (notez que cette version traduit « subsomption » par « soumission ») commence à partir de page 78.
[4] David Buxton, « Activement soumis : réseaux sociaux et capitalisme », in François Cusset, Thierry Labica, Véronique Rauline (dirs), Imaginaires du néolibéralisme, La Dispute, 2016, pp. 155-69. Pour une bonne vue d’ensemble du débat anglo-saxon sur le « travail digital », et sur la marchandisation de l’audience, voir Christian Fuchs, « Dallas Smythe Today – The Audience Commodity, the Digital Labour Debate, Marxist Political Economy and Critical Theory. Prolegomena to a Digital Labour Theory of Value », Triple C. Cognition, Communication, Cooperation, 10(2), 2012, pp. 692-740, article disponible en ligne, http://www.triple-c.at/index.php/tripleC/article/view/443
Disney réduit sensiblement le nombre de créateurs dans sa division Maker Studios
Disney revoit ses ambitions à la baisse sur YouTube (Google). Maker Studios, une division de Disney, a annoncé le 23 février qu’il allait réduire sensiblement son activité sur YouTube, passant de plus de 55 000 créateurs sous contrat à quelques centaines. Dans le même temps, 80 emplois seront également supprimés. « Nous sommes devenus trop grands pour notre modèle initial. Nous allons désormais privilégier une approche plus ciblée avec nos créateurs », expliquent les directeurs de Maker. Selon le Wall Street Journal, l’objectif serait de sélectionner environ 300 youtubeurs disposant d’une vaste audience, et correspondant aux valeurs morales de Disney.
L’annonce intervient quelques jours après la rupture du contrat liant Maker à PewDiePie (de son vrai nom Felix Kjellberg, un jeune Suédois), le youtubeur le plus suivi du monde avec 54 millions d’abonnés. PewDiePie a été rattrapé par plusieurs vidéos controversées, dont une faisant figurer deux personnes qui dansent en tenant un panneau avec l’inscription « mort aux juifs ». Esprit fun déplacé, ignare et insensible ? Des vidéos en tout cas assez puériles (voir ci-dessous), en phase avec l’univers mental des gamers.
Fondé en 2009 à Culver City (banlieue de Los Angeles), Maker Studios est un réseau, ou agrégateur de chaînes YouTube (multi-channel network ou MCN), qui fonctionne un peu à la manière d’une maison de disques. La société déniche de nouveaux talents sur Internet, puis les aide à produire des vidéos de qualité professionnelle, à se faire mieux connaître, et à monétiser leur audience, soit par de la publicité, ou par des partenariats avec des marques. En contrepartie, elle récupère environ 30% des revenus dégagés. En mars 2014, Maker est racheté par Disney pour 500 millions de dollars, avec en option 450 millions de dollars de bonus si l’entreprise atteignait différents objectifs.
À l’époque, les MCN avaient le vent en poupe. En 2013, le studio d’animation Dreamworks (Spielberg) a racheté le réseau Awesomeness TV pour un montant entre 33 et 117 millions de dollars (les sources varient) ; le groupe luxembourgeois RTL a acquis 51% du capital de BroadbandTV pour 36 millions ; TF1 a investi 25 millions d’euros en échange de 6% du capital de Studio71, filiale de l’allemand ProSiebenSat.1 ; enfin en 2014, le géant américain des télécommunications AT & T a pris une participation majoritaire dans Fullscreen.
Tous ont dû déchanter. Bien que l’audience de Maker ait progressé de 4 milliards en 2014 à 10 milliards aujourd’hui, celui-ci continue de perdre de l’argent, selon le Wall Street Journal. En plus, il est en retard sur la feuille de route fixée par Disney, qui n’a finalement versé que 175 des 450 millions de dollars de bonus prévus. Disney mise désormais sur une nouvelle stratégie, intégrant Maker dans sa division chargée des produits dérivés et des médias interactifs. Les youtubeurs restant sous contrat seront invités, entre autres choses, à contribuer à la promotion d’un film Disney avant sa sortie. Bref, Maker a perdu son indépendance.
