La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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Le volume de production de fiction télévisée en France tombe à un niveau historiquement bas
Selon la Ficam (Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia, syndicat patronal), le nombre de semaines de tournage de fictions télévisées françaises (1138) a baissé de 14% entre 2014 et 2015, soit le niveau le plus faible depuis huit ans. Ce recul est surtout dû à la baisse de 44% des formats de moins de 26 minutes en access prime time (18h-20h). « Il y a eu beaucoup moins de séries courtes lancées ou poursuivies l’an dernier, les chaînes privilégiant de plus en plus les 52 ou 90 minutes. Or, il faut du temps pour que l’un compense l’autre », explique Stéphane Bedin, délégué général adjoint du Ficam, qui regroupe plus de 150 entreprises de l’image et du son.
Tous les groupes audiovisuels, à l’exception de TF1, voient leur volume horaire de fiction baisser. Il importe surtout de faire remarquer ici que le volume horaire de fiction en France (650,5 heures produites en 2015 contre 728,5 en 2014) a toujours été très en deçà de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne (environ 2000 heures en 2014).
Le Ficam est confiant que la situation s’améliorera en 2016, en raison d’un renforcement du crédit d’impôt sur les séries. En effet, suivant la demande des producteurs, l’Assemblée nationale a voté en novembre 2015 d’étendre l’augmentation du crédit d’impôt prévu pour le cinéma (de 20% à 30%) aux fictions télévisées. Le taux du crédit d’impôt (somme soustraite du montant d’impôt) pour les séries et les téléfilms a été porté à 25%, contre moins de 10% auparavant ; le plafonnement des crédits pour une même œuvre est passé de 4 à 30 millions d’euros.
L’exemple cité dans les arguments en faveur de cet amendement dans la loi des finances a été la série de prestige Versailles (Canal+, 2015-16), dont la deuxième saison est actuellement en tournage avec un budget d’environ 30 millions d’euros pour 10 épisodes de 52 minutes. Série qui profite du patrimoine de châteaux français, mais tournée… en anglais, avec une majorité de comédiens britanniques doublés pour la diffusion dans les pays francophones ; elle sera prochainement diffusée sur la BBC2. Série donc « de qualité internationale », et à ce titre relevant du kitsch, selon le critique Olivier Aims, écrivant dans l’Obs du 10 décembre 2015.
Gaspard de Chavagnac, patron de Zodiak France, l’un des trois coproducteurs, jette le gant à l’État à sa manière : « Compte tenu des différences de fiscalité, le risque, c’est que les producteurs regardent systématiquement à l’étranger. Nous-mêmes, on y a réfléchi ». C’est la menace hypothétique de tourner la prochaine saison de Versailles en Belgique qui a produit son effet : d’après les calculs de de Chavagnac, la série aurait récolté de 6 à 7 millions d’aide en Belgique, contre 2,5 millions en France. Entre 2010 et 2015, le nombre de semaines de tournage français à l’étranger a augmenté de 31%, selon l’Union syndicale de la production audiovisuelle (Uspa), même si le taux de délocalisation pour la seule télévision est dernièrement en baisse comparative (-34% en 2015, contre -12% pour la France, chiffres de la Ficam).
Sources : Les Échos (Marina Alcarez), 1er mars 2016 ; « Vers une refonte du crédit d’impôt pour les séries » (Marina Alcaraz), Les Échos, 6 nov. 2015 ; « L’Assemblée renforce le crédit d’impôt pour les séries et téléfilms, en plus du cinéma« , jeanmarcmorandini.com, posté le 13 nov. 2015.
Voir aussi sur la fiction télévisée française Actualités #40 ; Actualités #35 ; Actualités #34 ; Actualités #16
…mais pic de production du cinéma français en 2015
Selon les chiffres rendus publics le 5 avril par le Centre national du Cinéma et de l’image animée (CNC), 234 « films d’initiative française » (FIF) ont été réalisés en 2015, soit 31 de plus qu’en 2014. Si l’on ajoute les films où les participations françaises sont minoritaires (66), ce sont même 300 longs-métrages qui ont été réalisés en 2015 (contre 258 en 2014). C’est un record depuis 1952, première année où le CNC a établi des données sur le cinéma français.
