La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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Séries télévisées : la lente émergence des showrunners en France (suite)
La fonction du showrunner – assurer en même temps la cohérence d’une fiction et le respect des budgets financiers – émerge en France lentement. Bien qu’il n’existe pour l’instant qu’un seul professionnel qui s’affiche comme tel (Éric Rochant du Bureau des Légendes, Canal+), on observe de plus en plus de passerelles entre les métiers, avec par exemple des auteurs-producteurs qui supervisent une partie du tournage. À mi-chemin entre auteur principal et producteur, le showrunner dirige le bureau d’écriture, décide du casting, des décors, chapeaute le tournage et le montage. « Le showrunner est le principal interlocuteur des différents intervenants. Le responsable en quelque sorte », dit Clothilde Jamin, scénariste et coauteur d’un rapport sur la question.
« Avoir un showrunner n’a de sens que dans la logique industrielle d’une série longue d’au moins 8 ou 10 épisodes par an. Or, elles sont rares en France, où le métier reste très artisanal », prétend Frédéric Krivine (Un village français), considéré comme l’un des premiers showrunners en France, mais qui a toujours récusé le terme. Rappelle Éric Rochant, « Il n’est pas dans la culture française que les auteurs [scénaristes] soient les maîtres à bord. La « Nouvelle Vague » a eu tendance à mettre en avant le réalisateur ». Rochant aurait pu citer également l’influence de la cinéphilie française, notamment la « politique des auteurs [réalisateurs] » défendue historiquement par Les Cahiers du cinéma, influence qui s’est étendue à la télévision.
Ce qui favorise l’émergence d’un showrunner, même s’il n’apparaît pas comme tel au générique, ce sont plutôt des facteurs économiques. « Cela permet de garder des délais serrés, mais aussi de rester dans un budget défini, pour une qualité définie. C’est le showrunner qui en est le garant », dit Rochant. Frédéric Krivine abonde tout de même dans le même sens : « On se donne une marge avec le producteur et on se débrouille pour y parvenir. Quand il n’y a pas de showrunner, le scénariste seul n’est pas toujours très bien briefé sur le budget, d’où souvent des réécritures, des changements qui allongent le temps de production et les coûts. Or, on sait bien que plus un contrôle qualité intervient tôt, moins ça coûte cher ».
La fiction télévisée européenne a le vent en poupe. Le volume de production de séries en France devrait grimper, ce qui implique, selon certains professionnels intéressés, de nouveaux modes de production impliquant entre autres choses la présence d’un showrunner. « Netflix, Amazon arrivent en France avec leurs standards. Or, si on ne change pas nos habitudes, on ne sera jamais concurrentiel », conclut Éric Rochant en guise d’avertissement implicite aux corporatismes existants, notamment ceux des réalisateurs et des scénaristes. On pourrait commencer par trouver un terme français pour ce nouveau rôle.
Source : « Séries télé : la montée en puissance des « showrunners » » (Marina Alcaraz), Les Échos, 5 fév. 2017.
Ce thème est aussi traité dans Actualités #48, déc. 2016.
Streaming : l’industrie musicale soupçonne des tricheries
Le nombre d’écoutes sur les plateformes comme Deezer et Spotify est probablement entaché de distorsions au profit de certains artistes. Le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), qui regroupe les principaux acteurs de la filière en France, a détecté des anomalies (document interne du 24 décembre 2016) : « certains artistes de Rap Hip Hop cumulent des scores d’écoutes démesurées sur les plateformes de streaming audio ». Précisément, certains artistes ont été écoutés bien plus que les suivants au classement pendant plusieurs mois d’affilée sur l’intégralité des titres de l’album, disproportion particulièrement flagrante lors des sorties d’album. Or, dans le même temps, « les performances de ces artistes sur les plateformes de streaming audio sont loin d’être d’être atteintes sur les autres canaux de distribution ou de diffusion de musique digitale », autrement dit, les visionnages sur YouTube.
