Le véritable but des travaux de Haussmann, c’était de s’assurer contre l’éventualité d’une guerre civile. Il voulait rendre impossible à tout jamais la construction de barricades dans les rues de Paris. Poursuivant le même but, Louis-Philippe avait déjà introduit les pavés de bois. Quand les formes architecturales sont du contenu [social et politique] sédimenté.
Article interdit à la reproduction payante
Walter Bendix Schönflies Benjamin
(15 juillet 1892 à Berlin- 26 septembre 1940 à Portbou)
Philosophe, historien de l’art, critique littéraire, critique d’art et traducteur (notamment de Balzac, Baudelaire et Proust).
Rattaché à « l’École de Francfort ».
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Texte intégral de Walter Benjamin (1939). Une édition numérique gratuite réalisée par Daniel Banda à partir du texte « Paris, capitale du XIXe siècle » (« exposé » écrit directement en français), in Das Passagen-Werk (le Livre des Passages), Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1982, pages 60 à 77. Collection Les classiques des sciences sociales, fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi, et développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Extrait de la partie E : Haussmann ou les barricades, I, p. 17-19 choisi par la Web-revue.
Haussmann ou les barricades
J’ai le culte du Beau, du Bien, des grandes choses,
De la belle nature inspirant le grand art,
Qu’il enchante l’oreille ou charme le regard ;
J’ai l’amour du printemps en fleurs : femmes et roses !Baron Haussmann, Confession d’un lion devenu vieux.
L’activité de Haussmann s’incorpore à l’impérialisme napoléonien, qui favorise le capitalisme de la finance. À Paris la spéculation est à son apogée. Les expropriations de Haussmann suscitent une spéculation qui frise l’escroquerie. Les sentences de la Cour de cassation qu’inspire l’opposition bourgeoise et orléaniste, augmentent les risques financiers de l’haussmannisation. Haussmann essaie de donner un appui solide à sa dictature en plaçant Paris sous un régime d’exception. En 1864 il donne carrière à sa haine contre la population instable des grandes villes dans un discours à la Chambre. Cette population va constamment en augmentant du fait de ses entreprises. La hausse des loyers chasse le prolétariat dans les faubourgs. Par là les quartiers de Paris perdent leur physionomie propre. La « ceinture rouge » se constitue. Haussmann s’est donné à lui-même le titre « d’artiste démolisseur ». Il se sentait une vocation pour l’œuvre qu’il avait entreprise ; et il souligne ce fait dans ses mémoires. Les halles centrales passent pour la construction la plus réussie de Haussmann et il y a là un symptôme intéressant. On disait de la Cité, berceau de la ville, qu’après le passage de Haussmann il n’y restait qu’une église, un hôpital, un bâtiment public et une caserne. Hugo et Mérimée donnent à entendre combien les transformations de Haussmann apparaissaient aux Parisiens comme un monument du despotisme napoléonien. Les habitants de la ville ne s’y sentent plus chez eux ; ils commencent à prendre conscience du caractère inhumain de la grande ville. L’œuvre monumentale de Maxime Du Camp, [Les Convulsions de] Paris, doit son existence à cette prise de conscience. Les eaux-fortes de Meryon (vers 1850) prennent le masque mortuaire du vieux Paris.
Le véritable but des travaux de Haussmann c’était de s’assurer contre l’éventualité d’une guerre civile. Il voulait rendre impossible à tout jamais la construction de barricades dans les rues de Paris. Poursuivant le même but Louis-Philippe avait déjà introduit les pavés de bois. Néanmoins les barricades avaient joué un rôle considérable dans la révolution de février. Engels s’occupa des problèmes de tactique dans les combats de barricades. Haussmann cherche à les prévenir de deux façons. La largeur des rues en rendra la construction impossible et de nouvelles voies relieront en ligne droite les casernes aux quartiers ouvriers. Les contemporains ont baptisé son entreprise : « l’embellissement stratégique ».
Walter Benjamin
Si la forme esthétique est du contenu social sédimenté comme le précise Marc Hiver dans un article publié par la Web-revue, alors on pourrait dire que la forme architecturale haussmannienne renvoie à un traumatisme politique : la peur que ressurgissent des soulèvements populaires et leur expression au travers des barricades. (NdE)
Extrait 1, p. 88-89.