Les investissements dans la production cinématographique française ont progressé de 23% en 2015, pour atteindre 1,2 milliard d’euros, dus à l’envolée des investissements étrangers dans les FIF (près de 118%), accompagnée d’une forte augmentation des apports des chaînes de télévision (+31%), la plus élevée depuis dix ans. Le nombre de coproductions internationales s’est élevé à 142 films, 36 de plus qu’en 2014. Soixante-six de ces coproductions sont majoritairement françaises.
Soixante-quinze premiers films ont été produits en 2015, les premiers et deuxièmes films représentant 48% des FIF, un bon indice d’un renouvellement des talents. Les devis des FIF se répartissent ainsi : 51 films à plus de 7 millions d’euros (36 en 2014) ; 33 entre 4 et 7 millions d’euros (25 en 2014) ; 86 entre 1 et 4 millions d’euros (83 en 2014) ; 64 à moins d’un million d’euros (59 en 2014).
Le nombre de jours de tournage pour les FIF (6850) a augmenté de 10% par rapport à 2014, mais celui des jours de tournage à l’étranger a, lui, progressé de 50%. C’est là, le nœud du problème, et l’enjeu de l’élargissement du crédit d’impôt pour les films agréés par le CNC depuis le 1er janvier 2016. Il faut voir cette dernière mesure comme une incitation aux producteurs à revenir tourner en France. Selon la présidente du CNC, Frédérique Bredin, ancienne ministre socialiste de la Jeunesse et des Sports (1991-3), ses effets se font déjà sentir, ayant pour conséquence directe l’accueil de 19 productions étrangères agréées par le CNC au premier trimestre 2016, autant que l’ensemble de 2015. Selon Olivier-René Veillon, directeur général de la commission du film d’Ile-de-France (Le Monde, 20 avril), la production cinématographique en France devrait connaître en 2016 « une croissance à deux chiffres pour l’emploi et pour l’activité ». Cela dit, l’agence Film London dispose d’un budget quatre fois supérieur à celui de la commission francilienne, et a rapporté, grâce à dix blockbusters tournés aux studios de Pinewood, 2,5 milliards de livres (2,5 milliards d’euros) en 2015.
Sources : « Pic de production du cinéma français en 2015 » (Alain Beuve-Méry), Le Monde, 7 avril 2016, p. 8 (supplément Économie et Entreprise) ; « Reprise de tournages étrangers en Ile-de-France » (Alain Beuve-Méry), Le Monde, 20 avril, Économie et Entreprise, p. 8.
L’étude du CNC (avril 2016) est disponible ici.
Voir aussi sur le cinéma français Actualités #32 ; Actualités #31 ; Actualités #17
La France en retard sur l’usage de la VOD
Selon une étude de l’institut Nielsen, qui a interrogé 500 internautes en ligne dans 61 pays (soit un total de plus de 30 000), 65% des répondants se sont mis à la vidéo à la demande (VOD), mais ils ne sont que 39% en France, chiffre inférieur à la moyenne mondiale, mais aussi à la moyenne européenne (50%).
Le même constat s’impose dans le cas des services payants par abonnement (SVOD), tels Netflix et CanalPlay. Alors qu’au niveau mondial, 26% des internautes payent pour de tels services, ils ne sont que 4% en France, soit presque 2 millions de personnes âgées 15 ans ou plus. Ce pourcentage est voisin de celui constaté en Italie (5%) ou l’Espagne (3%), mais très sensiblement en deçà de ceux observés au Danemark (34%) ou en Norvège (33%).
