Article interdit à la reproduction payante
Préface (Jacques Guyot) Mariano Zarowsky est titulaire d’un Magister en Communication et Culture et d’un doctorat en Sciences Sociales de l’Université de Buenos Aires. Il y enseigne l’histoire de la pensée sur la communication et la culture. Chercheur au sein de l’Institut des Recherches Scientifiques et Techniques (CONICET), l’article qu’il présente est une synthèse de sa thèse de doctorat, consacrée à la trajectoire intellectuelle d’Armand Mattelart. Cette recherche vient d’être publiée en Argentine (Zarowsky, 2013) et constitue indubitablement une contribution essentielle à l’épistémologie des sciences de l’information et de la communication à travers une analyse extrêmement documentée et fouillée du rôle qu’a joué Mattelart dans la construction d’une interdiscipline nouvelle fournissant des cadres d’analyse aux phénomènes d’internationalisation des industries culturelles. Certes, le livre d’entretiens menés par Michel Sénécal en 2010 dresse également la généalogie intellectuelle et personnelle du parcours d’Armand Mattelart, donnant un éclairage passionnant sur l’expérience de l’exil et ses conséquences sur ses orientations théoriques et académiques. Mais, avec Mariano Zarowsky, c’est un regard analytique au sein des réalités latino-américaines qui nous est proposé, montrant à quel point le Chili a été un formidable laboratoire d’idées pour Mattelart, un croisement d’approches académiques et d’expérimentations plus politiques et sociales illustrant de la part d’un chercheur historiquement situé dans un processus de changement social l’imbrication entre la réflexion individuelle et l’engagement dans des collectifs ou réseaux transnationaux. Mariano Zarowsky a finement étudié ce parcours intellectuel singulier à partir de la lecture d’une littérature produite par et sur Mattelart dont une grande partie, rédigée en espagnol, n’est pas accessible au lecteur français. Une traduction du livre qu’il vient de publier serait sans nul doute utile pour rendre compte des interrelations qui ont participé, à Santiago du Chili, à la construction d’un intellectuel cosmopolite et multiple. En tout cas, cette synthèse est fondamentale pour comprendre qu‘Armand Mattelart est l’un des intellectuels majeurs de notre époque et que sa notoriété scientifique s’est bâtie sur cette expérience historique inédite qu’a été le gouvernement d’Unité populaire de Salvador Allende. |
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Contenu
Introduction
Né en Belgique en 1936, diplômé en droit de l’université de Louvain, docteur en démographie de l’université de Paris, latino-américain d’adoption à partir de 1962 et exilé en France après le coup d’État chilien de 1973, Armand Mattelart est une figure notoire et reconnue pour le rôle qu’il a joué dans l’émergence des études de communication en Amérique latine. Sans doute est-il mieux connu dans le champ intellectuel comme coauteur de Para leer al pato Donald (traduction française : Donald l’imposteur), publié à Santiago du Chili en 1971 (Dorfman, Mattelart, 2002 [1971]), livre qui est rapidement devenu un véritable best-seller et se lit avec le temps comme l’icône d’une époque dédiée à la critique de la culture de masse et à la dénonciation de ce qui était alors nommé impérialisme culturel, faisant de ses auteurs les caricatures par excellence de l’intellectuel politisé latino-américain. C’est en partie en raison du succès et de la diffusion à grande échelle de ce livre mythique [1] que Mattelart, considéré comme le « père fondateur » des études en communication, est paradoxalement et symptomatiquement méconnu pour ce qui touche à son œuvre, sa figure et son itinéraire intellectuel : en premier lieu, à cause des silences ou malentendus relatifs aux conditions concrètes dans lesquelles sa perspective critique et épistémologique a vu le jour dans le processus politique et culturel qui s’est mis en place au Chili sous le gouvernement d’Unité populaire (1970-73) ; en second lieu, par l’absence d’études sur son rôle singulier, à partir de son exil en France – et en tant qu’intellectuel latino-américanisé – dans les débats politiques, culturels et communicationnels français dans les années soixante-dix et quatre-vingt ; enfin, par l’absence d’une lecture globale de son œuvre dans une perspective analytique contemporaine ; c’est ce qui apparaît dans la bibliographie critique latino-américaine qui surexpose des pans particuliers et partiels de son travail, comme par exemple le livre sur Donald, transformant ce faisant la partie en tout [2].
En problématisant cette tradition sélective telle qu’elle est illustrée dans les revues et recensions académiques, cet article se propose de baliser les principaux jalons de l’itinéraire d’Armand Mattelart ; c’est en effet, me semble-t-il, un profil intellectuel singulier permettant d’un côté, de penser et de rendre intelligibles les tensions et la diversité des modes d’articulation entre la pratique politique – ce qui s’est avéré productif sur le plan de la connaissance – et la production de savoirs, ainsi que l’émergence des sciences sociales dans les années 1960, 1970 en Amérique Latine, et de l’autre côté de mettre en relief le rôle des médiateurs ou des soi-disant passeurs culturels dans les processus de circulation internationale des idées entre le continent et l’Europe, non seulement du centre vers la périphérie mais également, voie moins explorée, de la périphérie vers le centre ; ces mouvements rendent compte de l’existence – au cours des trente dernières années du 20è siècle – de réseaux internationaux de sociabilités intellectuelles forgées et animées par un type d’intellectuel multiple et cosmopolite. Ainsi, Mattelart, comme beaucoup d’autres de sa génération – même si son rôle est remarquable – a mis en contact des univers sociaux et des espaces de production culturelle hétérogènes où la politique occupait évidemment le poste de commandement, ainsi que des traditions intellectuelles issues de divers espaces nationaux (ce qui supposait également des façons de lire avec beaucoup de rigueur des traditions de pensée « universelles »), en particulier lorsqu’elles étaient en rapport avec sa conception et sa pratique du marxisme.
