Avec une croissance annuelle moyenne de 10 % entre 2000 et 2011, la Chine est en pleine expansion et ouvre ses marchés au reste du monde (et cela dans de nombreux secteurs tels que celui de la culture et donc du cinéma). La Chine prend conscience de son potentiel dans la production de biens symboliques et matériels et voit se dessiner la possibilité de détrôner Hollywood. Le 22 septembre 2013, le conglomérat chinois « Dalian Wanda Group » a donné le coup d’envoi de son projet de « cité du cinéma » à Qingdao. Le patron de Wanda Group, Wang Jianlin, a précisé qu’il voulait développer un « Chinawood » sur la scène internationale.
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Rappel théorique
Le concept « d’industrie culturelle » nous vient de l’école de Francfort et plus particulièrement des chercheurs T.W.Adorno et M. Horkheimer. Leur ouvrage La Dialectique de la raison (écrit en 1944 et traduit en français en 1974) présente pour la première fois le terme « Kulturindustrie », et s’interroge sur la crise de la Raison. Il dégage l’idée que la Raison porte en son sein un mouvement à double tranchant, la rendant émancipatrice, mais également asservissante. L’industrie culturelle (terme qui s’est transformé par la suite en « industries culturelles » face à la diversité croissante des filières), représente l’un des éléments du triomphe de la raison instrumentale et cela à travers un caractère particulier de la production, un résultat de l’investissement capitalistique dans l’art, une instrumentalisation de la réception et globalement, un acquiescement permanent aux valeurs du statu quo.
Dans toutes ses branches, on confectionne, plus ou moins selon un plan, des produits qui sont étudiés pour la consommation des masses et qui déterminent par eux-mêmes, dans une large mesure, cette consommation.[1]
Pour reprendre les propos de Charles Meyer dans son ouvrage : Le cinéma américain des premiers temps et ses modèles de productions :
L’industrie culturelle, avancent-ils [Adorno et Horkheimer], propose une reproduction permanente de la même chose [et] ressemble à une chaîne par sa méthode planifiée de fabrication des produits, comparable à celle des usines, et cela vaut aussi bien pour les studios de cinéma que pour la compilation de biographies à bon marché, les romans pseudo-documentaires et la musique de variété.[2]
Les enjeux des majors hollywoodiennes d’accéder au marché chinois
Les États-Unis convoitent le marché chinois depuis de nombreuses années et ont régulièrement tenté la prise de contact avec ce géant de plus d’un milliard d’individus. En effet, ce marché chinois représente une possibilité extraordinaire pour Hollywood de toucher un très grand nombre de spectateurs. L’insertion et la diffusion des films américains permettraient de développer l’activité cinématographique en Chine et de diffuser, par la même occasion, l’idéologie américaine (comme en Europe après le plan Marshall). En infiltrant ce marché, les États-Unis pourraient à nouveau diffuser l’American way of life et déclencher des profits colossaux. Néanmoins la partie est loin d’être gagnée. Sortant d’une tradition très fermée et conservatrice, la politique chinoise commence seulement à s’ouvrir au marché mondial et met en place de nombreuses clauses pour protéger sa diversité culturelle. « Les marchés du futur, ceux qui ont un fort potentiel et sur lesquels les majors tentent de s’installer, sont actuellement la Russie, l’Inde et la Chine ».[3] Cependant il conviendra ici de se focaliser uniquement sur le cas de la Chine.
Le dégel des relations entre les États-Unis et la Chine depuis les années 1970
Dès 1971, le président de la MPAA, Jack Valenti tente de prendre contact avec les autorités chinoises lors du festival de Venise. « Malgré la mise en place de quelques programmes d’échanges culturels, des obstacles idéologiques et économiques ne permettent pas de trouver un accord et le processus s’arrête au stade de marché semi-fermé ».[3]
Selon Antonio Vlassis, depuis une vingtaine d’années, les stratégies commerciales sur la culture donnent naissance à de nombreux débats. Des traités sont remis en question comme en 1993 comme celui du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), signé en 1947 pour assurer l’accord multilatéral de libre-échange. « L’exception culturelle » a également été rediscutée lors de la CDEC (convention sur la diversité de l’exception culturelle), adoptée par l’UNESCO en 2005. Ce dernier, ratifié par 122 pays (dont la Chine), « admet explicitement la spécificité des produits et services culturels et la légitimité de l’intervention publique dans le secteur des industries culturelles. »[4]
En 1994, la China Film Group Corporation continue d’acheter des films américains à prix fixe et filtre les entrées (comme en 90), mais accepte en plus de verser un pourcentage des recettes pour une dizaine de films étrangers par an. Dans un même mouvement, la major Warner Bros s’allie avec une entreprise d’État pour distribuer des vidéos et Paramount-Universal se met en relation avec des groupes chinois pour créer un multiplexe à Shanghai. En 1999 les États-Unis soutiennent la candidature de la Chine à l’organisation mondiale du commerce (OMC). Elle y entre en 2001. Le contrôle de l’État chinois sur les industries culturelles s’assouplit légèrement, mais il reste de nombreuses rigidités. Bien qu’en 2000, la Chine importe environ 18 films américains par an avec un contrat de partage de recette d’environ 13 % à 15 % pour les majors, de nombreux obstacles persistent. Il y a encore le contrôle étatique, les quotas des films qui sont très limités et les périodes de tension politique.
