Les formats courts comiques font l’objet d’un intérêt grandissant dans la presse française ou sur internet. De nombreux articles font état de ces tout nouveaux programmes courts audiovisuels; depuis quelques mois, on les retrouve sur de nombreuses chaînes, hertziennes ou câblées (France 2, M6, Canal +, W9…) avec de plus en plus d’adeptes.
Contenu
« Shortcom » (abréviation de short comedy) est l’expression la plus précise pour désigner les œuvres audiovisuelles que nous analyserons ; elle synthétise l’aspect court du format et son genre comique particulier. Il désigne en effet « plus un programme de sketchs qu’une véritable comédie. Il s’agit alors d’une situation posée de façon rigoureuse, et une fois pour toutes, qui sert de base à des gags et des répliques drôles »[1]. Le programme court est avant tout une œuvre dont le format s’étend de 1 à 26 minutes environ (bien que la sitcom se caractérise par le format de 26 minutes, une distinction s’établit entre les deux genres). Le thème récurrent est celui du quotidien, traité sans référence à l’actualité politique et aux sujets de société. La narration n’obéit à aucune constante, mais on remarque que la structure doit être simple et facilement identifiable, en raison justement de sa courte durée. Les personnages sont très fortement caractérisés, déterminés par leurs répliques récurrentes notamment, sous forme de clin d’œil au téléspectateur.
Les conditions et les modalités de production sont le fruit d’arrangements et de négociations entre les auteurs, producteurs et diffuseurs : chaque shortcom possède ses rythmes de tournages, ses équipes, il n’y a aucune règle qui fait office de modèle. On remarque toutefois que les médias tendent à assimiler cette forme à une autre : la série. D’une part, cette assimilation est le fruit d’un intérêt récent des Français pour les séries, surtout celles produites aux États-Unis, prises dans une dynamique de reconnaissance comme œuvres artistiques, et non plus comme vulgaires produits. D’autre part, les producteurs des shortcoms s’accordent à mettre l’accent sur leur savoir-faire, puisque ce format n’existe nulle part ailleurs. C’est pourquoi au-delà d’une œuvre audiovisuelle nouvelle, les médias voient en ces nouveaux programmes un espoir de refonte du paysage audiovisuel français, dont les formules s’essoufflent en raison de l’arrivée des technologies numériques et des plateformes de partage.
Tous les éléments abordés précédemment seront détaillés dans l’étude de deux cas particuliers de format et de contenu très différents :
– Scènes de ménages, adaptée de la série espagnole Escenas de Matrimonio. Produite par Noon & M6 Studios/Kabo Production. Diffusée depuis 2009 sur M6 de 20h05 à 20h30 environ quotidiennement, et depuis quelque temps, rediffusée de 13h05 à 13h30.
– Bref, créée et réalisée par Kyan Khojandi et Bruno Muschio, est une shortcom produite par My Box Production (Harry Tordjman). Diffusée sur Canal Plus depuis septembre 2011, 3 fois par semaine, à 20h20 environ dans Le Grand Journal, présenté par Michel Denisot.
Les premiers formats courts en France sont à chercher du côté de la publicité. Le programme Du côté de chez vous est le premier à émerger sur TF1, sponsorisée par Leroy Merlin. Le contenu, d’environ deux minutes, consiste à faire la promotion d’une marque sous couvert d’un témoignage d’une personne expliquant en quelques minutes comment jardiner, avec des astuces et conseils avisés, etc. Le concept sous-jacent est de créer une émission pour un annonceur, en lui proposant une vitrine en access prime time : sa diffusion intervient juste avant le journal de 20h. Le format se décline avec des programmes courts consacrés aux initiatives écologistes comme C’est ma Terre, sponsorisée par les véhicules électriques Renault, ou par exemple Mon pharmacien est formidable qui nous informe sur la santé en général, mais qui est associé au laboratoire pharmaceutique Biogaran, etc. Les thèmes sont très variés et apparaissent pour le téléspectateur comme une pastille à la fois ludique et informationnelle.
