Actualités des industries culturelles et numériques #4 – décembre 2012
Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
Contenu
Une transformation en profondeur envisagée pour le téléviseur.
On commence à penser que le traditionnel téléviseur de salon a vécu, et avec lui, le modèle historique d’une grille programmée à l’avance. Déjà, le téléspectateur américain peut avoir accès à des centaines de chaînes, des milliers de programmes sur demande, et des millions de vidéos en ligne.


L’industrie de télévision est enthousiaste quant aux possibilités de la « découverte sociale » qui permet aux téléspectateurs de savoir ce que regardent leurs amis et quelles émissions sont le plus « tendance » (trending). Logiquement, elle s’intéresse aux nouvelles applications de Facebook qui devraient canaliser les consommateurs vers des services (payants) de streaming. « La Toile n’est qu’un sacré moteur de recommandation », dit Lurie.
Même la traditionnelle grille de programmes pourrait être remplacée par un modèle plus visuel. Avec l’application iPad Verizon FiOS, on peut effectuer des recherches à travers le cover art (logo, image) de chaque émission, mais beaucoup d’entre elles n’en ont pas pour l’instant, et en tout cas, pas sous une forme qu’on peut adapter aux appareils mobiles.
Certains professionnels pensent que la télévision du futur fera partie intégrante de l’écosystème de la distribution « en nuage ». Lurie envisage un futur où le téléviseur ressemblera à un moniteur d’ordinateur nourri par « le nuage ». Selon John Vanston, président de Technology Futures, « la télévision sera l’interface avec le nuage ».
Source : « Variety », oct. 17, 2011 (mais toujours actuel).
Les bons conseils de Porter Gale, spécialiste de marketing.
Le consommateur peut désormais utiliser son appareil mobile pour scanner les codes barre, lire des critiques, solliciter l’avis de ses amis, enregistrer chaque interaction avec une société et transmettre son point de vue au monde entier. Les managers doivent en conséquence prendre en compte trois changements culturels importants.

Pour les sociétés, il est impératif de savoir dessiner un graphique social de leurs clients. La société Airbnb, par exemple, se sert des plateformes sociales pour relier invitants et invités, et pour leur proposer des services commerciaux en commun. D’après Joe Zadeh, responsable de l’innovation à Airbnb, « si vous voulez aller à Shanghai, et que vous et votre invitant avez téléchargé de chaque côté vos connections, vous pouvez voir qui sont vos connaissances en commun. Vous pouvez aussi rejoindre un groupe d’anciens étudiants, consulter les listes, et organiser votre voyage en fonction de ces liens [virtuels] ».
b) Le dialogue 24/7. Grâce aux possibilités d’accès permanent en ligne, les consommateurs disposent de plus de temps pour s’informer sur les marques et les sociétés. On ne peut plus raconter n’importe quoi comme dans le passé. Il faut définir clairement ce que représente votre produit et créer « une passion » pour celui-ci en étant « honnête » et « authentique », deux valeurs prisées sur les réseaux sociaux. Il faut « converser » avec les « fans » et non simplement proposer des offres commerciales.

Commentaire du rédacteur. Ici, je résume les propos de Porter Gale, ancienne vice-présidente du marketing à Virgin America. Pour ma part, j’aurais aimé intituler cette chronique : « Vers l’instrumentalisation totale des rapports sociaux, ou Le Meilleur des mondes, version 2012 ». L’avenir de l’industrie publicitaire dépendra de sa capacité à manipuler les réseaux sociaux et à faire passer ses messages pour « authentiques ». On peut, cependant, également voir en l’engouement de l’industrie pour les réseaux sociaux (et le fantasme qui l’accompagne, l’idée que le « consommateur total » va consacrer une grande partie de son temps libre à la communication sur les marques) un signe désespéré face à la crise à venir de l’annonce traditionnelle qui est en train de perdre son écosystème médiatique. Il faut aussi ajouter les effets de la crise profonde qui touche toutes les économies occidentales et dont l’issue éventuelle devrait passer par des transformations politiques ; la santé de l’industrie publicitaire dépend en effet de la croissance soutenue. Affaire à suivre…
Source : « Advertising Age », 9 nov. 2012.
La vie après la fin des moteurs de recherche.

En effet, c’est l’industrie touristique qui est idéalement placée pour se faire appliquer des « analyses prévisionnelles ». Il est relativement facile de distinguer entre la personne qui visite la même ville 10 fois par an pendant la semaine (voyage d’affaires) et la personne qui visite des endroits différents pendant les week-ends (voyage de loisirs). Si Amazon échangeait des données avec l’application de planification de voyages TripIt, elle saurait que la personne qui achète des livres sur le management pour ses voyages d’affaires domestiques achète au moins cinq romans pour ses voyages internationaux (plus des médicaments et des produits d’hygiène), et serait en mesure de proposer une liste de produits et de services (qu’on pourrait affiner) deux semaines avant le départ. Il suffira de cliquer pour valider l’achat.
Pour ceux qui affirment que la pratique des moteurs de recherche est trop bien installée pour disparaître, Berkowitz rappelle qu’en 2000, Google (jusque-là, un projet de recherche) venait juste de se constituer en société et que les répertoires de données existaient encore. Il n’y a pas de raison de penser que 2020 ressemblera à 2010. Les professionnels de marketing devraient commencer à faire des projets à long terme.
Commentaire du rédacteur. Au lecteur de décider s’il a envie de vivre dans le meilleur des mondes décrit par M. Berkowitz, qui implique un niveau inouï de surveillance de la vie privée, ce qui implique à son tour un changement important des mentalités. M. Berkowitz suppose que les moteurs de recherche ne servent qu’à des fins de consommation. Il est vrai que pour les publicitaires, tout autre usage (pour s’éduquer ou se cultiver par exemple) semble être sans intérêt. A noter que l’exemple qu’il donne du bénéficiaire de ce nouveau monde, c’est ce cliché ambulant, le voyageur d’affaires international, trop pressé, trop pris par le travail pour penser à envoyer des fleurs lui-même.
Source : « Advertising Age », nov. 16, 2012.
Les chaînes de vidéos en ligne financées par YouTube.
Il y a un an, YouTube (Google) a lancé son écosystème de vidéos en ligne en dépensant 100 millions $ sur 100 nouvelles « chaînes ». Un deuxième arrosage, plus sélectif (30-40 millions 
En contrepartie du financement, les chaînes doivent donner l’exclusivité à YouTube pour l’exploitation des contenus, et rembourser l’investissement initial avant de vendre leurs propres annonces publicitaires. Tâche qui s’annonce difficile : pour pouvoir rembourser chaque million de dollars investis, il faudra 50 millions de visites à un coût per mille (CPM) solide de 20 $. Le problème à résoudre pour mieux disputer des revenus publicitaires avec les grandes chaînes de télévision, c’est le faible temps passé devant l’écran, même si celui-ci est passé d’une moyenne de trois heures par mois en septembre 2011 à quatre heures en septembre 2012. L’audience mensuelle cumulée est maintenant de 4 milliards (par rapport à 3 milliards l’année dernière). Mais pour mettre ces chiffres en perspective, les téléspectateurs américains regardent plus d’émissions en une journée que les consommateurs de YouTube en un mois.
Source : « Advertising Age », nov 11, 2012.
Résumés par David Buxton.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)