En 2009, après son ouverture et son entrée dans l’OMC, la Chine a été sanctionnée pour avoir utilisé des pratiques commerciales déloyales dans le domaine culturel (cinéma, livre, musique…). Le pays s’engage donc à modifier « le quota restreint d’accès de films hollywoodiens à son marché cinématographique. » Tandis que ce blâme marque l’impuissance de la CDEC face aux principes de libre-échange de l’OMC, les États-Unis se félicitent de cette simplification du maillage protectionniste chinois. En effet, le marché chinois est un enjeu stratégique pour les États-Unis qui ont noté une augmentation de 35 % du marché chinois depuis 2011 contre 1 % pour le marché intérieur américain. En 2013, le box-office chinois a augmenté de 27 % par rapport à 2012 et engrange 3,6 milliards de dollars.[5]
La dure vie des blockbusters hollywoodiens en Chine
Censure, suppression, modification, rajout, les films hollywoodiens en voient de toutes les couleurs lorsqu’il est question de les projeter en Chine. En effet, les studios sont pleins de complaisance envers les autorités chinoises et n’hésitent absolument pas à modifier leurs produits initiaux pour que ces derniers puissent correspondre aux attentes du marché chinois. Les exemples sont nombreux et touchent tous les genres de films, du blockbuster tel qu’Iron man jusqu’au dessin animé comme Kung Fu Panda.
Pour ce dernier, le New York Times rapporte dans « To Get Movies Into China, Hollywood Gives Censors a Preview » que les autorités chinoises ont contrôlé le dessin animé dès sa production, en consultant le scénario, approuvant ou non les éléments créatifs.[6]
Mais Kung Fu Panda 3 n’est pas le seul exemple, la dernière grosse production à avoir fait beaucoup parler d’elle est le troisième volet de la franchise « Iron Man ». La production, assurée depuis le début par Disney-Marvel s’est fait cette fois en partenariat avec la DMG Entertainment, la première entreprise de divertissement, basée à Pékin. Cette alliance n’est pas anodine puisque la DMG, qui investit financièrement dans la production et assure la distribution dans l’Empire du Milieu, entretient des liens étroits avec la China Film (le plus grand groupe cinématographique de Chine, contrôlé par l’État). Disney-Marvel a également voulu s’appuyer sur les conseils de la DMG pour modeler un blockbuster qui serait susceptible de plaire aux spectateurs chinois. Cette alliance était d’autant plus nécessaire qu’il fallait élucider la question délicate du « Mandarin », ennemi juré de Tony Stark (alias Iron Man). Il ne faut pas oublier que les films sont des adaptations cinématographiques de comics parus dans les années 60 à l’époque où la guerre froide était à son paroxysme et que, dans la vision des États-Unis, la menace communiste planait sur le monde. Au terme de ces négociations, le Mandarin a finalement gardé le nom, mais a été remplacé par un riche Britannique. Enfin cette collaboration n’est pas un acte ponctuel, mais s’inscrit dans une stratégie d’endurance de la conquête du divertissement du marché chinois. Enfin au niveau des recettes, tandis que la sortie d’Iron Man en 2008 engrangea 15 millions de dollars en Chine et 8 millions de dollars pour Iron Man 2 en 2010, la sortie d’Iron Man 3 en 2013 rapporta 21 millions de dollars dès le premier jour.[7] Transformers 3 : la face cachée de la lune, sortie en 2011, a également fait l’objet de modification dans sa structure et de relation entre les deux pays. La moitié du film a été filmé à Hong Kong et des entreprises chinoises (banque, magasins) ont été insérées dans les prises de vue.[8]
La Chine surveille donc toutes les grosses productions hollywoodiennes, dans le but d’éviter les scènes ou références néfastes pour l’image du pays. Dans le film James Bond Skyfall, la scène dans laquelle le tueur à gages français tue un agent de sécurité chinois a été coupée au montage. De même dans Men in Black 3, la scène où les extraterrestres se déguisent en employés d’un restaurant chinois, a été supprimée lors de la diffusion en Chine. Les films américains ont trouvé leur maître en matière de pudeur puisque la Chine supprime toutes scènes à caractère sexuel. Dans Titanic (sortie en 1997), la scène dans laquelle Kate Winslet pose nue devant Leonardo Dicaprio a été censurée. Des scènes de nudités dans Cloud Atlas (2012) ont été coupées et Brokeback Mountain (2005) n’a pas été diffusé, car les autorités chinoises ont considéré que le sujet était trop sensible. Les studios hollywoodiens doivent également faire attention aux croyances religieuses. Déjà à la fin des années 50, le péplum Ben-Hur (1959) a été accusé d’être un outil de propagande en faveur du christianisme. Récemment c’est L’Odyssée de Pi (2012) qui a vu l’une de ses répliques, « la religion, c’est l’obscurité », être modifiée pour ne pas perturber la croyance du peuple chinois.[9]
Cet échantillonnage d’exemples rend compte des enjeux sous-jacents à la production et diffusion d’un film. Rien n’est laissé au hasard, tout est calibré pour satisfaire l’ensemble des publics, des croyances, et ne froisser personne. Un produit cinématographique qui ne bouscule pas les choses, qui préserve un « statu quo », garde l’assurance d’être bien réceptionné par tous et d’assurer un succès financier. Il serait naïf de penser que les États-Unis sont les seuls à penser à l’expansion de leur marché. Certes, ils visualisent parfaitement le potentiel du marché chinois (tandis que le marché cinématographique intérieur est en perte de vitesse), mais la diffusion de leurs films profite également à la Chine. Ce géant qui s’ouvre peu à peu au marché extérieur laisse entrer de plus en plus de films étrangers (majoritairement américain).