On le sait, déjà au 19è siècle, les déplacements et contacts internationaux par le biais de voyages initiatiques, migrations ou exils ont configuré des liens transnationaux intenses et durables entre les lettrés latino-américains, laissant des traces profondes dans la conformation de leurs profils intellectuels, et des visions du monde qui ont ensuite préfiguré le scénario politique et culturel. Mais généralement, ces échanges internationaux entre la périphérie et le centre, mais aussi au sein même des diverses zones de la périphérie ont contribué à forger des empreintes intellectuelles avec toutes ses variantes, patriotes, révolutionnaires, modernistes, militants, experts ou engagés ; celles-ci ont été réutilisées dans le cadre des divers espaces nationaux latino-américains [3]. C’est pour cela que l’on a moins insisté sur l’étude des déplacements biographiques, la circulation des idées et les influences intellectuelles relatifs à certains itinéraires singuliers – même s’il s’agit d’un mouvement minoritaire – qui ont migré du centre vers la périphérie et de là, en se « latino-américanisant » sont revenus au centre. En ce sens, je pense que le cas de Mattelart est particulier et fascinant pour comprendre l’histoire intellectuelle et la sociologie culturelle menant aux processus internationaux de circulation des idées : d’un côté, il permet d’étudier les modalités particulières par lesquelles se sont matérialisés des processus d’influence intellectuelle allant d’Europe vers l’Amérique Latine dans les années soixante et soixante-dix, mais aussi, d’un autre côté il rend compte d’un processus inverse : ainsi, suite à son retour en France, une série de marques caractérisant la « latino-américanisation » résultant de l’expérience andine de Mattelart se sont clairement imposées dans son parcours, son activité et sa production intellectuelle.
Un itinéraire entre deux mondes
Âgé de 26 ans en 1962, c’est un jeune homme diplômé des universités de Louvain et de Paris qui arrive en Amérique Latine pour donner des cours à l’Université catholique pontificale de Santiago. Invité comme « professeur expert » par le prêtre jésuite belge Roger Vekermans, établi au Chili depuis 1957 et proche du Parti démocrate chrétien, son séjour s’inscrivait dans le cadre de l’internationalisation de la sociologie en Amérique Latine et de la promotion des sciences sociales telles que l’envisageaient certains cercles catholiques, spécialement les jésuites. L’approche séculaire des processus de modernisation et, plus ponctuellement, la recherche sur les phénomènes démographiques et de contrôle des naissances étaient devenu des sujets d’intérêt à l’échelon le plus haut de la hiérarchie catholique qui intervenait, ce faisant, dans le débat géopolitique du continent, en dialogue et tension avec d’autres projets de “modernisation“ des sciences sociales et du rôle qui leur était assigné, pour dire les choses de façon rapide et schématique, dans le contexte du projet développementaliste et modernisateur « Alliance pour le progrès » (programme d’aide officiel des États-Unis), et de son instrumentalisation de la sociologie empiriste (Beigel, à paraître ; Zarowsky, 2009).
Pourtant, quelques années plus tard, le jeune démographe deviendra un des principaux promoteurs et références – au niveau latino-américain – de quelques études en communication qui étaient alors en train d’émerger et de se consolider en tant que discipline. La crise du projet conduit par le Parti démocrate chrétien d’Eduardo Frei (1964-1970), et plus directement les conséquences dans le monde intellectuel de la mobilisation étudiante et de la réforme universitaire entre 1967 et 1969 (avec la création, au sein de l’Université catholique de Santiago du Chili du Centre d’Études de la Réalité nationale, dont Mattelart sera l’un des membres fondateurs avec l’agronome Jacques Chonchol, futur ministre de l’Agriculture, 1970-2 [4]), balise un changement dans son itinéraire, tant sur le plan disciplinaire, épistémologique que politique.
Fin 1968, un voyage à Paris l’amène au cœur des débats autour de la sémiologie française, alors à son apogée et en pleine polémique avec les courants marxistes traditionnels. À partir de là, Armand Mattelart fera partie du premier groupe de lecteurs latino-américains s’intéressant à des auteurs comme Roland Barthes ou Algirdas Greimas dont il n’existait aucune traduction en espagnol, mis à part quelques bribes et extraits d’articles ici et là. Ces lectures coïncidaient avec certains travaux qu’Eliseo Verón, qui avait séjourné en France, avait publiés à Buenos Aires ; celui-ci enseignait à l’Institut Di Tella dans un programme consacré à l’analyse idéologique des messages (Verón, 1968). Grâce à ces échanges, mais aussi dans le contexte culturel de montée de l’Unité populaire, Mattelart initiera une appropriation critique de la sémiologie structurale et de sa méthode de lecture des significations implicites, en tentant d’articuler la théorie et les réflexions marxistes concernant l’idéologie : en somme, il mettait au point une perspective de recherche critique autour de ce qui s’appellera alors la critique idéologique des messages de la communication de masse (Mattelart, Castillo, Castillo, 1970 ; Mattelart, Mattelart, Piccini, 1970).
