Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
Contenu
Une transformation en profondeur envisagée pour le téléviseur.
On commence à penser que le traditionnel téléviseur de salon a vécu, et avec lui, le modèle historique d’une grille programmée à l’avance. Déjà, le téléspectateur américain peut avoir accès à des centaines de chaînes, des milliers de programmes sur demande, et des millions de vidéos en ligne.
Mais réinventer le téléviseur ne sera pas chose facile. On dit qu’Apple envisage la construction de son propre téléviseur. Selon Craig Engler, vice-président exécutif de Syfy Digital, « les fabricants préfèrent souvent des systèmes fermés. Ce qu’Apple a fait pour la tablette, elle pourrait aussi le faire pour l’industrie télévisuelle : créer une nouvelle norme que tout le monde doit suivre ». Le téléviseur est en train de devenir à la fois un centre de divertissement et un centre de communication, et chaque fonction additionnelle rend la création d’une nouvelle norme plus difficile. D’après Zander Lurie, vice-président exécutif chargé du développement stratégique à CBS, « nous ne savons pas ce qui viendra. Pour l’instant, les usagers pensent à la fusion de la télévision et du cinéma sur demande, mais déjà il y a des gens qui programment la musique ou leur système de sécurité à travers le téléviseur… Si une dizaine de personnes très intelligentes devaient dessiner chacune une interface idéale, celles-ci seraient très différentes les unes des autres. »
L’industrie de télévision est enthousiaste quant aux possibilités de la « découverte sociale » qui permet aux téléspectateurs de savoir ce que regardent leurs amis et quelles émissions sont le plus « tendance » (trending). Logiquement, elle s’intéresse aux nouvelles applications de Facebook qui devraient canaliser les consommateurs vers des services (payants) de streaming. « La Toile n’est qu’un sacré moteur de recommandation », dit Lurie.
Même la traditionnelle grille de programmes pourrait être remplacée par un modèle plus visuel. Avec l’application iPad Verizon FiOS, on peut effectuer des recherches à travers le cover art (logo, image) de chaque émission, mais beaucoup d’entre elles n’en ont pas pour l’instant, et en tout cas, pas sous une forme qu’on peut adapter aux appareils mobiles.
Certains professionnels pensent que la télévision du futur fera partie intégrante de l’écosystème de la distribution « en nuage ». Lurie envisage un futur où le téléviseur ressemblera à un moniteur d’ordinateur nourri par « le nuage ». Selon John Vanston, président de Technology Futures, « la télévision sera l’interface avec le nuage ».
Source : « Variety », oct. 17, 2011 (mais toujours actuel).
Les bons conseils de Porter Gale, spécialiste de marketing.
Le consommateur peut désormais utiliser son appareil mobile pour scanner les codes barre, lire des critiques, solliciter l’avis de ses amis, enregistrer chaque interaction avec une société et transmettre son point de vue au monde entier. Les managers doivent en conséquence prendre en compte trois changements culturels importants.
a) Des degrés de séparation réduits. On connait l’adage traditionnel disant qu’il n’y a que six niveaux de séparation reliant un individu quelconque à n’importe quel autre individu. D’après l’équipe de Kred, une société qui a analysé des données Twitter depuis 2007, nous ne sommes qu’à quatre niveaux de séparation à l’échelle mondiale, trois niveaux à l’échelle « communautaire » (les pratiquants de l’aérobic), et deux niveaux à l’échelle « niche » (les fans du kite-surfing). Les médias sociaux ont grandement facilité la capacité à créer des connections qui nous relient à beaucoup d’autres simultanément (à la différence des appels téléphoniques ou des lettres). On peut aussi partir à la recherche des communautés virtuelles, des gens qui ont les mêmes intérêts que vous (par exemple, qui aiment telle ou telle série, telle ou telle marque de chaussures).