Les premières shortcoms envahissent l’écran télévisuel un peu par hasard. Trois d’entre elles se revendiquent comme pionniers « cultes » du format : Un gars, Une fille, à l’antenne de France 2 de 1999 à 2003 et diffusé avant le journal de 20 heures, soit 486 épisodes de 7 minutes ; Caméra café, une shortcom diffusée de 2001 à 2003 sur M6, avec 700 épisodes d’environ 3 minutes (7 minutes pour la cinquième et dernière saison) ; Kaamelott, inspiré de la légende arthurienne (458 épisodes de 4 minutes diffusés sur M6 de 2005 à 2009), se distingue nettement des autres shortcoms par son ampleur.
Le discours publicitaire est aussi source d’inspiration pour l’écriture. Stéphane Benassi repère que, dans la publicité, « la télévision a créé du feuilletonesque là où il n’a pas lieu d’en avoir, en fractionnant le récit en plusieurs parties »[2]. En effet la publicité est elle-même mise en série avec des personnages récurrents face à des situations. On pense par exemple aux spots « Orangina », parodies de films d’horreur des années 1970, où un homme poursuit un groupe de jeunes, armé d’une tronçonneuse. L’écriture est tendue pour répondre à un problème de temps de parole très court et payant.
Les scénaristes : entre américanisation et déprofessionnalisation
Les sociétés de production de Scènes de ménages se sont rendu compte que la tradition française d’écriture en « solo » était désuète, car devenue inadaptée aux impératifs de production et de création actuels. C’est pourquoi ils ont changé les conditions d’écriture du scénario, en s’inspirant du modèle américain. Pour la shortcom de la chaîne M6, l’écriture est partagée entre un pool d’auteurs segmenté en trois parties (en tout, ils sont une trentaine) : les premiers sont des auteurs confirmés, les seconds sont des débutants, et les troisièmes des auteurs externes pouvant apporter originalité au programme court. Les travaux de chacun sont examinés, ceux-ci sont parfois directement sélectionnés et envoyés au metteur en scène pour une répétition avec les acteurs ; certains sont sélectionnés, mais renvoyés pour réécriture, car certains éléments ne conviennent pas (par exemple, tel ou tel personnage aurait plutôt réagi comme ceci au lieu de comme cela) et d’autres sont tout simplement refusés, car totalement inadaptés au genre du programme.
« Une quarantaine d’auteurs, répartis en trois catégories, se partagent l’écriture des six séquences du programme quotidien de vingt-huit minutes. La sélection est impitoyable. La ligue 1, celles des auteurs confirmés, la ligue 2, celle des espoirs, la ligue 3, celle des contributeurs à l’essai, ont à ce jour créé 6000 situations piochées çà et là dans leur propre quotidien. Jusqu’à aujourd’hui, 4844 ont été jugées « aptes » par le réalisateur originel de la série, Francis Duquet. »[3] Cet extrait d’article de Paris Match confirme bien l’organisation « à l’américaine » de l’écriture des scénarios. Cependant, l’interview de l’un des scénaristes par le magazine Capital, nous éclaire sur la tension engendrée par ce type de division du travail très poussée : « Tous écrivent des sketchs impitoyablement sélectionnés par le directeur d’écriture, Alain Kappauf, et par M6. Je leur envoie cinq ou six par semaine avec la boule au ventre […] ils passent chaque jeu de mots au crible et me le renvoient sur-le-champ en précisant ce qui ne fonctionne pas, c’est rude ! Peut-être, mais pour la production, c’est la garantie d’une source jamais tarie de nouvelles idées : elle a en réserve plus de 1500 sketchs, prêts à filmer ! Et pour que les répliques sonnent toujours juste, les dialogues sont retouchés jusqu’à la dernière minute – parfois même pendant les scènes. La méthode présente aussi l’avantage de réduire considérablement les délais entre l’écriture et le tournage. »[4]
La production de Scènes de ménages est très américanisée dans le système d’élaboration des sketchs. Cependant, Laurie Picard (attachée de presse à Kabo Production) affirme que les scénaristes sont des « auteurs indépendants et ne sont pas salariés de l’entreprise » (entretien personnel) : c’est la chaîne qui constitue leur principale source de revenus. On peut se demander si les auteurs travaillent vraiment ensemble. En effet, pour conserver l’originalité de chaque sketch, et maintenir un renouvellement permanent, les pools d’auteurs sont le reflet d’une organisation calquée sur le modèle américain de la division du travail. Les scénaristes seraient donc des fournisseurs éloignés, sans véritable information sur la gestion de leur travail par le duo, et aussi par rapport aux autres. Ils n’auraient pas accès aux commentaires sur l’ensemble de la production de scénarios et ne seraient pas forcément rétribués pour leurs idées que les chaînes conservent « au cas où ». Dans Bref, par contre, seuls deux auteurs s’attèlent à la rédaction du scénario, en sachant qu’ils sont aussi réalisateurs et que l’un d’entre eux joue le personnage principal. Les limites hiérarchiques dans le système de production sont ici totalement floues, les rôles sont mélangés. On pourrait parler ici de « déprofessionnalisation »[5] : amateurs au départ, les deux créateurs de la shortcom se sont improvisés dans un secteur professionnel pour lequel ils n’ont pas été formés (ce qui ne signifie pas non plus que le rendu soit moins qualitatif).