C’est le caractère « modernisateur » de cette démarche de mise à jour théorique qui débouchera en partie sur sa « consécration » comme référence dans une discipline émergente cherchant à circonscrire son objet de recherche et des perspectives théoriques et méthodologiques. Mais ce n’est pas tout. En effet, au moment où le processus politique chilien se radicalise, la démarche d’Armand Mattelart, sa consécration et son profil intellectuel illustrent sa capacité à habiter des mondes et des espaces sociaux hétérogènes. À ce titre, Mattelart a été un acteur énergique dans les débats politiques et culturels de la gauche chilienne et un collaborateur actif d’un certain nombre d’expériences, où ce qui était surtout remarqué, c’était son travail de conseiller et de chercheur dans la maison d’édition Editora Nacional Quimantú, sans oublier le dialogue intellectuel et sa collaboration avec les jeunes dirigeants du Mouvement de la Gauche révolutionnaire (MIR), parti marxiste hétérodoxe. Très rapidement, Mattelart deviendra un interlocuteur reconnu pour une gauche qui explorait des alternatives politiques, sociales et culturelles. Dans ces moments où, comme l’affirme Oscar Terán, « La politique était dans la région porteuse de sens grâce aux diverses pratiques mais aussi en y incluant la théorie » (Terán, 1993 : 12), l’engagement intellectuel de Mattelart a contribué à légitimer sa figure académique, mais, dans le même temps, cette légitimité lui a permis d’accumuler les atouts nécessaires pour intervenir dans l’espace public où ses analyses fines des tensions présentes dans le processus culturel vers la transition socialiste faisaient autorité, et notamment les réflexions qu’il proposait, dans les colonnes des journaux, des revues académiques ou lors d’échanges directs avec les acteurs sociaux, à des publics plus larges que ceux appartenant aux cercles universitaires. (Mattelart, 1998 [1973]) Dans ce mouvement de fond, les réaménagements à l’œuvre dans le monde intellectuel qui accompagnent tout processus de réorganisation d’une hégémonie culturelle se superposaient à l’actualisation des tensions, autre clé politique, ouverte par la modernisation de l’université et aussi au rôle dévolu depuis la fin des années 1950 aux chercheurs latino-américains en sciences sociales comme guides pour le changement.
À un autre niveau, revisiter l’expérience et les positions de Mattelart dans le « laboratoire chilien » est très productif pour rendre compte de l’existence d’une série de formations et réseaux intellectuel à caractère international : c’est le cas du groupe de « gramsciens argentins » que Mattelart connaîtra par le biais des Cuadernos Pasado y Presente diffusés au Chili par le collectif de Cordobais, auquel appartenaient ses collaborateurs Mabel Piccini et Carlos Sempat Assadourian [5] ; ou de la revue Los Libros dirigée par Héctor Schmucler à Buenos Aires et que Mattelart avait contacté, sous les instances de Santiago Funes, pour collaborer à un numéro spécial sur le Chili (Los Libros 15-16, 1971). À partir de ces premiers contacts, Mattelart va resserrer ses liens intellectuels avec Schmucler ; ensemble, ils fonderont un peu plus tard avec le Brésilien Hugo Assman la revue d’inspiration gramscienne et fortement marquée du sceau latino-américain, Comunicación y Cultura (1973-1985). Pour lors, Héctor Schmucler était déjà devenu l’éditeur de Mattelart aux éditions argentines Siglo XXI, dont le premier ouvrage Para leer al pato Donald contribuera à diffuser ses idées en Amérique latine et à lui assurer sa renommée académique.
Onze ans après son arrivée au Chili, en septembre 1973, quelques jours après le coup d’État qui destitua le gouvernement d’Allende, Mattelart, qui avait décidé de s’expatrier définitivement an Amérique latine, fut expulsé du pays avec sa femme Michèle et leurs deux jeunes enfants. Si son expérience personnelle au Chili permet d’expliquer sa consécration comme figure emblématique de l’auteur latino-américain ainsi que la fécondité intellectuelle du lien entre production de connaissances et pratique politique, désormais l’exil, en tant qu’expérience réelle et, comme le propose l’universitaire américano-paléstinien Edward Said (1996), comme métaphore pour penser une disposition intellectuelle, me permet d’expliquer la façon dont s’est construit un profil hétérodoxe et difficile à classer, qui laissera son empreinte à la fois dans le champ intellectuel et académique français que dans sa production théorique [6].
Ainsi, être exilé signifiait, paradoxalement, une possibilité d’être accueilli en France grâce aux liens intellectuels et politiques tissés au Chili et aux nombreux réseaux de solidarité avec les exilés chiliens, groupes alors en pleine expansion qui relayaient l’indignation et les signes d’alerte auprès de la gauche sur ce qui pouvait arriver en France. Les « leçons » politiques et culturelles tirées de l’expérience socialiste au Chili, et l’écho qu’elles pouvaient avoir sur le milieu intellectuel et politique français en 1973-1974 constitueront le passeport d’entrée d’Armand Mattelart dans l’hexagone. Il importe de dire qu’en 1972, la France, dans le contexte du projet de programme commun entre le Parti socialiste et le Parti communiste, dont on connaît l’échec lors des élections présidentielles de 1974, puis le triomphe de Mitterrand en 1981, avait quelques points communs avec le Chili populaire et illustrait ce qui, pour certains, aurait pu devenir sa propre voie de transition démocratique vers le socialisme, c’est-à-dire une « revanche » à l’expérience chilienne. Sur le plan culturel, la France voyait proliférer des espaces oppositionnels tant à l’intérieur des universités que dans les formations culturelles émergentes [7].
