Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
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La publicité pour appareils mobiles ne marche pas
D’après Adam Kleinberg, président de Traction, une agence de publicité « interactive » à San Francisco, la publicité faite pour les appareils mobiles est en train d’échouer. Le fort taux de croissance peut impressionner, mais il part d’un chiffre d’affaires très faible. Pour lui, l’optimisme qui prévaut actuellement dans l’industrie est fondé sur du « hype » (mot datant des années 1960 pour de la publicité exagérée ; en français, on dirait « de la com »).
Le problème se résume à ceci : les appareils mobiles ont permis la collecte de données sur le comportement des consommateurs mélangeant des facteurs démographiques, géographiques, et psychologiques, d’une quantité et d’une qualité sans précédent, mais l’industrie publicitaire n’a pas encore réussi à adapter ce niveau de ciblage supérieur aux petits écrans sans « interrompre » grossièrement l’usage ordinaire. Certains prétendent que le taux de cliquage sur les appareils mobiles est supérieur que celui sur les postes fixes, mais un rapport récent de Goldspot Media démontre que 38 % des cliques sur les mobiles sont dues à des « gros pouces maladroits ». Facebook a créé des annonces qui interrompent « minimalement » : 14 % de ses revenus publicitaires proviennent désormais des mobiles, et la valeur de l’action est passée de 19 $ à 27 $ en conséquence. Mais pour Kleinberg, les possibilités pour de la croissance à long terme restent faibles : le « minimalisme » ne fait que baisser le coût de l’annonce qui reste invasive tout de même.
Il faudra donc accroître la valeur apportée par la publicité, dans l’approfondissement de la relation entre marques et consommateurs. Kleinberg cite le lien établi par Nike entre leurs produits de sports et les applications, qui mesurent l’état de santé du consommateur. Le salut de l’industrie se trouvera là, et non dans les bannières d’annonces, rejetées par les jeunes consommateurs tant convoités.
Source : « Advertising Age », déc. 19, 2012.
La publicité « native » doit ajouter de la valeur
Pour Ari Jacoby, président et fondateur de Solve Media, une annonce « sponsorisée » qui rate sa cible est aussi « invasive » qu’une bannière ; en fait, elle est pire, car elle casse la relation positive existant entre les consommateurs et ce que les intéresse. La mauvaise publicité « native » contamine donc ce que les consommateurs recherchent spontanément. Il faut que les marques évoluent vers la création de valeur à travers l’amélioration de l’expérience des nouveaux médias pour les consommateurs.
Ceux-ci ne sont plus « captifs » d’un petit nombre de supports médiatiques. Ils ne veulent plus être interrompus, ni « vendus » (d’après une étude récente de l’agence de marketing Forrester, 70% des usagers d’appareils mobiles trouvent la publicité « invasive », et 66% « agaçante », chiffres très supérieurs aux réponses concernant la télévision ou l’internet). L’expérience des réseaux sociaux démontre que si l’on leur apporte de la valeur (contenus intéressants, réellement utiles), les gens sont réceptifs au point de vouloir rejoindre une « communauté » de consommateurs en ligne. Il s’agit d’accompagner les consommateurs dans la vie. Mais les marques devront mériter ce droit, fondé sur l’idée sur la publicité est au service d’un idéal supérieur, celui de l’intérêt du consommateur et non celui de la marque.
Commentaire : les propos de Jacoby démontrent que le courant « idéaliste » (voire « progressiste ») de l’industrie publicitaire, en berne depuis la fin des années 1960, n’est pas mort. Au fond, cependant, cet argument perpétue une des doctrines fondatrices de l’industrie : que la consommation (de masse) s’impose comme un alternatif à la transformation politique (voir le livre classique de Stuart Ewen sur la naissance de l’industrie publicitaire moderne aux États-Unis dans les années 1920 et 1930, Consciences sous influence, Aubier, 1983). L’idée que la publicité, sous une forme renouvelée, « accompagne » (au lieu d’« interrompre ») la vie de tous les jours vise, malgré les bonnes intentions, à une intensification de l’emprise du capitalisme sur l’existence de tout un chacun. Comme l’aurait dit Adorno, elle est totalitaire au sens propre.
Sources : « Advertising Age », déc 6, déc 12, 2012.
Box office: The Hobbit, Skyfall.
The Hobbit : an unexpected journey a rapporté 223 millions $ mondialement pendant le premier weekend de sa sortie (décembre 14-16, 2012), dont 84,8 millions $ aux États-Unis, soit un peu moins que les prévisions, mais les jeunes Américains étaient encore majoritairement retenus à l’école le vendredi, ce qui rend les chiffres « remarquables » aux yeux de l’industrie. Néanmoins, les versions en 3D n’ont rapporté que 49% du chiffre d’affaires, sensiblement moins que prévu. Le film est sorti simultanément dans 55 pays (mais pas la France) : l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont rapporté 18,3 millions $, et 16,3 millions $ respectivement. Il s’agit du deuxième meilleur chiffre pour le weekend débutant mondial d’un film, après Avatar en 2009 qui a rapporté 242,5 millions $.
Skyfall, 23ème dans la série des James Bond commencée en 1962 (James Bond contre Docteur No), a rapporté 918 millions $ après sept semaines d’exploitation mondiale (dont 261 millions $ aux États-Unis après 5 semaines). La sortie en Chine populaire est prévue fin janvier, ce qui poussera le chiffre d’affaires bien au-delà d’un milliard de dollars. Ajusté pour l’inflation (donc en dollars constants), le plus grand chiffre d’affaires rapporté par un film reste ce produit ultime du studio system hollywoodien qu’est Autant en emporte le Vent (Gone with the Wind) qui, sorti en 1939, a rapporté 400 millions $ mondialement (valeur très approximative en 2012, car les revenus se sont accrus dans la durée avec de nouvelles sorties en 1947, en 1961, et en 1968 : 6448 millions $, d’après un calcul effectué grâce au site d’ajustement monétaire DollarTimes.com, sur la base certes artificielle de sa valeur en 1939). Mais même en réduisant ce dernier chiffre d’un tiers, les recettes en valeur ajustée de ce film classique restent loin devant ses concurrents contemporains.
Commentaire : ce qui est le plus intéressant dans ces chiffres, destinés à évoluer avec chaque nouveau blockbuster, qui « casse la baraque » pendant deux mois avant de disparaître dans un trou noir, c’est la proportion entre revenus américains et non américains, relativement constants (85 : 223 pour The Hobbit ; 261 : 918 pour Skyfall). C’est la mesure de l’internationalisation de l’industrie cinématographique, et du poids toujours important du marché américain. (Quant à l’affiche de Skyfall, comment ne pas conclure que l’influence de Freud – certes primaire – est toujours bien vivante chez les publicitaires ?)
Sources : « Variety », déc 15, déc 16, 2012.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)