Depuis quelques mois, les fées des médias, radio et presse écrite, se penchent avec plus ou moins de bienveillance sur le dernier né des programmes télévisuels : la scripted reality. Cette dernière garnit les tranches horaires, semble-t-il avec succès, des matinées ou des après-midis des différentes chaînes généralistes privées ou publiques et maintenant de la TNT.
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Un programme hybride
Scripted Reality : que signifie donc cet anglicisme ? Ni plus ni moins que «réalité scénarisée ». A ce titre, il apparaît indispensable d’évacuer les programmes qui relèvent plus de la captation, dignes héritiers du Loft Story tel Les chtis débarquent à Mykonos, ou qui empruntent au soap tel Hollywood girls, dont on ne voit pas à quelle réalité ils pourraient bien se référer. Mon analyse portera donc sur ces programmes nés sous le signe de l’hybridation qui, partant d’un fait divers plus ou moins avéré, sont scénarisés pour être ensuite filmés selon une technique qui s’apparente plus au reportage qu’à la fiction, au nombre desquels on peut compter : Au nom de la vérité (produit par Arthur pour TF1), Face au doute (M6), Si près de chez vous (FR3), et enfin Le jour où tout a basculé (produit par Julien Courbet pour France 2).
Le terme scripted reality porte déjà le gène de la contradiction : celui d’une réalité préexistante (souvent un fait divers) qui est ensuite adaptée, réécrite pour en faire une fiction télévisuelle. La deuxième contradiction est que ce programme est diffusé dans des cases dites de « flux », c’est à dire des cases réservées au jeu ou au talk show qui, par nature, sont des genres non rédiffusables sous leur forme initiale, or la scripted reality est rédiffusable telle quelle. Le corollaire c’est que ce programme à bas coût peut s’amortir sur plusieurs diffusions, le rendant ainsi encore moins cher que les programmes de flux, dont la raison première est d’occuper l’antenne à moindre frais. Enfin et pas des moindres, la scripted reality ne correspond à aucun des critères définis par les instances légales CNC et CSA pour la classification des œuvres télévisuelles qui rentrent dans la production sous quota d’obligation. Il n’en fallait pas plus pour que certains acteurs du secteur audiovisuel, à savoir les diffuseurs, et quelques producteurs qui s’y adonnent, contrarient les instances de régulation CSA et CNC.
De l’origine de la scripted reality
Si, comme l’écrit François Jost, « les genres télévisuels ne naissent pas ex nihilo[1] », tentons d’en reconstituer la genèse et écoutons les diffuseurs et producteurs concernés. Tous nous disent que la scripted reality résulte de la nécessité de fournir des programmes à l’antenne dans un contexte économique de plus en plus contraint. Le mot même de «télé low cost » a été employé[2]. Cela étant dit, cette contrainte n’est pas déterminante car on a déjà vu des programmes télévisuels d’une pauvreté formelle, dont l’objectif n’en était pas moins ambitieux. Pour mémoire, rappelons-nous d’Au delà de l’horizon[3], série de documentaires de 1975 dans laquelle le médecin biologiste et naufragé volontaire, Alain Bombard, racontait, face à la caméra, en présence d’un globe terrestre et de quelques cartes marines anciennes et autres sextants, les épopées de grands navigateurs. C’était passionnant parce que même dans un monologue filmé a minima, Bombard était un merveilleux conteur, aujourd’hui nous dirions un storyteller. Nous voyons donc que les seuls critères économiques ne sont pas suffisants pour comprendre la genèse d’un contenu. Il nous faut aborder la stratégie éditoriale et son élaboration.
La télévision est un marché de l’offre car la demande est peu ou pas connue. Personne ne sait au juste ce qu’attend le public. On peut tenter d’en analyser les attentes, mais dans tous les cas, le programme offert correspondra à peu de chose près à ce que le diffuseur aura cru discerner de l’attente de l’auditoire ou, alibi scientifique, la décision sera confortée par le rapport d’un éminent cabinet conseil où il sera question de ré-enchanter le monde. Le contenu relève donc de la seule décision du décideur, même si la tutelle ou l’autorité de régulation peuvent rajouter une couche d’obligations qui relève du déclaratif absolu du genre : « l’éditeur développe une action ambitieuse en matière de fiction audiovisuelle en s’efforçant de proposer une offre originale et complémentaire »[4].