La vaste majorité des 55 000 créateurs sous contrat ne généraient qu’une faible audience. Selon le Hollywood Reporter, le chiffre d’affaires de Maker était de 370 millions de dollars en 2016, dont 300 millions grâce aux publicités affichées sur YouTube. Mais les marges y sont très faibles. La plate-forme de Google conserve 45% des recettes, et Maker récupère moins du tiers des 55% restants. Comme ses rivaux, Maker s’est lancé dans la production de vidéos pour des partenaires, sans que cela ait un impact sur les recettes. Le problème de fond pour les MCN, c’est de pouvoir réduire leur dépendance de YouTube, mais comment ?
Source : « Disney réduit ses ambitions sur YouTube » (Jérôme Marin), Le Monde, 26-27 févr. 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Facebook veut concurrencer YouTube
Le 23 février, Facebook a annoncé l’arrivée de coupures publicitaires dans ses vidéos. Les créateurs conserveront 55% des recettes publicitaires, soit le même partage que celui proposé par la filiale de Google. Se rapprochant de la barre de deux milliards d’utilisateurs, Facebook bénéficie d’un avantage de taille : son aspect social devrait permettre à des vidéos de rapidement devenir virales, et d’accumuler un nombre très élevé de visionnages. Pour Mark Zuckerberg, la vidéo est une priorité ; il y voit « une méga tendance du même ordre [d’importance] que le mobile ».
Source : ibid.
Au Royaume-Uni, Google et Bing (Microsoft) ont signé un accord visant à lutter contre les contenus piratés
Après des années de désaccords et de négociations tendues, Google et Bing ont signé un accord le 20 février visant à mieux contrôler les sites au Royaume-Uni qui publient des contenus piratés. Les deux moteurs de recherche se sont engagés à suivre à partir du 1er juin un « code de conduite volontaire » ayant pour objectif de rendre moins visibles les sites contenant des contenus piratés (en particulier, de ne pas afficher ceux-ci sur la première page d’une recherche).
L’accord est conclu avec trois groupes représentant l’industrie de la création au Royaume-Uni : la British Phonographic Society (BPI) pour la musique ; la Motion Picture Association (MPA) pour le cinéma ; l’Alliance pour la propriété intellectuelle (AIP), qui chapeaute plusieurs secteurs (jeux vidéo, droits du football, édition, design). Voilà deux ans et demi que l’industrie de la création demande aux moteurs de recherche d’agir. Il a fallu l’intervention du secrétaire d’État aux universités et à la science, Jo Johnson, qui a menacé les moteurs de recherche de recourir à la loi s’ils n’obtempéraient pas.
Depuis 2011, l’industrie de la création au Royaume-Uni a signalé 450 millions d’adresses Internet suspectes à Google et à Bing, qui ont dû chaque fois rétrograder le lien. Mais il suffit au site de changer très légèrement d’adresse pour réapparaître dans les résultats des recherches. Le nouveau code de conduite vise les sites qui sont entièrement consacrés aux contenus illégaux.
« Nous visons les gens qui ne cherchent pas de contenus illégaux et font une recherche neutre, par exemple sur un artiste », dit Eddy Leviten, directeur de l’AIP, avec une naïveté certaine. Actuellement, ils peuvent tomber sur un site avec du contenu illégal sans le vouloir. Nous souhaitons que les moteurs de recherche rendent ces sites moins visibles, en les repoussant plus loin dans la recherche des résultats ».
Le problème du piratage est devenu moins aigu ces dernières années ; dans le cas de la musique, il a baissé de moitié depuis 2008, selon Bruno Crolot, directeur de Spotify France et Benelux. L’offre légale s’est sensiblement étoffée, avec les sites de streaming musical, et des plateformes de vidéos à la demande. Néanmoins, selon l’Intellectual Property Office, le problème est loin d’avoir disparu : 6,7 millions de personnes accèdent chaque année à des contenus illégaux, soit environ 15% des utilisateurs d’Internet en Grande-Bretagne. Entre les trois mois de mars et mai 2016, 24 millions de films, 27 millions de programmes de télévision et 78 millions de chansons ont été téléchargés, visionnés et écoutés illégalement. Face à cela, l’industrie de la création ne se fait pas d’illusions sur l’efficacité du nouveau code de conduite, d’autant que Google ne semble y mettre qu’un enthousiasme très modéré, soulignant que le code n’apporte aucun changement dans sa lutte contre la piraterie.
