Voici les entrées, parfois légèrement éditées, portant sur la Chine de la rubrique « Actualités » depuis le début de la Web-revue.
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« Marx avait raison », un spectacle télévisé chinois, Actualités #65, juin 2018
Pour marquer le 200e anniversaire de la naissance de Marx, la chaîne d’État CCTV1 a récemment diffusé un programme en cinq épisodes de trente minutes, Marx avait raison, sorte de mélange de questions, d’exposés, de vidéos et de mini-conférences, devant un public d’étudiants bien sages. L’animatrice Wu Xuelan dit d’emblée que si Marx était encore vivant, il serait riche des droits provenant des ventes de Capital, façon de dire qu’on peut être fidèle au marxisme et fortuné en même temps. Dans l’émission, Wang Xinsheng, professeur de marxisme à l’université de Nankai, opine que « le socialisme de marché en Chine se sert de l’économie marchande comme outil pour réaliser les valeurs et les buts du socialisme ». Par contre, selon lui, l’économie capitaliste occidentale a connu la crise globale de 2008, et de graves divisions politiques mises en évidence par le Brexit, et par l’élection controversée de Trump, alors la Chine a eu la stabilité grâce au parti unique réuni autour des idéaux de Marx. L’effondrement du bloc soviétique fut la faute des réformistes comme Gorbatchev qui avaient abandonné la doctrine marxiste-léniniste. Bien vu, professeur !
L’année dernière, une chaîne de télévision basée au sud du pays a produit une série d’émissions, Le Socialisme est cool, qui faisait figurer des groupes de rap avec des paroles patriotiques un peu risquées. Pendant ce temps, les inégalités en Chine rivalisent celles aux États-Unis ; on y compte 800 milliardaires. Mais avant de se moquer de la télévision chinoise, il ne faut pas oublier que la France a connu elle aussi un moment comparable, toutes proportions gardées, de propagande télévisuelle : le raout à la gloire du néolibéralisme émergent qu’était Vive la crise ! (Antenne 2, 1984), animé par Yves Montand avec la collaboration de la journaliste Christine Ockrent, l’économiste Michel Albert et le journal Libération. Ce n’est pas un hasard si l’émission n’est pas disponible sur YouTube, à part une courte intervention de Montand. Quant à l’université française, il n’y manque pas de doctes défenseurs de la reforme néolibérale…
Source : « On this Chinese TV show, participants have nothing to lose but their chains » (Chris Buckley), The New York Times, mai 5, 2018.
Les comportements seront notés en Chine, Actualités #64, mai 2018
À partir du 1 mai 2018, certains citoyens chinois se verront attribuer un « crédit social » en fonction de leur comportement quotidien, notamment les sites qu’ils consultent sur Internet. Les mauvais sujets seront pénalisés par l’impossibilité d’acheter des billets de train ou d’avion pendant un an. Le principe doit être généralisé et obligatoire d’ici à 2020. À partir de cette date, pour chaque citoyen chinois, l’accès à certains services publics, aux logements sociaux, à divers emplois, aux possibilités ou de contracter un prêt bancaire sera conditionné par la bonne conduite. Place aux fayots, aux conformistes… Cet instrument de contrôle utilise des outils développés par Alibaba, Tencent et Baidu, les équivalents chinois d’Amazon, de Google, de Facebook.
L’idée d’un crédit social est une extension de la liste noire des débiteurs établie par le Cour populaire suprême en 2013, qui restreigne à ceux-ci l’accès aux hôtels de luxe ou aux clubs de golf. Les endettés peuvent avoir des difficultés de faire des achats en ligne et d’avoir une carte de crédit ou encore de faire inscrire leurs enfants dans des écoles cotées. Actuellement, sept millions de Chinois sont concernés. Désormais, la liste noire inclut de petites incivilités (fumer en public, être ivre à bord d’un avion, mal garer son vélo, tricher dans les transports en commun, présenter des excuses insincères) et des opinions politiques (fréquentation de « mauvais » sites en ligne).
Le respect de la vie privée est fragile en Chine, où les droits fondamentaux ne sont pas toujours protégés. L’expression correspondant à la notion de vie privée, yīn sī (隐私), évoque plus le secret et la clandestinité qu’un espace personnel sacrosaint. Alors que les atteintes à la vie privée dues aux entreprises ou aux hackers sont régulièrement dénoncées par les utilisateurs des réseaux sociaux, les intrusions d’origine étatique et sécuritaire dans la vie quotidienne sont plutôt vues comme un progrès rassurant, les services de police étant généralement perçus comme incompétents et corrompus. Mais l’État chinois semble mettre moins d’ardeur à traiter les délits de droit commun qu’à contrôler les dissidents ou les réseaux sociaux.
Source : dépêche de Reuters, 16 mars 2018 ; « En Chine, le fichage high-tech des citoyens » (Brice Pedroletti), Le Monde, 12 avril 2018, p. 2.
La Chine veut ficher la voix de la population entière, Actualités #59, décembre 2017
La Chine veut créer la plus importante base de données au monde. Le ministère de la Sécurité publique a annoncé son intention d’enrichir sa base de données biométriques (empreinte digitale, groupe sanguin) avec la reconnaissance vocale. Pour être vraiment efficace, il faudra que l’ensemble de la population adulte (environ un milliard d’individus) laisse un échantillon de sa voix aux autorités. Ce projet aurait déjà démarré pour certaines catégories de la population, comme la communauté ouïgoure dans la province occidentale de Xianjiang, où des revendications ethniques sont réprimées.