Enfin, les éditeurs de services télévisuels, autrement dit les diffuseurs, ont des pratiques qui ne sont pas isolées de celles d’autres diffuseurs étrangers, qu’ils soient américains ou européens. En effet, les programmes circulent, soit sous leur forme intrinsèque avec pour seule modification l’établissement d’une version française, un doublage, ou un sous-titrage réalisé par le diffuseur acquéreur, soit sous la forme de l’achat d’un format. Dans cette formule, le programme acheté est le concept qui est ensuite transposé dans le contexte local pour y être produit, parfois avec le conseil du vendeur. Un diffuseur peut tout simplement repérer un programme étranger, dont le succès est avéré, et s’inspirer de la forme pour développer un contenu spécifique original pour son territoire national.
Dans sa forme actuelle, le succès de la scripted reality éclate en 2009[5] en Allemagne sur les tranches horaires de l’après-midi de RTL. Si l’on remonte plus loin, les commentateurs à l’unisson vous disent que ce genre provient de la télé-réalité (reality TV). En effet, mais le terme est par trop générique, car il peut aussi bien recouvrir Loft Story que Perdu de vue, programmes qui, à part leur côté voyeuriste, n’ont pas réellement de points communs, que cela soit dans le fond ou dans la forme. En fait, la filiation évidente est avec La Nuit des héros, reality show diffusé en prime time sur Antenne 2 en 1991 et qui, dans un contexte de plateau avec animateur et invités, insérait des séquences de fiction inspirées de faits réels, où un protagoniste (parfois un enfant), grâce à une action héroïque, sauvait une victime d’une mort possible. Ce programme avait propulsé l’audience du samedi soir d’Antenne 2 devant le programme de TF1.
Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’auditoire pouvait être en adhésion avec le fait que des individus ordinaires trouvent la force d’agir de façon valeureuse pour sauver des vies. Il est assez logique de pouvoir regarder, admirer un individu doté de pouvoirs normaux, comme nous, se surpasser pour accomplir un acte digne d’un héros. Cette situation nous renvoie au questionnement sur l’héroïsme qui pourrait sommeiller en nous. Qu’aurions-nous fait dans une situation identique ? Sans doute rien ou si peu dans l’immense majorité des cas, créant de fait l’admiration pour celui qui, lui, avait agi.
Une fascinante répulsion
Si l’on regarde les programmes qui composent le genre aujourd’hui, on découvre vite que le fait générateur des histoires n’est en rien calé sur une ou des valeurs positives, mais sur la représentation de valeurs négatives, dont les moteurs sont contenus dans la liste des sept péchés capitaux ! Quand bien même la résolution contient une réparation attribuée à la victime, nous n’avons pas matière dans cette narration à nous projeter dans les valeurs du protagoniste allant de l’orgueil à l’envie, de la colère à la luxure, incluant toutes les formes dérivées qui en découlent tels que mensonge, vengeance, pas plus que nous ne souhaitons partager le sort de la victime.
Comment ça marche ?
Pourtant, justifiant le succès de la scripted reality sur RTL Allemagne, le cabinet Goldmedia écrit, « Le mécanisme de la comparaison sociale vers le bas explique le succès de ces programmes. Les spectateurs se sentent bien en regardant ces shows parce qu’ils voient que d’autres vont beaucoup moins bien qu’eux »[6]. Ce qui semble fédérer les téléspectateurs, c’est ce à quoi nous avons échappé. Dans un contexte économique plutôt sombre où le futur n’est pas des plus réjouissants, l’éventualité d’un monde meilleur pour soi et les siens n’est pas l’hypothèse la plus fréquemment partagée par la majorité de l’auditoire. En conséquence, regarder ceux qui subissent des désagréments plus forts que ceux que nous subissons fonctionne comme un mode de réassurance. Puisque nous ne pouvons plus espérer le meilleur, soyons heureux tel quel et essayons d’éviter le pire !
Vous avez dit succès ?
Sur la population totale des 4 ans et plus, la part d’audience du Jour où tout a basculé est de 11,4 % en septembre 2012. Si l’on compare ce chiffre avec la moyenne de la chaîne (appelée aussi « point mort ») sur la même période (qui est de 13,2 %), on peut en conclure que le programme fait 86% de la moyenne de la chaîne. Pour comparaison, signalons qu’en septembre 2012, Plus belle la vie se situe en moyenne à 21,1%, alors que le point mort de France 3 est à 9,4%. Dans ce cas, le résultat de Plus belle la vie est plus du double du point mort de la chaine ; ceci qualifie d’évidence ce programme comme un succès d’audience, ce qui n’est pas tout à fait le cas de l’émission de scripted reality.
