Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
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Facebook détrônera-t-il Google comme moteur de recherche ?
Selon Dave Williams, directeur de Blinq Media, le nouveau moteur de recherche de Facebook, Graph, pourrait révolutionner les recherches en ligne en proposant aux consommateurs non seulement ce qu’ils recherchent, mais aussi ce qu’ils aiment et ce que leurs amis aiment. Graph devrait accroître la valeur des likes et des réseaux d’amis, d’autant que la plupart des recherches passent désormais par des appareils mobiles. Facebook et Microsoft ont collaboré sur ce nouvel outil, qui permet à Facebook d’utiliser ses propres données afin de vendre des annonces accompagnant les recherches, et à Microsoft (actionnaire majeur de Facebook depuis 2008) d’enrichir ses propres données de recherches avec les données « sociales » fournies par Facebook. Ceux qui souhaitent faire une recherche plus classique verront les résultats de Bing en même temps que des pages Facebook. Selon Williams, Facebook devrait prendre l’ascendant dans les recherches de proximité ou de style de vie (les activités en ville ce soir, restaurants, produits, services, concerts, expositions, etc.). Les usagers chercheront leurs amis, et les amis de leurs amis quand ils se retrouvent dans tel ou tel quartier, ou dans telle ou telle ville : cette application devrait aussi concurrencer des plateformes de réseautage comme LinkedIn.
Quand on sait ce qu’un consommateur veut faire ou acheter à un moment donné, on peut demander sensiblement plus d’argent à l’annonceur. Cela pourrait mener à un nouveau type de mesure – le seul qui existe actuellement est le PPC (pay per click) – qui démultipliera la valeur des données de recherches. Il ne s’agit plus d’algorithmes qui parcourent le Web pour des liens plus ou moins adaptés à un terme de recherche général, mais des réponses personnalisées, fondées sur qui vous connaissez et ce que vos amis aiment.
Commentaire du rédacteur. Graph semble jouer sur la tendance à un plus grand conformisme social, une homogénéisation des goûts et des activités, du moins au sein d’une « communauté » virtuelle. Mais une nouvelle inquiétante pour Facebook vient d’un sondage récent de Survata, qui montre qu’il a cédé sa place de réseau social le plus populaire aux États-Unis chez les 13-25 ans à Tumblr. Cette jeune société new-yorkaise bénéficie d’une popularité grandissante (encore plus marquée chez les 13-18 ans) avec une croissance de 900% en 2011, et de 104% en 2012 (1% pour Facebook). Si une partie des jeunes a commencé à migrer vers Twitter et d’autres réseaux sociaux comme Tumblr, c’est vraisemblablement pour éviter leurs parents, grand-parents, voisins (et enseignants ?) qui sont de plus en plus présents sur Facebook, en danger de « ringardisation » (Rue89, 15 janvier 2013).
Source : « Advertising Age », janv. 31, 2013.
Comment les médias numériques pourraient s’adapter à un monde post-PC
Andrew Lipsman, vice-président à comScore, propose cinq stratégies afin que les médias numériques puissent s’adapter à un environnement de plus en plus fragmenté et marqué par la domination croissante de plateformes mobiles.
1) Réaliser de la valeur à partir des consommateurs marginaux. La révolution mobile perturbe les habitudes, mais globalement elle crée de la valeur pour l’industrie publicitaire en atteignant des publics marginaux, et en stimulant davantage le public cible. En moyenne, un média numérique classé dans le Top 25 augmente son audience de 29% et génère 78% d’activité en plus via les smartphones et les tablettes (d’après une étude réalisée par comScore). Le déplacement vers les appareils mobiles représente une occasion pour les publicitaires d’améliorer leur chiffre d’affaires et surtout de toucher des segments démographiques « évasifs » (elusive), ceci pour un investissement minime.
2) Développer du contenu et des annonces adaptés à plusieurs plateformes. Il faut repenser le design et le contenu des annonces pour que celles-ci puissent s’adapter aux PCs et aux mobiles à la fois. Une autre solution est la « publicité native » (« Sponsored Story » sur Facebook, « Promoted Tweet » sur Twitter) qui intègre le contenu en ligne (content stream), quel que soit le format. Moyennant un peu d’investissement, un meilleur design et une stratégie créative, les annonces devraient pouvoir s’adapter aux deux formats.