La Chine s’ouvre à Hollywood au détriment de sa diversité culturelle
L’ouverture du cinéma chinois aux films hollywoodiens est certes bénéfique pour lui, mais n’est pas sans conséquence. Bien qu’Hollywood adopte aujourd’hui une stratégie davantage tournée vers le dialogue, les pressions sur les accords internationaux (notamment en matière de protection de la diversité culturelle) sont loin d’avoir cessé. Parmi la multitude d’accords régissant les industries culturelles, celui des quotas sur les programmateurs de services culturels insupporte les États unis et les majors hollywoodiennes. « Les quotas transgressent la “main invisible” du marché. Ils leur reprochent leur caractère arbitraire, intrinsèquement injuste et contraire à la valeur primordiale de l’efficacité ».[10] Or, justement, la Chine, continue à établir des quotas stricts dans l’importation de films. Du coté des États-Unis, les administrations gouvernementales, soutenues par la MPAA, caractérisent les films comme de simples produits sujets aux accords commerciaux : « Partant alors du constat que l’entertainment n’a rien à voir avec la culture et que ce que produisent les industries culturelles n’est rien d’autre que de l’entertainment, elles [les administrations] concluent à l’inclusion du secteur dans l’agenda des accords commerciaux. »[11] Dans cette même logique, un film doit donc être tourné essentiellement vers « la rationalité et la souveraineté » du consommateur, et doit pouvoir circuler sans entrave et s’échanger dans la vérité des prix. Les États-Unis prônent donc l’étendard du libéralisme, du commerce sans ingérences. L’inconvénient, c’est que face à cette logique libérale, la Chine garde aujourd’hui un cinéma encore sous le monopole officiel de l’état (bien que les règles s’assouplissent). En 2009, suite au blâme donné par l’OMC à la Chine, cette dernière s’engage à recevoir 14 films hollywoodiens supplémentaires par an (qui viennent se rajouter aux 20 déjà acceptés), à condition qu’ils soient en version 3D et Imax.
Elle s’engage aussi à augmenter la part des recettes versées (passant de 13 % à 25 %). L’insertion sur le territoire chinois ne s’arrête pas là, puisque DreamWorks Animation a annoncé la construction d’un studio à Shanghai (en partenariat avec des entreprises chinoises), pouvant ainsi produire des animations échappant aux quotas mis en place par les autorités chinoises. Bien sûr, en guise de protection, les pays mettent en avant la CDEC (Convention sur la Diversité des Expressions Culturelles). Cependant ces articles, résultat de longs débats, sont volontairement flous, et montrent la volonté de ne pas se mettre à dos l’OMC, qui règle le commerce des biens audiovisuels. Certains pays comme la France, la Chine ou le Canada aimeraient voir se renforcer le poids juridique de la CDEC, mais pour cela il faudrait qu’elle acquière un statut universel, impossible, puisque les États-Unis ne donneront jamais leur accord. De plus, l’étendue des mesures que comprend la CDEC sur l’exception culturelle reste très large et laisse à chaque pays le degré de protection à appliquer à leurs biens culturels. Des accords vont dans un sens pour protéger la diversité culturelle de chaque pays, mais sont encore trop peu efficaces.
À grand renfort de supports innovants et de nouvelles techniques (Imax et 3D par exemple), combinés à des campagnes marketing mondiales aux budgets gargantuesques, les majors hollywoodiennes assurent la diffusion de leurs supports et de leur idéologie. Le cinéma américain d’aujourd’hui est la résultante d’une multitude d’accords, de fusions, de crises, de succès qui n’ont cessé de traverser le monde du cinéma, celui de la diffusion idéologique. L’alliance suprême de la MPAA et du gouvernement permet de déjouer, faire pression ou influer dans des décisions internationales en faveur de leurs propres intérêts et mènent une stratégie d’expansion de leur meilleur outil idéologique.
La Chine : renaissance d’une super puissance
Très tôt, des caméramans français et américains sont venus en Chine et ont filmé des scènes de la vie quotidienne chinoise, en particulier dans le port français de Shanghai. Dès ses débuts le cinéma chinois est le fruit d’une collaboration entre le capital étranger et la créativité locale, tourné avec du matériel et de la pellicule importer. Ce cinéma est hybride, à mi-chemin entre l’Est et l’Ouest. Dans les zones d’influence françaises (et en particulier à Shanghai), une population cosmopolite se précipite dans les cinémas pour assister aux projections des films hollywoodiens importés. Les années 1930 et 1940 sont marquées par les meilleures réalisations des studios de Shanghai, adoptant les codes hollywoodiens et les combinant avec les figures de littératures populaires de l’époque appelée « papillon et canard mandarin ». C’est en quelque sorte l’âge d’or du cinéma chinois qui a pris fin en 1949, avec l’arrivée au pouvoir des communistes.
Les nouvelles cibles de l’industrie culturelle chinoise
La Chine est devenue une puissance économique incontournable et pourrait, selon certains analystes à Washington, devancer les États-Unis en 2035, inscrivant ainsi l’ensemble des relations internationales dans une nouvelle ère. Selon Barthélémy Courmont dans son livre Chine, la grande séduction [12], si la Chine veut que son modèle tienne sur le long terme et puisse se diffuser, elle doit afficher un visage accueillant et rassurant au reste du monde. Pour cela, Pékin déploie depuis la fin du XXe siècle de nombreuses stratégies dans le but d’adoucir son image (bien que le pays soit encore sous le régime d’une dictature, fermé et à la censure très présente). Elle développe son industrie culturelle à travers la multiplication des rencontres bilatérales, via une coordination accrue dans la gestion des crises, via la mise en place de plans d’investissements massifs ou encore avec l’organisation de grands évènements internationaux. Son industrie culturelle permet à la Chine d’être la deuxième puissance économique mondiale. Elle n’hésite pas à exporter ses produits dans le monde entier tout en important en masse des biens nécessaires à la demande croissante de sa classe moyenne émergente.
Elle investit également à travers le monde entier dans toutes formes de projets.[13] La grande séduction (soft power) se fait également au niveau diplomatique puisque la Chine soigne ses relations internationales, passant ainsi pour un pays respectueux du droit international. Elle multiplie les démarches vers les autres, reprenant contact avec le Japon ou passant un accord climatique avec les États-Unis par exemple. À travers toutes ses actions se cache une volonté de la part de la Chine de devenir un interlocuteur valable sur la scène internationale. De plus, les investissements et aides financières qu’effectue le pays (notamment avec son projet de développer un réseau maritime pour optimiser la route de la soie) ne sont pas sans rappeler le plan Marshall que les États-Unis ont proposé à l’Europe au lendemain de la guerre pour consolider leur influence face au bloc communiste. Le gros travail de la Chine sur son image, ne s’articule pas uniquement autour de l’économique et de la politique. La promotion de la culture chinoise est également très importante et tend à être diffusée à travers différents dispositifs. Néanmoins son efficacité est encore à prouver et son succès relatif suppose une importante remise en question de la part de la Chine.