Si l’on poursuit l’analyse des données de France 2 du Jour où tout a basculé, on a un surcroît de représentation des + 60 ans : 13,8% (11,4% sur 4 ans et +) et une sous représentation des hommes de – 50 ans : 7,5%. Quand on connaît le souhait permanent des diffuseurs de rajeunir leur auditoire, il semble qu’en l’occurrence ce programme ne soit pas l’arme fatale. Son principal intérêt est en fait de ne pas nuire, en se situant proche du point mort de France 2 pour un coût compatible avec l’état des finances de la chaîne.
Où la forme rejoint le fond
Les recettes des chaines généralistes sont en berne[7]. La baisse des recettes publicitaires constatée en 2009 (TF1 en 2011 n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2008 : 1 milliard 500 millions € en 2011 contre 1 milliard 647 millions en 2008) et la compensation aléatoire[8] de la suppression d’une partie des recettes publicitaires de France Télévision d’environ 450 millions d’euros en sont la cause. Ces difficultés financières pèsent sur les diffuseurs, et plus particulièrement sur les diffuseurs généralistes, victimes, de surcroît, des effets de la montée en charge de la TNT. Or ces diffuseurs généralistes sont les seuls à avoir une action significative sur la commande de fiction. Si l’on ajoute à cela que la première variable d’ajustement des diffuseurs a toujours été les programmes, on ne peut que constater la répercussion économique sur la production des dits programmes, tant en qualité qu’en quantité avec notamment l’apparition de la scripted reality. On pourrait extrapoler en disant que la misère du programme rejoint la misère du spectateur.
Combien ça coûte ?
Difficile de se prononcer autrement qu’en reprenant le déclaratif des différents protagonistes. On a pu lire à différentes reprises, notamment dans Les Echos[9] concernant Le jour où tout a basculé, que l’épisode reviendrait à 38 000 €. Toujours pour le même programme, on peut lire dans un article du Monde une déclaration de Julien Courbet : « C’est notamment un programme qui ne coûte pas cher et dont chaque épisode nécessite trois jours de tournage seulement. »[10] Si l’on visionne l’épisode « Règlement de compte à mon travail » de cette série, voici ce que l’on y trouve.
Analyse narratologique
D’entrée, il nous est précisé que les faits proviennent d’un fait divers. Donc, l’apport créatif de l’auteur se limite à condenser le temps de l’histoire originelle au temps du récit, à la diégèse. Pour tenter d’accroître l’intensité dramatique, le trait est forcé jusqu’à la caricature. Par exemple, pour créer ipso facto la condition de la vengeance le patron devant choisir un nouveau responsable commercial, ne convoque pas uniquement celui qui a la promotion, mais aussi celui qui ne l’aura pas. Situation pour le moins surréaliste. Causalité inadéquate, notamment lorsque le collègue de la victime devine à la seule vue d’un flacon de pilules que celui-ci veut se suicider ; en effet l’état comateux dans lequel est la victime justifie pour le moins qu’il puisse prendre un médicament. Enfin, cas de figure imposé, les protagonistes de l’action, victimes directes ou indirectes témoignent face caméra permettant d’expliciter la situation.
Dépouillements minutages
Durée totale 20’23’’
Séquences jouées avec dialogues 10’ 35’’
Séquences jouées avec voix off 4’ 25’’
Séquences témoignages face caméra 4’
Présentation chapeau et générique 1,23
Dépouillements rôles et figuration
Nombre de rôles 4
Silhouette 1
Figurants 6
Dépouillement décors
Intérieur : bureaux et couloir (3), boîte de nuit (1).
Extérieur : Place de la Madeleine (1).
A noter que la décoration et les accessoires sont réduits au stricte minimum. Si l’on poursuit l’analyse avec une approche anglo-saxonne (frais above the line and below the line) c’est à dire l’analyse des coûts artistiques dits variables, puis des coûts techniques supposés invariables, on peut en déduire, à première vue, concernant cet épisode, que les coûts variables ne le sont plus, et que les coûts invariables, fixes pourraient être comprimés.