3) Construire une stratégie intégrée multiplateforme afin d’optimiser le marketing mix. Les agences qui élaborent une stratégie adaptée à plusieurs plateformes peuvent mieux atteindre les objectifs en termes de portée et de fréquence (reach/frequency), ou en jargon publicitaire, en termes du rapport GRP/TRP (gross ratings points/target ratings points). En atteignant les consommateurs à des points multiples, on peut optimiser l’efficacité d’une campagne. Autrefois, une campagne radio étendue à la télévision était marginalement efficace, alors qu’une campagne d’annonces étendue aux moteurs de recherche a des effets « synergiques » (étude de comScore). Cela est probablement vrai aussi dans le cas d’une campagne englobant des plateformes multiples.
4) Renforcer le marketing « primaire » et les canaux de monétisation. En plus de l’effet synergique que produit l’exposition à travers de plateformes multiples, l’annonceur peut aussi profiter d’un simple renforcement des canaux primaires comme la télévision ou le Web. La consommation de « contenus » sur des appareils mobiles pourrait remplir les moments creux pendant la journée lorsque les consommateurs ne se trouvent pas devant le grand écran, que ce soit lors du trajet pour aller au, ou rentrer du travail, lors du déjeuner, ou au lit. Ces moments de consommation « en plus » permettront aux consommateurs de « s’engager » avec des marques tout au long de la journée, et stimuleront leur « engagement » avec les canaux primaires. Une étude multiplateforme des Jeux olympiques à Londrès en 2012 effectuée par comScore pour la chaîne NBC a révélé que les fans de sports qui regardaient la chaîne sur le téléviseur, le Web, les smartphones et les tablettes passaient 37% du temps en plus devant l’écran par rapport à ceux qui se limitaient au téléviseur et au Web. Apparemment, les canaux « secondaires » (smartphones, tablettes) ne parasitaient pas les canaux « primaires » (télévision, web).
5) Démontrer la valeur des annonces et des publics mobiles. L’écosystème des annonces sur appareils mobiles a du mal à convaincre les annonceurs de la valeur du support. Se vanter d’un CTR de 0.5% (click through rate, c’est-à-dire, taux de cliques par rapport au nombre de visites) n’est guère convaincant ; on sait qu’un pourcentage non négligeable de cliques vient de « gros pouces maladroits », et les appareils mobiles sont par nature moins interactifs. Il faut communiquer aux annonceurs le fait que 22% des propriétaires de smartphones, et 38% des propriétaires de tablettes viennent de ménages gagnant au moins 100 000 $ par an. À moyen terme, il faudra établir une corrélation entre l’exposition aux annonces sur appareils mobiles et l’augmentation des ventes de marques.
Commentaire. Ne pensez pas qu’en délaissant le téléviseur de salon en faveur des appareils mobiles vous allez vous échapper à l’emprise publicitaire ! Dans le meilleur des mondes, il n’existerait aucun « en-dehors » où l’on pourrait s’y évader. Le discours de M. Lipsman (abstraction faite du jargon propre à la profession) est difficile à rendre en français, car il est truffé d’opérations idéologiques qui font déjà violence à la langue anglaise. Ainsi, être exposé à une annonce, la subir, c’est « s’engager » avec elle ; n’importe quel rédactionnel, qu’il soit produit par un journaliste ou par un publicitaire, devient des « contenus » ; cliquer sur un lien, c’est être interactif (transactive) ; le monde d’annonces est désormais un « écosystème », à la manière de McLuhan. D’une manière plus anodine, on note que le téléviseur de salon, jadis le « petit écran », est devenu un « grand écran ». On note également que le téléviseur et le laptop de bureau sont désormais regroupés sous le titre « médias primaires » (« grands écrans », fixes), alors que les smartphones et tablettes sont classés « médias secondaires » (« petits écrans », mobiles).
Les médias secondaires sont envisagés comme un prolongement des médias primaires (il est intéressant de noter que la télévision et l’internet sur support fixe sont désormais regroupés), et non comme des supports destinés à remplacer ces derniers. On peut comprendre pourquoi : le modèle de partage d’espace et de lecture optionnelle développé par la presse n’est pas adapté aux appareils mobiles ; historiquement, la radio (qui n’est pas mentionnée) et la télévision sont les seuls supports où les consommateurs ont accepté – difficilement dans un premier temps – d’être « interrompus » par des annonces en échange de la gratuité d’accès. Mais cet argument bute sur l’indigence des contenus de la télévision en dehors des heures de grande écoute. L’exemple choisi traduit cette faiblesse : les Jeux olympiques, événement effectivement spectaculaire, ne sont programmés que tous les quatre ans. Sinon, les heures creuses (incluant les possibilités de la catch-up TV) attirent par la force des choses un public de troisième âge, de chômeurs, et d’insomniaques, public sans beaucoup d’intérêt pour les annonceurs.