Dans ce cadre, en tant que nouvel exilé, grâce à l’appui de l’ICAIC (Institut cinématographique cubain) et la collaboration de Chris Marker (comme beaucoup d’autres cinéastes et intellectuels français, celui avait visité et tissé des liens avec le Chili populaire, et en particulier avec Mattelart), il a réalisé un documentaire sur le processus chilien, La Spirale ; il a aussi écrit dans des publications comme Le Monde Diplomatique, Les Temps Modernes, ou dans diverses revues faisant partie de la nouvelle gauche française, comme Politique Hebdo ou Politique Aujourd’hui [8]. Mattelart analysait les avatars et leçons qui pouvaient être tirés de l’expérience chilienne pour la situation française ; il étudiait aussi ce qui était une nouveauté en France, à savoir le processus naissant de dérégulation du système audiovisuel sous monopole public, et l’accélération des phénomènes de concentration, de commercialisation et d’internationalisation de la production culturelle, mettant les chercheurs en sciences sociales français en contact avec les premières manifestations de l’expansion de la culture de masse nord-américaines, là où leurs collègues latino-américains ou nord-américains étaient plus expérimentés pour comprendre ces changements. Mattelart a été l’un des premiers à attirer l’attention sur la notion d’impérialisme culturel ; il a ainsi écrit sur cette question dans Le Monde Diplomatique, dans un dossier de décembre 1974 où il a invité l’économiste nord-américain Herbert Schiller qu’il avait connu à Santiago du Chili ; auteur alors inédit en France et jamais traduit, Schiller était le spécialiste de la culture de masse nord-américaine et des liens qui se développaient entre le capital monopoliste, le pouvoir culturel et le pouvoir politique (Schiller, 1974).
Cela dit, si je me réfère à la figure de l’intellectuel exilé comme une notion féconde pour penser l’itinéraire de Mattelart, c’est parce qu’il faut la comprendre dans toute son ambigüité, dans la mesure où c’était alors un intellectuel hétérodoxe et quelque peu marginal sur la scène intellectuelle française, où les études de communication n’allaient guère au-delà de la sémiotique, pas plus qu’elles ne jouissaient, dans un champ scientifique très marqué par les hiérarchies disciplinaires, de beaucoup de prestige institutionnel face à la sociologie et aux humanités traditionnelles. Il convient de souligner que malgré plusieurs livres publiés et des années d’expériences comme chercheur et enseignant, Mattelart ne trouvera un poste stable dans l’université française que dix ans après son arrivée en France et que, quand cela se produira en 1983, ce sera dans une université de province, à Rennes, où il occupera un poste de professeur pendant quartorze années, avant d’être nommé en fin de carrière à l’université de Paris 8 à Saint-Denis.
Mais il faut également imaginer sa position périphérique et hétérodoxe en considérant, comme l’observe François Cusset, la fin des années 1970 en France comme le début d’une « contre-révolution culturelle » – menée par les « nouveaux philosophes » – qui décochait ses flèches contre tous les vestiges de 1968, toutes les formes de gauche révolutionnaire encore actives dans l’hexagone et contre la théorie marxiste en général, associée en bloc au goulag soviétique et au totalitarisme ; il s’agissait d’une contre-révolution qui étendra la suspicion à toute activité théorique et critique, posant, comme le remarque Cusset, un « nouveau chantage moral à l’endroit des intellectuels : se convertir immédiatement ou être rapidement objet de l’opprobre général » (Cusset, 2005 [2003] : 310). Dans l’un de ses textes, les reproches adressés par Mattelart aux chercheurs français, qui accusaient les intellectuels critiques s’interrogeant sur les nouvelles formes d’impérialisme culturel qui fleurissaient alors en Europe Occidentale de « tiers-mondialiser le Premier Monde », sont sans doute une belle illustration de la façon dont il percevait sa position à la périphérie du monde universitaire et intellectuel, tant en termes politiques qu’académiques (Mattelart, 2010 [1979] : 60). Dans le même sens, son « Plaidoyer pour une recherche critique en France » (publié en épilogue à De l’usage des médias en temps de crise, en 1979, écrit avec Michèle Mattelart) confrontait certes les traditions dominantes dans le champ des études de communication en France (la sociologie empiriste, la sémiologie textuelle ou le déterminisme technologique de McLuhan), faisait également appel aux traditions critiques de la pensée et de la théorie sociale française, mais surtout appelait à redéfinir les relations entre l’université, les intellectuels et la société, comme cela s’était déroulé dans le laboratoire chilien ; c’était la condition, comme il l’écrivait avec Michèle Mattelart, d’une véritable « rupture épistémologique » ouvrant vers le développement d’une théorie critique (2003 [1979] : 256).
Éditeur, traducteur et militant cosmopolite
Le profil cosmopolite d’Armand Mattelart n’est pas seulement lié au choix de travailler sur les processus d’internationalisation de la production culturelle ; il a aussi à voir avec les connexions internationales et notamment celles forgées dans le laboratoire chilien – la fameuse « connexion de Santiago » pour reprendre l’expression de Fernanda Beigel décrivant la capitale andine comme le siège, à cette époque, de réseaux institutionnels académiques internationaux, avec un maillage très dense d’échanges théoriques, universitaires et intellectuels -, ou celles encore qui virent le jour plus tard et renvoient également à cette expérience. Mentionnons quelques uns de ces liens, réseaux ou formations culturelles internationales : la revue Comunicación et Cultura (1973-1985) qui à partir de 1978 se mit en place à Mexico ; le travail de recherche et de formation que Mattelart a réalisé dans des institutions ou universités de pays périphériques comme la Mozambique socialiste (en 1978 et 1980) ou le Nicaragua sandiniste (en 1986) ; sa contribution comme éditeur et compilateur d’anthologies dans diverses langues, résultant très souvent de ces voyages et séjours de recherche ou de formation ; ou son rôle comme animateur de la Conférence internationale sur l’Impérialisme culturel qui eut lieu en Algérie en 1977, et où il prononça le discours inaugural.