Le nouveau code n’est qu’une partie d’un arsenal plus large. L’industrie de la création cherche à sensibiliser (ou plutôt à culpabiliser) le grand public avec la campagne « Get it right » (« il a fallu six ans au réalisateur Damien Chazelle pour mener à bien La La Land »). Elle négocie avec les grandes marques pour que leurs publicités n’apparaissent pas sur les sites illégaux. Finalement, elle mène des actions en justice pour bloquer des sites, processus lent et coûteux.
Selon une étude du cabinet EY pour Les Échos (23 février), la consommation illégale de films et de musique en France s’est soldée par un manque à gagner de 1,4 milliard d’euros en 2016, soit 15% du marché légal. (Ces chiffres sont sujets à caution, car ils présupposent que la consommation illégale est forcément au détriment de la consommation légale). Le nombre d’internautes pirates est estimé à 13 millions en France (chiffre aussi sujet à caution).
Source : « Bing et Google s’engagent contre le piratage » (Éric Albert), Le Monde, 24 févr. 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Les artistes ne profitent pas de l’essor du streaming (suite)
Après quinze ans, l’industrie musicale sort de son marasme, grâce à l’essor du streaming, qui représente aujourd’hui un tiers du chiffre d’affaires de la musique en France : 182,6 millions d’euros (+19,5% par rapport à 2015) sur un total de 569,5 millions d’euros (+5,4%), selon les chiffres de la Société nationale de l’édition phonographique (SNEP). Avec 3,9 millions d’abonnés (+ 250% par rapport à 2013), le streaming devient un mode de consommation de plus en plus populaire, et le nombre de titres « streamés » a dépassé les 28 milliards en 2016 (+55% par rapport à 2015). Si les 15-29 ans prédominent, les plus de 50 ans représentent 25% des utilisateurs.
Mais la rémunération des artistes pour les titres écoutés en streaming ne leur permet pas, sauf exception, de vivre convenablement. Les revenus tirés de YouTube, par exemple, sont notoirement misérables. Le compositeur italien Lorenzo Ferrero, président du Conseil international des auteurs de musique, milite pour la mise en place d’un label de « musique équitable », afin que tous les intervenants de la chaîne de valeur puissent avoir une rémunération juste.
Quelques exemples suffisent pour prendre la mesure du déclassement des artistes. Eddie Schwartz, qui a écrit de nombreux tubes pour Pat Benatar, Donna Summer ou Joe Cocker, explique que « là où je gagnais 45000 dollars par an avec un disque vendu à un million d’exemplaires, je ne touche plus que 35 dollars pour un titre « streamé » par un million d’internautes. Juste de quoi acheter une pizza ». Pour la pizza, il exagère… Geoff Barrow (Portishead) a fait savoir sur Twitter en 2014 que pour 34 millions d’écoutes en ligne, il n’a touché que 1700 livres (2370 euros). En France, le chanteur Joseph d’Anvers constate : « Les droits sur un CD vendu oscillent entre 80 centimes et 1 euro, là où un stream rapporte 0,001 euro ». Il compare les plate-formes d’abonnements à « un grand supermarché dans lequel les clients paieraient 10 euros à l’entrée, et pourraient remplir leur caddie ». Il redoute à terme « qu’il n’y ait plus que de la musique amateur ».
Le principal accusé reste YouTube. « Les conditions de négociation ne sont pas équitables puisque cette filiale de Google se considère comme un hébergeur, et non pas un éditeur de musique », affirme Guillaume Leblanc, directeur général du SNEP depuis 2013, ancien de l’IEP Toulouse, et de l’université Paris Dauphine (master en communication). D’après le patron d’Apple Music, Jimmy Iovine, « YouTube génère 40% de la consommation planétaire de la musique, mais seulement 4% des revenus, tandis que Spotify représente 7% des consommateurs, pour 24% des revenus ». À l’échelle française, YouTube a rémunéré à hauteur de 12 millions d’euros la musique en 2016, alors que Deezer, Spotify, Apple Music et dans une moindre mesure Tidal et Qobuz ont apporté 132 millions d’euros. Pour Guillaume Leblanc, « c’est un problème politique. Seule la future directive européenne sur les droits d’auteur pourra permettre de requalifier le statut de YouTube ».
