La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et créatives du côté des professionnels de la publicité et du marketing, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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De la réalité virtuelle à la virtualité réelle ou le paradis des geeks
Un masque de ski surmonté de deux lentilles stéréoscopiques et de deux écrans LCD devrait remettre la réalité virtuelle au goût du jour. Lancée grâce au site de financement participatif (crowdfunding) Kickstarter il y a deux ans à hauteur de 2,3 millions $ (soit dix fois l’objectif), la start-up Oculus VR du jeune Californien Palmer Luckey, qui a développé l’appareil, a été rachetée au printemps 2014 par Facebook pour 2 milliards $. Le casque Oculus Rift devrait permettre dès 2015 à tout un chacun de s’immerger dans des univers virtuels. Le prix de lancement du produit sera environ 300 $ ; la stratégie déclarée du patron de Facebook, Mark Zuckerberg, est de réduire les marges quasiment au prix de revient dans un premier temps, afin d’en assurer la percée. Selon Antoine Rigitano, qui a participé à la création du portail en ligne français VRapps recensant les applications de la réalité virtuelle, plus de 700 existeraient déjà, rien que pour l’Oculus Rift. Ces applications ne se limitent pas aux fantasmes usuels de gamers, comme piloter un avion de chasse ou descendre une armée de zombies avec un pistolet à rayons. « C’est infini tout ce qu’on peut faire, dit Rigitano. Les développeurs ont encore un terrain vierge devant eux. On peut imaginer des films dont on est le héros, visiter un appartement, un musée ou suivre un cours à distance ».
La réalité virtuelle (VR) ne date pas d’hier. Le premier casque de visualisation interactive remonte à 1968, inventé par un jeune informaticien américain Ivan Sutherland. Le décor virtuel en relief créé par la NASA pour faire une simulation d’exploration de la planète Mars a vu le jour en 1984. Des cabines d’immersion interactives faites de projecteurs et de toiles blanches ont apparu en 1992, et ont eu du succès (qui continuent à ce jour) chez certains acteurs institutionnels comme l’armée de l’air, les compagnies d’avion, les entreprises et les hôpitaux à des fins de formation et de traitement : piloter des avions, concevoir des produits, soigner des phobies. En même temps sont sortis les premiers casques dédiés aux jeux vidéo : le Nintendo Virtual Boy, le VFXI de Forte technologies, le Sega-VR. « C’était assez bluffant pour l’époque mais il y avait un décalage entre le moment où on tournait la tête et ce qu’on voyait, ça donnait la nausée », dit Maxime Derian, anthropologue social à l’université de Paris 1, et ancien étudiant au Tokyo Institute of Technology.
Voilà le contexte du regain d’intérêt pour la réalité virtuelle en 2012, après cette première expérience décevante qui a permis néanmoins de découvrir des problèmes techniques (lents, lourds, des graphismes trop primitifs) et économiques (trop chers), mais aussi de réaction physiologique (nausées, pertes d’équilibre). Le prototype Oculus Rift, en revanche, suscite l’enthousiasme des professionnels. « Il est génial. La résolution est bonne, la latence aussi [temps de réaction à l’écran, entre 2 à 3 millisecondes], il est léger et il tient compte de la position de la tête dans l’espace », dit Sébastien Kuntz, directeur de la start-up I’m in VR, spécialisée dans la création d’applications de réalité virtuelle, qui voit en Oculus Rift le « big-bang » du secteur. Mais les problèmes de réaction physiologique ne sont pas totalement surmontés. Kuntz continue : « On sait encore trop peu de choses sur la façon dont le cerveau perçoit la réalité pour déterminer ce qui engendre la nausée dans un monde virtuel. Ça va être difficile de former le grand public à ces nouvelles possibilités. D’autant que, parmi les casques et les applications qui arrivent, beaucoup sont des catastrophes. […] Je préfère que [les dirigeants d’Oculus] prennent leur temps pour faire un truc bien, car s’ils se plantent, c’est tout le secteur de la réalité virtuelle qui se plante ». Manifestement, l’industrie des jeux en VR marche sur des œufs. « Le problème, quand on porte [un casque], dit le consultant Jacques Lefaucheux, est qu’on n’a plus de repères extérieurs. Des mouvements rapides dans le jeu peuvent entraîner des troubles physiologiques ».