Selon le rapport interne du SNEP, des batteries d’ordinateurs pourraient tourner en boucle pour gonfler artificiellement les scores. « Petit calcul : un titre écouté 31 secondes [seuil pour être pris en compte] en boucle via un logiciel génère 20 000 écoutes par semaine. Sachant qu’un titre classé dans le Top 10 hebdomadaire obtient en moyenne 1,4 million d’écoutes, 70 logiciels d’écoute en boucle suffisent pour propulser un titre dans le Top 10 ». Le dirigeant d’une société affiliée au SNEP, cité par Les Échos, balance : « Nous avons vu passer des publicités sur les réseaux sociaux venant d’entreprises qui offrent leurs services pour gonfler les scores de streaming, avec les tarifs clairement affichés ». L’achat de 500 000 écoutes sur Spotify, selon lui, se facturent 1500 euros.
L’effet direct de telles tricheries serait d’augmenter les revenus des ayants droit, et d’enclencher une dynamique : les radios, prescriptrices en la matière, se basent sur le classement des streams pour établir leur programmation. Pour les artistes, le nombre d‘écoutes en ligne forme la base des négociations avec les maisons de disques. Se poseraient aussi des questions de compensations. Pour calculer les droits à reverser aux ayants droit, la plateforme calcule les parts de marché par rapport au nombre total de streams enregistrés pendant une période donnée. Si les streams d’un artiste sont gonflés, celui-ci prend mécaniquement une part de gâteau aux autres. La guerre de tous contre tous, style gangsta rap ? Plus généralement se pose la question de la mesure fiable en mode numérique. En l’absence de celle-ci, la valeur du produit, matériel ou non, devient incertaine (voir ci-dessous).
Source : « Streaming :l’industrie de la musique s’interroge sur de possibles tricheries » (Nicolas Madelaine), Les Échos, 1 fév. 2017.
Proctor & Gamble impose ses règles aux agences médias pour la publicité numérique
Après les révélations en juin 2016 de l’enquête menée par l’Union américaine des annonceurs (ANA) sur l’opacité d’un certain nombre de transactions de publicité numérique, le bras de fer entre annonceurs et agences médias sur la question de la transparence se durcit. Premier annonceur mondial avec 6,2 milliards de dollars investis en 2016, Proctor & Gamble (Gillette, Head & Shoulders, Always, Pampers…) hausse le ton face aux tricheries qui faussent les chiffres de la publicité numérique. « L’époque de l’insouciance et du laxisme à l’égard de la publicité numérique est derrière nous. Il est temps de grandir, il est temps d’agir », dit Marc Pritchard, directeur du marketing mondial du lessivier.
En ligne de mire, les agences médias. « Nous leurs avons adressé beaucoup de préavis, affirme Pritchard. Proctor va examiner à présent tous ses contrats d’agence en vue d’assurer une transparence complète d’ici à la fin de 2017, afin d’inclure des conditions exigeant que les fonds soient utilisés uniquement pour le paiement des médias, tous les rabais devant être divulgués et toutes les vérifications faisant l’objet d’un audit ». Chacun des partenaires médias devra utiliser les mêmes normes pour mesurer la visibilité effective des campagnes publicitaires. Le problème au fond est celui, épineux, de la fraude au clic sur Internet. Selon certaines études qui circulent dans le milieu, près de la moitié du trafic sur Internet serait générée par des fermes de robots. En octobre 2012, ce chiffre était calculé à 10% en moyenne, mais grimpait à 31% dans certaines études (Actualités #1).
Pour Proctor & Gamble, le problème est d’autant plus préoccupant que c’est lui qui a négocié, dès 2013, un virage vers le numérique, et vers le programmatique (achat d’espaces publicitaires aux enchères en temps réel), qui compte pour 70% de ses investissements en ligne.
Source : « Pub en ligne : Proctor impose ses règles aux agences médias » (Véronique Richebois), Les Échos, 1 fév 2017.
Sur l’avenir de l’industrie publicitaire, voir Actualités #44, juillet-août 2016.