Above the line
Sur la part artistique, à partir du moment où les scénaristes sont débutants, ils ne peuvent qu’accepter le montant de la prime d’inédit proposée. Quelle serait leur capacité de négociation dans un marché où l’offre est très largement supérieure à la demande ? Tout au plus, les scénaristes ayant donné satisfaction seront-ils peut être sollicités à nouveau. Concernant les comédiens il n’y a aucun risque à ce que ceux-ci puissent, au fur et à mesure d’une éventuelle reconnaissance médiatique, demander une augmentation de leur cachet puisqu’ils n’y a pas de continuité dans les rôles.
Below the line
Sur la part technique, au vu du dispositif filmique simplissime voire indigent (un seul axe dans la boîte de nuit), et avec le faible nombre de comédiens et de décors, le tournage pourrait se faire en 2 journées équilibrées de chacune 9’ 30’’, soit un jour de moins que le temps annoncé. Dans l’hypothèse de 3 jours de tournage, on est à un ratio d’environ 6’ par jour, ce qui paraît bien trop faible avec une organisation rationnelle de la production. Rappelons pour mémoire qu’une série comme Plus belle la vie se tourne à un rythme autrement industriel de 22 ou 23‘ par jour. L’explication qui en découle, si le coup de revient est aussi bas, c’est que l’équipe technique est réduite à sa plus simple expression et payée à des prix défiant toute concurrence, ne nécessitant plus l’organisation qui a toujours prévalu sur un tournage de fiction, à savoir un optimum de moyens sur un minimum de jours.
Lorsque Nonce Paolini, PDG de TF1, déclare « que ce genre est fécond pour le milieu de la création[11] », on peut quand même émettre des doutes sur la possibilité qu’auront ces scénaristes (dont certains n’écrivent même pas de dialogues, mais des intentions de dialogues), ces réalisateurs et techniciens, rompus à ce type de production, à faire autre chose qu’une parodie de fiction. J’imagine mal une chaine de télévision comme TF1 acceptant pour un 52’ de prime time un réalisateur ou un chef opérateur forgé à l’aune de la scripted reality.
De la fiction produite comme du flux
Selon Nathalie Darrigrand, responsable des Magazines sur France 2 : « C’est un programme de flux qui créé du stock ». NPA Conseil[12] affirme que : « ces formats sont actuellement produits en majorité par des sociétés de production de programmes de flux, et non des producteurs de séries, de fictions… Ces formats sont gérés dans certaines chaînes non pas par l’unité fiction mais parfois par l’unité magazine. Diffuseurs et producteurs continuent alors de travailler entre interlocuteurs qui se connaissent déjà. » D’évidence, la scripted reality se situe à la frontière des genres. Ce n’est plus du reportage, et ça n’est pas de la fiction. Si l’on considère que les diffuseurs, les producteurs et les téléspectateurs sont contents, quel peut donc être l’enjeu de discuter de la nature du genre de la scripted reality? L’enjeu vient du fait que ce programme ne rentrent pas pour l’instant dans la catégorie dite des « œuvres d’expression originale française ou européenne », qui sont les programmes pris en compte dans les obligations de quotas de production et de diffusion des diffuseurs. Ces quotas sont destinés à garantir une production nationale audiovisuelle, pour lutter contre les importations massives de programmes étrangers dont beaucoup proviennent des États Unis.
Les quotas de production et de diffusion
En ce qui concerne les quotas de diffusion, le risque est nul. En effet, les programmes pris en compte sont ceux diffusés aux heures de grande écoute, heure à laquelle on ne retrouve la scripted reality puisque celle-ci est diffusée, comme nous l’avons vu, en matinée ou dans l’après-midi. En revanche, si ce programme est compté dans les quotas de production, cela risque de réduire l’ambition de la création sur les chaines généralistes qui en ont encore les moyens. TF1 doit produire 12,5 % de son chiffre d’affaires net de l’année précédente dans des œuvres d’expression originale française ou européenne, FR2 et FR3 20 %, et M6 10,75 %. Les programmes concernés sont définis par le CSA et, pour faire simple, disons qu’ils excluent tous les programmes de flux. Si une partie du flux rentre dans les quotas de production, le risque est de faire un investissement moindre dans la production diffusée aux heures de grande écoute, puisque le quota de production sera atteint. Prenons une scripted reality dont le coût est de 30 000 €/j ; sur une année pleine (à raison de 5 jours par semaine sur 44 semaines) cela représente 6, 6 millions d’€ qui risquent de déserter l’investissement en prime time ; d’autant que TF1 et M6 déjà renâclent en ces temps difficiles à faire leur quota. Pour le service public l’enjeu n’est pas tout à fait le même, mais par exemple une chaine comme France 3 n’aurait plus de raisons de produire son feuilleton Plus belle la vie, qui est un marqueur identitaire fort de la chaîne, mais qui lui coûte cher[13].