Le cabinet de conseil KZero prévoit la commercialisation de douze marques différentes de casques de réalité virtuelle en 2016. Pas moins de 83 millions de casques seront vendus d’ici à 2018, prédit-il. Des 200 000 usagers aujourd’hui (des hardcore gamers), on devrait passer à 6,7 millions fin 2015, pour atteindre 171 millions fin 2018. Le marché du software VR semble prometteur ; en 2018, 24 millions d’utilisateurs seront prêts à s’en offrir des applications, et les revenus devraient dépasser 3,4 milliards €.
Facebook envisage de s’appuyer sur la réalité virtuelle pour donner un second souffle au réseau social. Pour Mark Zuckerberg (à gauche), les applications pour des jeux vidéo ne seront qu’un début. « Imaginer qu’en plus de partager du temps avec vos amis en ligne, vous puissiez vivre des expériences et des aventures ». Des partouzes numériques ne sont pas encore au menu, mais il est sûr et certain que l’on y pense déjà. Le programme de Zuckerberg ouvre la possibilité intrigante d’une vie partagée entre un monde IRL (in real life) et un monde IVL (in virtual life). L’autre marché envisagé est le cinéma. On prétend que Facebook cherche actuellement des partenaires parmi les studios d’Hollywood pour tenter l’expérience de films en « réalité immersive ».
Le débat de société se profile déjà. Pour l’anthropologue Maxime Derian (à droite), le casque VR ne fera que renforcer la tendance générale vers l’autisme social : « On se branchera peut-être en réseau pour faire la fête, des junkies se baladeront avec dans la rue et d’autres ne s’investiront plus dans la vraie vie sociale. Mais ça ne provoquera pas plus de problèmes que le smartphone aujourd’hui ». Défendant de son côté le mieux disant social de la VR, le start-upper Sébastien Kuntz affirme : « La réalité virtuelle est également un moyen puissant pour améliorer le réel en retour, comme développer l’empathie chez les gens en les mettant à la place de l’autre ». Mais il concède la nécessité de réglementer les applications, car « on pourrait manipuler les gens ou leur provoquer des crises cardiaques ». Un développeur créatif pour Oculus Rift, Denny Unger, a lancé une alerte contre les « sauts de peur » (jump scares) dans certains jeux d’horreur. « On est très près de la première mort en réalité virtuelle. Lors de la sortie commerciale, quelqu’un – un cardiaque – va être effrayé à mort, c’est absolument certain ».
Laissons la conclusion au journaliste de Libération, Jean-Christophe Féraud :
Avec Oculus Rift, on est en train de passer de la réalité virtuelle à la virtualité réelle. Facebook y voit une formidable opportunité de donner un simulacre de réalité supplémentaire à son univers social parallèle. Immergés dans ce deuxième monde d’une puissance psychotrope inédite, nos avatars évolueront et dépenseront comme dans la vraie vie, espère Zuckerberg. Au risque de s’y perdre ?
Sources : « Libération », 25 août 2014, pp. II-III (Ecofutur), Gabriel Siméon ; Jean-Christophe Féraud (éditorial) ; « Les Échos », 11 août 2014 ; « Gameplanet.com », 25 août 2014 (Matt Maguire, sur l’alerte de Denny Unger) ; theverge.com, juin 14, 2014 (Chris Welch, sur la stratégie de prix de lancement).
