Cet article est un extrait d’une thèse de doctorat à venir en sciences de l’information et de la communication. Loin des fantasmes d’une toute-puissance accordée aux nouveaux médias, il s’agit d’analyser une réalité médiatique augmentée par l’entrée en lice des réseaux sociaux. L’étude de cas porte, à la veille du premier tour de la présidentielle de 2012 en France, sur la tentative de contournement par les twittos du code électoral relatif à la communication des résultats. Entre humour potache et rumeurs des twittos de base, mais aussi fuites organisées ou manipulées par des armées de community managers au service des candidats, le site de microblogging Twitter est donc le terrain de jeu de ceux qui croient en une conception de la démocratie directe et participative et des pros qui veulent l’instrumentaliser.
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Présidentielle 2012, J-15 avant le scrutin du 6 mai.
Les médias bruissent des échos qui révéleront aux Français le nom du nouveau président de la République. À la veille du premier tour du 22 avril, les acteurs de l’écosystème politique scrutent l’horizon numérique d’Internet. Interdiction de publier les résultats avant 20 heures ! La législation du code électoral s’annonce difficilement compatible avec le site de microblogging Twitter, cette caisse de résonance informationnelle marquée par l’instantanéité du temps réel. Les utilisateurs actifs de Twitter, les twittos, feront-ils appel à la presse étrangère suisse et belge, dès 18 h 30, pour braver l’interdiction de publier les premiers résultats avant le rendez-vous fatidique du 20 heures ? Comment imaginer que le tempo médiatique incessant du fil de l’actualité puisse faire une « pause silencieuse » sur un réseau social tel que Twitter, sachant que c’est précisément dans « cet espace viral » que le rythme effréné de la transmission des messages accélère et réactive la dynamique de l’information ?
L’article L52-2 du Code électoral relatif à la communication des estimations ou des résultats est formel : toute opération politique, de type meeting ou interview ou bien encore divulgation de sondages du premier et second tour de scrutin, sont interdits à partir du vendredi soir minuit, jusqu’à la publication officielle des résultats dimanche à 20 h. « Les contrevenants s’exposent à une amende de 75 000 euros par infraction constatée ». Que dire de l’article L49 qui réglemente les lois sur la propagande ? « Il est interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ».
Les directeurs de campagne prennent des précautions afin d’éviter toute entrave à la loi : Vincent Feltesse, le directeur de campagne de François Hollande annonce sur son compte Twitter, dès le 20 avril que le compte Facebook du candidat PS sera désactivé. (Figure 1)
Chez les journalistes la même prudence se traduit par une absence remarquée de messages dès le vendredi soir. Que va-t-il se passer sur les réseaux sociaux sachant qu’en France en avril 2012 on compte 3 millions de comptes Twitter ? Comment vont réagir les trublions de la campagne présidentielle, ces utilisateurs actifs dont les militants et les sympathisants de la première heure publient et commentent quotidiennement les derniers sondages, tout en donnant humoristiquement leur sensibilité politique avec des photos-montages ou des vidéos ? On est en droit de s’interroger, à la veille du premier tour, sur l’éventuelle législation prévue pour les activistes des réseaux sociaux qui transgresseraient par deux fois (divulgation et propagande) les lois du Code électoral. La Commission nationale de contrôle redouble de vigilance ; son rapporteur général, Jacques-Henri Stahl s’en fait l’écho dans la presse : « Les règles n’ont pas changé depuis 2002 (…) C’est la même règle adaptée aux nouveaux moyens de communication ». Le « dispositif de surveillance » composée d’une dizaine de personnes fait sourire les incrédules qui estiment la loi surannée ; c’est pourquoi, dès la veille du premier tour, les internautes décident de coder leurs messages et d’entrer en résistance, en reproduisant la dynamique identitaire d’un événement appartenant à l’histoire mythique de la Seconde Guerre mondiale : il s’agit de l’épisode « #RadioLondres ».
Ce n’est plus « les Français parlent aux Français », mais « les Twittos parlent aux Twittos » avec une devise qui annonce un humour « décalé » comme ses horaires : « Demain à 18 h il sera 20 h ». Les premières vagues de résistance déferlent la veille du premier tour. Instantanément, « des formes d’écriture technolangagières » se créent grâce au hashtag #RadioLondres. Ce technomot ou mot dièse, encore appelé mot-clic ou balise par l’utilisateur québécois fonctionne comme un appel fédérateur qui signale ou marque un mot-clé appartenant à un thème précis. Si l’on clique sur le hashtag #RadioLondres dans un message reçu, on arrive directement sur la timeline ou fil d’actualités chronologique de tous les tweets associés au même mot-clé. Le hashtag agit comme un lien hypertexte qui permet également d’introduire ou de terminer son tweet à l’aide de petites formules sarcastiques. Nous découvrons ici l’art de la tweetécriture : il s’agit de créer une succession de mots-clés sans espaces qui forment une phrase très explicite, la plus célèbre étant : « #jerespectelecodeelectoral ».