Par principe même, l’œuvre d’art a toujours été susceptible de reproduction. Ce que des hommes avaient fait, toujours d’autres le pouvaient refaire. On a vu de tout temps des élèves copier des oeuvres d’art à titre d’exercice, des maîtres les reproduire pour en assurer la diffusion, des faussaires les imiter pour en tirer un profit matériel. La reproduction TECHNIQUE de l’œuvre d’art est cependant un phénomène tout à fait nouveau, qui est né et s’est développé au cours de l’histoire, par bonds successifs, séparés par de longs intervalles, mais à un rythme de plus en plus rapide. Les Grecs ne connaissaient que deux procédés techniques de reproduction : la fonte et l’empreinte.
Extrait 2, p. 89.
Avec la lithographie, les techniques de reproduction avaient fait un progrès décisif. Ce procédé, beaucoup plus fidèle, qui confie le dessin à la pierre au lieu de l’entailler dans le bois ou de le graver dans le cuivre, permit pour la première fois à l’art graphique de mettre ses produits sur le marché, non seulement en masse (comme il le faisait déjà), mais sous des formes chaque jour nouvelles. Ainsi le dessin put illustrer désormais l’actualité quotidienne. Il devint par là même l’intime collaborateur de l’imprimerie. Mais à peine quelques dizaines d’années s’étaient-elles écoulées depuis cette découverte que la photographie, à son tour, allait la supplanter dans ce rôle.
Extrait 3, pp. 89 et 92.
Pour établir l’authenticité d’un bronze, il faut parfois recourir à des analyses chimiques de sa patine ; pour démontrer l’authenticité d’un manuscrit médiéval, il faut parfois établir qu’il provient réellement d’un dépôt d’archives du XVe siècle. La notion même d’authenticité n’a aucun sens pour une reproduction, technique ou non technique.
On pourrait résumer tous ces manques en recourant à la notion d’AURA et dire : au temps des techniques de reproduction, ce qui est atteint dans l’œuvre d’art, c’est son AURA.
C’est sur la base de cette réflexion de Walter Benjamin que T.W. Adorno et Max Horkheimer ont introduit le concept de Kulturindustrie dans l’essai « La Production industrielle de biens culturels » (titre : « Kulturindustrie » en allemand) de leur ouvrage : La Dialectique de la raison dont la première édition a été publiée en 1947 chez Querido à Amsterdam. Ce concept critique, voire polémique, a été traduit en français par industrie culturelle (au singulier), mais on aurait pu le traduire aussi par industrialisation de la culture et/ou dans la civilisation.
Extrait p. 130.
Les parties intéressées expliquent volontiers l’industrie culturelle en termes de technologie. Le fait qu’elle s’adresse à des millions de personnes impose des méthodes de reproduction qui, à leur tour, fournissent en tous lieux des biens standardisés pour satisfaire aux nombreuses demandes identiques. Le contraste technique entre les quelques centres de production et des points de réception très dispersés exige forcément une organisation et une planification du management. Les standards de la production sont prétendument basés sur les besoins des consommateurs : ainsi s’expliquerait la facilité avec laquelle on les accepte. Et, en effet, le cercle de la manipulation et des besoins qui en résultent resserre de plus en plus les mailles du système.
Bibliographie de Walter Benjamin
IDIXA donne ici la liste des textes dans l’ordre chronologique de rédaction, suivis par des indications sur la ou les éditions(s) française(s).
– 1910-1928 : Correspondance, tome 1 (Aubier) [Correspondance1].
– 1914-15 : « Deux poèmes de Friedrich Hölderlin » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1915 : « La vie des étudiants » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1916 : « Sur le langage en général et sur le langage humain » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1917 : « L’idiot de Dostoïewski » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1917 : « Sur la peinture ou Signe et tache » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1917-18 « Sur le programme de la philosophie qui vient » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1919 : « Destin et caractère » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1919 : Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand (thèse de doctorat). Paru en 1986 aux éditions Flammarion (Coll. Champs).
– 1920 : « Critique de la violence » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1920-21 : « Fragment théologico-politique » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1922 : « Les affinités électives de Goethe » in Essais 1 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1922 : « Annonce de la revue Angelus Novus » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1923 : « La tâche du traducteur » in Œuvres1 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1926 : « La Tour, de Hugo Von Hofmannsthal » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1926-27 : « Journal de Moscou ».