Écartons d’emblée la polémique naissante concernant les effets sur la santé de la réalité virtuelle ; sauf épidémie de crises cardiaques, celle-ci ne fera pas long feu, et au pire sera résolue par un avertissement, comme sur les paquets de cigarettes. Plus intéressant est le débat sur la question de l’empathie sociale ou du manque de celle-ci, car les deux camps sont ici représentés par la même génération. Ce genre de discussion, qui postule, pour le meilleur ou pour le pire, une transformation de la condition humaine, a toujours accompagné l’émergence d’une nouvelle technologie de masse dans le domaine culturel. La démocratisation de la télévision aux États-Unis pendant les années 1950 suscita chez les élites des prévisions hystériques sur la baisse du niveau scolaire, la montée de la délinquance et de la décadence morale, et d’autres effets néfastes comme l’évasion de la réalité ! Contre cela, dans la décennie suivante, Marshall McLuhan tordit le bâton radicalement dans l’autre sens en prétendant que la télévision serait, par ses propriétés formelles indépendamment des contenus, une force progressiste qui œuvrait dans le sens d’une culture mondiale commune. On retombe sur les même débats, à quelques nuances près, dans le cas de la musique rock, et une génération plus tard, dans le cas de l’Internet, à propos duquel se sont exprimés des enthousiasmes débridés et des paniques morales comparables.
Si l’on peut avoir l’impression que ce genre de débat tourne en rond, et que les deux côtés ont tort, c’est parce qu’il s’agit d’une erreur épistémologique fondamentale : le déterminisme technologique, où l’on réduit l’explication des phénomènes sociaux à des facteurs purement techniques, dans un sens positif ou négatif. Plus généralement se pose le problème de la causalité en sciences sociales ; pour aller vite, la difficulté de celles-ci, c’est que toute analyse sérieuse a l’obligation d’être multi-causale, intégrant des facteurs sociaux, économiques, techniques, culturels et psychologiques à des pondérations différentes (d’où débat légitime). Une chose est sûre, cependant. On ne pourra pas « perdre son temps » dans la réalité virtuelle, qui fera partie intégrante d’une économie hypercapitaliste. Pas plus qu’on échappait autrefois à Coca Cola devant son téléviseur.
Dans ce recadrage, la question d’une perte d’empathie sociale ne doit pas être écartée, à condition de ne pas la réduire à la simple émergence de nouvelles technologies numériques ou virtuelles. Car cette question s’est déjà posée dans deux ouvrages importants de psychanalyse appliquée extrapolant l’expérience clinique à l’analyse sociale ; il s’agit de L’Homme sans gravité (Denoël, 2002) et de La Nouvelle économie psychique (Erès, 2009) de Charles Melman (dans les deux livres, en conversation avec Jean-Pierre Lebrun). Selon Melman, ce qui est nouveau par rapport aux analyses historiques de Freud, c’est qu’il n’y a plus tellement d’interdits, ce qui nous expose à la dictature de la jouissance normée, à la consommation « consomptive » et fétichiste des objets, et donc à des formes de névrose originales. Cette « nouvelle économie psychique » est liée non pas au progrès technologique, mais à l’évolution du capitalisme lui-même ; il faudrait envisager ce changement comme une forme « d’adaptation existentielle » à un système caractérisé par l’alignement de pratiquement tous les domaines d’existence aux valeurs marchandes. Celles-ci finissent par pénétrer les relations sociales les plus intimes, sujettes à la même logique de calcul par rapport à l’investissement fait. Pour survivre dans un monde pareil, chacun est obligé de devenir vendeur de lui-même avec l’empathie feinte nécessaire. Il faut, bien entendu, avancer avec précaution ici, car le lien entre la clinique individuelle et les traits anthropologiques ne va pas de soi sur les plans épistémologique et méthodologique, y compris chez Freud. Posons cependant le principe qu’un engouement social pour les technologies de réalité virtuelle sera plutôt le symptôme révélateur d’un nouveau rapport au monde des personnes et des objets, et non la cause de celui-ci.