3 exemples :
21 Avril 2012
• #Jerespectelecodeelectoral #RadioLondres #Chirac remarche ! Miracle ! Je répète, #Chirac remarche ! Miracle ! Pom pom pom pooooooom !
5 Mai 2012
• Dans une voiture, la place du mort est à droite #JeRespecteLeCodeElectoral.
Dès 10 h le 6 mai
• Le caviar coûtera 52,9 € et les chouquettes 47,1 € #RadioLondres #JeRespecteLeCodeElectoral.
Placée en début ou en fin de message comme une signature, cette invitation à la prudence est dans un premier temps, un garde-fou qui incite à la modération et à la responsabilité des propos tenus : elle annonce l’état d’esprit du thème principal. Les acteurs de l’épisode #RadioLondres souhaitent montrer qu’ils sont conscients d’une démarche qui consiste à contourner un interdit électoral même si l’humour en est la tonalité dominante. Recevoir et relayer les estimations des premiers résultats en 140 signes, dans un espace public et en langage codé, devient soudain un défi à relever.
En quelques clics se crée une micro société composée d’utilisateurs chevronnés qui connaissent la maîtrise des usages sur Twitter et qui vont s’approprier très vite un territoire communicationnel dans lequel l’humour décalé presque « potache », la métaphore, l’ironie et la dérision transgressive imprimeront l’idée d’une révolte. Cette « communauté discursive » forme selon la définition de Marie-Anne Paveau [1] « un ensemble de locuteurs qui partagent des usages et des rapports au langage et au discours ».
Observons un florilège des premiers tweets des 21 et 22 avril avant de décomposer le message avec tous ses codes :
• Le flamby cuit à 27°.
• La Rolex retarde de 25 minutes.
• La météo indique 16° à Nuremberg.
• Le litron de rouge tire 13 degrés.
• La lunette corrige une myopie de 2.
• Demain, il fera 29 degrés à Tulle et 27 degrés à Neuilly. Ça reste crédible avec les 16 degrés place Stalingrad ou bien ?.
Chaque candidat est étiqueté selon un symbole qui connote sa personnalité ou illustre sa géolocalisation selon son fief ou ses origines. Les métaphores culinaires ou météorologiques sont nombreuses. Chaque personnalité politique facilement identifiable reçoit un sobriquet qui appartient autant à l’imaginaire collectif d’une foule qu’à celui prononcé par un détracteur dans la presse : Flamby est le référent de François Hollande, la Rolex, celui de Nicolas Sarkozy. Le Gouda associé au nom de famille du candidat PS devient le double métaphorique du Fromage Président associé au président sortant. La sémantique du FN renvoie directement aux grandes villes allemandes comme Nuremberg ou Berlin. Cette mécanique du sens est la même pour Le Front de Gauche symbolisé par le Kremlin, Stalingrad ou la Place rouge. Tout objet ayant rapport avec la vision relève du mouvement écologiste mené par Eva Joly, dont les lunettes rouges ou vertes sont inhérentes à la personnalité de la candidate. Idem pour la couleur orange qui s’incruste sur l’étendard idéologique de François Bayrou depuis 2007.
Quand les estimations chiffrées ne sont pas au rendez-vous l’humour militant révèle la sensibilité politique tout en apportant les dernières tendances.
• Le gouda sent bon chez les Belges, je répète le gouda sent bon chez les Belges.
• Dave va planter des tulipes à Paris, je répète Dave va planter des tulipes à Paris.
• Carlita ne chantera pas, je répète Carlita ne chantera pas.
• Le pédalo rouge coule dans la mer bleue, je répète le pédalo rouge coule dans la mer bleue.
• Les talonnettes sont dans les cartons.
• Vend karcher peu servi TBE, je répète vend karcher peu servi.
• Les myopes ont un charme flou, je répète, les myopes ont un charme flou.
On distingue trois modèles de bases :
– Un message qui informe avec des données chiffrées :
• La Rolex retarde de 25 minutes.
Il signifie que les intentions de vote de Nicolas Sarkozy sont estimées à la baisse, soit : 25 %.