La réalité virtuelle intéresse l’industrie publicitaire (le meilleur des mondes ?)
Activer les sous-titres (en anglais). Voir aussi la vidéo dans la revue professionnelle Advertising Age, février 2016 (en anglais) : http://adage.com/videos/the-future-of-marketing-is-virtual-reality/1261
Les géants du Web investissent massivement dans les interfaces vocales
Profitant des progrès de l’intelligence artificielle, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (les « GAFAM ») ont massivement investi dans les interfaces vocales (ou assistants virtuels). Apple faisait figure de précurseur avec Siri en 2011, suivi par Amazon avec Alexa en 2014, Microsoft avec Cortana en 2015, Google avec Assistant en octobre 2016, et Facebook avec son prototype Jarvis en décembre 2016.
« Le changement des deux dernières années, c’est le mobile. Aujourd’hui, l’essentiel des recherches de nos utilisateurs se fait à partir du téléphone. Or lorsque l’on se déplace, utiliser le clavier n’est pas toujours pratique ou sûr. C’est aussi vrai chez soi, quand on est en train de cuisiner par exemple. D’où notre idée d’investir dans une interface vocale », explique Behshad Behzadi, informaticien français d’origine iranienne, ancien de Polytechnique (2002), qui dirige l’équipe de recherche conversationnelle au laboratoire de Google en intelligence artificielle à Zurich. Les progrès réalisés ces dernières années, en reconnaissance et en compréhension, sont réels, à tel point qu’aux États-Unis, Google estime que 20% des requêtes sur son moteur de recherche sont faites à l’oral. Sur la reconnaissance, Google annonce une marge d’erreur inférieure à 8%, contre 25% il y a deux ans.
Pour l’instant, seul Amazon y trouve un intérêt certain. Pas moins de 11 millions d’exemplaires d’Echo, une sorte de petite enceinte cylindrique qui abrite l’assistant Alexa, se seraient écoulés depuis son lancement ; près de 9% des foyers américains en seraient déjà équipés. Selon les prévisions de la banque Mizuho, Alexa et Écho, après avoir dégagé 1,3 milliard de dollars de revenus en 2016, pourraient rapporter plus de 11 milliards de dollars en 2020 (dont 4 milliards pour les seules ventes d’Echo).
Chez Microsoft, l’interface vocale pourrait stimuler son activité dans le cloud, le stockage de données à distance. Le groupe affirme que 133 millions d’utilisateurs se servent de Cortana via Windows 10. Un partenariat a été signé avec Renault-Nissan en janvier, qui permettra au conducteur de dicter un mail, de lancer la radio ou de rentrer une nouvelle destination dans le GPS, sans lâcher le volant. Pour le travail, ce sera toujours cela de gagné.
Pour Google, en revanche, les assistants personnels sans écrans pourraient représenter une menace, dans la mesure où on peut les utiliser pour des recherches sur Internet sans passer par des moteurs de recherche, et donc sans être exposé aux liens sponsorisés. La publicité a représenté 87% des revenus de Google au quatrième trimestre 2016.
Après une vidéo postée le 20 décembre qui mettait en scène Mark Zuckerberg conversant avec son assistant virtuel Jarvis, Facebook laisse entrevoir des annonces imminentes. « Nous travaillons déjà sur l’étape d’après, celle d’une intelligence artificielle encore plus performante », dit Alexandre Lebrun, un chercheur français chez Facebook.
Une étude publiée le 15 janvier par la société américaine VoiceLabs, citée par Le Monde, révèle que seul un nombre très limité de fonctions d’Amazon Echo et de Google Home est plébiscité par les utilisateurs. Les sondés évoquent l’écoute de musique et de livres audio (46,7%), la domotique (29,1%), les jeux (29,1%), l’écoute de bulletins d’information et de podcasts (26,5%). Les services commerciaux sont cités par seulement 1,1% des utilisateurs. Plus de 7000 services sont désormais disponibles sur Echo, soit sept fois plus qu’en juin 2016. Mais 69% des 5900 services qui ont été étudiés se sont vus, au mieux, attribuer un seul commentaire sur la plateforme Alexa Skills ; ce sont, selon VoiceLabs, des « services zombies ». Quand un utilisateur installe une nouvelle fonctionnalité, il n’y a en moyenne que 3% de chance qu’il en serve quinze jours plus tard.