La liberté dans l’écriture semble être une question de principe pour les deux auteurs de Bref. Cependant, aucune information ne filtre sur les contraintes éventuelles imposées par la chaîne. Kyan Khojandi affirme que Canal Plus reste très ouvert et n’intervient pas dans le travail d’écriture. Pourtant, il est sûr que les maquettes envoyées font l’objet d’un visionnage avant diffusion. La plus grande différence entre Bref et Scènes de ménages réside dans l’organisation du travail : le témoignage du trio de Bref sous-entend une démarche tout à fait artisanale et isolée. « Les trois copains décident de raconter ce qu’ils connaissent le mieux : famille, meufs, boulot, fric, potes, déprime. Pour raconter cette France, ils font comme aux États-Unis, ils s’enferment et écrivent […] Un jour, je regardais un DVD de Friends. Dans les bonus, tu vois les auteurs qui arrivent sur le plateau dès que ça rigole pas, et qui changent la vanne. Il y a une réflexion globale entre les acteurs et les auteurs et ça, ça nous plaît.» [6]
Le phénomène du sketch est très ancré dans la culture française et correspond à un style d’écriture dans lequel les plumes des scénaristes se délient le mieux. « C’est notamment dans les comics et les sketches que les Français ont trouvé un rythme et un moyen d’être efficaces alors que l’on a encore du mal dans les séries comiques sur des formats plus longs. Finalement, le petit format correspond à l’écriture des scénaristes français »[7]. Cependant des divergences s’observent dans les modèles d’écriture. Pour Scènes de ménages, la technique américaine est reprise, mais sans les ateliers d’écriture ; les scénaristes restent dépendants face au producteur et au diffuseur fortement interventionnistes. En conclusion, « Le déséquilibre des relations scénaristes / producteur/ diffuseur et la multiplication des étapes transforment la notion d’acceptation en source de conflit »[8].
Rythmes de tournage et castings
Dans Bref, l’auteur Kyan Khojandi est aussi réalisateur. Ce dernier est secondé par Bruno Muschio, qui a la même double casquette. Le producteur Harry Tordjman prétend que « nous tournons l’intégralité des scènes des quarante émissions à venir d’un seul coup au même endroit, que ce soit la chambre du héros, le supermarché, le salon des parents… »[9] Afin de limiter l’étalement sur un temps trop long et de retourner des scènes dans des endroits déjà abordés, les séquences sont regroupées par localisation spatiale. Concernant les décors, les personnages secondaires et les accessoires, Harry Tordjman poursuit : « Nous avons choisi de ne rien refuser à nos auteurs, pourvu qu’ils soient créatifs […] Avec 30 jours de tournage, plus de 100 comédiens, 200 figurants, plus de 40 lieux de tournage, des effets spéciaux et même des animaux, Bref a tout du long-métrage. Pour tenir, nous faisons du cousu main en production. My Box n’a aucuns frais fixes et ne gère qu’un seul programme à la fois.»[10]
On apprend donc que le trio de Bref, et plus particulièrement les intervenants dans la production, sont multitâches et s’occupent de tout eux-mêmes. Peu d’industrialisation donc, dans l’organisation de ce qui apparaît comme pharaonique : le nombre de comédiens, de figurants et de techniciens reste impressionnant. Cela témoigne également d’un manque de moyens, car la société de production ne dispose pas de studio ; les décors sont réels et les comédiens sont souvent des débutants, voire des amis des deux auteurs. Par exemple, le frère du personnage principal (« Je ») dans la shortcom est le vrai frère de Kyan Khojandi.