– Un message non chiffré qui donne la tendance du classement d’un parti politique
• Le prix du flan à drôlement augmenté en Guadeloupe, mais les Rolex sont en solde.
Il signifie que François Hollande est en tête en Guadeloupe, devant Nicolas Sarkozy.
– Un message militant qui exprime clairement une sensibilité politique
Militants du PS
• C’est le seul soir de l’année où le petit vendeur de roses qui se prend des vents dans les bars de Bastille pourrait vendre son stock.
• La languette du #Flanby serait sur le point d‘être tirée… Démoulage imminent.
• Paris sent la rose. Ça change.
Sensibilité Sarkoziste
• Aujourd’hui, je vous aide pour le code de la route. Priorité à droite. Je répète : priorité à droite.
• La rose sent peut-être bon, mais elle a des épines.
• Le pédalo rouge coule dans la mer bleue, je répète le pédalo rouge coule dans la mer bleue.
• #radioLondres le flamby ne doit pas passer je répète le flamby est toxique.
Frontistes
• Bonjour tout l’monde ! Tuyau quinté du jour : nom : Ultra Marine, casaque : bleu blanc rouge.
Partisans de Bayrou
• Même en Normandie, les orangers fleurissent.
• Un merveilleux ciel orange est en train de se lever.
• Le Hollandais veut nous faire les poches, je répète, le Hollandais veut nous faire les poches.
Mélenchonistes
• L’air est meilleur et les cerises prolifèrent.
• Le sang coule à flot, je répète le sang coule à flot.
Autour de ces trois modèles de base se dessine une tonalité dominante dans l’espace politique de Twitter : l’humour satirique. Teinté d’irrespect et d’ironie, il en est le marqueur identitaire. Le surnom des hommes politiques est délibérément sarcastique, voire férocement caricatural.
Quelques exemples :
• Le profil Facebook de Carla vient de passer de mariée à c’est compliqué.
• Nain grincheux attend la vague dans le Titanic.
• #RadioLondres « Les talonnettes sont aux pâquerettes » je répète « Les talonnettes sont aux pâquerettes » #Poésie.
Les autres partis et leur représentant comme les Verts, les partisans de Poutou, Arthaud et Dupont-Aignan sont moins nombreux, mais ne sont pas pour autant épargnés :
• Les Vikings ménopausés cherchent le drakkar. Je répète, les Vikings ménopausés cherchent le drakkar.
Ou bien encore :
• Un gros poutou pour consoler Philippe Bisou.
L’ensemble des « valeurs » attribuées à chaque personnalité politique génère un langage de substitution parfaitement identifiable (Figure 2)
On perçoit comment les candidats de l’élection présidentielle sur Twitter, sont codés puis agrégés à des mots qui se réfèrent à une part de réalité émanant de l’actualité politique, par analogie ou correspondance. L’effet du sens trouve sa logique dans un parcours d’associations dont les valeurs d’un groupe ou d’une personnalité médiatique construisent une connotation : Jeanne D’Arc symbolise la droite nationaliste, l’Agité du palais suggère un style de présidence médiatisée avec de nombreux déplacements.
Radio Londres vs #RadioLondres
Marqués par les premières mesures de la 5e symphonie de Beethoven, typographiés en Pom, pom, pom, pom (signifient en code Morse « V », comme victoire) perçant les brouillages de l’occupant allemand, les premiers messages personnels de la Résistance font leur apparition au cours de l’été 1940 sur les ondes de la BBC. (Figure 3) Sous l’impulsion du général de Gaulle qui symbolise La France libre imprégnée par l’événement célèbre de L’Appel du 18 juin, la radio devient un outil puissant de guerre stratégique permettant de lutter contre la propagande nazie. Sous forme de messages courts et codés, de jeunes chroniqueurs vont diffuser sur les ondes entre le 1er juillet 1940 et le 31 août 1944, des renseignements militaires et tactiques dont le plus célèbre entre tous demeure l’annonce du débarquement. Étonnante connexion du passé et du présent, lorsque des citoyens décident de court-circuiter les médias traditionnels en s’inspirant de la célèbre radio britannique et de son mode de communication. Se peut-il qu’il y ait un cousinage entre le langage codé de la Seconde Guerre mondiale et le langage technologique de Twitter ? Pour tenter de comprendre le métissage de l’écriture numérique avec celle de l’épisode original de Radio Londres, comparons quelques messages types [2] qui ont plus de 70 ans d’écart et recherchons leurs points communs.
• Le sapin est vert, je répète, le sapin est vert.