Comme cela s’est passé au Chili et ensuite à une échelle internationale, toutes ces interventions témoignent de l’existence de réseaux et espaces d’entrecroisements multiples – entre la politique, la recherche universitaire, le monde culturel, les agences d’États – où se construit un savoir sur le social au sein desquels Mattelart occupera très souvent une place centrale comme mentor et organisateur [9]. Bien sûr, avant de parler du parcours exceptionnel d’un individu, il faut surtout évoquer un profil forgé au cœur de processus collectifs fondés sur des réseaux qu’Armand Mattelart a très souvent contribué à construire et qui rendent compte de l’existence d’un espace que je nommerais espace public populaire international. Les fonctions que remplissait Mattelart à la fois comme éditeur et traducteur – non pas dans le sens littéral, mais comme passeur culturel -, en tant que conseiller aussi dans divers organismes internationaux ou pour des agences gouvernementales au début de la présidence de François Mitterrand et enfin comme militant impliqué dans des expériences révolutionnaires me permettent de parler à son endroit d’un profil intellectuel hétérodoxe, multiple et cosmopolite : dans ces années, Mattelart a effectivement été une sorte de traducteur ou médiateur mettant en relation des sphères sociales hétérogènes (la recherche scientifique et la pédagogie, l’intervention politique et culturelle à travers l’activité éditoriale et la militance politique, le travail d’expert-conseiller et l’enseignement universitaire), et des traditions intellectuelles comme des formations culturelles appartenant à des espaces nationaux hétérogènes.
À ce stade, j’aimerais m’arrêter sur son travail d’éditeur et de traducteur, facette de son itinéraire pratiquement inexplorée et sans doute l‘un des exemples les plus productifs pour penser la spécificité de son profil et de son projet intellectuel.
Parmi les nombreuses anthologies compilées par Armand Mattelart, on peut citer a) Communication and Class Struggle, éditée en deux volumes (1979-1983) à New York aux éditions International General, en association avec l’International Mass Media Research Center (IMMRC) basé en France ; b) Comunicación y transición al socialismo. El caso Mozambique, édité en 1981 au Mexique chez Era, qui comporte une étude introductive de Mattelart, et un ensemble d’articles et documents écrits par les acteurs du débat sur les politiques culturelles et communicationnelles mises en place par le Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) à partir de leur arrivée au pouvoir ; c) Communicating in Popular Nicaragua : an Anthology, édité en 1986 à New York par International General, avec également une étude introductive, des textes et documents d’analystes internationaux et protagonistes des politiques culturelles et communicationnelles sandinistes ; d) le volume complémentaire du rapport pour le Ministre de la Recherche et de l’Industrie française sur le recherche en communication, Technologie, culture et communication (1983).
Le projet le plus significatif de cette entreprise éditoriale est peut-être l’anthologie en deux volumes Communication and Class Struggle que Mattelart a produit conjointement avec l’artiste et éditeur nord américain Seth Siegelaub, rencontré lors de la publication de Para leer al pato Donald en langue anglaise (How to read Donald Duck). Cette anthologie, compilée, éditée et préfacée par Mattelart et Siegelaub, est une entreprise ambitieuse, de presque 1000 pages, regroupant 128 textes en anglais. Le premier volume a pour sous-titre Capitalism, Imperialism et sort en 1979 ; il sera suivi en 1983 d’un second volume sous titré Liberation, Socialism.
Deux principes président l’organisation de l’ouvrage. Tout d’abord, la volonté d’asseoir les bases théoriques, conceptuelles et épistémologiques d’une pensée marxiste sur la communication et la culture, ce que Mattelart appellera dans la longue introduction du premier volume une analyse de classe de la communication ou, paraphrasant Marx, écrivait-il, la critique de son économie politique. Malgré la division en deux parties pour des raisons financières et pratiques, les deux volumes revendiquaient une unité conceptuelle. Dans les grandes lignes, Capitalism, Imperialism présentait les références théoriques, ainsi que les travaux de recherche qui, selon les éditeurs, étaient incontournables pour une analyse marxiste du fonctionnement et du rôle de la communication dans le capitalisme. La gamme d’auteurs réunis transcendait les époques et les pays, de Karl Marx à Antonio Gramsci, de Pierre Bourdieu à Jürgen Habermas, en passant par Herbert Schiller, Raymond Williams ou Henri Lefebvre, entre autres. Le second volume, Liberation, Socialism, était en majeure partie consacré à une série de travaux qui analysaient ou témoignaient d’une variété de pratiques de résistance et de communication populaire, dans la presse, la radio, le cinéma, le théâtre, les maisons d’édition, les arts plastiques, entre autres expériences surgies de processus de mobilisation et transformation sociales au cours de l’histoire, tant dans les pays du centre que de la périphérie : de la Commune de Paris à la Révolution russe, du mai 68 français aux radios libres d’Italie. Dans ce sens, l’ampleur et l’hétérogénéité des réflexions théoriques, recherches et expériences alternatives analysées et réunies sont très significatives, que cela soit en termes géographiques qu’en termes de sphères du monde social qui s’interconnectaient ; ainsi, l’anthologie unissait des travaux s’inscrivant nettement dans le domaine académique avec d’autres plus ancrés dans une programmatique politique, souvent produits par les acteurs mêmes des pratiques de résistance culturelle populaire.