Deuxième piste à explorer vis à vis du monde virtuel qui s’annonce : Simulacres et simulation du philosophe iconoclaste Jean Baudrillard (Galilée, 1981). Pour lui, il y a trois ordres de simulacres (apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente) : naturels, fondés sur l’image (imaginaire de l’utopie) ; productifs, fondés sur l’énergie, sa matérialisation par la machine (imaginaire de la science-fiction) ; de simulation, fondés sur l’information, le modèle, le jeu cybernétique (sans imaginaire). Même si le terme « réalité virtuelle » n’est pas utilisé par Baudrillard (en 1981, on parle d’hologrammes, et de « hyperréalité »), c’est à elle que le « simulacre de simulation » correspond. Ce qui caractérise celui-ci, c’est la résorption totale de la distance entre imaginaire et réel ; les modèles ne constituent plus un imaginaire par rapport au réel, « et ne laissent aucune sorte d’anticipation fictionnelle – ils sont immanents, et ne laissent donc place à aucune transcendance imaginaire« . Autrement dit, en termes un peu moins abstraits :
Peut-être la science-fiction de l’ère cybernétique et hyperréelle ne peut-elle que s’épuiser dans la résurrection « artificielle » de mondes « historiques », essayer de reconstituer in vitro, jusque dans les moindres détails, les péripéties d’un monde antérieur, les événements, les personnages, les idéologies révolues, vidées de leur sens, de leur processus originel, mais hallucinants de vérité rétrospectif. [1]
Baudrillard cite le roman Simulacres de Philip K. Dick, où la Guerre civile américaine est rejouée dans un gigantesque hologramme en trois dimensions. Vingt ans après, il aurait sûrement pris comme exemple le film Matrix, où les mondes « réel » (apparemment) et virtuel se confondent, comme la carte si détaillée qu’elle couvre tout le territoire dans la courte fable (1935) de Jorge Luis Borges (« De la rigueur de la science » in L’histoire universelle de l’infamie, 10/18, 1951, 1994). (Pour la petite histoire, l’expression « le désert du réel » dans le film vient de Baudrillard, reprenant Borges). Là où les simulacres sont condamnés à reprendre les couleurs du réel, présent ou passé, ils sont « vidées de leur sens ». Car justement, quel est le sens « culturel » (et idéologique) d’un jeu en VR où on plonge dans un bassin de requins (image ci-dessus), ou dans un monde médiéval pimenté du fantastique, genre Game of Thrones ? Quel est la « valeur » autre que marchande d’un rapport sexuel en VR ? Et quelle disposition psychique faudra-t-il pour évoluer dans un tel monde ?
[1] Simulacres et simulation, Galilée, 1981, pp. 181-2.
Pour une autre discussion de Matrix, voir l’article d’Imane Sefiane dans la web-revue.
Beyoncé et Jay-Z font des affaires
L’industrie musicale est sinistrée, mais pas pour tout le monde. Le dernier album éponyme de Beyoncé, sorti en décembre 2013, s’est vendu à 3 millions dans le monde (dont 700 000 aux États-Unis, source : Nielsen SoundScan), chiffre impressionnant, mais tout de même très loin des 51 à 65 millions (selon la source) de Thriller (Michael Jackson, 1982). Avec son mari, le rappeur et homme d’affaires Jay-Z (Shawn Carter), elle a donné deux concerts le 12 et le 13 septembre au Stade de France dans le cadre de leur tournée On the Run (en cavale). On prétend que les 20 concerts de la tournée, organisée par une des sociétés possédées par Jay-Z, Roc Nation, pourraient devenir les deuxièmes plus lucratifs de l’histoire, après le groupe de rock U2.
En fait, les ventes de disques ne sont qu’une source de revenus parmi d’autres dans la « petite entreprise » de Beyoncé et Jay-Z. Selon les calculs du site Celebrity Net Worth, Beyoncé a gagné à ce jour 450 millions $ (347 millions €), et son époux quelques 560 millions $ (432 millions €). De même, Jay-Z, rappeur bad boy comme il le faut, n’est qu’accessoirement musicien ; entrepreneur qui s’assume, il n’a jamais caché son attrait pour l’argent (« Je ne suis pas un businessman, je suis un business, mec (man) »). Son empire touche la musique, la mode, les sports, l’immobilier, et les boîtes de nuit. Il est actionnaire de plusieurs dizaines de sociétés, et monnaye sa notoriété au prix fort dans les publicités. Dès 1996, il a lancé son label Roc-A-Fella (jeu de mots sur le nom de la célèbre famille de pétroliers, les Rockefeller). En 1999, il a créé une marque de streetwear, Rocawear, qui vend des sacs à main et des sweatshirts sur Internet. D’autres investissements incluent les bières Budweiser, les montres Audemar Piguet, divers hôtels, restaurants et magasins de luxe, une équipe de basket, et des joueurs de baseball et de football américain. En 2008, il a lancé sa société Roc Nation (cofinancée par le géant du live entertainment Live Nation), devenue l’une des structures les plus lucratives de l’industrie musicale. Dans ce cadre, Jay-Z produit des chansons pour des artistes mondialisés, et gère la carrière des musiciens très divers allant de l’underground branché à la pop de stade.