Ce message signifie « Bombardement de la gare de triage « Sapin vert » (jonction de Roubaix — Tourcoing — Wattrelos et Mouscron) ».
• Je n’aime pas la blanquette de veau.
Ce message signifie « Parachutages vers Donnemarie-Dontilly ».
• Une poule sur un mur picore du pain dur.
Ce message signifie « Parachutage, nuit du 16 au 17 août, terrain « Iguane », Seine et Marne ».
Durant la Seconde Guerre mondiale, chaque message correspond à une action de résistance ; en 2012, chaque Tweet reflète une sensibilité politique dont le contexte s’accompagne généralement d’une anecdote.
Exemple type :
- #RadioLondres #PomPomPomPom Jacques rit ! Bernadette prie ! Je répète : Jacques rit, Bernadette prie #Jerespectelecodeelectoral
Ce message signifie que le PS a des chances de l’emporter : au cours de la présidentielle 2012, le couple Chirac n’a pas pris les mêmes orientations politiques : l’ancien président Jacques Chirac a donné sa préférence à François Hollande dans les médias tandis que « l’ex Première dame » très pratiquante, a choisi de suivre le président sortant. Cette figure de style en forme d’allitération démontre l’imagination fertile des rédacteurs. Ici, l’assonance en [I] traduit l’idée d’un rire espiègle. Le rythme syntaxique et le phrasé du message codé avec son célèbre Je répète créent des repères historiques évidents avec la Seconde Guerre mondiale.
En écho à l’épisode de Radio Londres la présence du hashtag #PomPomPomPom produit un effet d’imitation sonore. Chaque tweet raconte une histoire avec des « formes technolangagières » complexes grâce auxquelles les usagers se reconnaissent et réinventent des « pratiques technoculturelles » au sein de leurs communautés.
Nous ne sommes pas en guerre alors pourquoi ces nouveaux activistes de La France Libre 2.0 s’appliquent-ils à plagier un moment d’histoire allant jusqu’à recréer le rythme syncopé du Radio Londres des années 40 ? Dans le contexte de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2012, il s’agit d’abord de placer les réseaux sociaux au centre d’un mouvement de résistance qui brouille les frontières institutionnelles de la loi électorale. La genèse [3] du mouvement commence le 18 avril, quand trois internautes nourris par le militantisme de gauche se répondent entre blogs politiques et comptes Twitter.
@marcvasseur, ancien élu socialiste s’interroge :
• un hashtag commun pour les résultats entre twittos ça serait possible pour dimanche ?
On lui répond :
• Les Français parleront aux Français par des codes, en secret toussa.
Une rhétorique qui donne l’idée au blogueur Guy Alain Bembelly d’utiliser le hastahg #RadioLondres. (Figure 4)
Véritable caisse de résonnance de l’actualité politique, Twitter offre à chaque période électorale de multiples formes de codifications propres au réseau social. En déployant tous les artifices du message codé, les acteurs de l’épisode #RadioLondres font de la résistance sur Internet et nous invitent à comprendre la grammaire discursive proposée par la plateforme Twitter. Sa raison d’être tient essentiellement à son dispositif technologique, le microblogging : un service en ligne qui permet d’écrire et de recevoir des textes du son et des vidéos, mais dont la contrainte majeure consiste à rédiger des messages courts ne dépassant pas 140 caractères.
Cartographie des acteurs
On distingue 3 types de twittos qui indiquent 3 tonalités assez représentatives du réseau Twitter.
Les journalistes : rôle d’influenceurs de l’information
Les journalistes informés et influents sont pour la plupart connus dans le monde des médias. Ils sont présents, mais ne relaient pas les premiers résultats de l’élection présidentielle. Soucieux de ne pas contourner la loi ou de décrédibiliser l’image de leur journal, dont ils sont un peu les ambassadeurs, ils respectent pour la plupart d’entre eux la loi électorale. Leurs informations donnent le ton de la campagne, avec les dernières photos humoristiques ou le taux de participation.
Thomas Wieder (@ThomasWieder) du Monde a transféré l’image Flamby/President de chez Auchan.
(Figure 5). Les comptes Twitter des grands médias, comme @liberation_info, @LeFigaro_France, @LePoint ou @LaTribune, pour n’en citer que quelques-uns, seront actifs en cette soirée présidentielle pour livrer les chiffres bruts et promotionner les articles d’analyse sur leurs sites. Stimulée par le contexte électoral français et américain, l’année 2012 a révélé la frénésie de réactivité incarnée par le couple Twitter-presse en ligne. Témoin la version numérique du monde.fr qui a gagné la même année, près de 188 % de followers et qui selon une étude de TwitterRadar [4] « est aussi le premier et le seul compte français de presse à dépasser le million d’abonnés au cours de l’année avec pas moins de 1 205 222 followers ».
