La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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La Chine veut ficher la voix de la population entière
La Chine veut créer la plus importante base de données au monde. Le ministère de la Sécurité publique a annoncé son intention d’enrichir sa base de données biométriques (empreinte digitale, groupe sanguin) avec la reconnaissance vocale. Pour être vraiment efficace, il faudra que l’ensemble de la population adulte (environ un milliard d’individus) laisse un échantillon de sa voix aux autorités. Ce projet aurait déjà démarré pour certaines catégories de la population, comme la communauté ouïgoure dans la province occidentale de Xianjiang, où des revendications ethniques sont réprimées.
Si le but affiché du projet est d’ordre sécuritaire, la stratégie chinoise est aussi, et surtout économique. Pour la reconnaissance vocale, le gouvernement collabore avec IFlyTec, une société cotée à la bourse de Shenzhen, afin de faire augmenter la recherche en biométrie, et de ne pas abandonner le marché aux États-Unis, où existe au moins 250 entreprises spécialisées contre seulement 92 en Chine.
Le gouvernement a voté en juin dernier une loi qui encadre l’utilisation des données personnelles. L’internaute chinois peut désormais décider ou non de laisser une entreprise collecter des informations le concernant. Mais Séverine Arsène, chercheuse au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC), et rédactrice en chef de Perspectives chinoises, précise que « si les individus sont protégés vis-à-vis des entreprises, ils ne le sont plus vis-à-vis de l’État ».
Avant l’adoption de cette loi, une cinquantaine d’entreprises et d’administrations étrangères (Chambres de commerce américaines et européennes, la Business Software Alliance regroupant Apple, Microsoft, Cisco, Salesforce et IBM entre autres) ont adressé un courrier aux autorités, s’inquiétant des conséquences économiques. Pour les rassurer, les autorités chinoises leur a répondu qu’il ne s’agissait pas de porter atteinte aux intérêts de leur entreprise, mais de renforcer la lutte contre les cyberattaques. Celles-ci ont bon dos.
Source : « L’inquiétant projet biométrique de la Chine pour ficher la voix de sa population », BFM Business, 28 octobre 2017.
Le profilage des populations
On aurait tort de penser qu’il s’agit-là d’un projet propre à une société autoritaire, « communiste », moins avancée que les pays occidentaux dans le domaine des droits de l’homme. Comme le démontrent Armand Mattelart et André Vitalis dans Le Profilage des populations (La Découverte, 2014), livre très documenté, les pays européens et (surtout) les États-Unis n’ont pas de leçons à donner en matière de fichage de masse.
Sous couverture de la Guerre contre le terrorisme, on a progressivement mis en place une série de mesures, pour la plupart en secret, permettant la surveillance des données personnelles. Cela a été exposé au grand jour par l’ex-salarié de la CIA Edward Snowden en juin 2013. La National Security Agency (NSA) et le FBI avaient eu accès aux données privées fournies par Microsoft (depuis 2007), Yahoo (2008), Google (2009), Facebook (2009), YouTube (2010) et Apple (2012), dans le cadre d’un programme confidentiel baptisé Prism, qui ciblait non seulement les États-Unis, mais aussi l’Europe et l’Amérique latine (voir Actualités #29, mars 2015). Selon les deux auteurs : « Les transferts d’information après les attentats du 11 septembre 2001 ont fait sauter les barrières entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, univers policier et univers militaire, territoire national et espace global » (p. 139).
Un marché mondial de la surveillance
La Chine ne figure pas dans le livre, et constitue un angle mort dans la critique de ces pratiques. De plus en plus, la Chine et les États-Unis seront concurrents dans le marché mondial de la surveillance. La Chine aurait 100 millions de caméras de surveillance, le plus grand nombre au monde (vidéo ci-dessus), par rapport à 30 millions aux États-Unis, et entre 5 et 6 millions au Royaume Uni, densité comparable, sinon supérieure en tenant compte de leurs populations respectives*. On pourrait penser que l’absence relative de libertés fondamentales en Chine favorisera la mise en place d’un régime de surveillance totalitaire impensable dans les démocraties libérales. Mais il se peut bien que la Chine soit l’avenir, et non l’enfance du système capitaliste. Le géographe et économiste néomarxiste David Harvey a soutenu que dans un capitalisme marqué par l’importance croissante de la finance et des inégalités massives, « une oligarchie répressive serait probablement la seule forme politique que le capital pourrait adopter »**.