Sources : « Les géants du Web donnent de la voix » (Vincent Fagot), Le Monde, 14 févr. 2017, supplément Économie & Entreprise, p. 10 ; « Assistants virtuels : l’offre de services au cœur de la bataille » (Vincent Fagot), ibid.
« Il est devenu impossible de vivre sans iPhone », a déclaré le patron d’Apple (Le Figaro, 6 févr. 2017), trahissant une curieuse conception de ce qui constitue un besoin vital. Dira-t-on la même chose un jour pour les assistants virtuels ? Pour le consommateur, la valeur d’usage de tels gadgets reste pour l’instant assez limitée, la commande vocale remplaçant les interrupteurs, les boutons, les touches et les télécommandes pour un micro gain de temps qui permettra de travailler ou consommer quelques minutes de plus*. Rien de bien révolutionnaire, à l’image du grille-pain chez Zuckerberg (voir vidéo ci-dessus). On peut même trouver cette vidéo assez terrifiante pour le mode de vie qu’elle implique : hyperbourgeois, conçu pour casaniers un peu autistes sur les bords. On voit des cours de langue pour enfants assurés par l’assistant virtuel, ce qui anticipe pour certains esprits « éclairés » un enseignement sorti du service public (voir Actualités #41).
Les avancées scientifiques en intelligence artificielle, nous dit-on, sont (et seront) bien réelles, même si, pour l’instant, l’algorithme de Facebook, de l’aveu même de Mark Zuckerberg, n’est pas capable de faire la différence entre un article de presse qui parle de terrorisme et un message de propagande terroriste (Le Monde, 19-20 févr. 2017, supplément, p. 8). Le terrorisme a bon dos. Que se passera quand le filtrage automatique de messages jugés indésirables (« l’étape d’après », dont il est question ?) sera au point ? « L’idée est de donner à tout le monde, dans la communauté, des options sur les règles qu’ils voudraient voir appliquées pour eux-mêmes, dit Zuckerberg. Êtes-vous choqué par la nudité ? La violence ? La vulgarité ? Pour les utilisateurs qui n’auront pas configuré cette option, le choix par défaut sera celui fait par la majorité des personnes qui vivent dans votre région, un peu comme un référendum » (ibid). Ces propos entérinent la vision d’un monde futur placé sous l’influence de « communautés », chacune avec ses normes, qui se parlent à peine. On pourrait se soustraire individuellement des choix de la majorité, mais cela pourrait assurément se savoir. On est loin d’une application bienveillante et neutre.
Ce qui manque dans les discussions sur l’avenir de l’intelligence artificielle, c’est une vraie demande pour des applications adaptées à des besoins sociaux politiquement formulés comme tels (par exemple, la forte réduction du temps du travail, ou l’empêchement de l’évasion fiscale, pour commencer), et non pas à des lubies consuméristes ou à des technologies de contrôle. Qui plus est, pour l’immense majorité des services actuellement proposés, aucun modèle économique n’a été mis au point. Les investissements massifs dans des produits possédant une valeur d’usage faible ou nulle dans un premier temps sont même caractéristiques du capitalisme tardif, où le capital « fictif » domine largement le capital « productif » (voir Actualités #32). Comme nous le rappelle Adorno, « la distinction entre besoins superficiels et besoins profonds est une apparence socialement générée. […] Si la production est d’emblée, sans condition ni restriction, mise au service de la satisfaction des besoins – y compris et surtout de ceux qui ont été produits par le capitalisme -, les besoins se verront, justement par là, transformés de manière décisive. Le caractère insondable de la distinction entre besoin authentique et faux besoin appartient de manière essentielle à la domination de classe »**.
* Harmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, La Découverte, 2010, poche, 2013. (Rosa est un représentant de la « troisième » génération de l’École du Francfort). ** Theodor W. Adorno, Société : Intégration, Désintégration. Écrits sociologiques, Payot, 2011 (article original, 1942), pp. 125, 127.
La CNIL lance un vaste débat sur les algorithmes
Les algorithmes, logiciels dont la puissance est décuplée grâce à l’intelligence artificielle, s’immiscent partout dans la vie courante. Exemple entre autres, l’algorithme Admission post-bac (APB) gère désormais l’inscription en premier cycle universitaire ; le ministère de l’Éducation a dû publier le code source face à la pression de l’association Droits des lycéens, et des syndicats d’étudiants, sans lever toutes les interrogations quant à son équité. Selon un sondage IFOP réalisé pour la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), publié début janvier, 80% des Français considèrent que les algorithmes sont présents dans leur vie courante, et 70% estiment qu’ils sont un enjeu de société. Forte de cet enseignement, la CNIL a décidé de lancer un débat public sur les algorithmes, qui durera toute l’année 2017.
Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL, demande : « Les algorithmes sont-ils transparents, loyaux ? Laissent-ils aux individus leur autonomie ? Une interrogation monte dans le grand public qui, si elle n’est pas traitée, peut même condamner les promesses des algorithmes. […] On peut coloniser des gens avec des algorithmes. L’idée, c’est de s’en servir comme des outils. Quel est le pacte social collectif que nous voulons ? ».
Les juges s’inquiètent de la mise en ligne automatique de leurs décisions, voulue par la loi Lemaire, craignant que leur travail, qui relève d’une décision humaine, puisse mener à la capacité pour le justiciable de choisir son tribunal et d’anticiper le jugement du magistrat. Bref, la justice par algorithme.
La CNIL émettra en octobre, à la suite de ces débats et travaux, des recommandations de politique publique. Mais comment convaincre les géants américains d’Internet (Google, Facebook, Microsoft, IBM) de s’y conformer ? Au Forum économique mondial de Davos (Suisse) en janvier, Microsoft et IBM ont pris les devants. Les technologies, selon eux, n’ont pas d’autres objectifs que d’aider l’homme et non de le dominer, par exemple par l’établissement de diagnostics médicaux plus fiables, rendus possible par l’intelligence artificielle. La patronne d’IBM, Virginia Rometty, a formulé elle-même des principes éthiques qui devraient accompagner le développement de celle-ci. Principes éthiques compatibles, bien sûr, avec la maximisation des bénéfices.
Source : « Les algorithme, « proie de tous les fantasmes » » (Sandrine Cassini), Le Monde, 24 janvier 2016, p. 10 (supplément Économie & Entreprise).
Medium, la plateforme des blogs de qualité, se cherche un nouveau modèle économique
Medium, la plateforme de blogs « de qualité », est en quête d’un nouveau modèle depuis le post de son président-cofondateur Evan Williams début janvier expliquant que le modèle publicitaire sur Internet était « cassé ». Dans la foulée, il a annoncé la suppression de 50 postes (un salarié sur trois), principalement dans le domaine des ventes et du support technique. « Nous pourrions, dit-il, poursuivre notre chemin actuel – il existe des arguments économiques pour continuer ainsi -, mais nous avons estimé que nous risquions d’échouer dans notre mission plus large si nous ne faisons pas des changements volontaristes, alors que nous disposons des moyens de le faire, et que c’est le moment ».
Quatre ans après sa naissance, Medium semblait avoir consolidé sa place, revendiquant 60 millions de visiteurs uniques mensuels, et 7,5 millions de posts en 2016 (une progression de 300%). Les levées de capitaux successives avaient apporté plus de 130 millions de dollars de financement à une start-up valorisée à plus de 600 millions de dollars. Cofondateur de Twitter, Williams avait créé Medium pour promouvoir du contenu de qualité. « Le système actuel engendre une quantité croissante de mauvaises informations, et pousse à produire davantage de contenu à moindre coût – au détriment de la profondeur, de l’originalité ou de la qualité », écrivait-il en 2012.