Les militants ou sympathisants : rôle d’amplificateurs des Trending Topics
Les militants actifs et les sympathisants occupent le terrain du média Twitter. En période électorale, leur activité est double : il s’agit non seulement de relayer les informations des blogs des personnalités politiques, mais aussi de mettre en avant une sensibilité que d’autres militants devront propager sur Internet. Sur Twitter on ne peut pas convaincre un futur électeur de rallier sa cause et comme l’a noté le journaliste Vincent Glad qui s’est penché sur les travaux de l’américain Daniel Kreiss [5] concernant la campagne numérique de 2012 : «Twitter est un agrégat de petites agoras publiques, de conversations entre semblables ».
Les résultats d’un scrutin présidentiel s’apparentent sur le réseau Internet à une tornade virale : C’est un flux d’informations qui se déverse comme une pluie torrentielle. C’est la raison pour laquelle le hashtag #RadioLondres prend vite la forme d’un trending topic [6] entendons par là l’un des « dix sujets tendances du moment sur le réseau social». Plus communément appelé par son acronyme, un TT, sa traduction française est Tendances. Twitter en donne la définition dans son glossaire en ligne : « Une tendance est un sujet ou un hashtag identifié par un algorithme comme étant l’un des plus populaires sur Twitter à un moment donné ». Propulsés par les utilisateurs et calculés en nombre de hashtags par Twitter comme étant les thèmes les plus tweetés et retweetés, les principaux Trending Topics sont affichés quotidiennement dans la colonne de gauche du menu Twitter. Certains sont monnayés directement avec des annonceurs. Chaque parti politique intègre dans sa stratégie de présence en ligne un mot-clé qu’il s’agira de «faire monter en trending topic». Le but est de générer de la visibilité autour d’un compte d’une personnalité politique, de mesurer et de gérer son influence et surtout de faire progresser son audience.
Selon Topsy Analytics, ont été comptabilisées :
• entre le 22 avril et le 6 mai : 217,551 mentions du hashtag #radiolondres
• entre le 5 et le 6 mai : 123,170 mentions du hashtag #radiolondres
Le hashtag #RadioLondres a représenté plus de 1800 tweets par heure » tweete le 22 avril Jean-Luc Raymond expert et conférencier des pratiques numériques.
Quand l’actualité politique est chargée, voire saturée d’informations – deuxième tour de l’élection présidentielle – mise en place d’un nouveau gouvernement, l’information en ligne joue le rôle d’un aimant qui magnétise les foules « Le lendemain de l’élection (présidentielle, NDLR), les internautes ont visité en masse les sites d’actualités, qui atteignent un record d’audience quotidienne avec 10,2 millions de visiteurs uniques sur cette journée, soit près d’un quart des internautes (23,6 %) », a annoncé Médiamétrie. Commenté dans la presse étrangère, l’épisode #RadioLondres a permis à Twitter d’enregistrer un record pour la présidentielle française, avec 1,4 million de visiteurs uniques dans l’Hexagone, le dimanche 6 mai, soit « 2,5 fois plus de visiteurs qu’un jour moyen de mai », selon l’institut d’études.
Haters, Trollers, et Lolers : rôle de « faiseurs de Buzz »
Dévaloriser avec cynisme ou se défouler en dénigrant les militants du parti adverse (Le bashing) sont les spécialités du Hater ; perturber le débat, déstabiliser la discussion, provoquer des réactions sont celles du Troller. Selon la définition du Larousse le Troll est « un esprit malveillant du folklore scandinave, habitant les montagnes ou les forêts ». Quant à l’esprit du LOL dont la définition a fait son entrée dans le Robert en 2013 c’est un « Acronyme anglais, de laugh out loud, « éclaté de rire, mort de rire« d’abord dans les SMS. Interjection soulignant le caractère comique, l’ironie d’un propos (surtout écrit) ». Surfant sur la caricature provocante, le trait d’esprit joyeux, le vrai et le faux, l’intox et la désintox, l’humour noir ou l’ironie ravageuse, les Lolers de l’épisode #radiolondres ont pu ainsi patienter jusqu’à 20 h tout en donnant à l’information le ton sarcastique qui sied à Twitter : il s’agit de « synchroniser une émotion [7] » avec une communauté qui partage le même système de valeurs.