En dehors du problème posé par YouTube, les rémunérations provenant des sites de streaming restent excessivement opaques. Deezer et Spotify, toujours déficitaires, reversent plus de 70% de leur chiffre d’affaires aux producteurs, aux éditeurs et aux ayants droit dans un partage qui résulte en une faible rétribution des artistes. Suzanne Combo, déléguée générale de la Guilde des artistes de la musique (GAM) depuis 2015, explique que « les grands gagnants du streaming restent les majors. Les contrats des artistes, tous confidentiels et qui varient selon leur notoriété, ne sont pas adaptés, car ils sont calqués sur l’ancien modèle de la vente des disques. [L’assiette reste] opaque et douteuse puisque le producteur n’a plus de frais de stockage ni de fabrication, comme pour un CD. De plus, l’artiste finance une partie de la promotion. Si bien qu’à la fin il ne touche souvent pas plus de 5% ». Elle souligne aussi le manque d’information sur « les deals entre les majors et les plateformes – les premières étant d’ailleurs actionnaires minoritaires des secondes -, et sur les abattements appliqués pour diminuer la rémunération de l’artiste ».
Sources : « Les artistes, parents pauvres de l’essor du streaming » (Nicole Vulser), Le Monde, 1 mars 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 1 et 8 ; « Deezer, Spotify et Apple Music tirent le marché de la musique », ibid.
Voir Actualités #47, nov. 2016, et aussi Actualités #27, janv. 2015.
Le moteur de recherche Qihoo 360 concurrence Baidu en Chine, avec le live streaming
Alors que le moteur de recherche Baidu, lancé en 2000, était en position quasi monopolistique en Chine après la retraite forcée de Google en 2010, son rival Qihoo 360, fondé en 2005 comme fournisseur d’un logiciel antivirus gratuit, et dont le moteur de recherche ne date que de 2012, revendique désormais 35% du marché. Les analystes pensent que le pourcentage est plutôt aux alentours de 30% ; ses revenus (7,7 milliards de yuans en 2015) sont néanmoins loin derrière les 66,4 milliards de Baidu. Les revenus publicitaires provenant de ce marché en Chine sont estimés à plus de 92 millions de yuans (12,58 milliards d’euros) pour l’année 2016 par la société de conseil et d’analyse iResearch, avec une perspective de 135 milliards en 2018. Google est en discussion avec la société chinoise NetEase, et n’entend pas renoncer au marché chinois.
Le succès de Qihoo est dû à sa focalisation sur la téléphonie mobile, et plus récemment, sur l’Internet des objets. L’entreprise tire 40% de ses revenus des applications pour smartphones, notamment des jeux. Un marché prometteur qu’il compte exploiter, c’est le live streaming (diffusion de vidéos personnelles en direct sur mobile, que ce soit des karaokés ou des commentaires sur sa vie), très en vogue en Chine ; sa croissance annuelle est estimée à 180% en 2017, selon Crédit Suisse. Tout en s’inspirant de Facebook Live, Meerkat et Periscope, la Chine a développé un modèle économique moins inspiré de la publicité que de la rémunération virtuelle des particuliers par mobile.
On y voit là une échappatoire d’une jeunesse lassée des médias traditionnels, et privée de Facebook et de YouTube. Les autorités ont décidé de se pencher sur le phénomène pour mieux le réglementer et surveiller ce qui se passe. Pour le moment, il existe presque 200 plate-formes de live streaming dont les plus importantes sont Inke (35 millions d’abonnés), YY (25 millions d’abonnés, fondé en 2005), Huajiao (filiale de Qihoo), Momo (site de rencontres depuis fin 2015), et Nice (l’Instagram chinois).
344 millions d’utilisateurs (les deux tiers étant des hommes de moins de 30 ans, d’après iResearch) multiplient des « cadeaux virtuels » monétisables (sur lesquels l’hébergeur touchent une commission s’étendant de 30 à 70%) pour s’attirer la sympathie d’éphémères vedettes qui se filment jusqu’à trois heures par jour, en gagnant entre 100 et 150 dollars à l’heure. À terme, moins de dix plate-formes capables de créer des synergies avec d’autres activités vont dominer le marché, selon Crédit Suisse. Le live streaming est devenu en Chine une industrie de divertissement à part entière (5 milliards de dollars* en 2017 selon Crédit Suisse), rivalisant avec le cinéma (7 milliards) et le jeu vidéo pour mobile (10 milliards). Et si la prochaine mode, warholienne en diable, nous venait de la Chine ?