Au niveau des rythmes de tournage, l’équipe de Bref doit produire 80 épisodes en un an, pour une diffusion trois fois par semaine sur Canal +, qui n’inclut pas les périodes de vacances scolaires. La durée du tournage de chaque épisode n’est pas planifiée : il s’agit plus d’un assemblage de séquences mises bout à bout par les monteurs. Un article dans La Lettre Audiovisuelle confirme cette tendance : « Enfin les formats courts (moins de 26 minutes) voient leur volume horaire plus que doubler dans la continuité d’une augmentation régulière depuis 2008. Des projets mis en production lors de la seconde partie de l’année 2011 [ce qui inclut le programme court Bref] témoignent d’un certain engouement pour ce format… »[11] De la même manière, un article dans Média+ fait le constat inverse pour les shortcoms plus longues. Il est intéressant de voir que le format de 26 minutes (qui inclut donc le programme court Scènes de ménages) « connaît une baisse de 25 % de son volume horaire entre 2010 et 2011, entraînant une diminution des semaines de tournages de 35%. » [12]
En effet, dans Scènes de ménages, le rythme est différent : « Chaque jour, un seul tandem figure au planning.[…] On tient compte des obligations des comédiens , ils ont tous plus au moins d’autres engagements. […] Une semaine au moins avant les tournages, les comédiens prennent connaissance des textes. Il y a une séance de relecture où chacun peut exprimer son avis. »[13] Les différents couples ne se rencontrent donc jamais au travail : le planning est calculé à la minute près et doit prendre en compte les obligations personnelles des comédiens, qui ont d’autres tournages ou des tournées liées à un spectacle ou pièce de théâtre en cours. Une importante organisation en amont et une gestion optimale du temps s’établissent afin de limiter les dépassements de budgets.
Il y a donc une contrainte de budget et une contrainte d’emploi du temps. Un article dans Paris Match fait état d’une équipe impressionnante d’auteurs « qui se justifie par le volume de production à fournir. L’équivalent de 35h de fictions l’an dernier. Soit 17 longs-métrages. […] Une cadence soutenue. On produit douze minutes par jour, mais on va réduire la voilure pour passer à dix. C’est presque la cadence des téléfilms, où on est de sept à neuf minutes utiles. On prend beaucoup de temps pour soigner les lumières. Il y a un côté esthétique qui peut s’approcher de la publicité […] Le Pat (prêt à tourner) quotidien, de 9h à 19h, permet d’emmagasiner près d’une dizaine de scènes diffusées pour la saison prochaine. »[14]
En effet, la production de Scènes de ménages travaille à un rythme effréné : environ une centaine de sketchs doivent être mis en boîte en une semaine, prêts à être diffusés prochainement, selon les désirs de la chaîne M6. Il n’y a aucun travail de montage une fois la séquence tournée, qui doit être accolée telle quelle à une autre saynète. Les plans où l’on voit une fenêtre en fond par exemple, derrière les personnages, doivent faire illusion que la luminosité provenant de l’extérieur est naturelle. Tous les sketchs sont tournés dans les studios de la plaine Saint-Denis. Ici l’accent est mis sur les accessoires : tout est fait maison et de récupération pour limiter les coûts de production.
Audiences, publics et publicité ou le marché audiovisuel
En 2010, Scènes de Ménages a gagné 2,5 millions de téléspectateurs en un an pour atteindre une moyenne de 4,4 millions de fidèles. Aujourd’hui (2012), Scènes de ménages réalise une audience moyenne de 17% de part d’audience, soit bien au-dessus de la moyenne de la chaîne (11%). À l’heure du dîner, le pays se coupe en deux : les inconditionnels de l’info et ceux qui cherchent à se divertir. D’un côté, 11,5 à 12,5 millions suivent les JT, tandis que, de l’autre, une petite dizaine de millions se partage entre Plus belle la vie (France 3) et Scènes de ménages.