Dans ce sens, cette compilation de textes tentait d’améliorer et de promouvoir les conditions matérielles de production et de circulation d’une tradition critique généralement marginalisée dans le champ des études de communication, particulièrement en langue anglaise ; dans le même temps, il s’agissait d’établir de nouveaux vases communicants entre les diverses sphères du social. Dans la préface du premier volume, Seth Siegelaub analysait, à partir de données portant sur la concentration de la production éditoriale et sur le système de distribution dans les librairies, les contraintes imposées à la production et la circulation de travaux d’inspiration marxiste, plus particulièrement aux États-Unis. Autre obstacle pour la théorie critique, il pointait la concentration de la pensée de gauche sur la communication dans les milieux universitaires, ceux-ci ayant peu de relations avec la production d’autres types de travailleurs intellectuels œuvrant au sein de syndicats, partis ou organisations populaires. Ce qu’observait Siegelaub, c’était que les archives documentaires incluaient en général peu de travaux émanant de journalistes de gauche, ou de travailleurs affiliés à quelque syndicat de l’industrie de la communication. Non seulement ces derniers élaboraient des propositions, mais fréquemment les organisations de travailleurs trouvaient les médias particulièrement inappropriés pour documenter leur production : aussi, condamnés à n’utiliser que les ressources à leur portée, ils ne pouvaient éviter que leurs analyses soient fragmentaires et éphémères. En contrepartie, ce contexte caractérise le projet éditorial qu’Armand Mattelart et Seth Siegelaub ont su dynamiser. L’anthologie se présente simultanément comme une tentative d’élaboration cognitive et épistémologique, telle qu’elle est définie dans le cadre général des introductions rédigées par Mattelart, comme un travail de documentation et, last but not least, comme une mise en relation de traditions théoriques forgées dans des espaces nationaux et des moments historiques distincts, mais aussi comme une initiative visant à articuler des pratiques sociales hétérogènes. Cette articulation supposait une volonté pédagogique et l’intention de recoller des divisions spatiales et sociales afin de reconstruire la mémoire des luttes et expériences historiques, condition sine qua non pour élaborer une tradition critique. Preuve s’il en est de la nouveauté de cette initiative, citons la traduction et la publication, pour la première fois en langue anglaise à partir de l’italien, des commentaires sur la littérature nationale populaire et le folklore d’Antonio Gramsci – auteur qui commençait alors à être traduit, édité et discuté, non sans problème, en France.
Indubitablement, Armand Mattelart a joué un rôle déterminant dans la sélection des textes composant l’éventail hétérogène et cosmopolite de Communication and Class Struggle. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les références latino-américaines de la recherche critique en communication que l’on trouve dans la bibliographie annexée à la fin de chaque volume, ou encore l’intégration dans les introductions aux deux volumes de références à des auteurs issus de diverses aires géographiques, traditions politiques et intellectuelles, ou disciplines académiques dont beaucoup étaient inconnus dans les pays anglophones, ou dans la tradition intellectuelle française : cela va des théoriciens des anciens pays du soi-disant socialisme réel à l’économie politique de la communication anglo-saxonne, en passant par les théoriciens de la décolonisation africaine, entre autres. À la fin de l’introduction du second volume de l’anthologie, Mattelart exposait sa conception du projet de traduction et d’articulation en proposant un regard non eurocentrique : face à ceux qui accusaient les promoteurs de l’impérialisme culturel en Europe de « tiers-mondiser le vieux monde », il s’agissait de lancer des passerelles entre les diverses expériences de lutte et la production de synthèses théoriques. Cette tâche impliquait de mettre en avant les contributions essentielles des peuples périphériques comme celle de théoricien péruvien José Mariátegui, « un contemporain de Gramsci qui continuait à être relativement méconnus des pays du centre ». D’où la nécessité, comme il l’écrivait, de questionner « la loi de l’échange inégal opérant y compris dans le champ révolutionnaire » (Mattelart, 2010 [1979] : 137). Ce questionnement des termes de l’échange d’idées entre le centre et la périphérie n’impliquait pas qu’une simple inversion des flux sinon une articulation nouvelle :
Avant de poser l’éternelle question (…) à savoir si les modèles de la science occidentale peuvent servir dans le Tiers Monde, peut-être est-il temps d’inverser la proposition et de demander : quelles leçons peut-on tirer des luttes que les pays périphériques ont engagées dans le domaine des réseaux de communication populaire pour les appliquer à l’Europe et les Etats-Unis ? (…) Pourtant, pour éviter de répéter les erreurs du passé, quand les expériences déployées dans le Tiers Monde ont été prises comme des recettes et lues comme un catéchisme (…) Il est plus que nécessaire que la réflexion théorique nous permette de toujours unir le général au particulier, et vice versa. Ce détour par la théorie est nécessaire pour que nous puissions voir ces expériences comme problématiques, capables de susciter des interrogations, des différences et similitudes. On pourrait ainsi répondre à l’objection habituelle qui avance que « ce qui se passe si loin n’est pas notre affaire » (Mattelart, 2011 [1983] : 135, je souligne).
Il ne s’agissait pas alors d’un projet de traduction entendu de manière mécanique, comme une transposition de textes ou d’autres réalités temporelles et nationales, pas plus d’une tentative de repositionnement linéaire de la mémoire historique, mais plutôt, comme le souligne la citation précédente, d’un travail de réflexion qui, selon ses propres mots, cherchait à réunir le général et le particulier, postulant la nécessité d’un détour indispensable par la théorie, tâche permettant de déclencher des questions, de discerner des différences et des similitudes entre les processus historiques et de rendre compte, in fine, de la façon dont cette rencontre entre les dynamiques sociales et les processus globaux se faisait.
Je voudrais également mentionner brièvement le cas de la revue mexicaine Comunicación y Cultura, dont le centre de gravité tournait alors autour de la figure d’Héctor Schmucler et du groupe qui l’entourait à l’université autonome métropolitaine de Mexico ; la revue a reçu un nombre important d’intellectuels et chercheurs latino-américains exilés et Armand Mattelart a joué un rôle clé dans la construction de ces réseaux éditoriaux travaillant sur la problématique de la culture. Pour prendre un exemple, le numéro 6 de Comunicación y Cultura, publié en 1978, intègre une partie des interventions d’intellectuels et chercheurs en sciences sociales faites lors de la Conférence internationale sur l’Impérialisme culturel, qui lança avec le gouvernement algérien alors aux mains du FLN, la Fondation internationale Lelio Basso pour le droit et la libération des peuples. Mattelart a été l’un des maîtres d’œuvre de cet événement dont il assura la conférence inaugurale, donnant ainsi le ton aux débats notamment autour de la redéfinition de la problématique de l’impérialisme culturel (Roach, 1997 ; Lenarduzzi, 1998). Ce sont ces interventions, dont la présentation de Mattelart (« Notes en marge de l’impérialisme culturel », 1978) et le texte de la résolution finale, qui figureront dans Comunicación y Cultura, traduits en espagnol afin que les débats puissent être largement diffusés et promus auprès du lecteur latino-américain, contribuant par là-même à étendre la portée des réseaux de documentation et des échanges intellectuels.