Paradoxalement, l’internaute chinois serait mieux protégé que nous contre l’exploitation des données personnelles par des entreprises privées, du moins sur le papier. Mais les liens entre les entreprises chinoises et l’État sont à la fois opaques et étroits : la loi vise en fait surtout les entreprises étrangères, du coup handicapées. La mobilisation de celles-ci, quoique vaine, indique l’importance de l’accès aux données personnelles dans les stratégies commerciales de nos jours.
*On ne dispose pas de chiffres récents pour la France, mais il y en a probablement moins d’un million (il y en avait 400 000 en 2010 selon le ministère de l’Intérieur). Le site d’information Owni a établi un palmarès en décembre 2011, classant Nice première ville de surveillance en France avec une caméra pour 343 habitants. Les villes tenues par la droite avaient trois fois plus de caméras par habitant que les villes tenues par la gauche (une caméra pour 1858 habitants à droite, et 4961 à gauche). Par comparaison, le Royaume Uni a une caméra pour 11 habitants (14 dans d’autres estimations).
**David Harvey, Seventeen Contradictions and the End of Capitalism, Profile Books (London), 2014, p. 242.
Les jeux en monde ouvert d’Ubisoft
Assassin’s Creed Origins, sorti le 27 octobre, et qui se déroule dans l’Égypte antique, est le dernier jeu vidéo d’Ubisoft. En l’espace de quelques années, l’éditeur français s’est imposé comme le spécialiste mondial des jeux en monde ouvert, où on peut explorer plus ou moins librement une carte de plus en plus immense. L’objectif est de produire en deux ou trois ans des superproductions, dont les budgets se chiffrent en dizaines de millions d’euros, et d’en commercialiser jusqu’à quatre par an.
« Le world building, c’est quelque chose qui nous passionne chez Ubisoft, explique Erwan Le Breton, directeur créatif d’Ubisoft depuis 2011, et ancien scénariste de bande dessinée.
Quand on se réunit pour en définir le contenu dans des content workshops, au bout de trois jours, le monde doit être défini. […] La nuance entre « réaliste » et « crédible » est essentielle. On s’en fout de simuler la réalité, souvent c’est ennuyeux. On veut juste qu’on puisse y croire. […] Le joueur ne voit que le sommet de l’iceberg, mais nous, nous faisons tout derrière pour que l’univers puisse servir à d’autres choses que le jeu, avec du transmédia. C’est une philosophie clé maintenant chez Ubisoft ; il faut qu’un univers puisse servir pendant des années. »
« Notre modèle, c’est Indiana Jones »
La particularité d’Ubisoft, c’est un travail sans commune mesure de documentation. À cette fin, la marque a reconverti les scénaristes, rendus désuètes par les jeux en mondes ouverts, en documentalistes ou reporters. « Notre modèle, c’est Indiana Jones, résume Erwan Le Breton. On fait des études en amont, puis on va sur place mouiller le maillot, pour vraiment retranscrire le monde. » Pour Ghost Recon : Wildlands, on a envoyé des équipes en repérage en Bolivie, où 1 098 581 km2 de terrains ont été générés (voir Actualités #47, nov. 2016).