Pour les sociétés, il est impératif de savoir dessiner un graphique social de leurs clients. La société Airbnb, par exemple, se sert des plateformes sociales pour relier invitants et invités, et pour leur proposer des services commerciaux en commun. D’après Joe Zadeh, responsable de l’innovation à Airbnb, « si vous voulez aller à Shanghai, et que vous et votre invitant avez téléchargé de chaque côté vos connections, vous pouvez voir qui sont vos connaissances en commun. Vous pouvez aussi rejoindre un groupe d’anciens étudiants, consulter les listes, et organiser votre voyage en fonction de ces liens [virtuels] ».
b) Le dialogue 24/7. Grâce aux possibilités d’accès permanent en ligne, les consommateurs disposent de plus de temps pour s’informer sur les marques et les sociétés. On ne peut plus raconter n’importe quoi comme dans le passé. Il faut définir clairement ce que représente votre produit et créer « une passion » pour celui-ci en étant « honnête » et « authentique », deux valeurs prisées sur les réseaux sociaux. Il faut « converser » avec les « fans » et non simplement proposer des offres commerciales.
c) L’importance des « techlebrities ». Il faut profiter de l’influence des « technlebrities » (mot-valise pour « technology » et « celebrity », d’une extrême laideur comme la quasi-totalité des néologismes pseudosociologiques inventés par les publicitaires américains), ou des « digital influencers » qui sont leaders dans un domaine de consommation. Porter Gale donne l’exemple de Brit Morin (Brit+Co) dont le site, qui a 2,5 millions d’abonnés (soit un peu plus que notre web-revue !), donne des conseils sur les produits « style de vie » pour les femmes depuis avril 2011. D’après l’intéressée, 4 ou 5 postes par jour sur le site se traduisent par 20-25 postes sur les médias sociaux. Selon elle, il faut se connecter et communiquer en utilisant plusieurs canaux de manière différente. Sur Pinterest, « je m’amuse (hang out) avec des femmes partout aux Etats-Unis cherchant des conseils sur des recettes, de la mode, des trucs artistiques, etc. Mes followers sur Twitter sont plus au fait des technologies et veulent en savoir plus sur les applis, les gadgets, et les start-ups ». Sur Google +, elle touche une audience plus large sur des questions de coût, et sur Facebook, elle « partage un peu de tout pour tout le monde ». Selon Gale, les gens sont de plus en plus influencés par les messages viraux et par l’avis de leurs pairs, d’où l’importance des réseaux sociaux pour l’avenir de l’industrie publicitaire.
Commentaire du rédacteur. Ici, je résume les propos de Porter Gale, ancienne vice-présidente du marketing à Virgin America. Pour ma part, j’aurais aimé intituler cette chronique : « Vers l’instrumentalisation totale des rapports sociaux, ou Le Meilleur des mondes, version 2012 ». L’avenir de l’industrie publicitaire dépendra de sa capacité à manipuler les réseaux sociaux et à faire passer ses messages pour « authentiques ». On peut, cependant, également voir en l’engouement de l’industrie pour les réseaux sociaux (et le fantasme qui l’accompagne, l’idée que le « consommateur total » va consacrer une grande partie de son temps libre à la communication sur les marques) un signe désespéré face à la crise à venir de l’annonce traditionnelle qui est en train de perdre son écosystème médiatique. Il faut aussi ajouter les effets de la crise profonde qui touche toutes les économies occidentales et dont l’issue éventuelle devrait passer par des transformations politiques ; la santé de l’industrie publicitaire dépend en effet de la croissance soutenue. Affaire à suivre…
Source : « Advertising Age », 9 nov. 2012.
La vie après la fin des moteurs de recherche.
David Berkowitz (à ne pas confondre avec son homonyme, le célèbre serial killer), vice-président responsable des médias émergents à 360i, prédit que la recherche par des moteurs comme Google sera morte en 2020. Il pense à un monde où le besoin de faire des recherches sera minimisé car largement anticipé. La plus grande source de données exploitables par les marques concerne la mobilité de leurs clients potentiels ; si on pouvait marier ces données à des balises de repérage, on pourrait faire appliquer des « analyses prévisionnelles » (predictive analytics). « L’avenir dépend de l’intelligence nourrie par la mobilité qui sait que le mardi à 16 heures, elle doit vous préparer une liste de courses à faire. Elle sait que vous avez changé récemment de pressing, donc vous êtes susceptible de changer de nouveau. Elle sait que quand vous voyagez, elle peut vous diriger directement à votre société de location de voitures attitrée sans passer par une réservation. Tous ces scénarios minimisent ou éliminent le besoin d’effectuer des recherches. » Selon Berkowitz, Google est le mieux placé pour profiter des changements dans le comportement des consommateurs. Déjà, son application pour Android, Field Trip, donne de manière « proactive » des tuyaux sur des restaurants et bars du coin qu’on va visiter, ainsi que des renseignements sur des sites historiques et des bâtiments intéressants. Génial.
