Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
Contenu
La tendance croissante des téléspectateurs de s’engager avec les « médias sociaux » en même temps qu’ils regardent une émission, et de poster des commentaires excite les professionnels de télévision et de marketing. La qualité « scientifique » du lien entre les médias sociaux et les taux d’audimat est l’objet d’un vif débat.
Selon Evan Silverman, vice-président des médias numériques chez A & E Networks, les médias sociaux constituent une force puissante, mais les techniques de mesure restent toujours dans l’enfance. Chez A & E Networks, on utilise des données recueillies auprès de Trendrr, Social Guide et Bluefin, mais celles-ci sont souvent contradictoires. On suppose qu’il existe un lien entre le buzz dans les médias sociaux et les taux d’audimat, mais un lien de causalité reste à démontrer. Pour les professionnels, il faut pouvoir distinguer entre corrélation et causalité. On cite souvent une étude faite par NM Incite et Nielson qui prétend qu’une augmentation de l’ordre de 9% dans le volume de buzz quelques semaines avant une première diffusion à la télévision se traduit par une augmentation du taux d’audimat de 1% chez les téléspectateurs entre 18 et 34 ans (principale cible publicitaire). Pour Silverman, cependant, cette étude n’est pas totalement fiable, car elle n’a pas intégré des données de Twitter. Il faudra que l’industrie publicitaire s’accorde sur des techniques de mesure plus précises. Facebook déçoit les professionnels, par rapport à Twitter dont la plupart des données sont publiques. Potentiellement, Facebook pourrait fournir aux annonceurs des données agrégées croisées avec du contexte et des commentaires qualitatifs ; actuellement, il n’existe pas de moyens convaincants pour mesurer et pour surveiller le volume des conversations sur la plate-forme. Sans aller jusqu’à demander que Facebook rende public ses données, Silverman pense qu’il pourrait agréger davantage celles-ci afin que les publicitaires puissent mieux vendre la plate-forme aux annonceurs, mieux transformer donc du « bavardage social » en valeur monétaire (monetize social chatter).
Source : « Advertising Age », 4 oct. 2012
« Le deuxième écran »
Selon Carlton Cuse, producteur exécutif (Lost) et Brad Pelo, PDG d’i.TV, regarder la télévision et un « deuxième écran » en même temps deviendra de plus en plus fréquent.
Cuse : « Les nouvelles technologies offrent des perspectives incroyables aux scénaristes, qui créeront alors un environnement circulaire. Dans ces salons virtuels, les téléspectateurs font des commentaires et posent des questions en temps réel. Avec Lost nous avons utilisé la technologie comme une plate-forme ancillaire pour des intrigues qui n’ont pas été élaborées dans la série. On a pu donner une backstory additionnelle pour pas mal d’intrigues secondaires, comme le Projet Dharma. Le deuxième écran permet aux scénaristes d’expliquer des éléments de l’intrigue qui ne seraient pas normalement inclus dans la version diffusée. »
Pelo : « Dans cinq ans, la technologie deuxième écran actuellement utilisée nous semblera grossièrement rudimentaire. Dans les deux prochaines années, il y aura pas mal d’expérimentation et dans cinq ans, on maîtrisera ce qui marche, de la même façon que maintenant on sait comment utiliser Facebook beaucoup mieux qu’à ses débuts. »
Cuse : « Ce sera une grande occasion pour les networks [chaînes commerciales organisées en réseau national] de pousser l’audience vers la première diffusion. Les téléspectateurs demanderont de faire partie de l’agrégation sociale autour du deuxième écran, mais pour ce faire, il faudra regarder une émission en direct. Les applis pour le deuxième écran pourraient redonner de l’importance aux émissions programmées (appointment viewing). Pour profiter pleinement de l’expérience, il faudra allumer le poste au moment de la première diffusion, au grand bénéfice des networks et aux annonceurs. Cela rendra la totalité de l’heure plus valable qu’une simple diffusion de contenus. Dans l’avenir, il sera naturel que les téléspectateurs s’impliquent davantage dans le contenu, impossible auparavant.