Selon Nicolas de Tavernost, président du groupe M6 : « Scènes de ménages est un programme fédérateur qui essaie d’approcher la réalité au plus près. Sans évidemment avoir la prétention d’être le miroir de la société française. Il est clair que le succès de la série est dû, en grande partie, à la forte identification des téléspectateurs aux quatre couples. Toutes les générations sont concernées. D’une certaine manière, elles dialoguent entre elles par écran interposé. Cet aspect intergénérationnel est fondamental : tout le monde s’y retrouve, dans l’humour et la bonne humeur. »[15]
Cette audience intergénérationnelle est un atout pour les annonceurs. Le découpage en saynètes est une autre aubaine : comme elles s’enchaînent sans rapport les unes avec les autres, les téléspectateurs peuvent à tout moment prendre le programme en route sans être perdus. Les annonceurs en profitent : « en plus des fidèles, ces séries attirent beaucoup de spectateurs occasionnels, ceux que les pubs ont le plus de mal à atteindre », commente François Liénart, de l’institut de sondage Yacast.
Promotion, buzz et glissement vers d’autres supports
Le catch-up (mettre à disposition du spectateur des épisodes gratuitement, avec une préphase de publicité avant visionnage) profite aux auteurs en leur donnant une visibilité accrue, à la chaîne car elle augmente le trafic sur le site, et enfin aux annonceurs car elle leur offre la possibilité d’investir à moindre coût. La fan page Facebook de Bref (3 millions de fans) est également l’endroit idéal pour faire la promotion. L’échange avec les fans et les blogueurs est primordial pour maintenir leur intérêt. Il y a là une envie de « donner collectivement du sens à l’expérience télévisuelle ».[16] Les deux auteurs postent des quiz (de quel groupe provient la musique de cet épisode ?), et les cent premiers internautes à répondre correctement sont récompensés par l’apparition de leurs noms au générique final. Les auteurs donnent également des rendez-vous aux fans pour des « tchats vidéo ». Certains amateurs ont participé au buzz général en postant des épisodes « piratés ». Quelques épisodes de Bref ont en effet été copiés lors d’une diffusion en crypté et mis en ligne. Un blog très élaboré, Bref 3000 est né du succès de la shortcom. Son auteur y décrypte chaque image pour repérer les clins d’œil très rapides au spectateur ou les objets récurrents qui apparaissent. De nombreuses parodies ont également circulé sur internet (par exemple, une version antillaise, Bwef).
M6 a opté pour la création de produits dérivés tels que la bande dessinée, adaptée des aventures des 3 premiers couples de Scènes de ménages. Écrit par Hipo et dessiné par Éric Muller, le premier tome de la BD est sorti en septembre 2011, avec des histoires inédites. Avec 80 000 exemplaires tirés par les éditions Jungle, la BD de Scènes de ménages se classe dans le top 10 des meilleures ventes fin 2011. De plus, des DVDs compilant l’intégralité d’une saison (jusqu’à la saison 4) sont en vente libre, édités par la filiale vidéo de la chaîne (M6 vidéo). Pour Bref, les ventes du DVD de la première saison offre des résultats très satisfaisants, avec plus de 26 000 DVD vendus les 10 premiers jours.
La télévision ne sera donc plus forcément le médium principal. On peut déjà regarder ses programmes courts préférés sur une tablette, un smartphone ; et grâce à différents services : vidéo à la demande, catch-up… Clément Combes affirme que ces diverses possibilités « concrétisent pour la plupart le déplacement rhétorique appliqué opéré par les industries culturelles, substituant au terme de programme, celui de contenu ». C’est donc potentiellement un autre modèle éditorial pour les chaînes, qui produiraient de la fiction comique à destination de plusieurs supports.
Conclusion
Scènes de ménages et Bref sont des shortcoms novatrices qui puisent leur inspiration dans le patrimoine audiovisuel français et américain. La shortcom n’est donc pas encore un objet culturel de masse, mais elle aspire à le devenir. Sa place dans l’industrie du divertissement français est révélatrice puisqu’elle engage une remise en question de toute une institution qui souhaite se moderniser.