Le premier point qui semble très important dans la diffusion de la culture d’un pays, c’est de faire connaître la langue et les traditions d’une civilisation. La Chine a donc créé à travers le monde, depuis 2010, des instituts « Confucius ». Ces instituts majoritairement rattachés à des structures universitaires permettent d’enseigner la langue et la culture chinoise à l’international. La clé d’une bonne diffusion culturelle est également de jouer avec l’histoire ancienne du pays, le raffinement de ses arts, de sa calligraphie et son héritage. Ces éléments vont constituer le pilier de son industrie culturelle et il est intéressant de voir comment le gouvernement met cela en avant et l’insère dans une stratégie globale et commerciale dans le but de « vendre » une image de la Chine au reste du monde. Ce pays développe sa nouvelle idéologie, la met en scène et engrange les moyens pour la développer.
C’est ce que prouve l’émergence de son cinéma. Son cinéaste le plus représentatif de cette mutation est Zhang Yimou. Sa carrière à en effet connu deux phases selon Stéphanie Balme. Avant les années 2000 nous pouvons remarquer que les sujets de ses œuvres se portaient davantage sur des sujets sensibles comme l’adaptation d’œuvres d’écrivains chinois dont certains ont pu être marginalisés comme « les romans de Mo Yan (Le Sorgho Rouge), Su Tong (Épouses et Concubines) et Yu Hua (Vivre). Étaient mis en scène le poids des traditions de la Chine pré-républicaine, la tragédie de la guerre sino-japonaise, la lutte contre le parti nationaliste (Kuomintang) ainsi que la vie des petites gens dans les campagnes (…) et les petits fonctionnaires du parti au début des réformes. »[14] Puis à partir des années 2000, il va se rapprocher des autorités chinoises et créer des films chargés d’un « discours politique ».[14]
Filmographie Zhang Yimou
1987 : Le Sorgho rouge (红高粱, Hong Gao Liang)
1989 : Ju Dou (菊豆, jú dòu)
1989 : Opération jaguar (代号美洲虎 Dai hao mei zhou bao)
1991 : Épouses et Concubines (大红灯笼高高挂, Da hongdenglong gaogao gua)
1992 : Qiu Ju, une femme chinoise (秋菊打官司, Qiu Ju da Guansi)
1994 : Vivre ! (活着, huózhe)
1995 : Shanghai Triad (摇啊摇,摇到外婆桥, Yao a yao yao dao waipo qiao)
1997 : Keep Cool (有话好好说, You hua hao hao shuo)
1999 : The Road Home (我的父亲母亲, Wo de fu qin mu qin)
1999 : Pas un de moins (一个都不能少, Yi ge dou bu neng shao)
2000 : Happy Times (幸福时光, Xingfu Shiguang)
2002 : Hero (英雄, yīngxióng)
2004 : Le Secret des poignards volants (十面埋伏, Shi mian mai fu]
2005 : Riding alone : Pour un fils (千里走单骑 , Qian li zou dan qi)
2007 : La Cité interdite (满城尽带黄金甲, Man cheng jin dai huang jin jia)
2009 : A Woman, a Gun and a Noodle Shop (三枪拍案惊奇, Sānqiāng Pāi’àn Jīngqí)
2010 : Sous l’aubépine (山楂树之恋, Shan zha shu zhi lian)
2011 : The Flowers of War (金陵十三釵, jīnlíng shísān chāi)
2014 : Coming Home (歸來, guīlái)
Dans sa deuxième période, Zhang yimou (avec ses films Hero et Le secret des poignards volants), donne à voir des œuvres davantage marqué par la ligne officielle : « l’histoire de la Chine est racontée sur commande, sans nuance, au profit d’un cinéma commercial à grand spectacle, qui doit être fidèle aux caractéristiques nationales. »[14]
Face à la censure, il est facilement compréhensible que des réalisateurs se mettent en accord avec ce qu’exige le pouvoir pour acquérir l’approbation d’être exporté à l’étranger. En effet « le cinéma indépendant, né en marge de la production officielle, reste lourdement censuré par les autorités malgré des phases de relâche qui permettent de légaliser, souvent à la va-vite, certaines productions. »[14]
Pour montrer la rigidité des autorités chinoises, on peut prendre l’exemple de l’œuvre de Tian Zhuangzhuang, qui a suscité une vive controverse au moment de la sortie de ses productions Cerf-volant bleu (1993) et Voleur de chevaux (1986). Ces deux films, qui abordent respectivement les campagnes de masse sous le maoïsme, et la vie quotidienne d’une famille tibétaine, présentent des sujets sensibles qui viennent montrer les actes peu reluisants de la Chine. Le Cerf-volant bleu qui « a été présenté au Festival de Cannes en 1993, sans l’aval des autorités chinoises, a valu au cinéaste une interdiction de filmer pendant près de dix ans. »[14]
1982 : l’Éléphant rouge (红象, Hong xiang)
1984 : la Loi du terrain de chasse (猎场扎撒, Lie chang zha sha)
1986 : Le Voleur de Chevaux (盗马贼, Dao ma zei)
1987 : The Street Players (鼓书艺人, Gushu yiren)
1988 : Le jeune danseur de Rock (摇滚青年, Yaogun Qingnian)
1988 : La vie illégale (特别手术室, Te bie shou shu shi)
1991 : Li Lianying, eunuque de l’Empereur (大太监李莲英, Da taijian Li Lianying)
1993 : Le Cerf-volant bleu (蓝风筝, Lan feng zheng)
2002 : Printemps dans une petite ville (小城之春, Xiao cheng zhi chun)
2004 : Delamu (茶马古道:德拉姆, Cha ma gu dao xi lie)
2006 : The Go Master (吴清源, Wu qingyuan)
2009 : The Warrior and the Wolf (狼灾记, Láng zāi jì
La place ambiguë de la chine sur la scène internationale
En 2010, la grosse production de James Cameron, Avatar, sort en Chine et remporte un succès énorme. L’agence officielle Chine Nouvelle a annoncé que les recettes d’Avatar s’élevaient à 57 millions d’euros depuis sa sortie le 2 janvier.