Ce « retard » pourrait s’expliquer en (grande) partie par la jeunesse du service ; l’arrivée de Netflix en France ne date que de septembre 2014. Mais il y a d’autres facteurs à prendre en compte. « En France, il y a une offre importante de télé de rattrapage qui offre assez de souplesse pour regarder le contenu de son choix. Enfin, par rapport à d’autres pays, l’arsenal législatif contre le piratage est moins étoffé, ce qui peut limiter la nécessité de s’abonner à un SVOD », dit Gilles Pezet, consultant chez NPA Conseil. L’analyse de l’institut Nielsen avance d’autres facteurs encore, probablement plus déterminants, comme le déficit de contenu, surtout local, et le prix d’abonnement trop élevé. Le frein lié au prix est aussi mis en avant par une récente étude de Médiamétrie. Il semble, pour l’instant, que les offres de SVOD soient vues comme complémentaires, plutôt qu’exclusives.
Source : « La France en retard sur l’usage de la VOD » (Marina Alcaraz), Les Échos, 23 mars 2016.
Voir aussi sur l’installation de Netflix en France Actualités #36 ; Actualités #30 ; Actualités #25
« La télévision est à son apogée en termes de créativité »
Venu à Paris pour le festival « Séries mania » (15-24 avril), John Truby est un « script doctor » expérimenté ; consultant auprès de multiples sociétés de production et de studio américains (HBO, Disney, Sony, la Fox, la BBC), il a travaillé sur 1800 productions. Son travail consiste à redresser le scénario d’un film, ou sortir de l’ornière une série mal ficelée. Selon lui, « la clé, pour la télévision française, pour l’avenir, c’est la création d’équipes d’écriture comme on le fait aux États-Unis. Il est absolument indispensable qu’un créateur ait la main sur l’ensemble de sa série, ce qui suppose une équipe de scénaristes ».
Morceaux choisis d’un entretien intéressant publié dans Le Monde (10-11 avril) :
« Jusqu’alors, la façon de construire [une série] revenait à faire un récit avec un début et une fin, en un épisode, comme dans un film ou un roman. En 1999, avec Les Sopranos, naît aux États-Unis le récit sériel qui s’apparente au feuilleton du XIXe siècle, même si la série télévisée s’en distingue par d’autres aspects. L’unité du récit n’est plus l’épisode, mais la saison entière, voire les saisons qui se suivent. Cette sérialité est une vraie révolution.
« Désormais, avec un canevas dix à quinze fois plus long que pour un film, les personnages principaux et les intrigues secondaires se développent et se multiplient, d’où une grande complexité de l’histoire. De ce fait, la série télévisée devient assez fascinante, et même bien plus que le cinéma.
« Depuis l’apparition du câble payant, les personnages de séries n’ont plus à être toujours simples et positifs, comme au temps où n’existaient que trois grands réseaux audiovisuels, qui eux-mêmes visaient l’audience la plus large possible. Il fallait que l’on s’attache au personnage principal pour que le spectateur revienne chaque semaine vers lui, estimait-on alors, ce qui impliquait qu’il soit positif.
« L’important, dans une série, c’est la manière de séquencer et de rythmer les épisodes. S’ils sont écrits par des scénaristes free-lance, on ne peut rien coordonner pour intensifier petit à petit, le pouvoir dramatique jusqu’à la fin de la saison.