En somme, dans toutes les anthologies éditées par Mattelart, on peut y lire un programme déjà présent dans le paragraphe que j’ai extrait de son introduction à Communication and Class Struggle 2. On peut le définir comme une tentative pour développer une pensée marxiste et une théorie critique capables d’éviter le double écueil du particularisme tiers-mondiste et de son envers symétrique l’eurocentrisme, deux postures qui étaient alors monnaie courante chez les marxistes latino-américains, comme le souligne Michaël Löwy (Löwy, 2007 : 10). Avant même de pointer la singularité de tout processus national face à l’internationalisation et l’homogénéisation de la production culturelle, ou au contraire avant de rendre compte d’une tendance qui inévitablement se manifesterait partout sans soubresauts et de façon identique, il fallait tenter de mettre en lumière ce qu’il y avait de détermination réciproque entre processus locaux et globaux et ce qui, à partir de chaque situation particulière, pouvait être tiré pour rendre intelligible l’autre sans la subsumer. Il va de soi que le développement de cette réflexion ne pouvait être possible sans l’existence d’une infrastructure culturelle, et d’un réseau d’échange intellectuel à caractère international. C’est ce qu’Armand Mattelart contribuera à construire à la croisée du monde académique, de la culture et de la politique.
En guise de conclusion
Dans cette approche très panoramique de son itinéraire, l’historienne française Diana Cooper-Richet évoque Armand Mattelart comme un homme double, ou mieux multiple. Empruntant cette notion à l’historien Christophe Charle, elle affirme qu’un homme double est quelqu’un qui se trouve au croisement de cultures nationales ou d’espaces sociaux hétérogènes. Pour l’auteure, c’est surtout l’expérience chilienne de Mattelart, tant pour le contact avec l’altérité culturelle qu’avec l’altérité sociale, le monde populaire, qui aurait marqué son profil intellectuel sous le sceau de l’internationalisme et d’une vocation constante à l’ouverture. Dans un milieu culturel français caractérisé, selon l’expression de François Cusset, par une « tradition tenace d’isolement intellectuel » (Cusset, 2005), et par des frontières rigides entre sphères culturelles et disciplinaires, Cooper-Richet souligne la « position atypique » et marginale de Mattelart, tout comme son profil de passeur ou de « médiateur culturel » (Cooper-Richet, 2008).
Pourtant, s’il est entendu que l’on peut parler de la situation périphérique et marginale de Mattelart dans le champ intellectuel et universitaire français, et souligner, comme je l’ai fait, le rôle de sa situation d’exilé dans ses dispositions intellectuelles, c’est seulement pour mieux signaler qu’il assume pleinement cette position historique paradoxale : son insertion universitaire précaire survenait dans un contexte de tensions entre son profil intellectuel et un système d’enseignement et de recherche qui permettait encore – en écho avec les événements de mai 68 -, de tailler sa place dans les multiples failles et contradictions internes. Dans ce sens, Mattelart faisait partie intégrante d’une trame culturelle dense où, à partir de positions subalternes – et j’insiste sur ce point -, des formations culturelles et des espaces de sociabilités intellectuels s’entremêlaient avec, pour dire les choses de manière générale, le monde culturel de la gauche française ; une gauche qui eut en 1981 une opportunité historique de prendre le pouvoir, bien que, paradoxalement, elle était déjà en déroute « culturelle » (Cusset, 2008).
De la même façon, tout en soulignant les paradoxes et l’ambiguïté de sa position, on doit lire l’inscription de Mattelart dans des formations culturelles et réseaux d’échange ou de sociabilité intellectuelle à caractère international comme témoignant globalement de l’existence d’un espace public populaire international moyennement développé. Il s’agit d’un concept se référant à un espace incomplet, bigarré, instable et difficile à cartographier : il fonctionne à partir de positions subordonnées et se situe à la croisée d’espaces intellectuels nationaux, tout en ayant recours fait de relations et d’emprunts aux institutions et aux ressources de la culture dominante. Il s’agit quand même d’une définition provisoire dans la mesure où elle fait référence à un espace diffus et ambivalent. Comment rendre compte de la spécificité d’un espace de réseaux matériels et de productions symboliques, qui s’est construit en lien avec les institutions et ressources culturelles établies ou dominantes ? Comment objectiver cet espace éphémère, qui a permis d’établir un lien productif et historiquement situé entre les formations culturelles des classes populaires, et une catégorie d’intellectuels parfois issus de ses propres rangs, mais venant majoritairement de la petite et moyenne bourgeoisie ? Comment comprendre ces formations culturelles internationales en ayant à l’esprit leur position subalterne, tout en pointant les lieux où elles ont préfiguré, et aussi participé à la configuration d’un espace de pouvoir ? Il s’agit sans doute de questions qui invitent à une formulation théorique, étant bien sûr entendu que, de par leur dimension internationale, on a affaire à un champ émergent tout juste délimité.
À ce stade, j’ai essayé de présenter à grands traits les caractéristiques les plus saillantes de l’itinéraire et du profil de Mattelart, figure hybride et multiple, sorte d’intellectuel transnational, c’est-à-dire un acteur qui a forgé au cours de sa trajectoire des dispositions privilégiées permettant d’articuler des réseaux de production intellectuelle, et des traditions théoriques appartenant à divers espaces nationaux. Comme je l’ai signalé, c’est à partir de là que l’on peut penser sa figure intellectuelle avec les notions d’intellectuel-traducteur ou de passeur culturel, afin d’expliquer sa contribution comme architecte et promoteur d’instances de médiation entre la militance politique, les expériences et productions liées aux formations culturelles alternatives, et enfin des espaces plus institutionnalisés de production de savoir.