En effet, c’est l’industrie touristique qui est idéalement placée pour se faire appliquer des « analyses prévisionnelles ». Il est relativement facile de distinguer entre la personne qui visite la même ville 10 fois par an pendant la semaine (voyage d’affaires) et la personne qui visite des endroits différents pendant les week-ends (voyage de loisirs). Si Amazon échangeait des données avec l’application de planification de voyages TripIt, elle saurait que la personne qui achète des livres sur le management pour ses voyages d’affaires domestiques achète au moins cinq romans pour ses voyages internationaux (plus des médicaments et des produits d’hygiène), et serait en mesure de proposer une liste de produits et de services (qu’on pourrait affiner) deux semaines avant le départ. Il suffira de cliquer pour valider l’achat.
Pour ceux qui affirment que la pratique des moteurs de recherche est trop bien installée pour disparaître, Berkowitz rappelle qu’en 2000, Google (jusque-là, un projet de recherche) venait juste de se constituer en société et que les répertoires de données existaient encore. Il n’y a pas de raison de penser que 2020 ressemblera à 2010. Les professionnels de marketing devraient commencer à faire des projets à long terme.
Commentaire du rédacteur. Au lecteur de décider s’il a envie de vivre dans le meilleur des mondes décrit par M. Berkowitz, qui implique un niveau inouï de surveillance de la vie privée, ce qui implique à son tour un changement important des mentalités. M. Berkowitz suppose que les moteurs de recherche ne servent qu’à des fins de consommation. Il est vrai que pour les publicitaires, tout autre usage (pour s’éduquer ou se cultiver par exemple) semble être sans intérêt. A noter que l’exemple qu’il donne du bénéficiaire de ce nouveau monde, c’est ce cliché ambulant, le voyageur d’affaires international, trop pressé, trop pris par le travail pour penser à envoyer des fleurs lui-même.
Source : « Advertising Age », nov. 16, 2012.
Les chaînes de vidéos en ligne financées par YouTube.
Il y a un an, YouTube (Google) a lancé son écosystème de vidéos en ligne en dépensant 100 millions $ sur 100 nouvelles « chaînes ». Un deuxième arrosage, plus sélectif (30-40 millions $), est prévu ce mois-ci à raison de 1 à 5 millions $ par chaîne. Un an plus tard, YouTube sait ce qui marche le mieux auprès de son public cible, les jeunes, dans les genres comme l’humour, la musique, les bagnoles, et le sport. Elle sait aussi ce qui n’a pas fonctionné : les chaînes drivées par des célébrités, et les chaînes diffusant des contenus originaux mais sans thématique cohérente. Les Top 25 chaînes ont en moyenne plus d’un million de visites par semaine, alors que le Top 33 ont plus de 100,000 abonnés, un bon indice de visites répétées.
En contrepartie du financement, les chaînes doivent donner l’exclusivité à YouTube pour l’exploitation des contenus, et rembourser l’investissement initial avant de vendre leurs propres annonces publicitaires. Tâche qui s’annonce difficile : pour pouvoir rembourser chaque million de dollars investis, il faudra 50 millions de visites à un coût per mille (CPM) solide de 20 $. Le problème à résoudre pour mieux disputer des revenus publicitaires avec les grandes chaînes de télévision, c’est le faible temps passé devant l’écran, même si celui-ci est passé d’une moyenne de trois heures par mois en septembre 2011 à quatre heures en septembre 2012. L’audience mensuelle cumulée est maintenant de 4 milliards (par rapport à 3 milliards l’année dernière). Mais pour mettre ces chiffres en perspective, les téléspectateurs américains regardent plus d’émissions en une journée que les consommateurs de YouTube en un mois.
Source : « Advertising Age », nov 11, 2012.
Résumés par David Buxton.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)