« Quant à tout donner à écrire à un seul auteur, en ayant le summum de la qualité et en fournissant une saison par an, c’est quasiment impossible. C’est le problème qu’a encore la télévision française : Les Revenants a été sacrée meilleure série dramatique aux International Emmy Awards, mais il a fallu attendre trois ans pour une deuxième saison. On ne peut entrer dans le circuit mondial comme ça ! »
L’urgence en France est de combler le manque de production par rapport aux voisins : la Grande-Bretagne produit deux fois plus de séries, et Allemagne, trois fois plus. Pour repositionner la France sur le marché européen, un rapport sur l’organisation en France d’un grand festival de référence consacré aux séries a été commandé par le ministère de la Culture à Laurence Herszberg, directrice générale du Forum des Images à Paris, où fut créé le festival « Séries Mania » en 2010. « On ne produit pas assez en France et l’étape la plus fragile, la plus sous-financée, concerne l’écriture, dit-elle […] Mais c’est à l’échelon français et européen en même temps qu’il faut multiplier les initiatives pour faire émerger des talents, des écritures, des formations […] En fait, on ne peut plus, on ne devrait plus parler de « séries télévisées ». Netflix ou Amazon lancent des séries sans que ce soit de la télévision. Les Anglo-Saxons parlent d’ailleurs aujourd’hui de « drama series« . Il va falloir que l’on trouve un autre terme, nous aussi… »
Sources : interview avec Truby, Le Monde (propos recueillis par Martine Delahaye), 10-11 avril 2016, p.16 ; « Tapis rouge pour les séries » (Martine Delahaye), ibid., p. 17.
Livre-manuel : John Truby, Anatomie du scénario (éditions Nouveau Monde), 2010.
Voir aussi sur la scénarisation des séries françaises, Actualités #34 ; Actualités #16
Une troisième saison du Bureau des Légendes (Canal+) est déjà prévue
La deuxième saison de la série française remarquée sur le monde du contre-espionnage, Le Bureau des Légendes, plus en phase avec l’actualité djahadiste, sera diffusée sur Canal+ à partir du 9 mai. Sans attendre les résultats d’audience, une troisième saison est déjà en tournage. « C’est une promesse faite dès le début de diffuser une saison par an, dit Fabrice de la Patellière, directeur de l’Unité de création originale de Canal+. Cela implique donc de tourner les dix épisodes de chaque nouvelle saison pendant qu’on diffuse la précédente ».
Chaque épisode coûte entre 1,2 et 1,5 million d’euros, relativement peu cher par rapport à Versailles (voir ci-dessus). Le réalisateur Eric Rochant (Un monde sans pitié, Möbius) concentre les fonctions de scénariste, de showrunner, de producteur et de metteur en scène. « Cette concentration a permis un processus créatif comme pour les séries américaines car, dans ces studios loués à l’année, tout est linéaire et permet de gagner du temps et de l’argent », prétend Alex Berger (TOP), l’un des coproducteurs. Quant à lui, Eric Rochant affirme que « le rôle d’un showrunner est de tout contrôler en imposant sa grammaire. Cette réalisation collégiale est possible parce que je peux chapeauter le tout et faire en sorte que la série conserve son style et sa sobriété. Les faiblesses à l’écriture ne sont pas rattrapables ». Actuellement, Canal+ propose sur son site Internet une expérience de réalité virtuelle, où chacun pourra se mettre dans la peau de l’un des personnages de la série.
Source : « Malotru s’installe dans la légende » (Daniel Psenny), Le Monde, 17-18 avril 2016, p. 19.
Quelles que soient les mérites – réelles – de cette série, il est grand temps que l’on se penche de manière critique sur ce discours « d’excellence » chantant les louanges d’un mode de production à l’américaine, discours qui s’impose comme une évidence, même si le terme « showrunner » a visiblement du mal à être francisé. À ce titre, les mondes journalistique et universitaire ont trop tendance à s’incliner docilement devant un discours qui charrie une rationalisation normative de la production des séries, ce qui devrait se prêter davantage à la discussion. Dans sa Production Culture (Duke University Press, 2008, surtout chapitre 6), John Thornton Caldwell démontre que la mise en avant d’un showrunner fait partie d’une opération de marquage identitaire (branding), la série étant vue en premier lieu comme un produit transmédiatique.