« Rien ne devait entraver la route d’Avatar vers un succès historique si les autorités n’avaient pas décidé de suspendre la projection du film dans 1600 salles à compter du 23 janvier pour de fumeuses raisons : le film n’attirait déjà plus les foules et seule la version 3D du film serait rentable. Et sur 4600 salles, la Chine ne possède que 700 écrans 3D ».[15] Face à cet acte, les critiques ont été diverses. Pour expliquer son retrait des salles, le succès du blockbuster américain, était susceptible de faire de l’ombre à la sortie du film patriotique sur la vie de Confucius (de Mei Hu), annoncé par les médias chinois comme « le plus grand film de tous les temps ».
Lors de la sortie de Confucius, les services du Ministère de la Propagande sont allés jusqu’à distribuer des places gratuites à la population, dans le but de les encourager à aller voir le film. Le succès n’a pas été au rendez-vous et les critiques médiatiques chinoises ont accusé la jeunesse de ne pas s’intéresser au passé de leur pays.
Quels rapports de forces et quels enjeux entre la Chine et les États-Unis ?
La Chine ne cache pas ses ambitions, puisqu’en septembre 2013, le conglomérat Wanda Group a inauguré son projet de studios, destiné à devenir le plus grand du monde. Cette entreprise, spécialisée à la base dans l’immobilier, s’est vite ouverte au divertissement et annonce, pour la modique somme de 3,6 milliards d’euros, la conception d’une cité du cinéma dans la ville côtière de Quingdao. Ce gigantesque complexe devrait comporter des studios, un parc à thème (sur le même modèle que les studios Universal) et assurer la production d’une centaine de films par an. Ce projet démesuré s’inscrit dans une volonté de Wanda Group de devenir incontournable dans le milieu du cinéma. En 2012, le groupe a en effet annoncé le rachat d’AMC, le deuxième plus grand réseau de salle de cinéma aux États-Unis. La démarche est exactement la même que les processus monopolistiques pratiqués par les majors hollywoodiennes aux États-Unis. Wanda veut contrôler une partie de la chaîne de diffusion pour s’assurer la production et la diffusion de films à succès. « Wang Jianlin – patron de Wanda Group — ne cache pas son ambition de mettre également la main sur des distributeurs de cinéma sur le vieux Continent ». Le groupe rentre dans une démarche économique semblable à celle des majors hollywoodiennes, effectuant des mouvements d’acquisitions verticaux, pouvant ainsi contrôler les étapes dans la chaîne de production d’un film. En rachetant les réseaux de distribution en Europe, le groupe Wanda (soutenue par les autorités chinoises), affiche clairement son ambition de s’insérer et de se diffuser dans un territoire depuis longtemps sous le joug de la culture et de l’idéologie américaine. L’affront va plus loin avec le rachat d’AMC aux États-Unis, assurant l’implantation du groupe Wanda sur leur propre territoire, berceau de l’industrie hollywoodienne.
Des productions chinoises qui peinent à séduire
Cependant la diffusion de film chinois n’est pas si simple et il faut sûrement un peu plus qu’un ensemble d’infrastructures. D’après l’agence Chine Nouvelle, en 2014, le box-office chinois a poursuivi sa croissance avec une hausse de 36 % des ventes de places de cinéma, hausse permise en partie grâce au nombre croissant de salles. Certes, la production nationale représente la majeure partie des recettes (54 %) ; cependant, il ne faut pas oublier que la Chine applique des quotas drastiques pour préserver sa production nationale, limitant à 34 le nombre de films étrangers autorisés à être projetés dans les salles chinoises. La sortie de Hunger Games 1 : la Révolte en 2014 a été reportée en 2015, afin de laisser la place à la sortie d’un film national. Malgré les chiffres, la moitié des films présents dans le top 20 des films au box-office chinois sont américains. La grande sortie de Coming home de Zhang Yimou s’est retrouvée à la 36e place dans le top 100 tandis que le plus grand succès est Transformers 3 : l’âge de l’extinction. Il est vrai que ce succès peut en partie s’expliquer par le fait que cette production a été taillée pour être distribuée sur le sol chinois, intégrant des stars chinoises au casting et des scènes tournées dans le pays.