Si le but affiché du projet est d’ordre sécuritaire, la stratégie chinoise est aussi, et surtout économique. Pour la reconnaissance vocale, le gouvernement collabore avec IFlyTec, une société cotée à la bourse de Shenzhen, afin de faire avancer la recherche en biométrie, et de ne pas abandonner le marché aux États-Unis, où existe au moins 250 entreprises spécialisées contre seulement 92 en Chine.
Le gouvernement a voté en juin dernier une loi qui encadre l’utilisation des données personnelles. L’internaute chinois peut désormais décider ou non de laisser une entreprise collecter des informations le concernant. Mais Séverine Arsène, chercheuse au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC), et rédactrice en chef de Perspectives chinoises, précise que « si les individus sont protégés vis-à-vis des entreprises, ils ne le sont plus vis-à-vis de l’État ».
Avant l’adoption de cette loi, une cinquantaine d’entreprises et d’administrations étrangères (Chambres de commerce américaines et européennes, la Business Software Alliance regroupant Apple, Microsoft, Cisco, Salesforce et IBM entre autres) ont adressé un courrier aux autorités, s’inquiétant des conséquences économiques. Pour les rassurer, les autorités chinoises leur a répondu qu’il ne s’agissait pas de porter atteinte aux intérêts de leur entreprise, mais de renforcer la lutte contre les cyberattaques. Celles-ci ont bon dos.
Source : « L’inquiétant projet biométrique de la Chine pour ficher la voix de sa population », BFM Business, 28 octobre 2017.
On aurait tort de penser qu’il s’agit-là d’un projet propre à une société autoritaire, « communiste », moins avancée que les pays occidentaux pour le respect des droits de l’individu. Comme le démontrent Armand Mattelart et André Vitalis dans Le Profilage des populations (La Découverte, 2014), livre très documenté, les pays européens et (surtout) les États-Unis n’ont pas de leçons à donner en matière de fichage de masse. La Chine ne figure pas dans le livre, et constitue un angle mort dans la critique de ces pratiques.
De plus en plus, la Chine et les États-Unis sont concurrents dans le marché mondial de la surveillance. La Chine aurait 100 millions de caméras de surveillance, le plus grand nombre au monde (vidéo ci-dessus), par rapport à 30 millions aux États-Unis, et entre 5 et 6 millions au Royaume Uni, densité comparable, sinon supérieure en tenant compte de leurs populations respectives. On peut penser que l’absence relative de libertés fondamentales en Chine favorisera la mise en place d’un régime de surveillance totalitaire impensable dans les démocraties libérales. Mais il se pourrait bien que la Chine soit l’avenir du système capitaliste. Le géographe et économiste néomarxiste David Harvey a soutenu que dans un capitalisme marqué par l’importance croissante de la finance et des inégalités massives, « une oligarchie répressive serait probablement la seule forme politique que le capital pourrait adopter »*.
Paradoxalement, l’internaute chinois serait mieux protégé que nous contre l’exploitation des données personnelles par des entreprises privées, du moins sur le papier. Mais les liens entre les entreprises chinoises et l’État sont à la fois opaques et étroits : la loi vise en fait surtout les entreprises étrangères, du coup handicapées. La mobilisation de celles-ci, quoique vaine, indique l’importance de l’accès aux données personnelles dans les stratégies commerciales de nos jours.
*David Harvey, Seventeen Contradictions and the End of Capitalism, Profile Books (London), 2014, p. 242.
Le marché du cinéma en Chine attise les studios américains, Actualités #59, décembre 2017
Le box-office chinois est réparti à la hausse en 2017, après avoir fortement ralenti en 2016. Les recettes devraient atteindre 55 milliards de yuans (environ 7 milliards d’euros), selon la mise au point statistique de Zhang Hongsen, vice-ministre de l’Administration d’État de la Presse, de l’Édition, de la Radio, du Film et de la Télévision, et directeur du China Film Bureau. Les blockbusters chinois, surtout Wolf Warrior 2 (10 % des revenus annuels à lui seul, soit 715 millions d’euros), qui raconte les aventures d’une sorte de Rambo chinois en Afrique, ont réveillé la vente des billets. Jusqu’à la sortie de Wolf Warrior 2 en juillet, les films étrangers représentaient près de 60 % des recettes.
Deuxième marché du cinéma au monde derrière les États-Unis, la Chine suscite l’appétit des studios hollywoodiens, qui aimeraient voir élargir le quota de films américains autorisés à être distribués, actuellement fixé à 34 par an. Les studios américains négocient depuis février avec les autorités chinoises pour l’autorisation de 20 films de plus par an pour les cinq années à venir, et pour porter leurs royalties à 40 % des recettes (contre 25 % actuellement, et 60 % aux États-Unis). Les studios espèrent également avoir accès aux sorties plus rentables pendant l’été et les vacances, souvent réservées par les autorités aux films chinois. Dans un développement séparé, la Motion Picture Association of America (MPAA) a découvert, après un audit, une sous-déclaration de 9 % par les distributeurs chinois en 2016 des recettes provenant des films américains, soit un manque à gagner estimé à 40 millions de dollars.