En 2016, Medium avait lancé ses propres formats publicitaires et des posts sponsorisés pour se placer sur le terrain de la publicité qualitative. Mais la plateforme a peiné à s’affirmer face aux grands médias aux marques fortes comme Facebook, qui se permet de prélever 70% de la valeur créée par d’autres, tout en se comportant comme un éditeur opaque et arbitraire. Seule une trentaine de médias avaient choisi d’être partenaires du projet proposé par Medium. Son modèle restait dépendant donc d’un accroissement perpétuel des volumes, et des équipes commerciales, allant dans le sens d’une démarche « gouvernée par la publicité [qui n’est pas] au service des gens ». Williams serait cette chose rare, un capitaliste idéaliste.
Seuls restent dans l’entreprise les ingénieurs et les responsables du développement produit, qui aura la charge de concevoir un nouveau modèle de financement du contenu. Y a-t-il une troisième voie en dehors du financement par la publicité et du financement par abonnement ?
Source : « Medium refuse le diktat de la pub en ligne » (Alexis Delcambre), Le Monde, le 11 janvier 2017, supplément Économie & Entreprise, p. 8.
La Commission européenne a présenté le 10 janvier une nouvelle proposition de règlement sur la vie privée et les communications électroniques, qui consiste à rendre obligatoire le consentement préalable des citoyens à l’installation de « cookies tiers ». Les cookies sont de petits logiciels qui enregistrent les données de connexion afin de faciliter la navigation sur le Web, mais aussi d’afficher de la publicité ciblée. Ils permettent aussi de suivre un internaute, où qu’il soit, et quel que soit son appareil. Pour la Commission, chacun doit pouvoir les accepter ou les rejeter une bonne fois pour toutes lors de l’ouverture du navigateur. « Notre principe, c’est le consentement des utilisateurs », indique le vice-président chargé du numérique, l’Estonien Andrus Ansip, qui espère une entrée en vigueur en mai 2018.
Les professionnels de la publicité sont vent debout contre ce nouveau règlement, surtout ceux dont le métier est justement de vendre des données ciblées à leurs clients. « Cela va retirer à l’industrie [de publicité] la capacité à bien faire son travail, en proposant des publicités les mieux adaptées possibles. […] Les régies, les prestataires et les éditeurs seront touchés. Les annonceurs, eux, feront autrement, ils iront moins sur Internet », affirme Mats Carduner, diplômé d’HEC, ancien directeur de Google France, et directeur- cofondateur de fifty-five, qui commercialise des outils de ciblage publicitaire. « Notre inquiétude concerne surtout le mobile, où la Commission souhaite imposer un consentement préalable. Cela serait un changement profond pour toute la chaîne de valeur, même si les conséquences économiques sont difficiles à mesurer », indique Alain Lévy, fondateur de Weborama, une société de marketing et de diffusion publicitaire en ligne.
Le nouveau dispositif est censé compléter le règlement général sur la protection des données. « Il est clair que notre proposition n’est pas très populaire pour les professionnels de l’Internet qui voudraient avoir un accès le plus large possible aux données. Mais nous avions besoin de davantage de transparence et de clarification légale », rétorque le commissaire Ansip.
Les publicitaires ne sont pas les seuls visés par le nouveau règlement. WhatsApp, Facebook Messenger, Skype, Gmail, iMessage et Viber, qui exploitent aujourd’hui les données de leurs utilisateurs, vont devoir se soumettre aux mêmes règles que les opérateurs télécoms, à qui on a imposé beaucoup plus de contraintes en la matière.
Sources : « Les cookies publicitaires dans le viseur de l’Europe » (Sandrine Cassini et Cécile Ducourtieux), Le Monde, 12 janvier 2016, supplément Économie & Entreprise, p. 8 ; interview avec Mats Carduner, Business Insider, 30 déc. 2016.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)