La mise en modules de Scènes de ménages amène à une disparition de l’intrigue. À l’inverse la superposition de la voix-off et du sketch dans Bref donne une forme de narration porteuse du comique. Mais ces techniques ne sont-elles pas des moyens de pallier à un manque de vraies histoires ? Scènes de ménages opte pour un format qui se rapproche de plus en plus de la comédie, tandis que les auteurs de Bref n’ont pas exclu le passage à un long-métrage. Ces programmes courts comiques sont-ils un phénomène de mode, une forme transitionnelle qui permettrait de relancer la production de formats plus longs ? Les shortcoms sont-elles vouées à devenir des comédies à part entière ? Les supports de diffusion comme les produits culturels sont des éléments instables. C’est une « recherche constante d’accompagnement des nouvelles tendances et préoccupations telles qu’elles peuvent être perçues, théorisées et négociées par l’ensemble des acteurs de la chaîne de production de télévision, des gestionnaires de l’entreprise aux réalisateurs en passant par les programmateurs, les scénaristes . »[17]
Extraits d’un mémoire soutenu en juin 2012 dans le cadre du M2 recherche en information-communication à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense. Texte adapté pour publication par David Buxton.
[1] Alain Carrazé, Les séries télé : l’histoire, les succès, les coulisses, Hachette, 2007, coll. « Toutes les clés ».
[2] Cité in ibid. [Voir le livre classique de Stéphane Benassi, Séries et feuilletons TV. Pour une typologie des fictions télévisuelles, CEFAL, 2000, référence ajoutée par DB]
[3] Marie-Adam Affortit : « Scènes de ménage, un succès vertigineux », Paris Match, 16 février 2012.
[4] Marie Charrel, « Nos sitcoms produites à la chaîne font un carton », Capital, n°248, mai 2012.
[5] Jean-Louis Missika, La fin de la télévision, Le Seuil, coll. « La République des Idées », 2006.
[6] Diane Lisarelli, Johanna Seban et Pierre Siankowski, « 30 ans en Bref », Les Inrockuptibles, 19 octobre 2011.
[7] Clémentine Athanasiadis, « Après Bref et Scènes de Ménage, les comédies courtes s’invitent sur Arte et TF1 », sur le site du Huffington Post, le 2 juin 2012. [Cf. le commentaire de Jacques Lourcelles sur le cinéma français des années 1930 : » Sur le plan formel, [Le monde tremblera, 1939] est absolument typique de l’époque: mélange permanent d’ironie et de drame, structure latent de films à sketchs… Chaque sketch ou pseudo-sketch livre, ainsi, de l’homme, une facette. Au moment du bilan, l’homme n’est que facettes, sans unité, ni ligne conductrice; une marionnette en quelque sorte. », Dictionnaire du cinéma. Les films, Laffont (« Bouquins »), 1992, 2001, p. 968, note ajoutée par DB.]
[8] Rapport de Pierre Chevalier (directeur des projets d’Arte France) de mars 2011 sur la fiction française commandé par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture.
[9] Delphine Le Goff, « Télévision : upper cut », Stratégies Magazine, n° 1659, 15 déc. 2011
[10] Paule Gonzales, « La TNT révolutionne la production», Le Figaro économie, le 8 mai 2012.
[11] « Les tournages de fiction TV ont progressé en 2011 », La Lettre de l’audiovisuel, le 18 janvier 2012.
[12] « La fiction française, de plus en plus de fidèles », Média +, 3 février 2012.
[13] Frédéric Jarreau , « La face cachée de Scènes de ménage », Télé Magazine, 28 janvier 2012.
[14] Marie-Adam Affortit, « Scènes de ménage, un succès vertigineux », Paris Match, 16 février 2012.
[15] Enguérand Renault, « Scènes de ménage dépasse le 20h de France 2 », Le Figaro économie, 29 décembre 2011.
[16] Clément Combes , « La consommation de séries à l’épreuve d’internet : entre pratique individuelle et activité collective », Réseaux n°165, « Les séries télévisées », janvier 2011.
[17] Eric Macé, « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports sociaux médiatisés, les trois moments de la configuration médiatique de la réalité : production, usages et représentation », Réseaux, n° 105 (« La presse magazine »), janvier 2001.
BIHEL Ingrid, « L’explosion des programmes courts comiques (shotcoms) en France », Articles [En ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2012, mis en ligne le 1 octobre 2012. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/lexplosion-des-programmes-courts-comiques-shortcoms-en-france-ingrid-bihel/
Etudiante
Master2 recherche « Industries culturelles et environnement numérique »,
Département Information-Communication, Université Paris Ouest Nanterre La Défense