En vertu de l’accord entre la Chine et l’OMC signé en 2012, et renégociable en 2017, les studios américains sont assurés d’obtenir au moins partiellement gain de cause, et Zhang Hongsen a déjà notifié l’industrie chinoise en octobre 2016 qu’il y aura plus de films étrangers en 2018. Pour lui, la concurrence « intensive et juste » des films étrangers sera un moyen de chasser des films chinois de piètre qualité, ainsi que des pratiques frauduleuses (Actualités #48, déc. 2016) : « L’industrie du cinéma en Chine va [maintenant] dans un sens sain, positif et rationnel. Nous sommes confiants que nous pouvons transformer la Chine en locomotif du cinéma ».
Avec la bénédiction des autorités, le cinéaste de renommée internationale Jia Zhangse a lancé en octobre 2016 un réseau de salles art et essai, la National Arthouse Film Alliance, qui devra comprendre à terme 500 salles (Actualités #48, déc. 2016). Son but est de cultiver la cinéphilie en Chine, qui se limite actuellement à quelques universités et à la Cinémathèque de Pékin (qui a programmé une rétrospective sur Jean-Pierre Melville). Il s’agit de permettre au public d’accéder à la diversité du cinéma d’auteur mondial.
Sources : « Un marché qui attise la convoitise américaine » (Brice Pedroletti), Le Monde, 27 octobre 2017, p. 13 ; https://chinafilminsider.com/china-film-bureau-boss-flags-competition-foreign-films-2018/ ; « Les tribulations du cinéma d’auteur en Chine » (Jacques Mandelbaum), Le Monde, ibid.
Le jeu vidéo sous surveillance en Chine, Actualités #56 septembre 2017
Le groupe Tencent, connu notamment pour son réseau social WeChat (800 millions d’abonnés), vient d’annoncer qu’il allait limiter le temps de jeu pour les mineurs de son jeu phare L’Honneur des rois (Wangzhe rongyai, voir vidéo ci-dessous). Avec 200 millions d’inscrits, dont plus de 50 millions de joueurs qui s’y adonnent quotidiennement, ce jeu vidéo heroic fantasy sur mobile est le plus populaire au monde actuellement. Depuis le 4 juillet 2017, les enfants de moins de 12 ans sont limités à une heure de jeu par jour, et les moins de 18 ans, deux heures.
La décision intervient après des critiques parues dans la presse, qui accusaient les jeux de Tencent, jugés trop addictifs, de pervertir la jeunesse. Le Quotidien du peuple, porte-parole officieuse du Parti communiste chinois, a publié des articles accusant Tencent de manquer de responsabilité. En mai, le ministère de la Culture avait mis en place des règles imposant aux éditeurs de limiter la durée de jeu pour les mineurs.
Si Tencent a dû s’incliner devant le pouvoir politique, ses investisseurs ont peu apprécié le geste, et le jour de l’annonce, le titre a perdu 5 % en Bourse. L’Honneur des rois représente à lui seul près de la moitié du chiffre d’affaires généré par le groupe dans les jeux en ligne, soit plus de 10 % de ses revenus. Cette panique morale est symptomatique d’un régime mariant parti unique, économie de commande, et économie de marché dans une synthèse instable, où le pouvoir politique doit périodiquement faire des exemples du secteur privé pour réaffirmer son autorité.
Sources : « Le Chinois Tencent victime du succès de ses jeux vidéo » (Simon Leplâtr), Le Monde, 7 juillet 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 8 ; https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/01/07/l-honneur-des-rois-le-jeu-sur-mobile-aux-50-millions-d-adeptes_5059217_4408996.html
Le moteur de recherche Qihoo 360 concurrence Baidu en Chine, avec le live streaming, Actualités #52 avril 2017
Alors que le moteur de recherche Baidu, lancé en 2000, était en position quasi monopolistique en Chine après la retraite forcée de Google en 2010, son rival Qihoo 360, fondé en 2005 comme fournisseur d’un logiciel antivirus gratuit, et dont le moteur de recherche ne date que de 2012, revendique désormais 35% du marché. Les analystes pensent que le pourcentage est plutôt aux alentours de 30% ; ses revenus (7,7 milliards de yuans en 2015) sont néanmoins loin derrière les 66,4 milliards de Baidu. Les revenus publicitaires provenant de ce marché en Chine sont estimés à plus de 92 millions de yuans (12,58 milliards d’euros) pour l’année 2016 par la société de conseil et d’analyse iResearch, avec une perspective de 135 milliards en 2018. Google est en discussion avec la société chinoise NetEase, et n’entend pas renoncer au marché chinois.
Le succès de Qihoo est dû à sa focalisation sur la téléphonie mobile, et plus récemment, sur l’Internet des objets. L’entreprise tire 40% de ses revenus des applications pour smartphones, notamment des jeux. Un marché prometteur qu’il compte exploiter, c’est le live streaming (diffusion de vidéos personnelles en direct sur mobile, que ce soit des karaokés ou des commentaires sur sa vie), très en vogue en Chine ; sa croissance annuelle est estimée à 180% en 2017, selon Crédit Suisse. Tout en s’inspirant de Facebook Live, Meerkat et Periscope, la Chine a développé un modèle économique moins inspiré de la publicité que de la rémunération virtuelle des particuliers par mobile.
On voit là une forme d’évasion pour une jeunesse lassée des médias traditionnels, et privée de Facebook et de YouTube. Les autorités ont décidé de se pencher sur le phénomène pour mieux le réglementer et surveiller ce qui se passe. Pour le moment, il existe presque 200 plate-formes de live streaming dont les plus importantes sont Inke (35 millions d’abonnés), YY (25 millions d’abonnés, fondé en 2005), Huajiao (filiale de Qihoo), Momo (site de rencontres depuis fin 2015), et Nice (l’Instagram chinois).
344 millions d’utilisateurs (les deux tiers étant des hommes de moins de 30 ans, d’après iResearch) multiplient des « cadeaux virtuels » monétisables (sur lesquels l’hébergeur touchent une commission s’étendant de 30 à 70%) pour s’attirer la sympathie d’éphémères vedettes qui se filment jusqu’à trois heures par jour, en gagnant entre 100 et 150 dollars à l’heure. À terme, moins de dix plate-formes capables de créer des synergies avec d’autres activités vont dominer le marché, selon Crédit Suisse. Le live streaming est devenu en Chine une industrie de divertissement à part entière (5 milliards de dollars* en 2017 selon Crédit Suisse), rivalisant avec le cinéma (7 milliards) et le jeu vidéo pour mobile (10 milliards). Et si la prochaine mode, warholienne en diable, nous venait de la Chine ?
*5 milliards de dollars = 30 milliards de yuans.
Sources : « Qihoo 360, le moteur de recherche chinois qui taquine Baidu » (Vincent Fagot), Le Monde, 7 mars 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 10 ; https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0211863815152-le-live-streaming-reussit-une-percee-fulgurante-en-chine-2071717.php ; https://technode.com/2016/05/05/virtual-gifts-are-still-the-top-earner-in-chinas-live-video-streaming-market/ ; https://techcrunch.com/2016/08/18/live-streaming-in-china/ (avec reportage vidéo).
La Chine se dote d’un circuit art et essai, Actualités #48 décembre 2016
La National Arthouse Film Alliance, qui regroupe une demi-douzaine de sociétés* autour d’un acteur étatique, la China Film Archive (l’équivalent de la Cinémathèque française), a lancé un circuit alternatif d’une centaine d’écrans (bientôt 500) labellisés art et essai, repartis dans 31 villes à travers le pays.
L’événement intervient dans un contexte particulier. Le circuit art et essai ne représente qu’une fraction des 30 000 écrans que compte la Chine, mais le marché du cinéma chinois, deuxième au monde, montre des signes de surchauffe : le box-office est tombé de 9% et de 15% aux deux derniers trimestres par rapport à 2015, qui avait vu une croissance de 50%. En cause, la révélation en mars 2016 de fraudes à grande échelle dans la billetterie. Le distributeur d’un film d’action sino-hongkongais, IpMan 3, a été accusé d’avoir gonflé les recettes affichées en organisant des séances fantômes, et en subventionnant l’achat de billets pour plus de 10 millions d’euros. Une observatrice étrangère citée par Le Monde remarque : « Ces pratiques sont généralisées. Les distributeurs rachètent eux-mêmes des places. Des films n’ont droit qu’à une séance. Certains billets sont affectés à d’autres films ». Le scandale a conduit à l’adoption fin octobre d’une nouvelle loi prévoyant des amendes importantes.
L’afflux d’argent à des fins spéculatives a créé un secteur baudruche, qui produit des films souvent de piètre qualité, et protégés de la concurrence étrangère par le système de quotas qui limite l’exploitation des films non chinois à 34 par an. Cinéaste de renommée internationale (A Touch of Sin), impliqué financièrement dans le nouveau circuit, et qui a souvent rencontré des difficultés pour la distribution de ses propres films en Chine, Jia Zhangke déplore que sur près de 1000 films chinois produits chaque année, à peine 200 soient distribués, qui ne sont pas forcément les meilleurs : « Il faut vraiment passer de la quantité à la qualité en Chine, c’est toute une culture qu’il faut encourager. […] Cela fait vingt ans que les réalisateurs chinois poussent pour un système alternatif d’art et essai. […] Je crois que pour les spectateurs, et aussi les pouvoirs publics, c’en est arrivé à un point où ils se rendent compte que cela ne va plus. […] Nous souhaitons également introduire des cinéastes internationaux aux audiences chinoises. Il s’agit de la communication bilatérale ». Justement, tout en étant loin du compte actuellement, le pouvoir communiste a l’objectif d’en faire du cinéma national un élément clé d’une stratégie de soft power à l’international.
Directrice de la China Film Archive, Sun Xianghui affirme avoir le soutien du Bureau du cinéma, organisme de tutelle et censeur en chef : « Ce n’est plus une question de censure pour beaucoup de films. Il n’y a simplement pas d’accès au marché ». Le nouveau système impose aux écrans art et essai de montrer trois des films retenus (par un comité composé d’universitaires, d’historiens du cinéma et de conservateurs) par jour. Les salles du réseau sont libres de passer ou pas d’autres films sélectionnés dans le cadre des festivals thématiques itinérants. Sun Xianghui estime que 200 films ainsi labellisés devraient sortir chaque année, avec une répartition imposée de 70% de films chinois et de 30% de films étrangers.
Le cinéma français (en dehors des grosses productions en anglais d’EuropaCorp de Luc Besson) n’a pas profité du boom du marché chinois, où seuls trois films français sont sortis en 2016 (quatre en 2015). Mais le nouveau circuit art et essai lui offre une niche intéressante, même si celle-ci est restreinte, et sujette quand même à la censure (surtout en matière des mœurs).
* dont Huaxia Film Distribution, Wanda Cinema Line, le mini-circuit indépendant Broadway, et Fabula, la société du cinéaste Jia Zhangke, qui a investi dans la construction de quatre cinémas, dont deux en association avec le groupe français MK2.
Sources : « Des salles art et essai en Chine » (Brice Pedroletti), Le Monde, 17 nov. 2016, p. 18 ; https://www.easternkicks.com/features/sun-xianghui-china-film-archive ; https://hollywoodglee.com/2016/10/26/china-launches-art-house-film-circuit/ ; https://www.slate.fr/story/126788/revolution-dans-les-cinemas-chinois
Steven Spielberg signe un partenariat avec le géant chinois, Alibaba, Actualités #47 novembre 2017
Le 9 octobre, le réalisateur et producteur Steven Spielberg a officialisé un partenariat avec Alibaba, le géant chinois du commerce en ligne. Alibaba Pictures, une division spécialisée de la maison mère, va entrer dans le capital d’Amblin Partners*, qui a pris la suite de DreamWorks Studios en décembre 2015**. Le montant de l’opération n’a pas été précisé, mais devrait être à la mesure de l’importance pour les producteurs américains du marché chinois, désormais deuxième au monde. Le partenariat entre les deux sociétés comporte deux volets. D’une part, la distribution, la promotion et le merchandising en Chine des films produits par Amblin. D’autre part, la coproduction et le cofinancement. « Nous allons pouvoir apporter davantage de Chine aux États-Unis, et davantage d’États-Unis en Chine », s’est exclamé Spielberg, lors d’une conférence de presse à Pékin en compagnie de Jack Ma, fondateur et patron d’Alibaba.
Amblin espère tirer profit de la forte croissance du box-office chinois, qui a généré 44 milliards de yuans (5,9 milliards d’euros) de revenus en 2015 (+49% par rapport à 2014). Le cabinet d’audit et de conseil PriceWaterhouseCoopers estime que ce marché atteindra 9,2 milliards d’euros en 2017, dépassant le marché américain. En même temps, Amblin, comme d’autres producteurs hollywoodiens, traverse des difficultés financières, en raison des performances décevantes de ses derniers films (Le BGG de Spielberg entre autres). Alibaba Pictures, qui jusqu’ici s’est limitée à participer au financement de films hollywoodiens (Mission impossible : Rogue Nation, 2015), s’apprête à produire ses premiers films, après avoir acheté 60% du studio ChinaVision pour 800 millions de dollars en 2014. Mais Alibaba n’est pas seul sur ce créneau. Un autre mastodonte chinois se rapproche, lui aussi, de Hollywood. En septembre 2016, Dalian Wa, dirigée par Wang Jianlin, première fortune d’Asie, a conclu un partenariat avec Sony Pictures, après avoir racheté les studios Legendary Entertainment (Jurassic World, 2015) pour 3,5 milliards de dollars, en plus de la chaîne de télévision AMC.
L’entrave principale pour les investisseurs américains, c’est que le marché chinois reste encore très protectionniste. Seuls 34 films étrangers sont autorisés chaque année, et seulement 25% du prix de chaque billet revient aux sociétés étrangères (contre 50% aux États-Unis). Dans les circonstances, la coproduction se présente comme une solution intéressante, à condition qu’au moins un rôle principal soit réservé à un acteur chinois, et que le film ne montre pas la Chine (et sous-entendu son régime) sous une lumière négative. Déjà, pour obtenir l’une des 34 autorisations, les studios américains n’hésitent pas à adapter leurs scénarios.
Pour ces raisons, l’influence grandissante de la Chine inquiète, et en septembre, plusieurs parlementaires américains ont saisi l’administration fédérale, accusant les producteurs hollywoodiens de pratiquer l’autocensure. « Ce n’est pas irréaliste de penser que la Chine cherchera à diffuser sa propagande prorégime par l’intermédiaire des entreprises américaines qu’elle détient », s’alarmait le 6 octobre un éditorial du Washington Post (de tendance libérale).
* amblin'(g) = cheminant (en traînant le pas)
** Les studios appartenant à Spielberg et le catalogue de celui-ci, groupés dans la société Amblin Entertainment, ont été intégrés dans un nouvel ensemble, Amblin Partners, composé de DreamWorks Studios, Participant Media, Reliance Entertainment, et e-One, afin de lever des fonds auprès des partenaires et de la banque J.P. Morgan (en l’occurrence, 800 millions de dollars).
Source : « Steven Spielberg se tourne vers la Chine » (Jérôme Marin), Le Monde, supplément Éco & Entreprise, 11 oct. 2016, p. 12.
L’envoi réussi d’un satellite « quantique » chinois, Actualités #46 octobre 2016
La Chine a pris de l’avance dans la maîtrise des technologies de cryptage en lançant le 16 août un satellite de communication quantique, une technique de transmission de clés d’encodage réputée inviolable. Le protocole du satellite chinois utilise des propriétés quantiques des photons, qui peuvent être corrélés afin que la modification de l’un entraîne la modification de son jumeau, trahissant une intervention pirate, et invalidant automatiquement les clés de chiffrement envoyées. Surnommé Mozi, du nom du philosophe chinois du 5e siècle av. J.-C., le satellite permettra de tester l’envoi de clés hypersécurisées pendant deux ans.
La recherche en physique quantique est l’une des priorités du treizième plan quinquennal 2015-20, et ce projet est suivi de près par les militaires aussi bien que les scientifiques. « De tels moyens en disent long sur les ambitions de la Chine. Elle n’hésite pas à investir des sommes colossales dans ces recherches », explique Hoi Kwong Lo, chercheur en cryptographie quantique à l’université de Toronto.
Ce sont des moyens qui manquent ailleurs. Un rapport du Conseil national américain des sciences et technologies, rendu public le 26 juillet 2016, a noté que si les États-Unis dépensent actuellement 200 millions de dollars par an sur la recherche scientifique, le rythme de progression dans le domaine de l’information quantique a souffert de « l’instabilité » des financements. Au début des années 2000, un chercheur en physique quantique à l’université de Vienne, Anton Zeilinger, a essayé sans succès de persuader l’Union européenne d’appuyer un programme de développement d’un satellite quantique. C’est son doctorant d’alors, Pan Jianwei (潘建伟), devenu entre-temps vice-président de la prestigieuse Université chinoise des sciences et technologies à Hefei, qui a pris la tête du programme chinois en 2011. « Le cas Edward Snowden nous a appris que, dans les réseaux de transmission, l’information est exposée au risque d’être attaquée par des hackers », a-t-il déclaré à la presse officielle en mai 2016.
La technologie de cryptage quantique est déjà utilisée au sol entre des banques reliées par fibre optique, mais sur des distances très limitées. « On sait depuis plusieurs années faire du cryptage quantique dans une même ville, mais pas entre des régions éloignées. L’emploi du satellite permet d’envisager un usage à l’échelle planétaire », résume Alexandre Ling, professeur de technologies quantiques à l’université de Singapour.
Quant à Anton Zeilinger, il a collaboré avec son ancien étudiant sur le projet chinois, et était présent lors du lancement de la fusée. « Beaucoup de gens pensent que les communications quantiques joueront un rôle, notamment dans le futur d’Internet. C’est à double usage, on pourra aussi bien crypter une communication militaire que commerciale, ce ne sera qu’une question d’applications », dit-il. Pour sa part, la Chine vise à devenir une puissance technologique incontournable d’ici à 2049, pour le 100e anniversaire de la fondation de la République populaire.
Source : « La Chine prend de l’avance dans le cryptage des communications » (Harold Thibault avec David Larousserie), Le Monde, 18 août 2016, p. 4.
Le soft power audiovisuel de la Chine en Afrique, Actualités #45, septembre 2016
La société Startimes, créée en 1988, est un maillon important dans la stratégie de soft power de Pékin. Elle vient de sponsoriser (23 et 24 juin 2016) la sixième édition du séminaire de Pékin sur le développement de la télévision numérique en Afrique, qui a réuni 300 délégués venus de 39 pays (alors que la première édition en 2011 n’a réuni qu’une trentaine venue de douze pays). Startimes, qui s’appuie sur toute la machine diplomatico-financière de Pékin (la banque d’import-export ICBC, et les fonds publics pour le développement sino-africain), est la seule société chinoise privée habilitée à investir dans la radio et la télévision à l’étranger, proposant dans un même package décodeurs, infrastructures de diffusion numérique et chaînes de télévision (200+), internationales, nationales et chinoises, avec en contrepartie une situation de rente pendant 25 à 30 ans.
Présent dans une trentaine de pays africains depuis l’ouverture de son premier bureau au Kenya en 2007, mais n’opérant que dans la moitié, Showtimes revendique plus de 7 millions d’abonnés à ses services de télévision payante en Afrique, et vise 30 millions en 2018. Certaines sitcoms chinoises y ont eu du succès, comme Beautiful Daughter in Law Era (36 épisodes datant de 2009) au Kenya et surtout en Tanzanie (en swahili), qui traite les différences de mentalité entre les générations, notamment dans les relations modernes entre les hommes et les femmes, thème qui résonne aussi en Afrique. Pour pénétrer l’Afrique de l’Ouest, la société cherche régulièrement des francophones basés à Pékin pour des séances de doublage. Certains programmes sont proposés en langues régionales comme le Haoussa au Nigeria. Finalement, les abonnements sont adaptés au pouvoir d’achat de chaque pays. Au Rwanda, par exemple, l’offre entrée de gamme coûte l’équivalent de 2,9 euros par mois, et le bouquet prémium (73 chaînes), 15,6 euros.
Selon le magazine Jeune Afrique (22 juillet 2016), plus circonspect, « si les trois quarts des 4 000 salariés du groupe sont africains et installés sur le continent, notamment au Kenya, le quartier général de Pékin n’en dénombre qu’une cinquantaine. Ils travaillent dans les départements de l’ingénierie et du marketing ou dans le développement de contenus numériques en direction du continent. Le siège de StarTimes est un véritable laboratoire où se concocte la politique de développement en Afrique ».