Quant à Beyoncé, il s’agit d’une musique très produite, destinée aux adolescentes en premier lieu, qui épouse tous les styles dans la lignée de la pop Motown (voir l’article dans la web-revue de Marc Hiver) : un hybride du r’n’b, du rap, de l’électro et de la soul. De la soupe, diraient certains, non sans raison. Qu’importe l’intérêt musical, Beyoncé, qui ne manque pas de qualités comme chanteuse, est par-dessus tout une image. Métisse originaire du Texas, elle incarne un complexe de questions idéologiques : un au-delà utopique de la ségrégation raciale (déjà présent dans la pop Motown), la transgression sexuelle (voir l’image ci-dessus), et dans le sillage de celle-ci …. le féminisme, désormais un choix de style de vie, une affirmation de soi, et non plus un engagement politique. Certains universitaires américains comme Kevin Allred (université de Rutgers, New Jersey) affirment que la popularité actuelle des cours de gender studies doit beaucoup à Beyoncé et à ses déclarations explicites. Commentaire : même si la star musicale est désormais intégrée dans une celebrity culture plus vaste, le concept de valeur d’usage accrue que j’ai avancé dans le premier chapitre de mon livre Le Rock (disponible gratuitement sur le site de la web-revue) me semble plus pertinent que jamais. La capacité de l’incarnation en question à rester en prise avec la réalité sociale est néanmoins fragile ; la célébration du métissage a été spectaculairement démentie récemment par les émeutes à Ferguson, Missouri où les tares de la ségrégation raciale n’ont manifestement pas disparu, loin de là.
Sur Beyoncé entre autres et la « celebrity culture », voir aussi « Actualités #10 », juin 2013.
Sources : « Libération », 12 sept. 2014 (Sophian Fanen et Clément Ghys : « Beyoncé et Jay-Z, le couple cash de l’Amérique » ; Fabrice Rousselot : « Jay-Z, le business et la manne » ; Elisabeth Franck-Dumas : interview avec Kevin Allred, « un féminisme qui revendique le droit d’être sexy »).
Facebook fait des efforts pour augmenter son volume publicitaire dans les marchés émergents
Facebook a trouvé le moyen de renforcer les liens entre annonceurs et utilisateurs de mobiles dans les marchés émergents. Les annonceurs pourront cibler leurs publicités sur Facebook selon la force du signal de l’utilisateur ; en conséquence, on peut désormais limiter les vidéos à ceux avec des connections 4G, et proposer des textes à ceux avec des connections 2G. Cela devrait permettre un marketing plus efficace dans des pays émergents comme l’Inde et la Thaïlande où la réception est plus faible et la capacité des mobiles relativement limitée. En Inde, 66% des 100 millions de visiteurs mensuels à Facebook utilisent des mobiles issus d’une génération d’avant les iPhones, prédominants aux États-Unis. Une annonce vidéo, la norme aux États-Unis, ne peut toucher qu’une minorité en Inde.
Le fossé entre les localisations des utilisateurs et les sources des revenus devient béant. Les marchés nord-américain et européen représentent 72% des 2,7 milliards $ de revenus générés par Facebook au deuxième trimestre 2014, mais seulement 38% des 1,3 milliard de visiteurs mensuels. Qui plus est, le nombre d’utilisateurs dans les pays émergents augmente quatre fois plus que dans les États-Unis, le Canada et l’Europe réunis.
Source : « Advertising Age », août 27, 2014.