La deuxième faiblesse concerne la qualité « élitiste » attribuée aux smartphones et aux tablettes, deux supports destinés à la « démocratisation » (ou « massification » dans le langage de l’École de Francfort), processus déjà en cours. L’identification d’une nouvelle technologie de communication avec une classe « supérieure » est un argument de très court terme. L’hebdomadaire brésilien Veja (cité par Le Monde diplomatique, février 2013) a comparé la période de temps qu’il aura fallu à différents outils de communication pour atteindre 50 millions d’utilisateurs : le téléphone (1878), 75 ans ; la radio (1921), 38 ans ; la télévision (1946), 13 ans ; l’internet (1991), 4 ans ; la tablette tactile (2010), 2 ans.
Source : « Advertising Age », janv. 30, 2013.
Quelques leçons tirées du « Consumer Electronics Show » à Las Vegas (janvier 2013) à destination des professionnels de marketing
De retour de Las Vegas, David Berkowitz, vice-président des médias émergents à 360i, déjà rencontré dans « Actualités #4 », nous présente quelques tendances à surveiller.
1) Le téléviseur n’est plus l’écran primaire. Même si les téléviseurs de salon restent les joyaux de l’exposition (un écran de super haute résolution de 216 centimètres de Sharp, un écran courbé sans rétroéclairage de Samsung, un téléviseur 3D transparent du chinois HiSense), tous ces appareils sont garnis de laptops, tablettes, caméras et autres applications pour mobiles. Le téléviseur n’est plus une technologie suffisante en elle-même.
2) Les écrans tactiles changeront la forme des annonces publicitaires. L’application Affectiva peut mesurer l’efficacité des annonces en scannant les expressions faciales, alors que d’autres proposent des appareils portables qui lisent les ondes cérébrales. Pour Berkowitz, ce sera la nouvelle frontière de la publicité.
3) Les réseaux sociaux, c’est maintenant l’internet des objets. Il n’est plus question de relier les gens entre eux, mais de relier des appareils entre eux. Chaque objet devrait pouvoir se relier numériquement à un autre appareil : les voitures, les caméras, les frigos sont désormais des « plateformes ». Un monde de produits interconnectés va devenir de plus en plus répandu.
Commentaire : suis-je le seul pour qui l’idée des objets qui communiquent entre eux fait penser au réseau informatique Skynet (brrr!), qui a détrôné l’espèce humaine, dans la série des Terminator ? Au lecteur de décider s’il veut bien accepter une tablette qui lit ses ondes cérébrales ou qui scanne ses expressions faciales.
Source : « Advertising Age », janv. 15, 2013.
À votre service : un « valet médias sociaux » qui fait vos tweets
Victoria Devine, diplômée en communication politique de George Washington University, et fondatrice d’une petite entreprise, Anchor Media, basée à Washington, D.C., est la pionnière d’un nouveau service : valet préposé aux médias sociaux (social media butler) pour les remises à jour des pages Facebook, des tweets et des posts d’images. À l’instigation de l’hôtel Madison, elle a proposé de documenter le séjour des clients fortunés venus pour l’inauguration du président Obama.
Commentaire : il s’agit d’une extension, peut-être anecdotique, des relations publiques appliquées à l’individu, placé dans l’obligation de cultiver son identité numérique avec force microplans de communication, mais ne disposant pas de temps pour le faire. À quand un master professionnel pour former des « valets du numérique » (qu’on pourrait utilement rebaptiser « assistants en numérique») ?
Source : « Advertising Age », janv. 15, 2013.