– 1927-40 : Paris, capitale du XIXème siècle – Le Livre des Passages (Ed du Cerf), 2006.
– 1927 : « Kitsch onirique » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1927 : « Gottfried Keller » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1928 : « Adrienne Mesurat » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1928 : Sens unique, précédé de Enfance berlinoise, (10/18).
– 1928 : Origine du drame baroque allemand (Flammarion).
– 1928 : « Conversation avec André Gide » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1928 : « Goethe » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1929-1940 : Correspondance, tome 2 (1929-1940) (Aubier) [Correspondance2].
– 1929 : « Pour le portrait de Proust » in Essais 1 (Denoël/Gonthier).
– 1929 : « Le surréalisme » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1929 : « Robert Walser » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1929 : « Johann Peter Hebel » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1929 : « Brèves ombres » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1930 : « Julien Green » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1930 : « Un marginal sort de l’ombre, à propos des Employés de S. Kracauer ».
– 1930 : « Crise du roman, à propos de Berlin Alexanderplatz de Döblin » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1930 : « Théories du fascisme allemand » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1930 : « Contre un chef-d’œuvre » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1931 : « Histoire littéraire et science de la littérature » in Essais 1 (Denoël/Gonthier).
– 1931 : « Petite histoire de la photographie » in Essais 1 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1931 : « Paul Valéry » in Essais 1 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1931 : « Karl Krauss » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1931 : « Histoire littéraire et science de la littérature » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1931 : « Franz Kafka, Lors de la construction de la muraille de Chine » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1931 : « Le caractère destructeur » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1931-32 : « Oedipe ou le mythe raisonnable » in Essais 1 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1932 ou 1935 : « Hachisch à Marseille » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000. Et aussi in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1933 : « Kierkegaard » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1933 : « Sur le pouvoir d’imitation » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1933 : « Expérience et pauvreté » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1933 : « Enfance berlinoise, cinq fragments » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1934 : « Franz Kafka, Pour le dixième anniversaire de sa mort » in Essais 1 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1934 : « L’image proustienne » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1934 : « La position sociale actuelle de l’écrivain français » in Œuvres2 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1934 et 1938 : Essais sur Brecht, (Ivernel), 2003.
– 1935 : « Problème de sociologie du langage » in Essais 2 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1935 : « Paris, capitale du 19ème siècle » in Essais 2 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1935 : « Johann Jakob Bachofen » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1936 : « Le narrateur (Le conteur : Réflexion sur l’œuvre de Nicolas Leskov) » in Essais 2 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1935-36 : « L’œuvre d’art à l’ère de la reproductibilité technique » (première version) in Essais 2 (Denoël/Gonthier). Trad. refaite in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000. Variantes in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1936 : « André Gide et ses nouveaux adversaires » in Essais 2 (Denoël/Gonthier). Trad. revue in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1937 : « Eduard Fuchs, collectionneur et historien » in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1937-39 : « Sur Baudelaire » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1938 : « Le Paris du second empire chez Baudelaire » in Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Payot 1982.
– 1938 : « Sur Scheerbart » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1938 : « Peintures chinoises à la bibliothèque nationale » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1938-30 : « Commentaires sur les poèmes de Brecht » in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1938-39 : « Zentralpark, fragments sur Baudelaire » in Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Payot 1982.
– 1939 : « Sur quelques thèmes baudelairiens » in Essais 2 (Denoël/Gonthier), et aussi in Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Payot 1982.
– 1939 : « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1939 : « Qu’est-ce que le théâtre épique? » in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1939 : « Les régressions de la poésie de Carl Gustav Jochmann » in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000.
– 1939 : « Allemands de 89 » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1939 : « Paris, capitale du XIXème siècle », exposé in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1939 : « Rêve du 11-12 octobre 1939 » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1940 : « Deux lettres au sujet de Le Regard de Georges Salles » in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.
– 1940 : « Thèses sur la philosophie de l’histoire » in Essais 2 (Denoël/Gonthier). Autre version sous le titre « Sur le concept d’histoire » in Œuvres3 (Folio-Gallimard), 2000. v. aussi in Écrits Français (Folio-Gallimard), 1991.