La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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Les appels à la régulation des GAFA se multiplient aux États-Unis
Depuis un certain temps, grâce aux recherches de Jaron Lanier (Microsoft Research) entre autres, on sait que les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), en s’appropriant gratuitement les données des utilisateurs, contribuent à la précarisation, et donc à l’appauvrissement des classes moyennes. Ce sont des années que la Commission européenne tente d’imposer des limites à l’hégémonie des GAFA, sans succès. Les critiques du tout numérique avaient été traités autrefois de luddites hostiles au progrès, d’étatistes ennemis de la liberté d’entreprendre. Maintenant, le vent a tourné, et on s’accorde à dire que l’âge d’or est terminé pour la Silicon Valley.
Dans son discours de fin de mandat en janvier, le président Obama a alerté ses compatriotes sur les « méfaits » qui risquaient d’accompagner les « bienfaits » apportés par les technologies numériques. Publié en septembre, et figurant déjà parmi les meilleures ventes aux États-Unis, le livre du journaliste Franklin Foer, World without Mind. The Existential Threat of Big Tech, stigmatise « [les] algorithmes [qui] nous poussent à la conformité et écornent notre vie privée ». Quarante-cinq pour cent des Américains reçoivent leurs informations par l’intermédiaire de Facebook. Si on inclut Instagram, WhatsApp et Messenger, Facebook contrôle 80 % du trafic des réseaux sociaux sur mobile. La part de marché de Google dans les recherches en ligne dépasse 85 % aux États-Unis. Amazon y assure 43 % des ventes en ligne.
Depuis l’élection de Trump, la menace sur la démocratie est prise au sérieux par beaucoup de journalistes. S’interroge Margaret Sullivan dans le Washington Post (libéral) : « Sans Facebook, Trump serait-il président aujourd’hui ? Il y a de plus en plus de raisons de penser que la réponse est non ». En effet, pendant la campagne présidentielle, plus de 400 faux comptes liés à la Russie ont pu acheter pour 100 000 dollars de publicités, et diffuser massivement sur Facebook quelques 3000 messages sur des sujets comme l’immigration, les droits des homosexuels, le racisme, le contrôle des armes à feu. Facebook est maintenant visé par un mandat de perquisition du procureur spécial d’une commission d’enquête parlementaire. L’un des fondateurs de Twitter, Evan Williams, a déclaré à la BBC que Trump n’est qu’un symptôme d’un régime de publicité ciblée instantanée, un système qui « abêtit le monde entier ».
Le sénateur démocrate Al Franken (Minnesota) a réclamé en septembre au PDG d’Apple, Tim Cook, des éclaircissements sur la manière dont la firme entend gérer les questions pressantes d’atteinte à la vie privée, et aux libertés civiques, notamment si la police parvient à débloquer un smartphone en le brandissant devant le visage de quelqu’un. D’autres parlementaires réfléchissent à la manière de soumettre Facebook et Google, qui contrôlent 80 % des publicités en ligne, aux mêmes règles que les médias traditionnels. Les conservateurs et les progressistes font cause commune sur cette question, ce qui est de mauvaise augure pour les entreprises de la Silicon Valley. L’ancien conseiller de Trump, Stephen Bannon (très marqué à droite) veut imposer à celles-ci les mêmes réglementations que les sociétés de téléphonie ou d’électricité. À gauche, l’ancien candidat démocrate Bernie Sanders (socialiste) a fait la même proposition. De plus en plus, on refuse de considérer ces géants comme de simples plates-formes.
Source : « La puissance des GAFA inquiète les Américains » (Corine Lesnes), Le Monde, 20 sept. 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 12.
Hugh Hefner (Playboy) est mort
Grabataire depuis quelques années, le fondateur du magazine Playboy (et d’un véritable empire dans des secteurs variés du monde du divertissement : boîtes de nuit, cinéma, télévision, mode), Hugh Hefner, est mort le 27 septembre d’une septicémie, à l’âge de 91 ans. Sa fortune personnelle avait été calculée à 758 millions de dollars en 2008.