Les enjeux narratifs se sont considérablement complexifiés, délaissant un monde en noir et blanc avec des gentils et des méchants. Ubisoft est néanmoins regardant sur la représentation des minorités, et le comportement politique du joueur. C’est justement autour de cette question que se trouvent des visions contraires au sein de l’entreprise. Le PDG Yves Guillemot souhaite diffuser des valeurs positives à travers les jeux. Le directeur créatif Serge Hascoët veut que le joueur soit entièrement maître, y compris de pouvoir jouer comme « un facho misogyne ». Quant à lui, Erwan Le Breton botte en touche : « C’est un débat compliqué, que nous n’avons pas encore résolu. On ne veut pas porter de jugement, mais pas non plus promouvoir des idéaux qui ne correspondent pas aux valeurs de l’entreprise. »
Source : « Les coulisses des jeux en monde ouvert d’Ubisoft » (William Audureau), Le Monde, 29-30 octobre 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Le marché du cinéma en Chine attise les studios américains
Le box-office chinois est réparti à la hausse en 2017, après avoir fortement ralenti en 2016. Les recettes devraient atteindre 55 milliards de yuans (environ 7 milliards d’euros), selon la mise au point statistique de Zhang Hongsen, vice-ministre de l’Administration d’État de la Presse, de l’Édition, de la Radio, du Film et de la Télévision, et directeur du China Film Bureau. Les blockbusters chinois, surtout Wolf Warrior 2 (10 % des revenus annuels à lui seul, soit 715 millions d’euros), qui raconte les aventures d’une sorte de Rambo chinois en Afrique, ont réveillé la vente des billets. Jusqu’à la sortie de Wolf Warrior 2 en juillet, les films étrangers représentaient près de 60 % des recettes.
Deuxième marché du cinéma au monde derrière les États-Unis, la Chine suscite l’appétit des studios hollywoodiens, qui aimeraient voir élargir le quota de films américains autorisés à être distribués, actuellement fixé à 34 par an. Les studios américains négocient depuis février avec les autorités chinoises pour l’autorisation de 20 films de plus par an pour les cinq années à venir, et pour porter leurs royalties à 40 % des recettes (contre 25 % actuellement, et 60 % aux États-Unis). Les studios espèrent également avoir accès aux sorties plus rentables pendant l’été et les vacances, souvent réservées par les autorités aux films chinois. Dans un développement séparé, la Motion Picture Association of America (MPAA) a découvert, après un audit, une sous-déclaration de 9 % par les distributeurs chinois en 2016 des recettes provenant des films américains, soit un manque à gagner estimé à 40 millions de dollars.
Accord Chine-OMC et la concurrence des films étrangers
En vertu de l’accord entre la Chine et l’OMC signé en 2012, et renégociable en 2017, les studios américains sont assurés d’obtenir au moins partiellement gain de cause, et Zhang Hongsen a déjà notifié l’industrie chinoise en octobre 2016 qu’il y aura plus de films étrangers en 2018. Pour lui, la concurrence « intensive et juste » des films étrangers sera un moyen de chasser des films chinois de piètre qualité, ainsi que des pratiques frauduleuses (Actualités #48, déc. 2016) : « L’industrie du cinéma en Chine va [maintenant] dans un sens sain, positif et rationnel. Nous sommes confiants que nous pouvons transformer la Chine en locomotif du cinéma ».
Avec la bénédiction des autorités, le cinéaste de renommée internationale Jia Zhangse a lancé en octobre 2016 un réseau de salles art et essai, la National Arthouse Film Alliance, qui doit comprendre à terme 500 salles (Actualités #48, déc. 2016). Son but est de cultiver la cinéphilie en Chine, qui se limite actuellement à quelques universités et à la Cinémathèque de Pékin (qui a programmé une rétrospective sur Jean-Pierre Melville). Il s’agit de permettre au public d’accéder à la diversité du cinéma d’auteur mondial.
Sources : « Un marché qui attise la convoitise américaine » (Brice Pedroletti), Le Monde, 27 octobre 2017, p. 13 ; http://chinafilminsider.com/china-film-bureau-boss-flags-competition-foreign-films-2018/ ; « Les tribulations du cinéma d’auteur en Chine » (Jacques Mandelbaum), Le Monde, ibid.