Un flux de fictions
Ces programmes pour l’instant n’ont pas accès aux aides mises en place par le CNC à travers le Compte de Soutien aux Industries de Programme (ou COSIP). Pour bénéficier du COSIP, il faut que l’œuvre soit éligible aux critères de sélection définis dans le cadre de la politique de soutien aux industries de programme. Or la scripted reality n’est pas éligible en tant qu’œuvre d’expression originale française. Si le CSA en décide autrement, une énorme quantité de programmes de flux vont arriver pour bénéficier d’un soutien financier. Le COSIP est financé par une taxe sur les revenus des diffuseurs, restés identiques peu ou prou à ceux de 2008. Un COSIP avec des ressources stables et un accroissement soudain du nombre de programmes à soutenir nous laisse imaginer la répercussion en chaine que cela pourrait avoir sur le financement des producteurs, qui eux prennent des risques sur de vraies créations. Pour mémoire en 2011 le COSIP a financé la production à concurrence de 213, 4 millions €.
Enfin, si l’on sait que les diffuseurs sont « plombés » par la conjoncture économique, ils baisseront immédiatement leur apport financier dans l’acquisition du programme de scripted reality du montant équivalent à celui que le producteur aura pu obtenir via le COSIP pour le dit programme. La boucle est bouclée, appauvrissant ainsi encore la production audiovisuelle nationale, qui est une des productions les plus faibles en Europe. Je ne parle même pas de soutenir la comparaison avec un pays comme la Corée du Sud, où les trois chaînes hertziennes diffusent chacune à un rythme hebdomadaire trois séries nationales en prime time.[14]
L’avenir de la scripted reality
Il est entre les mains du CSA, qui consulte les différents protagonistes, diffuseurs, producteurs, réalisateurs, scénaristes. Admettons pour le moins que la scripted reality n’est qu’une parodie de fiction, et l’on voit mal sur quels critères on pourrait légitimer son accès au COSIP. Par ailleurs, que les chaînes privées puissent s’y adonner, pourquoi pas, mais elle n’est pas digne du service public, comme l’a souligné la ministre de la culture Aurélie Filippetti. Encore faudrait-il reconsidérer le montant de la contribution à l’audiovisuel public, qui est l’un des plus faibles d’Europe, (en 2012, 125 €[15] en France contre 215 € en Allemagne) et donner à France Télévision les moyens d’une production plus ambitieuse s’appuyant sur les talents des producteurs scénaristes, réalisateurs et techniciens, qui préféreraient exprimer la force de leur talent plutôt que la force du latent. Ne rêvons pas, en ces temps de restrictions économiques, on n’augmentera jamais la « redevance » au niveau requis. Si l’on ajoute à cela un marché publicitaire atone, et l’arrivée de six nouvelles chaînes privées de la TNT en décembre 2012, on ne peut qu’en déduire, au vu des ressources disponibles, que la nécessité de programmes à bas coût garantira un bel avenir à toutes les formes télévisuelles de reality, scripted ou pas.
Note ajoutée par la rédaction, 10 janvier 2013: « Statu quo pour la scripted reality : le Conseil Superieur d’Audiovisuel (CSA) va continuer de décider au « cas par cas » si ces émissions sont ou non des œuvres de fiction. (…) Cette décision intervient après plusieurs semaines d’audition par le CSA des chaînes de télé, des représentants des producteurs, des auteurs, et des scénaristes » (Libération, 10 janvier 2013, p. 27).
CHAUVAT Claude, « Décrypter la « scripted reality » », Articles [En ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2012, mis en ligne le 21 décembre 2012. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/decrypter-la-scripted-reality-claude-chauvat/
Scénariste de télévision, ex-producteur exécutif, ex-conseiller de programmes à France 2, chargé de cours en communication à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense