Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
Contenu
Le « contenu customisé » ou la publicité « native ».
Les professionnels de la publicité et du marketing sont de plus en plus à la recherche de solutions autres que l’annonce traditionnelle (display ad), déjà inadaptée au monde du Net, et encore moins aux appareils mobiles. Le Graal des publicitaires a de nombreuses désignations (native advertising, custom content, branded content, content marketing, collaborative content), qui partagent toutes la conviction que les consommateurs du web et des réseaux sociaux sont plus enclins à se laisser influencer par du contenu publicitaire qu’on ne peut distinguer des autres contenus sur un site ou une plate-forme. En d’autres termes, il s’agit de rédactions riches en images et en vidéos qui brouillent totalement la frontière stricte entre contenu éditorial et contenu publicitaire, de tout temps un article de foi pour les médias de masse historiques (presse, radio, TV) et garant relatif de leur « qualité ». Pour l’instant, on ne sait pas si le « contenu customisé » deviendra la majeure source de revenues pour toute l’industrie publicitaire, ou l’apanage d’une minorité d’agences spécialisées.
Certaines agences comme BuzzFeed parient sur des posts écrits ou des galeries d’images, auxquels les annonceurs peuvent s’associer (une récente collaboration avec Campbell’s Soup a fait figurer des photos de « quinze animaux qui se comportent comme des gens »). D’autres comme The Atlantic (dernier client : Mercedes) s’appuient sur des articles sponsorisés pour augmenter le taux de cliques sur une annonce classique sur la même page ; il semble que le taux de cliquage augmente de 50% quand l’annonce est placée à côté d’un rédactionnel sponsorisé. Encore d’autres comme Gawker veulent faire disparaître les annonces classiques au profit du contenu customisé. Dernièrement, sa filiale Gizmodo (un webzine international consacré à l’actualité geek, www.gizmodo.fr) a abrité une série de posts sponsorisés par Intel dont le dernier s’intitule « photographier des surfeuses en bikini au paradis est un boulot dur, mais quelqu’un doit le faire ». Le niveau culturel ne semble pas pour l’instant crever le plafond…
Les critiques au sein de l’industrie prétendent qu’il s’agit d’une variation du bon vieux publirédactionnel (advertorial). Selon Randall Rothenberg, président de l’Interactive Advertising Bureau, le contenu customisé est trop coûteux (car gourmand en main d’œuvre et en temps) pour pouvoir remplacer les annonces, d’autant qu’il faut justement « customiser » le contenu pour chaque site partenaire : « la customisation fait déplacer les coûts en haut et en bas de la chaîne alimentaire ». Les défenseurs du contenu customisé prétendent que le but est de promouvoir le partage du contenu sur les réseaux sociaux, de passer des annonces à la publicité faite gratuitement par d’autres (earned media). Mais la campagne traditionnelle, coûteuse et relativement inefficace d’après ses critiques, où les mêmes annonces sont déclinées dans une variété de médias, est la seule qui garantit un véritable impact mesurable. La clé dans l’avenir, ce sera justement la capacité (et l’inclinaison) des abonnés des médias sociaux de jouer (à plein) les auxiliaires de marketing non payés.
Source : « Advertising Age », oct. 28, 2012.
Apple veut se lancer dans la radio streaming.
Apple est en pourparlers avec plusieurs « majors » pour lancer une radio streaming début 2013, en concurrence directe avec Pandora, l’actuel leader en musique streaming, dont plus de 50% des abonnés (175 millions) n’ont jamais utilisé un ordinateur fixe, et dont 75% des consommations passent désormais par des appareils mobiles. L’enjeu des négociations est le partage des revenues publicitaires. Les ventes de musique téléchargée en ligne se ralentissent ces dernières années (+6%, 2010, + 8%, 2011 après une croissance annuelle d’entre 12% et 200% entre 2005-10). Apple et les maisons de disques ont intérêt à lancer d’autres pistes pour que leurs clients puissent découvrir et acheter de la musique en ligne. En plus d’une rente directe, les maisons de disques veulent un pourcentage des revenus publicitaires et le droit d’insérer des annonces pour leurs propres artistes. Apple y voit l’occasion de développer sa plate-forme iAd publicité mobile, et d’intégrer celui-ci dans son iTunes. Le but est d’intégrer davantage de publicité dans les autres services Apple, et de vendre plus de données aux agences de marketing que pendant l’ère Steve Jobs. La mère de toutes les batailles va se livrer entre Apple et Google (sans oublier Facebook) pour la maîtrise de la publicité sur supports mobiles.
Sources : « Advertising Age », oct. 26, 2012; oct. 29, 2012.
Facebook cherche (désespérément) à monétiser le temps passé sur les appareils mobiles.
« Je crois qu’à long terme, nous allons voir une plus grande monétisation du temps passé sur des appareils mobiles que sur des appareils fixes, prédit Marc Zuckerberg, président de Facebook. « Sur les mobiles, les annonces publicitaires ressembleront plutôt à la télévision ». A présent, les revenus publicitaires issus des mobiles ne représentent que 14% des revenus publicitaires annuels de Facebook (153 millions $ sur 1,09 milliard $), mais ce chiffre est encourageant, car ses produits spécifiques pour mobiles n’existent que depuis mars 2012. Sur sa base d’abonnés (1,01 milliard), 604 millions possèdent un appareil mobile (par rapport à 543 millions, il y a trois mois). Le déplacement vers les mobiles pose néanmoins problème pour Facebook, obligé d’insérer ses annonces dans les fils RSS des utilisateurs, donc de placer sensiblement moins d’annonces que sur un support fixe. En revanche, la publicité sur les mobiles déclencherait beaucoup plus de cliques (entre 20 et 40 fois plus, selon Rob Leathern, président d’Optimal, une agence de placement d’annonces sur Facebook). Mais il semble difficile de placer plus d’annonces sur des écrans plus petits sans aliéner le public cible ; c’est ce constat qui est en grande partie responsable de la chute de la valeur des actions de Facebook depuis son introduction en bourse en mai 2012. A présent, Facebook ne détient que 2,8% du marché publicitaire des mobiles (dont le chiffre d’affaires devrait atteindre 4,4 milliards $ aux Etats-Unis en 2013), par rapport à Google, qui a 55%. Ces pourcentages devraient changer radicalement dès 2014 selon les cadres de Facebook. On reconnait de plus en plus que le marché de la publicité pour mobiles demande d’une approche et des compétences spécialisées.
A Facebook, c’est Jeff Kanter qui se charge depuis peu du marché publicitaire sur mobiles : « Nous voulons construire un produit adapté ; nous essayons de trouver la bonne expérience ». Au lieu de coller une bannière publicitaire qui occupe 20% de l’écran, Kanter cherche à insérer une « histoire » directement dans le fils RSS de l’utilisateur. En mars 2012, Facebook a lancé des « histoires sponsorisées », permettant aux annonceurs de promouvoir du contenu « liké » par les « amis » de l’utilisateur, suivi par des « posts encouragés » adressés en même temps aux « fans » et aux « amis » des fans. « On se demande, dit Kanter, comment transformer les connexions entre les marques et les gens. Comment rendre dépendante l’expérience publicitaire de sorte que si l’on l’enlevait, les gens le réclameraient? » Mais tous les publicitaires ne sont pas d’accord : beaucoup d’entre eux continuent à prôner des graphiques plus fortes, quitte à les simplifier pour les appareils mobiles. Pour Kanter, le salut passe par la création de nouveaux services publicitaires pour le mobile. Selon Deborah Liu, directrice de la monétisation des plateformes à Facebook, et qui a travaillé avec Kanter, « Pour les mobiles, il faut être plus délibéré, il faut s’assurer que la publicité est bien intégrée dans le produit lui-même ».
Facebook n’a pas pour autant abandonné le marché des annonces classiques (display) pour mobiles et a lancé un réseau publicitaire (Facebook Exchange) à cette fin en septembre (d’abord pour rassurer ses actionnaires), mais on ne saura pas avant un certain temps si l’expérience est concluante. Les revenus publicitaires comptent pour 86% du chiffre d’affaires de Facebook, le restant provenant des paiements reversés par des sociétés de gaming en ligne (176 millions $, soit + 13% par rapport à 2011, mais -9% entre le deuxième et le troisième quarts de 2012)). Les paiements faits à Facebook par la plateforme Zynga ont baissé de 20% par rapport à l’année dernière, alors que globalement l’industrie du gaming a cru de 40%. Conclusion qui s’impose : il y a un problème entre les gamers et Facebook. La plateforme d’affichage et d’échange de photos numériquement améliorées, Instagram, rachetée par Facebook en 2012 pour 1 milliard $ en liquide et en actions cédées, a maintenant 100 millions d’utilisateurs, mais faute du moindre plan d’affaires, ne génèrent pas de revenus pour l’instant.
Sources : « Advertising Age », oct. 23, 2012 (deux articles) ; sept. 18, 2012.
Extraits d’un entretien avec Michael Lombardo, président de la chaîne câblée HBO (The Sopranos, True Blood, Game of Thrones).
Le public des séries change, c’est évident. Le public d’HBO en particulier et celui du câble américain en général. Il est à la recherche de qualité et de programmes ambitieux qu’ils ne trouvent plus depuis un bon moment au cinéma. Le business du cinéma a changé. Avant, les adultes allaient au cinéma pour trouver ce genre de programme. Or, le cinéma américain est devenu un modèle de business international qui s’adresse à tous les adolescents de 19 ans vivant sur la terre. Ce nouveau modèle économique cinématographique, c’est Transformers ! Alors que les adultes, eux, veulent qu’on leur raconte des histoires qui s’adressent à eux, avec des images fortes, des émotions fortes, des histoires fortes et une plus grande liberté dans la représentation du sexe et de la violence à l’écran. Le public est plus exigeant, les supports sont plus nombreux : 50% de nos téléspectateurs ne regardent pas nos séries sur leur télévision, mais en VOD sur une tablette numérique ou un ordinateur. 50% des gens qui ont vu Game of Thrones ne l’ont pas regardé lors de sa diffusion à la télévision. Nous ne pouvons plus nous contenter de tout miser sur la programmation à la télévision. Nous devons être présents sur tous les supports au même moment. Nous devons nous adapter à ces changements en étant attentifs et réactifs. Actuellement, cinquante projets de pilotes sont en développement chez HBO. Il faut savoir que nous sommes au début d’un nouvel âge d’or des séries, car le public change, les supports changent et cette nouvelle concurrence des chaînes câblées US place la barre très très haute pour tout le monde.
Source : telecablesat.fr (propos recueillis par Cédric Melon), 29 oct. 2012.
Résumés par David Buxton
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)