Fils d’un père comptable et d’une mère enseignante, méthodistes pratiquants, et jeune diplômé en psychologie de l’université d’Illinois à Chicago, Hefner a levé 8000 dollars (dont 1000 dollars de sa mère, et 600 dollars de sa banque) de 45 petits investisseurs afin de lancer un nouveau magazine, Playboy, en décembre 1953. Le premier numéro a bénéficié des photos d’un calendrier pour garagistes de l’actrice émergente Marilyn Monroe nue, prises en 1949 avant qu’elle ne soit connue ; il s’est vendu à 50 000 exemplaires. Au point culminant de son succès pendant les années 1970, sa circulation a atteint 7 millions d’exemplaires. Aujourd’hui, elle est tombée à moins de 500 000.
En 2011, Hefner a vendu Playboy Enterprises à la firme d’équité privée Rizvi Traverse Management pour 250 millions de dollars, et a vendu ses chaînes de « charme » et ses opérations numériques à une société de pornographie en ligne. Playboy continue de publier 25 éditions étrangères (l’allemande étant la plus importante), et sa chaîne de télévision par abonnement est encore disponible dans 60 pays. Le plus grand marché pour le groupe se trouve désormais en Asie, surtout en Chine.
Les finances du groupe restent opaques. On sait que les revenus sont tombés à 215 millions de dollars (-10,5%) en 2010 après trois années consécutives de pertes. On sait aussi que les droits de licence (qui donne le droit d’utiliser son logo sur des produits divers) apporte la plus grande part des bénéfices, au point où Playboy Enterprises, vivant de la rente symbolique de son passé, est devenu principalement un outil de marketing, mais qui est en perte de vitesse aux États-Unis. Samir Husni, directeur du Magazine Innovation Center à l’université de Mississippi, affirme : « Le magazine n’est qu’une toute petite partie de l’équation. Sans une base de consommateurs, il n’y aura plus de magazine. Sans magazine, il n’y aura plus de marque. »
Sources : entrée Wikipédia sur Hugh Hefner ; « Hugh Hefner’s company Playboy lives on, though as a shadow of itself » (dépêche d’Associated Press, lue dans The New Zealand Herald, 2 avril 2017).
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Hugh Hefner n’a pas été très regretté, même pour un magnat de presse. Depuis longtemps, on a exposé au grand jour son style de vie à la fois clinquant et sordide. Entretenant avec provisions et pourboires très généreuses un harem de playmates pour sa propre gratification, et comme chair à orgies pour ses soirées mondaines, il faisait plus grand micheton que grand séducteur. Autrefois modèle de la culture sophistiquée du bon vivant (swinger), la marque était devenue symbolique du kitsch, du mauvais goût, de la puérilité. Les clubs avec des filles en costume de lapin ridicule ont fini par être réservés aux provinciaux en goguette. Mais la pornographie est plus présente que jamais sur Internet. Si l’alibi culturel fourni jadis par Playboy n’opère plus, c’est que désormais il n’est pas nécessaire.
Dans un brillant essai écrit en 1985*, le romancier britannique Martin Amis dresse le portrait cruel d’un mythomane, entouré de béni-oui-oui, barricadé dans sa mansion équipée d’une salle de cinéma, de tables de billard, d’une bibliothèque, d’une piscine, de tous les derniers gadgets, et bien sûr d’un lit super-king-size avec miroirs au plafond. Passant ses journées en robe de chambre, Hefner (« Ner » pour les intimes) fut une sorte de Citizen Kane, qui poussa à l’extrême le fantasme (masculin) d’une vie réduite à la consommation et au plaisir. On prétend qu’au sommet de sa prouesse, il avait des rapports réguliers avec sept femmes. Ses « conquêtes » sexuelles, apparemment d’une tristesse sans nom, ont dû se compter par milliers, des quantités importantes de viagra l’aidant dans les années de déclin, le cannabis, l’alcool et les tranquillisants ayant toujours aidé ses playmates à tenir le coup.
Son image était tout autre dans les années 1960. Hefner a eu le génie de transformer le minable magazine onaniste vendu sous le manteau (ou livré en « enveloppe banalisée ») en porte-drapeau luxueux d’un style de vie moderne, armé d’une « philosophie » hédoniste. Les photos (artistiques) de nues s’accompagnaient de critiques de disques et de films, qui donnaient le ton en matière de goût. Les fameuses interviews en format long, abordant aussi bien des questions politiques que la vie privée des sujets, furent justement célèbres (entre autres, Miles Davis, Malcolm X, Vladimir Nabokov, Ayn Rand, Martin Luther King, Fidel Castro, Joan Baez, Bob Dylan, Andy Warhol, Jimmy Carter, Marshall McLuhan, John Lennon), tout comme des nouvelles écrites par les meilleures plumes de l’époque. On ne lisait Playboy que pour les articles, bien entendu.