Pelo : « Le NintendoWii U, qui sera lancé prochainement, sera le premier écran tactile tenu à la main dessiné pour rester dans le salon et pour se connecter à tous les autres appareils, à la fois télécommande et source de découvertes. Ce sera un appareil dont on ne savait pas qu’on en avait besoin. »
Source : « Advertising Age », 5 oct. 2012.
Zeebox
Lancée et testée d’abord en Grande-Bretagne, Zeebox est arrivée aux Etats-Unis, promue par le network NBCUniversal (NBCU). Il s’agit d’une application, tantôt destinée à un second écran, tantôt intégrée directement dans telle ou telle émission, qui propose une guide aux programmes, des liens aux réseaux sociaux comme Facebook et Twitter où on peut suivre des commentaires et en poster soi-même, et des informations supplémentaires qui permettent de mieux comprendre l’émission, le tout en direct, ce que se traduira, espère NBCU, par une augmentation des audiences et du temps passé devant le poste. L’application sera aussi utilisée par la chaîne câblée HBO (Time Warner), mais de manière non exclusive.
Mais d’après Peter Kafka, journaliste au Wall Street Journal, « le problème avec Zeebox, comme toutes les applications de la social TV, c’est qu’elle a été dessinée pour résoudre un problème commercial (business problem) plutôt que pour s’adresser aux attentes des consommateurs ». En d’autres termes, le problème pour Zeebox est non seulement de convaincre les téléspectateurs de « réagir » en ligne en même temps qu’ils regardent une émission, mais de convaincre ceux, nombreux, qui le font déjà, de choisir Zeebox. « Proposition de vente difficile (Tough sell) », conclut Kafka.
Selon Jeff Schroer, cofondateur de la start-up iBubblr, « Quand les networks, les agences publicitaires et les entrepreneurs construisent des expériences qui améliorent notre désir humain de partager des expériences qui ont du sens (meaningful experiences), l’expérience (sic) de la social TV s’améliorera. Il faut trouver des moyens d’insérer des interactions sociales authentiques dans l’expérience au lieu de proposer des promotions sans scruples et des gadgets destinés à influencer le taux d’audimat (tune-in rates). La meilleure manière de garder les téléspectateurs devant le poste, c’est de faire de bonnes émissions. Un contenu fort et l’expérience de la première diffusion sont toujours roi. Ce que demandent les téléspectateurs, ce sont des meilleures façons de prendre plaisir à ce qu’ils aiment. C’est aussi simple que ça. » (« L’expérience » est décidément la « frontière finale » pour l’industrie publicitaire, comme en témoigne sa répétition compulsive ici). On décèle entre les lignes des propos de Schroer des doutes quant à la capacité des professionnels de télévision à jouer correctement leur rôle dans la relation symbiotique qu’ils ont avec les publicitaires, sans quoi le Zeebox aura du mal à s’imposer.
L’exemple que propose Schroer d’une « innovation réelle qui a amélioré l’expérience du consommateur », c’est la capacité à filtrer « les gens que je connais » du chaos qui règne sur Twitter (les fameux « hashtags »).
Sources : « Wall Street Journal », sept. 26, 2012 ; « Advertising Age », oct. 9, 2012.
La base d’utilisateurs actifs de Facebook a atteint 1 milliard en octobre 4, 2012 (900 000 lors de son introduction décevante en bourse en avril 2012).