Pour moi, il y a deux affirmations qui restent problématiques dans le discours de Rochant. Premièrement, la revendication d’un contrôle total de sa part (faire « patron »), mariée à l’idée d’une « réalisation collégiale », relève d’une contradiction, du moins potentielle ; deuxièmement, l’idée qu’une faiblesse à l’écriture ne soit pas rattrapable n’est tout simplement pas vraie, comme en atteste le métier de script doctor (voir ci-dessus). Les « tunnels », et les baisses de tension sont inhérents à la forme série, et à la récurrence artificielle que celle-ci implique ; aucune série n’y est indemne, et on pourrait même arguer que ce genre de « faiblesse » donne à une série son charme. Imaginer qu’un showrunner en surplomb puisse surmonter toute contradiction structurelle, c’est transformer celui-ci en totem.
Enfin, on oublie trop souvent que, dans le régime hyperconcurrentiel de la télévision américaine, le taux de mortalité des séries est extrêmement élevé, ce qui n’est pas une option viable pour la production européenne. Très logiquement, il y a plus de losers et de has been chez les showrunners que de génies, qui ne sont jamais pérennes ; en d’autres termes, la présence d’un showrunner ne garantit en elle-même ni le succès ni la qualité d’une production.
Game of Thrones : la fin vient ?
Selon Entertainment Weekly (en premier), les deux showrunners de Game of Thrones, David Benioff et D. B. Weiss envisagent deux saisons supplémentaires (7 et 8) plus courtes (7 et 6 épisodes respectivement au lieu de 10), avant de boucler la série définitivement à 73 épisodes, nombre juste suffisant pour le marché des rediffusions (syndication). HBO a refusé de confirmer cette « spéculation », sans la démentir formellement. Cependant, de nombreux cast members sont d’avis que la série touche à sa fin, et que la saison 6 mettra de l’ordre dans certaines intrigues parallèles. Cette saison, dont la diffusion a commencé le 24 avril, devance le sixième livre dans la saga de George R. R. Martin (The Winds of Winter), qui ne sera publié qu’après. Désormais, le fil conducteur passe par la série, et non plus par l’adaptation du livre. Invité à l’université d’Oxford en 2015, Benioff déclara : « ça fait un moment qu’on discute avec George [R. R. Martin] et on sait où on va. Finalement, on terminera au même endroit que lui, peut-être avec quelques déviations en cours de route, mais on se dirige vers la même fin ». Une série dérivée par la suite, écrite par Martin, n’est pas exclue.
De nombreuses critiques féministes ont fait remarquer que trois femmes ont été « gratuitement » violées dans la série, dans des scènes brutales qui ne figurent pas dans le livre ; plus généralement, ces critiques voient les séries de la chaîne HBO comme étant « mâlecentriques », car les personnages féminins sont souvent au service d’un protagoniste masculin, du point de vue du scénario. En 2014, Maureen Ryan a écrit dans Huffington Post qu’en quatre décennies, HBO n’a diffusé qu’une seule série dramatique créée par une femme. En défense de Game of Thrones, Benioff et Weiss reprennent l’argument de l’auteur George R. R. Martin que la série est ancrée dans le Moyen Âge, et qu’elle reflète logiquement le sexisme et la violence de l’époque. Dont acte, mais Porn Hub prétend que les visites au site ont baissé de 4% lors de la diffusion aux États-Unis du premier épisode de la saison 6 de Game of Thrones, et que les recherches de vidéos pornographiques liées à la série ont augmenté de 370% juste après la diffusion.
Gain financier ou gain créatif, lequel prévaudra ? La décision de terminer la série sera de toute évidence difficile pour HBO, d’autant que l’audience continue à progresser (20,2 millions par épisode pour la saison 5 aux États-Unis). Contre cela s’y joue la réputation de la chaîne câblée, et le risque d’une saison de trop, à même de gâcher sa postérité critique. Série complexe, et comparable à bien d’égards, Lost (2004-10) se présente comme l’exemple même de fin complètement ratée. Par contre, on juge que The Sopranos (1999-2007) et Breaking Bad (2008-13) ont bien réussi leur « mort », après six et cinq saisons respectivement.