Les productions nationales peinent à atteindre le succès des blockbusters hollywoodiens. Cela est dû en partie à la transformation du paysage social puisque la croissance exponentielle de la Chine a permis l’émergence d’une classe moyenne. De plus le cinéma est porté par un public jeune qui affectionne les superproductions américaines. Le cinéma chinois est marqué par un désintérêt croissant de la part de ses spectateurs, et une exportation laborieuse à l’étranger. Néanmoins, le cinéma (ainsi qu’Internet et la télévision) est un domaine en pleine expansion. « Les productions télévisuelles et cinématographiques sont de plus en plus convoitées par des grands groupes très divers, mais à leur manière liées incestueusement. Dalian Wanda Group (immobilier), Alibaba (commerce en ligne), et Tencent (jeux vidéo, réseaux sociaux) multiplient les initiatives dans ce secteur avec en ligne de mire l’accès au savoir-faire américain ». [16]
Comme le précise David Buxton dans « Les Actualités » (janvier 2015) de la Web-revue des industries culturelles et numériques :
D’abord, il y a une dimension politique : le gouvernement a clairement fait savoir qu’il compte sur le cinéma pour faire rayonner la Chine à l’international (« soft power ») et à cette fin, il octroie des aides fiscales et des subventions à la filière. Ensuite, une dimension économique : le cinéma, avec une croissance de son chiffre d’affaires de 30 % en moyenne depuis dix ans, se présente comme un investissement de choix pour des grands groupes chinois, qui ont atteint des positions dominantes dans leurs industries respectives, et qui cherchent à diversifier leurs sources de revenus.[17]
Hollywood et Chinawood face à l’Internet
L’évolution du cinéma n’est qu’une suite de bouleversements (économiques, technologiques, politiques…) qui viennent, dans un premier temps, ébranler le fonctionnement établi par l’industrie, puis va la forcer à trouver une solution pour continuer et optimiser son activité. Les transformations ont été faites au sein même de la filière cinématographique (avec les nouveautés technologiques de production, de diffusion…), mais également avec la création de filières extérieures. « Le secteur des industries créatives redéfinit des filières industrielles anciennes pour recombiner ensemble les industries de la culture (musique enregistrée, livre et presse, audiovisuel et cinéma, jeux vidéo), les industries de la communication, les activités créatives de type artisanal (artisanat d’art, mode), le design… Par capillarité la notion de créativité, qui devient véritablement une valeur, est appelée à gagner un grand nombre de secteurs économiques ».[18]
On assiste donc à une « culturalisation » de l’industrie, c’est-à-dire que les logiques classiques qui animaient les industries culturelles vont s’étendre vers d’autres secteurs industriels. Cela va se traduire par « l’adoption par les nouvelles activités industrielles de stratégies de prise de risque, d’intégration des comportements des usagers dans la conception des produits, de modes de gestion des aléas adaptés à des environnements incertains et dans lesquels joue à plein la surdétermination des valeurs d’usage et d’échange par des valeurs symboliques ». Ces changements vont créer une articulation entre les industries culturelles et les industries de la communication contribuant ainsi à une concentration dans les deux secteurs. Les pôles ou groupes vont absorber des entités (augmentant ainsi leur valeur boursière), ce qui va leur permettre de diversifier leurs domaines d’activités.[19]
Selon Philipe Bouquillon, il y a trois types d’articulations entre ces deux branches industrielles :
- Les fabricants de matériels s’associent avec des producteurs de contenus. Cette stratégie permet aux fabricants de matériels de devenir des agrégateurs de contenu et d’occuper la place dominante dans les deux branches ;
- les pôles de contenus cherchent à « prendre des positions dans l’Internet » (Bouquillion, 2008 : p. 197). Pour les producteurs de contenus, ce type d’articulation leur permet d’endiguer le développement des échanges illégaux, de recouvrir une part des revenus perdus par le piratage existant toujours et de mieux promouvoir leurs produits ;
- Les industriels de l’Internet s’articulent avec les industries culturelles, en lançant des « plates-formes proposant à titre payant l’acquisition ou la location de produits des industries des ICM (les industries de la culture et des médias) » [20].
L’ensemble des industries cinématographiques (quel que soit le pays) doit apprendre à se développer avec Internet. Or selon les pays les enjeux ne sont pas tout à fait les mêmes.
Hollywood face à Internet
Avec la numérisation des contenus, c’est l’ensemble de l’écosystème de l’audiovisuel qui est ébranlé. À ses débuts, Netflix était une entreprise américaine qui proposait de la location de DVD par correspondance. En contrepartie d’un abonnement, l’usager pouvait recevoir les films demandés par courrier. L’entreprise a vu, comme les autres secteurs, la transformation des usages et l’avènement d’Internet et du haut débit. Le président de Netflix, Reed Hastings, a décidé en 1997 de créer un service de vidéos à la demande grâce à la technologie du flux continu (streaming). Ce nouveau format ne va avoir de cesse de prospérer jusqu’à toucher en 2013, 45 millions d’abonnés dans le monde. La force de Netflix (qui manque justement dans les productions hollywoodiennes), c’est l’efficacité de son algorithme de filtrage collaboratif. « À partir des habitudes et des goûts identifiés de ses clients, Netflix propose des contenus en adéquation avec leurs attentes (modèle prédictif) et offre ainsi un système de recommandations extrêmement perfectionné. »[21]
De plus Netflix, interface de diffusion de contenu, devient également producteur de séries originales et vient concurrencer les chaînes de télévision des majors et HBO. De plus, le 29 septembre 2014, Netflix a annoncé la production (en partenariat avec le studio Harvey Weinsten) de Tigre et Dragon 2 et sa diffusion simultanée sur sa plateforme et sur tous les écrans Imax aux États-Unis. Le géant de la vidéo à la demande souhaite ébranler le système hiérarchique de la sortie d’un film. « Chaque canal de diffusion a sa “fenêtre” de diffusion, plus ou moins tôt après la date de sortie de référence, qui reste jusqu’à ce jour la sortie en salles. »[22] Bien sûr, la révolution n’est pas encore faite puisque les trois grands réseaux d’exploitants refusent encore de diffuser ce film. Tigre et Dragon 2 ne sera d’ailleurs pas une grosse production et sa sortie se fera en août 2015 (durant la période creuse des grandes vacances).
Au-delà de la plateforme Netflix, l’exploitation des big data, permise par internet, vient ouvrir un nouveau champ de possibilités. Relativity Media, une société de production indépendante américaine, a réussi « à introduire la science et les mathématique dans le cinéma, un domaine surtout dominé jusque-là par l’art et l’audace. »Ryan Kavanaugh, le PDG de cette société, a utilisé en 2006 les techniques de gestion des risques utilisées par Wall Street « pour collecter l’ensemble des données relatives à tous les films, de toutes les sociétés de productions d’Hollywood (noms des réalisateurs, acteurs, producteurs, dates de sorties des films…), puis il a entré les informations dans une base de données et les a comparées avec les données cinématographiques antérieures. » Ryan Kavanaugh a pu, avec ces données, déterminer quels sont les facteurs déterminants pour assurer des entrées record ou entraîner un fiasco, et quel était le taux de retour sur investissement. Suite à cela, la société a produit en 2013 My Movie Project, réunissant 11 réalisateurs, une vingtaine d’acteurs (dont Hugh Jackman, Hally Berry, Kate Winslet et Uma Thurman), pour un budget de 6 millions de dollars. Bien que les critiques aient fortement descendu cette production, My movie project a récolté 8, 82 millions de dollars en Amérique et 30 millions au box-office mondial grâce à « l’effet fan » des réseaux sociaux. Cette même société a réalisé en 2008 une coproduction sino-américaine en 2010 pour The Forbidden kingdom avec Jet Li et Jacky Chan.