Indubitablement, cette posture se nourrit de sa propre production – qu’en retour elle dynamise et singularise – de connaissances particulières sur le rapport entre la communication, la culture et la société. D’un autre manière, et c’est ce que j’ai rapidement énoncé ici sans vraiment le développer, on peut expliquer, à partir de cette généalogie, la position théorique d’Armand Mattelart comme une façon productive et singulière de comprendre l’organisation sociale contemporaine, grâce à la critique de la culture et de la communication. Mais, ce serait l’objet d’un autre article.
- « La Spirale », 1976 (réalisation: Armand Mattelart, Valérie Mayeux, Jacqueline Meppiel ; scénario et commentaire : Chris Marker). Il s’agit d’un film politique majeur, d’une puissance analytique rare (mais jugé « didactique et partisan » par la télévision française qui refusa à le diffuser). Voir l’entrée wikipédia sur le film pour des explications intéressantes de Mattelart. Ici, le commentaire off est en français, mais les archives audiovisuelles en espagnol ne sont pas sous-titrées.
- Mariano Zarowsky vient de soutenir sa thèse sur l’œuvre d’Armand Mattelart. Il enseigne à l’université de Buenos Aires, Argentina. Une première version de ce texte a été publiée en espagnol dans la revue « A contracorriente », vol 9 : 2, hiver 2012, pp. 221-47, North Carolina State University, USA.
- Jacques Guyot est professeur des universités en communication à l’université de Paris 8. Son dernier livre est « Les archives audiovisuelles. Histoire, culture, politique » (avec Thierry Rolland), Armand Collin, 2011.
- Comme Jacques Guyot, David Buxton, directeur de la Web-revue, a fait sa thèse sous la direction d’Armand Mattelart, après avoir découvert la traduction anglaise de « Donald » dans sa Nouvelle-Zélande natale. Il a eu l’honneur d’être le traducteur attitré en anglais de ses livres entre 1979 et 1987, dont la longue introduction à Communication and Class Struggle : Liberation-Socialism (1983) discutée ici. La chronique « Actualités » de la Web-revue doit beaucoup à l’influence de Mattelart, fin lecteur des revues professionnelles américaines.
Une des quatre parties d’une intervention à Rome (en français), 2009.
Notes
[1] En Argentine Para leer al pato Donald a suscité une abondante littérature critique. À partir de la sémiotique, on peut consulter : Wajsman (1974), Verón (1974) et les travaux plus récents de Berone (2007, 2009). À partir de l’histoire culturelle, Vazquez (2010).
[2] Jusqu’à aujourd’hui, il n’existait pas d’étude exhaustive de l’itinéraire d’Armand Mattelart. Cette carence commence à être comblée avec le livre tiré du long entretien mené par Michel Sénécal, intitulé Pour un regard Monde, Paris : La Découverte, 2010, ainsi que l’ouvrage tirée de ma thèse Del laboratorio chileno a la comunicación-mundo. Un itinerario intellectual de Armand Mattelart, Buenos Aires : Editorial Biblos, 2013. En revanche, les bilans partiels ou moments particuliers, comme les recensions disciplinaires sont pléthore. Pour l’Amérique Latine, mentionnons entre autres Efendy Maldonado Gomez de la Torre (2003); Beigel, (à paraître); Fuentes Navarro, (1992); Entel, (1994), Zarowsky (2007, 2009). Pour l’Europe, citons Garnham (1984), Roach (1997); Cooper-Richet, (2008).
[3] Voir sur ce point les deux volumes de l’incontournable histoire des intellectuels latino-américains compilée par Carlos Altamirano (Altamirano, 2008 et 2010).
[4] Jacques Chonchol (1926-) appartenait à l’aile gauche du Parti démocrate-chrétien, qui a rompu avec celui-ci en 1969 pour former MAPU (Mouvement d’action populaire unitaire), rallié à la coalition d’Unité populaire d’Allende en 1970. Il s’agit d’une gauche chrétienne radicalisée, proche de la « théologie de la libération » (note ajoutée par DB).
[5] Sur ce point, je me base sur l’analyse qu’a faite Raul Burgos (2004) de l’itinéraire des « gramsciens argentins » et l’influence de leur travail éditorial (Cuadernos de Pasado y Presente, Los Libros, Siglo XXI Argentina) sur la politique et la culture.
[6] Si la métaphore de « l’intellectuel exilé » s’avère utile pour interpréter une manière de vivre le travail intellectuel, on peut avancer que le regard sociologique (en opposition à celui métaphysique et normatif proposé par Said) nous permet de situer la position de Mattelart dans le champ intellectuel français et de montrer les configurations particulières auxquelles il a participé, contribuant à forger des réseaux de sociabilités académique, intellectuelle et politique à caractère international qui confortent son rôle intellectuel.
[7] J’utilise les notions de sociologie culturelle de Raymond Williams (1994 [1981]).
[8] Voir, entre autres articles, Mattelart (1974a, 1974b, 1975a, 1975b).
[9] J’emprunte le concept d’espaces d’entrecroisements multiples à Neiburg et Plotkin, 2004.
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(La première édition d’un ouvrage est indiquée entre crochets).
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Mariano Zarowsky est titulaire d’un Magister en Communication et Culture et d’un doctorat en Sciences Sociales de l’Université de Buenos Aires. Il y enseigne l’histoire de la pensée sur la communication et la culture. Chercheur au sein de l’Institut des Recherches Scientifiques et Techniques (CONICET).