La stratégie de la chaîne payante HBO face à Netflix et Amazon
HBO (143 millions d’abonnés, dont 87,5 millions aux États-Unis) investit environ 2,5 milliards de dollars par an dans le contenu, par rapport à Netflix (8 milliards prévus en 2018) et Amazon (4,5 milliards). La filiale de Time Warner se targue de produire moins, mais mieux, et de mener une politique de distribution au cas par cas selon les pays. En effet, sa plate-forme de vidéo par abonnement, HBO Now, n’est présente que dans neuf pays (la Scandinavie, Espagne, Argentine, Brésil, Mexique) contre 190 pays pour Netflix (110 millions d’abonnés).
HBO a choisi d’expérimenter avec une plate-forme limitée, qui pourrait être déployée ensuite partout dans le monde, si l’entreprise le décide. Une autre option est de renégocier périodiquement les contrats avec des chaînes locales en fonction du prix des contenus (le contrat avec OCS en France serait de 30 millions d’euros par an). De toute la croissance générée depuis la création de la chaîne il y a 45 ans, 20 % ont été réalisés au cours des cinq dernières années. La maison mère Time Warner est sur le point d’être rachetée par l’opérateur de télécoms AT&T, qui possède des données sur plus de 100 millions de consommateurs. Cela permettrait de mieux cibler les abonnés potentiels et de personnaliser le service offert.
Entretien avec Richard Plepler, PDG de HBO
Propos choisis d’un entretien dans Le Monde avec le PDG de la chaîne, Richard Plepler, de passage à Cannes pour le marché international annuel des contenus audiovisuels, Mipcom :
« Nous n’essayons pas d’être Netflix ou Amazon ou qui que ce soit. Produire plus n’est pas produire moins. […] Un fatras de séries inonde aujourd’hui le marché… Ni vous ni moi ne pourrons jamais toutes les regarder. C’est pour cela que les marques importent plus que jamais. […] Notre rôle s’apparente à celui d’une galerie d’art : il faut que les grands noms de la peinture – les maîtres, mais aussi les artistes contemporains, les nouveaux talents – aient envie d’y accrocher leurs œuvres. […]
En réalité, personne ne sait ce qui va transformer un programme excellent en programme sublime. Ce genre de succès garde un aspect mystérieux, intangible. J’étais loin d’imaginer que Game of Thrones allait comptabiliser jusqu’à 33 millions de spectateurs aux États-Unis. Mais je savais que ce programme était excellent. Nous devons faire des paris, encore et encore. Sur la durée, cela paie. […] Il y aura la prochaine série géniale. Quand Benioff et Weiss sont venus me présenter Game of Thrones, ils n’avaient jamais fait de série télé de leur vie. Mais j’ai repéré ce signe que je guette souvent chez les créateurs : ils ne pensaient pas leur idée, ils la respiraient. »
Source : « Nous n’essayons pas d’être Netflix ou Amazon » (Alexandre Piquard), Le Monde, 19 octobre 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Intensification de la concurrence dans le marché des plates-formes de vidéo à la demande
Fort de ses 110 millions d’abonnés dans le monde, et de sa valorisation boursière au plus haut niveau historique, Netflix fait face à une intensification de la concurrence, surtout aux États-Unis. « Notre futur dépend surtout de nos contenus originaux », dit son fondateur et patron Reed Hastings après l’annonce début octobre d’une hausse de prix de son principal tarif d’abonnement à 11 dollars par mois, contre 10 dollars auparavant.
Hulu a cherché à capitaliser sur le choix de son rival, en ôtant un dollar à son abonnement, désormais fixé à 6 dollars par mois. Porté par le succès de sa série The Handmaid’s Tale (d’après le roman dystopique célèbre de Margaret Atwood), qui a reçu un trophée Emmy dans la catégorie meilleure série, Hulu a doublé le rythme de recrutement d’abonnés. Quant à Amazon, il vient de changer de stratégie, mettant l’accent sur des programmes qui ciblent un grand public de jeunes à travers les réseaux sociaux.