Mais cette nouvelle annonce un changement certain, et Hollywood va devoir s’organiser si elle veut assurer la pérennité de son activité. Les studios américains ne sont pas les seuls à être ébranlés par l’internet. À l’autre bout du monde, la Chine doit également composer avec ce nouvel outil.
Chinawood face à Internet
La situation en Chine est nettement différente de celle des États-Unis. D’une part, parce que l’industrie cinématographique en Chine n’a pas cette place de leader qu’occupent les majors hollywoodiennes et se trouve concurrencée, voire dominée, par Internet et sa multitude de plateformes numériques. « À l’avenir, pour se développer, les sociétés cinématographiques devront répondre à la demande d’entreprises numériques comme Baidu, Alibaba et Tencent. Nous devrons nous conformer à leurs desiderata. » Cette déclaration de Yu Dong, président de la société de production Bona, a fait grand effet lors du 17e festival du film de Shanghai en juin 2014. D’autre part, tandis que le fonctionnement américain se fait sous le signe du libéralisme, le gouvernement chinois censure et contrôle à outrance l’ensemble des supports de diffusion de biens culturels, du cinéma à Internet en passant par la télévision.
Entre séries web et films du net, les nouveau-nés du big data font parler d’eux. Yulebao (littéralement « trésors du divertissement », est une plateforme de financement participative lancée en mars 2014 par le site de e-commerce Alibaba. Dans l’optique de financer plusieurs films grand public, la plateforme a effectué une première émission de titres d’une valeur de 73 millions de yuans (9,5 millions d’euros). En moins d’une semaine, pas moins de 160 000 participants se sont arraché les parts. La deuxième émission de titres (d’une valeur de 92 millions de yuans, soit 12 millions d’euros), a été lancée le jour du festival de Shanghai, en juin dernier, dans le but de financer 5 films. En seulement trois jours, toutes les parts ont été achetées. Le président du Shanghai film group s’est d’ailleurs exprimé lors du festival : « nous qui produisons des films depuis plus de trente ans, nous sommes aujourd’hui en passe d’être supplantés par des “concurrents amateurs” ».
Devant la montée en puissance du fournisseur de serveur Tencent, le moteur de recherche Baidu et le site de vidéo en ligne LeTv, l’industrie cinématographique tremble. Du côté « créatif », les réalisateurs ont la crainte de perdre leur légitimité et d’être obligés de se plier aux dictats de ces plateformes. Ils redoutent de recevoir des directives sur le contenu des films et les manières de les réaliser de la part des géants numériques (et cela une fois que le financement participatif deviendra incontournable). De plus la légitimité et la renommée des réalisateurs sont remises en question. L’exemple de Baba Qu nar (« Où va-t-on, papa ? »), film adapté d’une série télévisée à succès, montre un changement dans la manière de fonctionner. Ce film a été fait en un temps record par un cinéaste peu connu, sans star en tête d’affiche. Il a malgré cela connu un succès grâce à « l’effet fan » sur les réseaux sociaux. Le système de prestige et de renommée qui tourne autour de quelques grands réalisateurs-stars s’inverse et l’arrivée d’Internet permet de donner aux cinéastes inconnus la possibilité de créer et de se faire connaître. D’après le PDG de LeTV, Zhang Zao, la production de films pourrait se passer à l’avenir des grands cinéastes pour simplement reprendre ce qui fait le buzz sur Internet.
Sur un aspect financier, le risque pour l’industrie du cinéma serait avant tous que des productions privées soient englouties par ces grosses entreprises du web ou par certains financiers. Le cinéma, en position de faiblesse, se sent menacé et craint pour son avenir tandis que les plateformes qui montent en puissance sont confiantes sur l’avenir et le mariage entre les deux industries. Pour Liu Chunning, directeur général de Yulebao, ces plateformes sont « une puissance importante qui aidera à l’avenir les sociétés du cinéma et de la télévision à développer le potentiel économique représenté par les fans sur les réseaux sociaux. »
Avec une moyenne d’âge chez les spectateurs entre 21 et 28 ans, le public chinois est jeune, dynamique et très attiré par Internet. En 2013, le nombre d’internautes en Chine était de 618 millions, soit presque la moitié de la population chinoise (et les jeunes en sont la catégorie majoritaire). Ils repoussent de plus en plus les médias classiques et sont attirés par les productions étrangères ou les biens chinois qui ont été peu censurés par l’état. Deux films Tiny Times et So Youngé (2013) ont été appelés « films de fans », car ils sont les dignes représentants de produits créés en fonction des attentes thématiques et esthétiques des internautes et leur diffusion a été assurée par les réseaux sociaux (Sina Weibo et Weixin).
De plus la majorité des productions cinématographiques chinoises sont marquées par leur médiocre qualité (d’où en partie l’engouement pour des films américains). Internet fonctionne alors comme un incubateur des sujets de cinéma. Avec une logique de financement participatif, si le thème proposé de fonctionne pas, il ne risque pas de plaire aux publics, le projet est alors abandonné. Cela permet une plus grande sécurité et l’assurance que le projet sera bien reçu par les spectateurs. À l’inverse, l’industrie du cinéma, davantage marquée par le contrôle du gouvernement chinois, peine à attirer la foule pour la sortie de ses films. La volonté de bloquer les films américains installés par la SARFT en 2012 en est un bon exemple. Le premier semestre de 2012 a été désastreux pour les professionnels du cinéma chinois « les films en provenance des États-Unis ont raflé environ 70 % des recettes sur les entrées dans les salles chinoises, alors que les films développés sur le territoire chinois ont à peine atteint 10 % des recettes. Les films américains ont accaparé la première place du box-office – et souvent les trois ou quatre premières places – chaque semaine depuis le début de l’année 2012 ».[23]
À partir du 25 juin, la SARFT a décidé de mettre en place un boycott, bloquant ainsi les films américains dans le but de protéger l’industrie cinématographique chinoise et d’assurer des recettes satisfaisantes. Cette action n’a pas eu le succès escompté et les ventes de tickets ont baissé de 9 % en juillet 2012 et de 8 % en août. La censure du gouvernement plane sur les œuvres audiovisuelles et donne à la sortie, des produits de mauvaise qualité avec peu d’originalité, dont le jeune public ne veut plus. L’État chinois à également voulu (et réussi) à contrôler le géant Internet, devenant incontrôlable et offrant beaucoup trop de liberté aux internautes.