Petit florilège
• 1er sondage sorti des burnes : 29 % des spermatozoïdes ont choisi la trompe gauche. (LOL)
• Athalie est restée en extase. Je répète : Athalie est restée en extase. (Troll)
• #BisonFuté dimanche soir classé rouge sur les routes : gros chassé-croisé entre les exilés fiscaux et les chars soviétiques ! #RadioLondres (LOL)
• La piste du Bourget est encombrée de Jets privés… Je répète… La piste du Bourget est encombrée de jets privés… #radiolondres (LOL)
• En Belgique tu as les résultats 2 heures avant et un gouvernement un an plus tard (Troll)
• Avec Hollande et Sarko on a 20 % d’abstention. Avec DSK on aurait eu 0 % d’abstinence ! (Troll)
• Au moins Cheminade est content il a eu presque plus de signatures que de votes ! (Hater)
• Le choix se fera donc bien entre Dukan & Ducon (Hater)
Un Français sur deux connaissait les résultats avant 20 h
Considérant que plusieurs médias et particuliers avaient transgressé la loi, sur l’heure légale de la divulgation des résultats avant 20 h, le parquet de Paris a ouvert une enquête qui concerne l’AFP ainsi que des médias suisses et belges. Contactée par Le Point.fr, la Commission des sondages confirme avoir déféré au parquet quelques utilisateurs actifs de Twitter et procédé à des captures d’écran. « À charge pour les enquêteurs de remonter jusqu’à l’identité des personnes qui ont violé l’embargo sur les résultats et les sondages [8], précise-t-elle. Ceux qui ont utilisé l’appellation #RadioLondres ne seront pas poursuivis. Le Conseil constitutionnel a estimé que « la divulgation des résultats de la présidentielle avant 20 h n’a pas eu d’influence sur le résultat du scrutin ».
Les comptes Twitter des sites belges comme la RTBF (@RTBFinfo) et son compte politique (@TwitPolitique), Le Soir (@lesoir) ou bien encore les sites suisses comme @letemps_sa, @tdgch (La Tribune de Genève) ou @Lematinch ont donné de nombreux résultats : « Il est 18 h 30… Facebook et Twitter donnent le résultat du scrutin [9] » avait titré sur sa une la tribune.fr. Selon une enquête réalisée par BVA-Avanquest Software pour Challenges, BFM TV et BFM Business, les sites internet des journaux étrangers, ont été les plus couramment utilisés pour connaître les résultats avant l’heure légale (33 %). Ils devancent les informations d’amis et de connaissance (20 %) et les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter (7 %). Près d’un Français sur deux (49 %) connaissait « directement ou indirectement » les résultats de l’élection présidentielle avant 20 h, heure théorique de leur divulgation. Par groupes d’âge, ce sont les 25-34 ans qui ont le plus eu accès aux résultats avant 20 h (53 % les connaissaient), loin devant les plus de 65 ans (46 %). Les sympathisants de gauche (58 %) sont plus nombreux que ceux de droite (42 %) à dire qu’ils ont eu connaissance des résultats plus tôt. (Enquête effectuée sur un échantillon de 1.173 personnes représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus, les 9 et 10 mai, méthode des quotas).
Les résultats du premier tour
Le ministère de l’intérieur a mis en ligne les résultats du premier tour de scrutin du 22 avril 2012 pour l’élection présidentielle. Les deux candidats en lice pour le deuxième tour qui s ‘est déroulé les 5 et 6 mai 2012 sont François Hollande et Nicolas Sarkozy. Ils ont respectivement obtenu 28,63 % et 27,18 % des suffrages exprimés.
Les 8 autres candidats ont obtenu :
Eva Joly : 2,31 % – Marine Le Pen : 17,90 % – Jean-Luc Mélenchon : 11,11 % – Philippe Poutou : 1,15 % – Nathalie Arthaud : 0,56 % – Jacques Cheminade : 0,25 % – François Bayrou : 9,13 % – Nicolas Dupont-Aignan : 1,79 %
Le taux d’abstention est de 20,53 %
Que nous révèle l’épisode #RadioLondres ?
Symbole de la fronde citoyenne sur Twitter, le message codé qui annonce les résultats d’un scrutin avant les 20 h fatidiques fait réagir les professionnels des médias : Emmanuel Berretta, journaliste au Point se déclare incrédule face à « une loi nationale mal fagotée, contournée aisément par des mouvements spontanés de citoyens mutins sur le web ». Cet observateur de la politique déplore « un état de confusion » de l’information. Il pointe ces citoyens « victimes de cette folie » qui se veulent tous journalistes, mais qui finalement « s’intoxiquent à la rumeur ». Il critique une hiérarchisation de l’information qui se fait par le buzz, créant ainsi un phénomène de « contamination des médias entre eux ». La moindre alerte ou scoop demande un énorme travail de vérification : « J’attends 3/4 heures son démenti éventuel ou une info qui vient l’infirmer » constate amèrement le journaliste, « Si rien ne se produit dans les 3/4 heures, on peut commencer à y croire ».