Quelques films et séries d’espionnage de l’époque incarnaient son esprit, notamment Agents très spéciaux (The Man from UNCLE, 1964-7), où chaque mission fournissait aux protagonistes l’occasion de dégourdir une jolie ingénue, qui n’en demandait pas moins. Pour parachever son tournant « culturel », Playboy adoptait systématiquement des positions libérales : contre la censure, le racisme, la guerre du Vietnam, la répression policière, la peine de mort ; pour les droits homosexuels, l’avortement, la contraception, le divorce, l’émancipation (sexuelle) pour les femmes. Dans ce dernier cas, Playboy fut jugé hypocrite par des féministes, pique qui a finalement porté. Au moment où j’écris ces lignes éclatent l’affaire du producteur Harvey Weinstein, lui aussi adepte de la robe de chambre, et la campagne sur Twitter #Balancetonporc.
Si j’ai envie de consacrer un commentaire sur Playboy, c’est parce que j’ai été amené à en consulter les archives des années 1950-70, dans le cadre d’une thèse sur les liens entre le rock et l’essor de la société de consommation de masse. Cela s’est fait à l’antenne de la Bibliothèque nationale française à Versailles en 1980 sous les yeux d’une bibliothécaire pas vraiment convaincue, qui guettait tout regard prolongé sur les doubles-pages centrales. Mais par rapport à ce qu’on peut trouver sur Internet aujourd’hui, Playboy a toujours été soft, limité dans les années 1950 aux seins nus, avant d’intégrer les poils pubiens à la fin des années 1960, et le sexe entier (beaver shot) dans les années 1970.
Cela dit, les chroniques annexes restent toujours d’une mine d’information pour l’historien culturel. Le Playboy des années 1960 offrait une version très atténuée de la contre-culture beat, adaptée aux hommes de la classe moyenne qui avaient la hantise d’être jugés squares (conformistes ennuyeux) : du jazz, des cocktails, de la littérature, des vêtements à la mode, des meubles design, des canapés en cuir et le reste, un poil décalé sans trop bousculer les lignes, à l’image des soirées de couples en pyjamas regroupés en cercle, qui passent entre eux sans les mains un ballon gonflé, avec des frottements qui font partie du jeu. Je ne citerai ici qu’une seule question, posée par un lecteur anxieux, au conseiller fashion du magazine : « Un type britannique que je connais porte des chaussures en peau de daim aux teintes prononcées. Est-ce correct ? » (mars 1958). Je n’avais pas noté la réponse.
Comme l’a affirmé Adam Gopnik récemment dans le New Yorker**, Hefner a intégré le regard mâle (hétérosexuel) dans la marchandise. À partir de la pulsion scopique, qui pousse les hommes à vérifier insatiablement la réalité sidérante de la différence sexuelle, son magazine a forgé la notion de style de vie, fondé sur le désir transférable sur une chaîne « logique » d’objets de consommation, du coup fortement érotisés. Playboy est maintenant balayé par Internet, mais comme un médiateur disparaissant (Jameson), son travail historique a été accompli : aider à l’émergence d’une nouvelle personnalité normative, cosmopolite, détendue, mais égocentrique et narcissique, adaptée existentiellement au capitalisme tardif***. On devrait voir en la « philosophie Playboy » le prolongement de la première culture publicitaire (1920-40) analysée par l’historien Stuart Ewen, apportant une couche de plus dans la guerre contre les valeurs puritaines qui entravaient tant le cycle de consommation****.
* Martin Amis, The Moronic Inferno, Penguin, 1991 (1986).
** https://www.newyorker.com/news/daily-comment/hugh-hefner-playboy-and-the-american-male
*** Pour une bonne vue d’ensemble du débat sur la personnalité narcissique et le capitalisme tardif, ainsi qu’une discussion critique de ses principaux théoriciens (Lasch, Dufour, Mehlman, Lebrun), voir Anselm Jappe, La société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction, La Découverte, 2017, pp. 65-138 (chapitre 2, « Narcissisme et capitalisme »).