Vidéo datant de 2011 (en anglais)
Sources : « Le Chinois Startimes à la conquête de l’audiovisuel en Afrique » (Alain Ruello), Les Échos, 8 juillet 2016 ; https://www.china.org.cn/arts/2013-04/08/content_28475765.htm ; https://www.jeuneafrique.com/mag/340254/economie/television-chinois-startimes-pousse-pions-afrique/
Ruée sur les contenus audiovisuels en Chine, retour de la censure, Actualités #27, janvier 2015
En Chine, les productions télévisuelles et cinématographiques sont de plus en plus convoitées par de grands groupes, très divers mais liés incestueusement. Dalian Wanda Group (immobilier), Alibaba (commerce en ligne), et Tencent (jeux vidéo, réseaux sociaux) multiplient les initiatives dans ce secteur avec en ligne de mire l’accès au savoir-faire américain. Après avoir mis la main sur AMC, le deuxième réseau de salles de cinéma aux États-Unis, Dalian Wanda Group cherche à prendre une part majoritaire dans les studios Lions Gate (Hunger Games), lesquels intéressent aussi Alibaba, dont le patron Jack Ma s’est rendu à Los Angeles en novembre pour explorer des pistes de partenariat. Quant à Tencent, il vient de signer avec HBO un contrat de distribution exclusive sur l’Internet chinois. Baidu, le grand moteur de recherche, et Xiaomi, un nouvel entrant sur le marché des smartphones, ont pris des parts dans iQiyi, le principal portail vidéo en Chine, tandis que Xiaomi a annoncé des projets de coproduction avec Youku Tudou, l’autre grand portail chinois. Alibaba a racheté 60% des studios de production China Media Group, et a entré au capital des studios Huayai Brothers Media Corporation, aux côtés de Tencent Holdings !
Comment expliquer une telle frénésie ? D’abord, il y a une dimension politique : le gouvernement a clairement fait savoir qu’il compte sur le cinéma pour faire rayonner la Chine à l’international (« soft power ») et à cette fin, il octroie des aides fiscales et des subventions à la filière. Ensuite, une dimension économique : le cinéma, avec une croissance de son chiffre d’affaires de 30% en moyenne depuis dix ans, se présente comme un investissement de choix pour des grands groupes chinois, qui ont atteint des positions dominantes dans leurs industries respectives, et qui cherchent à diversifier leurs sources de revenus. Pour les groupes issus du monde des technologies, les investissements dans les contenus audiovisuels vont de soi. Xiaomi (smartphones) a besoin de contenus à diffuser sur ses terminaux, alors que Tencent (réseaux sociaux) entend monétiser les clients de ses plateformes en leur proposant des films et des séries.
Quant à Alibaba, qui a raflé 80% du marché du commerce en ligne, il est condamné à se diversifier. Dans le cinéma, note Huang Guofeng, analyste chez Analysys International, il existe « la possibilité de vendre, sur son réseau de distribution, tous les produits dérivés, qui jusqu’à présent lui échappent totalement ». Voilà énoncée la principale faiblesse de l’industrie du cinéma chinoise. La billetterie représente près de 80% de son chiffre d’affaires, un chiffre anormalement élevé, qui indique que beaucoup reste à faire dans l’exploitation des produits dérivés.
Que pense Hollywood de cette convoitise ? Quelques chiffres d’abord : le box office chinois a progressé de 27% en 2013, alors que le marché américain n’a progressé que de 1% ; le marché du cinéma en Chine, deuxième au monde, va dépasser 5 milliards $ cette année, par rapport au chiffre d’affaires de 10,9 milliards $ du marché américain. L’écart se réduit rapidement, et le marché chinois pourrait être premier au monde dans trois ou quatre ans. Autant dire que les studios américains voient d’un bon œil les énormes débouchés qu’offre la Chine. Selon Tom Nunan, professeur à l’université de Californie à Los Angeles, « l’attitude des producteurs américains a changé. Il y a encore quelques années, ils disaient aux Chinois : « Nous faisons des produits fantastiques, vous allez acheter et vous allez adorer ». Il n’y avait pas de dialogue. Aujourd’hui, il y a une conversation nuancée. » Au point où les productions américaines acceptent de modifier leur contenu pour le marché chinois.
Disney a proposé une version spéciale d’Iron Man 3 (voir « Actualités #9 », mai 2013) avec acteurs et placements de produits chinois ; pour le remake du film anticommuniste Red Dawn (2012, première version 1984), MGM a transformé dans la postproduction les envahisseurs chinois en Nord-Coréens (mal vus par tout le monde). Warner a coupé une quarantaine de minutes de Cloud Atlas (2013) afin de ne pas incommoder la censure chinoise. Cela dit, les entreprises américaines, proactives et pas seulement réactives, investissent de plus en plus sur place. Dreamworks a formé une joint-venture avec plusieurs sociétés chinoises (Oriental DreamWorks) qui ont produit Kung Fu Panda 3 (sortie prévue en 2016). Disney va ouvrir un parc à thème à Shanghai l’année prochaine (5,5 milliards $), et Universal a un projet similaire pour Pékin. Pour Charles Rivdin, chargé de la diplomatie économique au département d’État, ce qui compte par-dessus tout, c’est « la certitude et la sécurité qu’apportent une application rigoureuse des droits de propriété intellectuelle et une protection des intérêts des investisseurs ».