La publicité native tend vers le modèle programmatique
Selon Michael Brenner, directeur de stratégie à NewsCred, une société de marketing des contenus, même la publicité « native » ou « indigène » (quand le contenu publicitaire s’insère dans des contenus « authentiques », de manière non intrusive, voir « Actualités #3 » ; « Actualités #5 ») tend de plus en plus vers le modèle dit « programmatique », c’est-à-dire le recours aux logiciels intégrant des métadonnées pour acheter des annonces destinées aux supports numériques. Ce modèle d’achat algorithmique est non seulement beaucoup moins cher que celui basé sur des opérateurs humains, mais serait aussi performant. Le modèle programmatique, qui délègue le placement des annonces aux logiciels, va à l’encontre du concept de publicité native qui privilégie encore l’intervention des publicitaires « humains » supérieurement au fait des tendances culturelles.
Pour des raisons évidentes, une bonne partie de la profession résiste ; pour elle, il est impensable que le modèle programmatique s’impose à 100%. Brenner propose trois stratégies de synthèse :
1. Une approche semi-automatique. Le logiciel Outbrain est en train de développer des modules de contenus qui remplaceront les annonces « bannières » (ou intrusives). Ces modules sont basés sur un modèle CPC (cost per click) intégrant les facteurs démographiques. Les métadonnées seront mobilisées à des fins automatiques et semi-automatiques afin de faciliter la découverte de sites nouveaux. Selon Brenner, il faudrait laisser sa chance à une approche mixte, et évaluer ensuite « l’authenticité » des placements effectués.
2. L’avenir du ciblage (et non du placement) sera spontané, et personnalisé. On remplacera la bannière classique par des « contenus créatifs », agencés par un « engin froid » qui reprendra des contenus et des images intégrés afin de refaire des bannières spontanées et temporaires (on the fly). Selon Steve Sachs, président d’OneSpot, dans son blog : « Il se peut que le marketing par contenus n’ait pas le même sens que la publicité numérique, mais son arrière plan doit s’adapter plus à l’ensemble des technologies de publicité programmatique existantes pour que les marques réussissent vraiment dans un environnement numérique ». Autrement dit, créer des contenus « intéressants » à l’échelle est désormais moins important que le ciblage des audiences en temps réel à partir des métadonnées fournies (involontairement, quand même) par les utilisateurs. Quant à lui, Brenner pense que cela est discutable dans le cas des contenus « de qualité ».
3. Le succès de ce modèle mixte dépendra de sa transparence. Deux applications, Nativo et Sharethrough, montrent le chemin avec l’intégration totale de la publicité native dans le modèle programmatique. Une plateforme comme Syndicate œuvre dans le sens d’une meilleure transparence pour les tarifs de la publicité native. Récemment, Taboola, une société de recommandation de contenus, a racheté Perfect Market, une société de publicité programmatique, dans le but de marier les deux approches. Pour Brenner, il faut éviter à tout prix qu’une marque soit associée à des contenus rebutants ou inadaptés, quelle que soit la stratégie utilisée. A cette fin, il faudra mettre l’accent davantage sur l’inventaire des contenus, pour s’assurer que les bons contenus sont alignés sur les bons éditeurs. Mais rien ne remplacera une étroite collaboration en amont entre marketeurs et éditeurs pour optimiser la publicité native ; cette dernière n’est pas simplement une question de placement, mais d’une expérience positive pour éditeurs, marketeurs et lecteurs.
Il faut cependant préciser que la publicité native n’est pas toujours bien acceptée en dehors des milieux publicitaires. Le chroniqueur des médias d’HBO, John Oliver l’a récemment fustigé (2 millions de vues sur YouTube) comme étant suspecte d’un point de vue éthique ; selon lui, la complicité des éditeurs est un trahison vis à vis de leurs lecteurs. Dans une chronique (« The Media Guy ») pour Advertising Age, Simon Dumenco critique la vanité et la prétention derrière le concept de publicité native, qui suppose que chaque marque puisse faire du storytelling par infos interposées, ou reprendre à son compte certaines valeurs éditoriales. Mais il y a pire. L’idée même de publicité native suppose qu’elle soit assez rare, de même à pouvoir se cacher dans des contenus « authentiques ». Dès lors qu’il y en a trop, les contenus qui l’accueillent commenceront à ressembler furieusement aux bons vieux « publi-rédactionnels ».
Sources : « Advertising Age », 26 août 2014 ; sept. 2, 2014.
Chronique de John Oliver (HBO) sur la publicité native (en anglais).
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)