**** Stuart Ewen, La société de l’indécence, Le Retour aux sources, 2015 (voir mes réserves sur cette édition, dont la traduction est plagiée de la première édition française, dans Actualités #52, avril 2017).
Séries télévisées : les géants mondiaux s’intéressent à la France
Si on en croit le milieu de la production, Netflix, Amazon, Apple, Facebook, YouTube Red, ABC, NBC, HBO, et même les futurs services Web des studios Disney sont déjà en discussion sur des projets de séries françaises. Netflix aurait au moins trois projets en France pour l’année prochaine, Amazon aussi. HBO aurait des projets avec Orange, qui distribue ses séries en France. Netflix va dépenser 7 milliards de dollars en contenus en 2018, Amazon 4,5 milliards, NBC, 4,3 milliards, ABC, 4 milliards, HBO, 2,5 milliards, Facebook et Apple 1 milliard chacun. « Un Netflix a identifié une vingtaine de pays dans lesquels il veut être vraiment présent, et la France en fait partie », dit un producteur français cité par Les Échos. HBO et Sky ont lancé un fonds de 250 millions de dollars pour de la fiction haut de gamme aux États-Unis et en Europe. Explique Alex Berger, producteur du Bureau des Légendes (Canal +), « Après les plates-formes comme Netflix, c’est la première fois qu’est délocalisé le sourcing des séries. HBO a 160 output deals, ils vendent déjà partout dans le monde, sa nouvelle frontière est de faire du local et il y met les moyens. »
Certains professionnels, pessimistes, estiment que les Français « ne joue(nt) pas dans la même division » que les géants américains. Quant à lui, Canal + met en garde contre les effets d’annonce de ceux-ci. Explique Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction chez Canal +, « Le budget a augmenté d’année en année depuis dix ans jusqu’en 2016 et s’est maintenu à 65 millions d’euros en 2017. » Selon lui, le groupe va avoir sept nouvelles séries ou saisons à l’antenne en 2018, et a toujours 30 à 40 projets en développement.
Des doutes persistent, cependant, sur la capacité de l’écosystème français de la fiction à s’adapter à la nouvelle donne. Affirme Alex Berger : « Il faut faire évoluer le système de bout en bout, du développement à la production, et commencer par travailler en « atelier d’écriture structuré », dans un système plus exigeant et plus rapide. Beaucoup de formations seront nécessaires, c’est un chantier énorme. […] Les géants mondiaux du Web et de la télévision ont décidé de faire ce qu’on appelle « du multidomestique ». » La stratégie de Netflix d’offrir un tremplin mondial à des contenus locaux fait des émules. Les plates-formes de vidéos à la demande ont déjà constaté que des contenus locaux avaient parfois des succès inattendus dans d’autres pays, quand ils étaient recommandés aux bons publics, surtout jeunes. En produisant des séries européennes sensiblement moins chères que, par exemple, Game of Thrones, mais de qualité, les géants américains peuvent logiquement diversifier leurs risques.
Source : « Séries télé : les géants mondiaux débarquent en France » (Nicolas Madelaine avec Marina Alcaraz), Les Échos, 16 oct. 2017, p. 26.
La vidéo par abonnement consommée par 2,3 millions de Français chaque jour
Le cabinet d’études NPA Conseil et la boîte de sondages Harris Interactive ont calculé que les Français de plus de 15 ans étaient déjà 2,3 millions à consommer tous les jours de la vidéo par abonnement sur les plate-formes comme Netflix et CanalPlay. Basée sur un échantillon de 42 000 personnes interrogées entre le 28 août et le 10 septembre, l’étude révèle que cette consommation se fait à 62 % sur un téléviseur, à 21 % sur un ordinateur, à 16 % sur tablette ou smartphone, et à 54 % sur plusieurs supports (32 % à deux, 14 % à trois, 9 % à quatre ou plus).
« On aurait pu croire que regarder des programmes sur des plate-formes d’abonnement était une pratique solitaire sur ordinateurs et tablettes, mais ce n’est pas le cas », explique Philippe Bailly, président de NPA Conseil. Si les consommateurs de la vidéo par abonnement sont plus jeunes (50 % ont entre 25 et 34 ans), ils ont le même profil sociologique que ceux de la télévision linéaire : 40 % CSP-, 59 % femmes, 22 % franciliens. Ces chiffres signifient que les groupes comme TF1 et M6 sont concurrencés sur leur cœur de cible par les nouveaux entrants.