Apple doit planter son drapeau dans les salons (suite aux « Actualités #4 »)
Aucune des découvertes technologiques dans le domaine du téléviseur ces dernières années (le téléviseur connecté à l’internet, 2007 ; l’écran sans rétroéclairage de haute définition (OLED), 2008 ; le téléviseur 3D, 2010) n’a encore réussi à conquérir un marché de masse. Les éléments techniques existent déjà, mais on ne sait pas comment transformer l’expérience télévisuelle suffisamment pour relancer le marché. Autrement dit, une vraie « smart TV », faute de « vision » marchande, échappe toujours aux industriels. Le leader dans le marché de téléviseurs, Samsung, a doublé ses bénéfices dans la période janvier-septembre 2012, mais n’a pas réussi à dépasser une marge (correcte, sans plus) de 5%. En comparaison, avec son iPhone, Apple gagne deux fois plus en un trimestre que toute l’industrie de télévision gagne en une année. L’enjeu de la « smart TV » n’est pas financier (le marché des téléviseurs est à rythme lent), mais stratégique.
Apple « occupe » déjà le canapé, avec son iPhone et sa tablette. Les sociétés de médias et de divertissement s’adressent désormais aux consommateurs sur le petit écran afin d’influencer leurs choix sur le grand. D’ici à juin 2013, la moitié des ménages américains sera équipée de tablettes. Détenant plus de la moitié de ce marché, Apple est la mieux placée pour profiter d’un futur mouvement de convergence entre appareils. Puisque le téléviseur (le « vaisseau mère ») est le seul appareil à mobiliser toute la famille, la société qui domine ce marché-là serait en mesure d’imposer son standard à tous les membres d’un ménage, chacun avec ses petits appareils « individualisés ». Mais Apple est une société d’équipements (hardware), et la bataille ne sera pas gagnée sur ce seul terrain. Déjà, elle a mis sur le marché un téléviseur relié à internet, sans beaucoup de succès.
La seule stratégie réaliste pour Apple, c’est de s’allier avec les distributeurs multiplateformes de vidéos (films, séries, etc.), comme elle a su s’allier avec les opérateurs de mobiles pour imposer l’iPhone. Mais est-ce que les distributeurs sont prêts à accepter un téléviseur centré sur les applications Apple, c’est-à-dire à partager leurs chaînes avec des applications iOS où l’App Store devient un réseau de distribution supplémentaire ? Seulement s’ils pensent pouvoir préserver le système actuel de revenus provenant des abonnements, ou si, en laissant Apple faire un accord avec l’un des leurs, ils seront obligés d’éviter des pertes catastrophiques à la suite d’un changement de comportement chez les (jeunes) téléspectateurs. Pour l’instant, la situation reste bloquée et attend d’être décantée.
Source : « Financial Times », janv. 2, 2013.
Les séries françaises sont à la mode et visent l’export
« La production française qui connaît un renouveau se trouve à un moment charnière de son histoire, note Mathieu Béjot, délégué général de TV France International (TVFI). Elle est confrontée à un marché international de plus en plus concurrentiel et tourné vers des productions locales. Il faut donc trouver de nouveaux moyens d’en assurer une plus large diffusion et une meilleure promotion, aussi bien dans l’intérêt des industries culturelles françaises que pour contribuer à créer et à renforcer du désir de France ».
Doucement, mais sûrement, les séries françaises commencent à percer sur le marché international, même sur le marché britannique, réputé difficile. Récemment (16-20 janvier), la deuxième édition des rencontres « Totally Serialized », organisées par l’Institut français de Londrès, a réuni plus de 2500 personnes venues visionner en avant-première les dernières séries françaises (Les Revenants de Canal +, les Hommes de l’ombre de France 2, et Ainsi soient-ils d’Arte, entre autres). Engrenages (Canal +) a déjà été diffusée avec succès en version originale sous-titrée (Spiral sur BBC4). Borgia (Canal +) est accessible sur Netflix UK, et la chaîne Sky Arts a acquis les droits de Hard et Maison close (Canal +), d’où l’engouement actuel des chaînes françaises pour les coproductions internationales (Le Transporteur sur M6, Barbarella bientôt sur Canal +), afin de faire sortir leurs séries de l’Hexagone.
Commentaire. Une nouvelle voix de la France à l’étranger? « Produit d’escorte » pour les exportations françaises en général ? On suivra avec intérêt les répercussions éventuelles de la déclaration d’intention de M. Béjot sur la forme et sur le contenu des séries françaises.
Source: Daniel Psenny, « Le Monde Télévisions », no. 21164, 4 février 2013.
Résumés par David Buxton.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)