C’est dire qu’un prolongement après six saisons devient problématique pour n’importe quelle série. D’après les idées reçues en vigueur, même la série la plus formulaïque (Les Experts) a besoin alors d’un reboot, ne serait-ce que pour ralentir son déclin inévitable. Traditionnellement, le reboot implique l’introduction de nouveaux personnages, parfois de la famille des protagonistes (stratégie risquée (24 heures chrono)), sinon la sexualisation des relations entre personnages existants (stratégie très risquée (Les Experts), mais rentable en cas de succès (Bones)). Pour une série radicalement feuilletonnante comme Game of Thrones, cela devient encore plus difficile en raison du nombre de personnages et de trames narratives en jeu. Benioff et Weiss ont déjà déclaré qu’ils veulent terminer Game of Thrones sur « la note la plus épique possible ». Ils sont conscients que sa production exige pour tous un travail épuisant, et estiment qu’ils ne pourront plus produire 10 épisodes dans un délai de 12 mois, car la série sort du cadre télévisuel pour rejoindre celui d’un film à moyen budget (en moyenne 6 millions $ par épisode). « On veut terminer debout, on aime trop cette série », dit Benioff. Beaucoup de personnages de Game of Thrones n’ont pas eu ce privilège.
Sources : « Game of Thrones’ stars weigh in on fantasy drama’s looming end« , The Hollywood Reporter, avril 15, 2016 ; « Game of Thrones considers shortened final seasons« , Entertainment Weekly, avril 14, 2016 ; « Game of Thrones will spoil the ending of George R.R. Martin’s books« , Cinema Blend, avril 2015 ; « Game of Thrones’ creators mull shorter final seasons« , Variety, avril 14, 2016 ; http://mic.com/articles/87169/here-s-how-much-it-costs-to-make-a-game-of-thrones-episode#.lXHvcbHyq ; « Why is HBO flailing ? Because its shows turn women into sex objects » (Maria Teresa Hart), Washington Post (syndication) ; « How Game of Thrones affects porn consumption » (Simone Mitchell), news.com.au (syndication).
En France, l’e-book ne décolle pas
« L’e-book ne représente que 2% des ventes en valeur dans l’Hexagone. Il faut au moins un écart de prix de 50% pour que l’acheteur bascule vers un e-book », explique Frédéric Meriot, directeur général des éditions PUF, qui cite l’institut GfK. On est très loin de la puissance du livre numérique aux États-Unis, où les ventes se repartissent à hauteur de 25% pour le numérique et 75% pour le papier. Mais même là, le livre numérique a amorcé un déclin (-10% en 2015), en parallèle d’une multiplication depuis deux ans des ouvertures de librairies, vécues comme de nouveaux espaces de socialisation.
Vincent Monadé, président du Centre national du livre (CNL) estime que « dans l’Hexagone, l’avenir du livre est dans le papier. À terme, l’e-book devrait vraisemblablement atteindre 10 à 15%. Mais les Français sont très attachés au livre papier, notamment pour des raisons sociologiques. C’est avec lui qu’ils ont appris à lire, à structurer leur pensée, à construire leur rapport au monde… » Il cite l’intérêt (voir la critique dans Le Monde du 22/9/2011) suscité par des travaux de François Bon (Après le livre, Seuil), pour qui le support numérique, inévitable, tend à déconstruire et à fragmenter le récit.
Le poids du numérique aux États-Unis pourrait s’expliquer par le marché sensiblement différent là-bas, notamment l’importance de livres de genre, ou de self-help books (comment réussir sa vie, faire de l’argent, etc.). En France, c’est surtout les genres de romance (Harlequin), et de fantastique (éditions Bragelonne) qui ont adopté le modèle de diffusion numérique à bas prix. En effet, il est difficile pour l’instant d’imaginer la lecture d’un livre de philosophie ou de (grande) littérature sur une liseuse.
Source : « En France, l’e-book ne parvient pas à décoller » (Véronique Richebois), Les Échos, 14 avril 2016, p. 22.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)