Entre 2005 et 2008, « il n’existait aucune régulation contre la circulation illégale des contenus sur Internet. Les séries télévisées, les émissions de télévision et les films postés par les internautes étaient regardés sur toutes les plateformes de streaming, légales et illégales. » Les autorités chinoises — L’Administration nationale du droit d’auteur de Chine (NCAC : National Copyright Administration of China), le Ministère de la sécurité publique de Chine (MPS : Ministry of Public Security of the People’s Republic of China) et le Ministère de l’industrie et la technologie informationnelle de Chine (MIITC : Ministry of Industry and Information Technology of the People’s Republic of China) – décident alors de cadrer le marché et met en place « l’action Jian Wang ». Des aides financières sont dans un premier temps versées aux plateformes légales puis il est demandé aux pirates, adresses P2P, plateformes illégales de streaming… De payer une amende et de se régulariser. Malgré un marché encadré, le fonctionnement des plateformes est compliqué puisque l’état contrôle d’une main de fer, tous les contenus.
À l’image des créations cinématographiques, les autorités censurent les productions semi-professionnelles mises en ligne et contrôlent l’achat des contenus étrangers (en particulier des séries et films américains). « La créativité de l’industrie audiovisuelle chinoise est gravement entravée par le processus de censure complexe et exigeant des autorités, qui vise par-dessus tout à assurer la stabilité sociale. L’audience est alors concentrée sur de rares contenus de qualité sous licence. » Des milliers de films sont produits par an, permettant ainsi de placer la Chine en quatrième position sur l’échelle mondiale de la production de long métrage, mais la quantité d’œuvres de mauvaise qualité pousse la concentration autour de quelque contenu sous licence qui voit leur prix s’envoler. Nous sommes loin des principes du marché libre, qui pousse les majors hollywoodiennes à développer des stratégies pour mettre les autres filières de son côté et assurer par la même occasion, la diffusion et les profits de ces biens cinématographiques.
En Chine, à partir du moment où l’état contrôle l’ensemble des industries créatives, le paysage et les enjeux se trouvent totalement différents. D’après un discours du président chinois Xi Jinping, devant 72 personnalités du monde des arts en octobre 2014, la culture « ne doit pas être l’esclave du marché », elle « ne doit pas se perdre en se laissant emporter par les lames de fond de l’économie de marché », et doit « servir le socialisme, servir le peuple ». Ces réminiscences de l’ère maoïste ne sont pas de très bon augure. En avril 2014, les autorités ont retiré des plateformes en ligne quatre séries américaines (The Big Bang Theory, NCIS, The Good Wife et The Practice), prétextant des contenus violents et vulgaires, même si Game of Thrones a continué à être diffusée sur la chaîne d’État payante, la CCVT, certes dans une version pré-censurée par HBO. C’est d’ailleurs CCVT qui a été accusée d’être derrière cette intervention, puisque les séries incriminées seront diffusées plus tard sur cette chaîne, dans une version édulcorée. [24]
Quels sont les enjeux futurs ?
Du côté des États-Unis, la mécanique des blockbusters a encore de beaux jours devant elle. Les films de super-héros ne se sont jamais aussi bien portés qu’aujourd’hui. Cependant les échecs de 2013 ont poussé l’industrie hollywoodienne à se lancer dans des sujets plus « originaux » afin de compléter les projets de franchises, avec le grand retour des péplums bibliques avec Exodus : Gods and Kings de Ridley Scott, Noé de Daren Aronofsky et la nouvelle adaptation de Ben-Hur prévu pour 2016. L’originalité, synonyme de prise de risque, n’est plus vraiment de mise chez les majors. Elles réexploitent le livre le plus vendu de tous les temps, qui est en prime dépourvu de droits d’auteurs pour lesquels elles doivent habituellement débourser des millions de dollars. Elles peuvent ainsi concilier dans leurs productions deux éléments clés du succès : « des histoires qui se veulent avant tout universelles, doublées d’un spectacle grandiose, et donc propices à un déferlement d’effets spéciaux. »[25] Ce projet, loin d’être innovant, n’est peut-être au fond que le reflet d’une fuite en avant, d’une industrie du rêve, qui tourne de plus en plus en rond.
La Chine, elle, a les moyens financiers de concurrencer le géant américain. Les conglomérats chinois gagnent en puissance et ont aujourd’hui les moyens matériels et économiques de procéder comme les majors hollywoodiens. Ils rachètent les réseaux de salles dans le monde, créent des studios gigantesques pour produire une grande quantité de films, passent des accords pour des productions en partenariat avec des majors hollywoodiennes… Tous ces éléments ressemblent fortement aux étapes qu’a vécues l’industrie hollywoodienne.
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10. cité dans http://www.inaglobal.fr/cinema/article/la-chine-s-ouvre-hollywood-au-detriment-de-la-diversite-culturelle
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11. cité dans http://www.inaglobal.fr/cinema/article/la-chine-s-ouvre-hollywood-au-detriment-de-la-diversite-culturelle ; Josépha LAROCHE, Alexandre BOHAS, Canal+ et les majors américaines, une vision désenchantée du cinéma-monde, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 59.
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Étudiante dans le master Communication Rédactionnelle Dédiée au Multimédia (CRDM) à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense au département des Sciences de l’Information et de la Communication.