Deux nouveaux compétiteurs se positionnent sur le marché de la vidéo par abonnement. En août, Disney, qui serait en négociations avec Fox, a annoncé qu’il ne renouvellera pas son partenariat avec Netflix, afin de lancer son propre service, qui disposera d’un catalogue important. Le 10 octobre, Apple a signé un contrat avec l’une des sociétés de Steven Spielberg pour produire une nouvelle version de la série Histoires fantastiques, qui devrait mener au lancement d’une plate-forme de streaming à la demande.
Source : « La concurrence s’intensifie dans le streaming vidéo » (Jérôme Marin), Le Monde, 19 octobre 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Facebook contraint à investir dans la sécurité
Côté performance économique, les résultats publiés en novembre par Facebook sont impressionnants : un bénéfice net de 4,7 milliards de dollars au troisième trimestre (+ 79 %), et un chiffre d’affaires dépassant les 10 milliards. L’entreprise réunit plus de 2 milliards d’abonnés, dont 1,37 milliard d’usagers quotidiens. Grâce à sa « communauté », Facebook revendique six millions d’annonceurs publicitaires, un déluge d’offres et de gros problèmes pour tous les héberger. Ses dirigeants espèrent désormais que la croissance des recettes publicitaires (+ 49 % de juin à septembre), qui assure la quasi-totalité des revenus, sera moins tirée par les volumes que par les prix facturés aux annonceurs.
Mais il y a deux ombres au tableau. Facebook fait actuellement l’objet d’une enquête du Congrès après avoir servi de cheval de Troie (avec Twitter et Google) des manipulations russes durant la présidentielle américaine (Actualités #58, nov. 2017). Craignant le durcissement de la règlementation sur la publicité politique, défendu par des membres du Congrès des deux partis, Mark Zuckerberg prétend que « [le succès économique] n’a aucune importance, si nos services sont utilisés de façon à éloigner les gens les uns des autres. […] Protéger notre communauté est plus important que maximiser nos profits. » Quitte à dépenser massivement dans la sécurité, en plus des investissements dans les serveurs, les centres de données et la vidéo réclamés par les annonceurs.
Facebook a promis que la chasse aux fake news et autres contenus douteux mobiliserait 20 000 personnes fin 2018, soit le double de l’effectif actuel. Sur le seul troisième trimestre 2017, les dépenses ont déjà progressé de 34 % pour atteindre 5,2 milliards, notamment en raison d’un nombre record d’embauches (2500 personnes) et du développement d’un algorithme au service de ce combat.
Facebook et l’évasion fiscale
L’autre ombre au tableau, rendue visible par la publication des « Paradise Papers » en novembre, ce sont ses pratiques d’évasion fiscale (Apple et Nike sont également visés). Profitant du statut hybride offert aux entreprises par l’Irlande, Facebook relève du droit irlandais, mais il est résident fiscal aux îles Caïmans (un paradis fiscal sous tutelle britannique), qui ne connaissent pas d’impôt sur les entreprises. Prévues par la loi, les dérisoires réunions d’actionnaires et des conseils d’administration tenues sur place ne sont même pas juridiquement valides, faute de la présence des dirigeants. Sous la pression de l’OCDE, et conscient d’avoir été roulé dans la farine, le gouvernement irlandais a accepté de mettre fin à cette technique d’optimisation fiscale agressive en 2021. Facebook est déjà dans le collimateur de l’administration fiscale des États-Unis, qui lui réclame entre 3 et 5 milliards de dollars d’impôts, pour avoir délibérément sous-évalué les droits de propriété intellectuelle transférés à Facebook Ireland en 2010. D’autres pays où Facebook est présent sont aussi susceptibles de lui demander des comptes. Pire, les utilisateurs eux-mêmes risquent de prendre conscience d’à quel point le réseau social est si peu « social », même si l’évasion fiscale actuelle serait techniquement légale.
Sources : « Beaucoup de sous et… de soucis » (Jean-Michel Bezat), Le Monde, 3 novembre 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 1 ; « Facebook, firme virtuelle des îles Caïmans » (Anne Michel), Le Monde, 8 nov. 2017, p. 4.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)