*5 milliards de dollars = 30 milliards de yuans.
Sur l’application de live streaming Meerkat, voir Actualités #31, mai 2015
Sources : « Qihoo 360, le moteur de recherche chinois qui taquine Baidu » (Vincent Fagot), Le Monde, 7 mars 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 10 ; https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0211863815152-le-live-streaming-reussit-une-percee-fulgurante-en-chine-2071717.php ; http://technode.com/2016/05/05/virtual-gifts-are-still-the-top-earner-in-chinas-live-video-streaming-market/ ; https://techcrunch.com/2016/08/18/live-streaming-in-china/ (avec reportage vidéo).
Les start-up américaines hésitent à entrer en Bourse
Les introductions en Bourse (initial public offering ou IPO) du high-tech américain, essentielles pour le développement du secteur, se font attendre. Après deux années moroses (21 opérations en 2016, 28 en 2015 contre 62 en 2014), on espérait un rebond en 2017. Dans ce contexte, l’IPO de Snap, la maison mère de Snapchat, avait valeur de test. Introduite à 17 dollars le 2 mars, somme inférieure aux espoirs de la société, l’action a grimpé à 29 dollars le lendemain, avant de tomber à 22,81 dollars le 8 mars. La plupart des analystes recommandent la vente, car manifestement les traders parient sur la baisse de l’action, au point de vendre à découvert ; on prédit que son cours tombera à 15 dollars d’ici la fin de l’année. Analyste chez Pivotal Research, Brian Wieser l’évalue à terme à 10 dollars : « Il existe des risques significatifs sur l’activité, comme la concurrence agressive d’entreprises beaucoup plus grandes ». Ce qui inquiète les investisseurs, c’est un net ralentissement de la croissance du nombre d’utilisateurs, et une aggravation des pertes (515 millions de dollars en 2016 pour un chiffre d’affaires de 405 millions).
Si l’action de Snap parvient à se maintenir, contre les prévisions, cela devrait ouvrir la voie à d’autres opérations. Parmi les prétendants figurent le réseau social Pinterest, le service de stockage numérique Dropbox, et la plate-forme de streaming musical Spotify. Mais selon Matthew Kennedy, analyste au cabinet Renaissance Capital, « il est peu probable que d’autres entreprises se précipitent pour entrer en Bourse ». Les investisseurs de Wall Street sont plus exigeants avec les start-up « grand public », jugées à gros risque, qu’avec les start-up proposant des logiciels et des services aux entreprises. « Ces sociétés [de la Silicon Valley] ont des valorisations très élevées et un modèle économique qui n’est pas très visible, dit un professionnel du secteur cité par Le Monde. Pour entrer en Bourse, elles vont devoir accepter des valorisations inférieures. À la place, certaines recherchent de plus en plus un acquéreur ». Fin janvier, l’éditeur des outils d’analyse AppDynamics a abandonné à la dernière minute son IPO afin d’être racheté par Cisco pour 3,7 milliards de dollars, deux fois plus que la capitalisation visée en Bourse.
Ajoute Matthew Kennedy, « Plus le temps passe, plus ces sociétés développent leur activité, et plus l’écart [avant et après l’entrée en Bourse] se réduit ». Beaucoup d’entre elles ne disposent pas des réserves nécessaires pour attendre le moment idéal. Après des années de griserie, les levées de fonds auprès des venture capitalists sont de plus en plus difficiles à mener. Reste à savoir quelles seront les conséquences pour le développement continu du secteur, qui peine à trouver un modèle économique viable. Toujours est-il que les services proposés, en dépit d’une pénétration sociale non négligeable, ont une valeur d’usage faiblement monétisable.
Source : « Le high-tech américain hésite à entrer en Bourse » (Jérôme Marin), Le Monde, 10 mars 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Sur la valorisation des start-up de la Silicon Valley, voir Actualités #32, juin 2015. Sur Snapchat, voir Actualités #46, oct. 2016.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)