Sur ZDNet.fr, un site dédié aux nouvelles technologies, le journaliste Benoit Darcy évoque une « révolution digitale [10] » tout en désapprouvant une loi électorale obsolète qui n’a toujours pas pris en considération, depuis 2007, la vitesse de propagation ininterrompue de l’information « hors de « l’espace public » ». L’auteur souligne cette difficulté paradoxale de l’information réglementée par la Commission électorale qui consiste à « empêcher sa diffusion auprès de la population alors qu’elle est relayée par certains médias étrangers ».
« On est passé d’un journalisme politique à un journalisme poétique. Aucun média, à part l’AFP [11] à un niveau tout relatif, n’aura osé briser le ridicule de la situation » écrit Benoît Raphaël, un consultant en stratégie éditoriale, très actif sur les médias en ligne, qui considère que « le citoyen a été noyé par des chiffres qu’aucun « sondagier » n’était en droit de commenter ».
Depuis 2012, l’épisode #RadioLondres revient comme un rite de rébellion défiant les codes de la loi électorale, inversant les rôles de l’émetteur et du destinataire dans le processus de la transmission journalistique. Lieu emblématique de la viralité sans frontière, la plateforme de réseau social Twitter impose, plus qu’elle ne propose une réactivité compulsive aux diverses communautés numériques immergées dans la violence verbale du clivage militant. La férocité de l’humour politique semble s’accommoder de l’esprit du microblogging, un dispositif qui réduit le discours et qui privilégie le temps court de l’immédiateté. Est-ce cette accélération de la parole numérique, noyée dans le flux de l’information, qui donne à la tweetécriture un style que Dominique Cardon [12] qualifierait de désinhibé ? Le contre-pouvoir du rire est loin d’être un épiphénomène dans le contexte d’une élection présidentielle et l’espace Twitter s’avère être un marchepied idéal pour exprimer l’idée d’un mouvement contestataire.
Pendant que les community managers gèrent les comptes actifs de leur candidat, en relayant leur parole rare, les Twittos résistent et s’informent hors de leurs frontières. Les interactions concurrentielles entre journalistes, sympathisants et militants complexifient les stratégies de communication politique. Les internautes expérimentés, connaissant les outils de l’influence sur Twitter, souhaitent contourner les dérives du marketing politique.
Départementales 2015
D’élections en élections la dynamique du mouvement #RadioLondres s’affaiblit : le nombre des tweets a considérablement baissé et leur tonalité n’a plus cet humour carnassier si caractéristique de la Présidentielle 2012. Selon Topsy Analytics, [13] un outil d’analyse et de recherche du web social, le hashtag #radiolondres n’a généré que 14,075 tweets, à la date du 30 mars (11 h 17). En déplaçant le curseur sur la frise chronologique du site Topsy Analytics, on peut accéder aux divers messages ; certains d’entre eux ont encore un score significatif. Exemple, ce tweet d’Hugo Travers qui gère le compte « Radio Londres » et qui a généré 5221 ReTweets avant 20 h le 29 mars :
• @radiolondres_fr : ALERTE : la Corrèze n’est plus rose ! #RadioLondres #Départementales (7:32 PM – 29 mars 2015)
Par ailleurs, comme lors de la Présidentielle 2012, activistes et militants ont utilisé les médias belges pour s’informer, témoin ce tweet du même émetteur :
• @radiolondres_fr Entre 60 et 70 chênes en France, 25 à 30 roses. La flamme n’en aurait aucun selon nos amis belges ! #RadioLondres #Départementales2015 (7:40 PM – 29 mars 2015).
La mécanique du sens est légèrement différente ; ce sont les identités visuelles des logos de chaque parti qui génèrent le langage de substitution : le chêne renvoie au groupe UMP avec ses alliés de l’UDI, les roses sont associées au PS et la flamme au FN.
Les journalistes très présents dès 18 h, citent les derniers sondages (comme beaucoup d’internautes) et ne relaient les informations officielles qu’après 20 h avec pour hashtag principal #départementales2015.