Utilisateurs actifs (en millions) taux de croissance mensuel
26 août 2008 100 178,38%
8 avril 2009 200 13,33%
15 sept. 2009 300 9,38%
5 fév. 2010 400 6,99%
21 juillet 2010 500 4,52%
5 janvier 2011 600 3,57%
30 mai 2011 700 3,45%
22 sept. 2011 800 3,73%
24 avril 2012 900 1,74%
Un spot publicitaire de 90 seconds, placé sur une page Facebook accessible aux non membres, a été tourné par le réalisateur mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu (Amores Perros, Babel) pour le compte de l’agence Wieden & Kennedy (Portland, Oregon). Une campagne publicitaire autour du spot sera lancée dans 13 marchés : États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne, Espagne, Mexique, Brésil, Inde, les Philippines, Indonésie, Japon, et Russie. Il s’agit d’un mélange de marchés « murs » et de marchés « émergents ». Ceux des États-Unis et du Royaume-Uni sont déjà « saturés », alors que la pénétration de Facebook en Russie ne dépasse pas 4,8% ; le marché japonais est également sous-développé. Ces deux marchés en particulier seront essentiels pour la croissance de la société dans le court et le moyen terme (voir le taux de croissance déclinant dans le tableau ci-dessus) ; à long terme, la survie de Facebook dépendra de sa maîtrise (et sa monopolisation) des techniques de la « monétarisation mobile ».
Source : « Advertising Age », 4 oct. 2012.
“Bot Traffic”
Ce qui grève la croissance des dépenses publicitaires en ligne, c’est l’existence de “bots”, des minilogiciels qui surfent sur la web en se faisant passer pour des humains. Les bots sont programmés à cliquer de manière répétée sur tel ou tel site, à poster des commentaires positifs ou négatifs sur une marque, et à en voler le contenu. D’après une étude eMarketer, les annonceurs dépenseront environ 15 milliards $ en 2012 sur la publicité en ligne. Étant donné que, en moyenne, 10% des cliques viennent des bots (selon Art Jacoby de Solve Media), les pertes (ou des investissements gaspillés) dépasseront 1,5 milliard $. Les estimations du « faux traffic » varient de 4-11% (comScore) à 31% (l’entreprise de sécurité Incapsula).
Art Jacoby conseille donc aux annonceurs de : a) préférer des propositions du type coût/engagement (cost per engagement) qui mobilisent la cognition humaine, c’est à dire un « engagement » en ligne qui va plus loin qu’une simple clique (cost per impression) ; b) choisir des sites qui ont pris des mesures contre les bots, quitte à atteindre un public plus petit, mais de qualité, plutôt qu’une audience de masse avec une quantité inconnue de resquilleurs qui « ne possèdent pas de carte de crédit » ; c) demander une métrique des attitudes et des comportements effectuée par une société indépendante (third party attitudinal metrics) afin de confirmer l’efficacité du site (service proposé par la société de M. Jacoby !) ; d) éviter des inventaires du type « auto-play », terrains féconds pour les bots ; e) faire installer un logiciel d’analyse du comportement du consommateur en ligne (cliques, pages visitées) menant à une commande (attribution tracking technology).
Source : Advertising Age », 4 oct. 2012.
Victime du Net, la FNAC est à vendre
La FNAC est déstabilisée par une importante baisse de la consommation. Le groupe PPR (Printemps-Pinault-La Redoute) envisage de se séparer par morceaux de son entreprise et de ses 17 000 salariés, pour mieux se concentrer sur les secteurs du luxe et du sport, les plus rentables actuellement (à noter que le groupe PPR dans l’ensemble a vu son chiffre d’affaires grossir de 20% au premier semestre 2012). La chute des ventes de CDs et de DVDs est bien connue (moins 16,7% du premier semestre 2012, selon le Syndicat national de l’édition phonographique), mais les ventes de produits « high-tech » (TV, hi-fi, photo, informatique) ont aussi baissé de 15% en 2011. La FNAC n’est pas la seule à pâtir de la crise ; Virgin Megastore (Paris) a connu des pertes depuis 2008 et trois de ses magasins ont été fermés cette année. Darty et Conforama sont aussi en mauvaise posture, alors que l’enseigne Surcouf, groupe de distribution de produits informatiques, déjà vendue par le groupe PPR en 2009, a été mise en liquidation par le tribunal de commerce de Lille le 10 octobre, après avoir été mise en vente sans succès en juin.
Sources : « Le Parisien », 8 oct. 2012; « Le Monde », 10 oct. 2012.
Sélectionnés et résumés par David Buxton.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)