Après un démarrage plus lent en France que dans d’autres pays européens, Netflix aurait 1,5 million d’abonnés français (peut-être même 2 millions déjà), et 63 % du marché des vidéos par abonnement, suivi par CanalPlay avec 19 %, Amazon Prime Video avec 6 %, et SFR Play avec 6 %. Les séries représentent 48 % des programmes visionnés, suivi par le cinéma (28 %), et les dessins animés (16 %).
Source : « Netflix et consorts consommés par 2,3 millions de Français chaque jour » (Nicolas Madelaine), Les Échos, 20 sept. 2017.
Exportations record en 2016 pour l’audiovisuel français
Les exportations des programmes de télévision français s’améliorent. Le Centre national du cinéma (CNC) et TV France international ont calculé que les exportations ont progressé de 32 % en 2016, à 336,3 millions d’euros, niveau jamais atteint auparavant. Ce sont les animations qui pèsent le plus lourd à l’export (133 millions d’euros), devant les fictions (101 millions, dont la moitié en préfinancement), et les documentaires (66 millions).
Les devis de l’ensemble de la production audiovisuelle, aidée par le CNC à divers degrés, s’élevaient à 1,58 milliard d’euros en 2016. Explique Mathieu Béjot, délégué général de TV France International : « Les apports internationaux représentent donc 21 % des budgets de production. [Mais dans le détail], les préfinancements étrangers (coproductions et préventes et non les ventes a posteriori) représentent 6,6 % en moyenne des budgets pour la fiction, 7,6 % pour le documentaire et 22,6 % pour l’animation ». Les ventes de programmes « a posteriori » ont tout de même grimpé de 15 %, à 189 millions d’euros. Les préventes ont bondi de 93,6 %, à 71 millions, et les coproductions internationales de 40,5 %, à 76 millions. Mais les préfinancements se concentrent sur quelques projets, et sont donc très volatils d’une année à l’autre.
Pour certains professionnels, ces bons chiffres d’exportation posent de nouveau la question des priorités dans la politique de soutien. Pour des raisons historiques, le cinéma français (et en particulier EuropaCorp de Luc Besson) est très aidé comparativement à la fiction télévisée, et surtout aux séries. Explique un professionnel cité par Les Échos : « L’épargne forcée des chaînes de télévision dirigée vers le cinéma est encore aujourd’hui d’au moins 500 millions d’euros par an : c’est sans équivalent dans les autres pays, où l’on voit des studios comme HBO miser de plus en plus sur les séries. […] Avec cette somme, on doublerait le volume de production de fictions en France. »
La France est l’un des rares pays à compiler des chiffres d’exportation audiovisuelle. Le CNC et TV France International estiment que le volume actuel place la France dans les six ou sept pays les plus présents sur le marché international. Poursuit Mathieu Béjot, « Les États-Unis sont dans une autre ligue. Le Royaume-Uni doit exporter trois fois plus que nous, et les Scandinaves génèrent moins de chiffre d’affaires qu’on ne pense : Profilage a mieux marché à l’export que Borgen. » Béjot estime que la France doit être dans les mêmes eaux que l’Allemagne, où l’on produit pourtant deux ou trois fois plus de fictions.
Source : « Exportations record en 2016 pour les programmes de télévision française » (Nicolas Madelaine), Les Échos, 8 sept. 2017.
Sur le CNC, voir aussi Actualités #48, déc. 2016.
Google réaffirme ses ambitions dans le matériel (hardware)
Deux smartphones (Nexus) avec reconnaissance visuelle, deux enceintes connectées « intelligentes », un ordinateur (Chromebook Pixel), un casque de réalité virtuelle, des écouteurs sans fil capables de traduire 40 langues en temps réel, et un appareil photo miniature automatique, tous made by Google. Leurs ventes restent pour l’instant dérisoires pour une entreprise qui a réalisé plus de 90 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2016. Selon IDC, Google a écoulé 2,8 millions de smartphones Pixel en un an. À titre de comparaison, Samsung a vendu 80 millions d’unités entre avril et juin, et Apple, 41 millions. Mais ces nouveaux produits mettent en avant les avancées de Google en matière d’intelligence artificielle, nouvelle frontière pour les entreprises. Apple, Amazon et Microsoft suivent la même voie.