Exemple : le journaliste Tristan Quinault Maupoil du Figaro qui signe @TristanQM
• Jean-René Lecerf (UMP), qui devrait présider le département du Nord, va démissionner du Sénat #départementales2015 (8:40 PM – 29 mars 2015)
Prochain épisode de #RadioLondres, les » #Régionales2015″ en décembre 2015 !
Notes
1. Marie-Anne Paveau : Genre de discours et technologie discursive, Tweet, twittécriture et twittérature, « Théories et pratique des genres » Éd. Pratiques, Metz, N° 157-158 juin 2013, p.20.
2. Ici Londres – Les messages personnels de la BBC, [en ligne] http://www.doctsf.com//bbc/messages.php
3. La Genèse du hashtag #RadioLondres [En ligne] http://extimite.net/22/04/12/radiolondres-genese-dun-hastag-sur-twitter/
4. TOP 75 TwitteRadar 2012 de la presse française sur Twitter by TWITTERMAN on 25 /12/12 [En ligne] http://twitteradar.com/top-75-twitteradar-2012-de-la-presse-francaise-sur-twitter/twittos-twittas
5. Vincent Glad parle de Daniel Kreiss : Comment Twitter est utilisé par les politiques, 10/12/14 [En ligne] http://an-2000.blogs.liberation.fr/2014/12/10/twitter-elections-americaines-2012/
6. Clara Thomas, Les Trending Topics sur Twitter : Comment ça marche ? 20/02/15 http://ambasdr.fr/les-trending-topics-sur-twitter-comment-ca-marche/
7. Expression de Paul Virilio, architecte-urbaniste, écrivain et théoricien des catastrophes, il tente d’alerter ses contemporains sur ce qu’il appelle « la tyrannie du Temps réel » ; elle provoque des effets pervers qui engendrent « la synchronisation de l’émotion » : il observe qu’à chaque catastrophe ou grand événement international, des millions de gens ressentent ce même besoin de réagir « en Temps réel » allant jusqu’à créer au même moment, sur Internet, des communautés d’émotion.
8. Emmanuel Berretta Sondages anticipés : Radio Londres échappe aux poursuites [En ligne] http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/sondages-anticipes-radio-londres-echappe-aux-poursuites-23-04-2012-1454333_52.php
9. Jean-Christophe Chanut, Il est 18 h 30… Facebook et Twitter donnent le résultat du scrutin, 10/04/2012 [Enligne] http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20120410trib000692756/-il-est-18h30-facebook-et-twitter-donnent-le-resultat-du-scrutin.html.
10. Benoît Darcy sur ZDNet.fr Blogs Marketing et réseaux sociaux, #RadioLondres ressuscitée, l’AFP montrée du doigt : les présidentielles à l’heure de la révolution digitale, 23/02/12 [En ligne], http://www.zdnet.fr/actualites/radiolondres-ressuscitee-l-afp-montree-du-doigt-les-presidentielles-a-l-heure-de-la-revolution-digitale-39770989.htm
11. Article de Benoît Raphaël Présidentielle. »Radio Londres », symbole de la Loi vs le lol : quelles leçons en tirer daté du 23-04-2012 ,[En ligne] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/538184-radio-londres-symbole-de-la-loi-contre-le-lol-les-lecons-a-tirer.html L’auteur explique comment l’AFP, face à la concurrence étrangère, a mis à la disposition de ses clients, et non auprès du grand public, les premières informations relatives aux estimations, quelques minutes après 18 h.
12. Dominique Cardon, Le numérique, peu investi par les politiques, lemonde.fr, 08/05/13 [En ligne] http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/08/le-numerique-peu-investi-par-les-politiques_3173832_3232.html
13. http://topsy.com/analytics?q1=%23radiolondres&via=Topsy Outil de mesure du nombre de tweets
GOLDBERGER Laura, #RadioLondres, irruption du microblogging dans la Présidentielle de 2012 Laura Goldberger », Articles [En ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2015, mis en ligne le 1er avril 2015. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/#radiolondres-irruption-microblogging-presidentielle-2012-laura-goldberger/
Laura Goldberger a soutenu en décembre 2017 sa thèse en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris-Nanterre (directeur : Marc Hiver) : « Le Web politique – l’espace médiatique de la présidentielle 2012 ». Elle est infographiste et chargée de communication.
Merci à Mme Goldberger pour cet article.
j’ai découvert à travers cet écrit la séquence radio Londres.
Nos autorités vont devoir aussi prendre en compte les nouveaux médias en particulier twitter pour les futures élections. En effet si nous voulons éviter les fuites avant 20h00, il faudra clôturer les votes au niveau national à la même heure.
Cordialement
M Guibet