« Nous passons de la prédominance du mobile à celle de l’intelligence artificielle », affirme Sundar Pichai, directeur général de Google. Ces dernières années, le moteur de recherche a investi massivement dans la reconnaissance vocale et d’image, et de la traduction automatique. Google conçoit désormais des algorithmes pouvant créer seuls d’autres algorithmes. Quant à l’intelligence artificielle déjà présente dans les produits et les services, les dirigeants de Google estiment qu’il ne s’agit que d’une première étape. « Le prochain grand bond en avant interviendra à l’intersection de l’intelligence artificielle, des logiciels [software] et du matériel [hardware] », prédit Rick Osterloh, l’ancien président du fabricant électronique Motorola (racheté en 2012), et recruté par Google au printemps 2016 pour diriger la division chargée du matériel.
Source : « Google passe à l’offensive dans le hardware » (Jérôme Martin), Le Monde, 6 oct. 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Le streaming sur mesure de la musique d’ambiance pour les entreprises
Lancée en 2015, d’abord en Scandinavie, la start-up suédoise Soundtrack Your Brand, dont Spotify est actionnaire à hauteur à 18 %, vend des abonnements à Soundtrack Business, sa plate-forme de streaming musical spécialisée dans la musique d’ambiance. Ses fondateurs Andreas Liffgarden et Ola Sars y voient un marché entre 3 et 5 millions de clients potentiels. Selon eux, les deux-tiers de la musique entendue dans des magasins proviennent des CD, format introduit en 1982, et maintenant dépassé (voir vidéo ci-dessus) ; désormais, il faudra relier des fans à des marques (« connecting fans to brands »). Pour développer son modèle de « curation musicale » (à base de musique électronique) et pour l’affiner, la start-up a levé 40 millions de dollars. Son équipe a travaillé avec l’Institut de recherche sur le commerce suédois (HUI Research) pour évaluer l’impact de chaque morceau sur les clients, que ce soit dans un grand magasin, un café ou un salon de coiffure.
En diffusant des playlists dédiées dans 16 restaurants d’une grande marque, HUI Research a constaté une augmentation des ventes de 9,1 %. Commente Ola Sars, « Il est désormais prouvé qu’en choisissant la bonne musique au bon moment, cela accroît les ventes. L’étude précise que les clients restent plus longtemps et prennent ainsi des desserts, des cafés en plus. » En 2016, la plate-forme s’est lancée à l’international sous le nom Soundtrack Business, et en 2017, elle comptait déjà plusieurs milliers de clients dans une centaine de marchés différents, moyennant un abonnement mensuel de 35 euros. Parmi ses clients, de grosses entreprises comme McDonald’s, TAG Heuer, et Starbucks, tous attirés par la possibilité de gérer la bande sonore depuis un même ordinateur au siège de l’entreprise. On n’arrête pas le progrès. McDonald’s tient à diffuser une playlist du soir pour ses restaurants à Chicago, et une playlist du matin pour ses restaurants à Tokyo.
En France, Deezer Business Solutions propose, selon le même principe, un service professionnel de streaming, qui prend en compte la « couleur musicale » de l’entreprise, censée être la traduction sonore de sa « personnalité ». La plate-forme française estime que « la multiplication des acteurs sur ce marché est saine, car elle provoque et accélère les innovations en termes de solutions techniques proposées ».
Sources : « Soundtrack Business, le Spotify de la musique d’ambiance » (Enrique Moreira), Les Échos, 17 oct. 2017 ; https://medium.com/@LDahg/soundtrack-your-brand-being-at-the-right-place-and-with-the-right-team-c5cee1aa682e
Que reste-t-il de la musique quand elle est instrumentalisée à ce point-là ? Toute démarcation, fût-elle ténue, entre culture et économie a sauté. Ici, l’appropriation marchande de la culture, pointée dans les années 1940 par Adorno et Horkheimer, est poussée à l’extrême. En poursuivant cette logique, pourquoi s’arrêter à McDonald’s et à Starbucks ? Ne pourrait-on concevoir une bande sonore susceptible de rendre les étudiants plus attentifs, et les enseignants plus performants, en fonction de la « personnalité » de chaque institution tertiaire, et de la « couleur » de chaque filière ?
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)