Si l’industrie du cinéma rayonne en Chine, le cinéma chinois, lui, n’est pas en très bonne santé. La rumeur « informée » dit que 90% des films chinois ne sont pas rentables (je présume qu’on n’y inclut pas les productions hongkongaises, voir « Actualités #17 »). D’après une jeune scénariste chinoise anonyme citée par Les Échos, « Il faudra encore du temps pour que la Chine soit réellement puissante dans ce secteur : le niveau technique n’est pas assez avancée, les compétences du personnel ne sont pas au niveau ». La censure pudibonde, vue comme absurde par les professionnels chinois (mais n’oublions pas le tristement célèbre Code Hays qui sévissait aux États-Unis entre 1934-54), n’arrange pas les choses. Les films bien-pensants dans la droite ligne des « valeurs chinoises » promues par le pouvoir ne semble pas correspondre aux goûts du public des grandes villes, habitué aux films et aux séries américains.
Ces derniers temps, la tolérance relative des productions étrangères s’amenuise sensiblement. Depuis septembre, il faut faire valider par le bureau de censure toute série télévisée produite à l’étranger, avant diffusion sur Internet. Le 2 décembre, en écho lointain de la « révolution culturelle » maoïste des années 1960, le pouvoir a annoncé un projet pour emmener régulièrement les producteurs de télévision et de cinéma à la campagne auprès des « masses », afin qu’ils acquièrent une vision « correcte » de la culture. Les discours officiels volontiers anti-occidentaux, et les interdictions récentes (notamment à Wenzhou, grande ville commerçante à 20 % chrétienne) de fêter Noël, raillée pour son caractère réactionnaire, témoignent de la volonté des autorités de réimposer « les valeurs socialistes fondamentales ». Petite différence tout de même : celles-ci mobilisent désormais le vieux sage Confucius, conspué sous Mao, afin de combler « le vide des valeurs morales », dû essentiellement aux yeux des autorités à la surexposition aux produits culturels américains. Entre ouverture au monde et repli sur des valeurs traditionnelles, la situation du cinéma en Chine est contradictoire au possible.
Sources : Les Échos, 5-6 déc, 2014, p. 27 (« L’audiovisuel, nouvel eldorado chinois » et « Le cinéma chinois entre doute et euphorie » – Gabriel Grésillon ; « Hollywood prêt à modifier ses productions pour plaire aux Chinois » – Karl De Meyer). Le Monde, 28-29 déc. 2014 (« Pékin appelle à résister à Noël » (Brice Pedroletti)).
Box office : forte augmentation en Chine, Actualités #17, février 2014
Le chiffre d’affaires de l’exploitation du cinéma en Chine est passé de 2,7 milliards $ en 2012 (17 milliards RMB) à 3,57 milliards $ en 2013 (21,6 milliards RMB). Cette estimation, due aux études de marketing locales (Ent Group, Artisan Gateway et le site MTime), est néanmoins un chouia en dessous des prévisions (22-23 milliards RMB). On attend toujours les chiffres officiels, mais l’augmentation estimée de 27% est assez spectaculaire.
Contrairement à 2012, qui a vu la domination des films hollywoodiens, 59% des revenus en 2013 furent générés par des films chinois (7 sur 10 des plus grosses entrées). Seuls trois films américains ont réussi à se hisser dans le Top 10 : Pacific Rim, Iron Man 3 et Gravity (ces deux derniers ayant un lien avec la Chine). Le succès des films chinois cette année est en grande partie dû à des titres à petit ou à moyen budget qui touchaient la corde d’un nouveau public de jeunes habitant en dehors des grandes métropoles. Six d’entre eux ont gagné plus de 500 millions RMB (82 millions $), notamment les films « d’aspiration » So Young, American Dreams in China, Finding Mr Right, Personal Tailor et Young Detective Dee du grand réalisateur hongkongais Tsui Hark. En tête se trouvait le film du comique populaire hongkongais Stephen Chow (à droite) Journey to the West : Conquering the Demons,qui a gagné l’équivalent de 200 millions $, par rapport à 121 millions $ pour le deuxième placé, Iron Man 3. Confirmant la tendance générale, fin décembre, le nouveau film kung fu de Jackie Chan a gagné 277 millions RMB (45,3 millions $) dans les six jours suivant sa sortie. Commentaire : il faut noter l’importance, dans ce « renouveau » chinois, de l’industrie de cinéma hongkongaise, historiquement indépendante, mais désormais ralliée au régime de Beijing, tout en conservant son savoir-faire et ses traditions.
Source : Variety, 2 janvier 2014.
Les blockbusters en Chine, Actualités #9, mai 2013
C’est dans le marché international que le 3D réussit le mieux. Disney a confirmé qu’une autre version, plus longue, d’Iron Man 3 sera distribuée sur le marché chinois. Déjà dans la version « américaine », pour ne pas se mettre à dos le public chinois, de petites adaptations ont été faites. Dans le comic book Marvel original dessiné par Stan Lee (1964), le méchant qui cherche à déclencher la Troisième Guerre mondiale n’est autre que « le Mandarin », avatar non déguisé du « péril jaune » de jadis. Le réalisateur Shane Black avait d’abord rejeté ce personnage, le qualifiant de « caricature raciste », avant de décider de l’incarner par le comédien anglo-indien Ben Kingsley (Gandhi), solution de compromis (« un type qui se prend pour un Chinois »). Le patron du studio Marvel, Kevin Feige, gêné aux entournures, a expliqué dans Entertainment Weekly que le choix de Kingsley venait moins d’un désir de « capturer une origine ethnique spécifique que de montrer le symbolisme de plusieurs cultures et iconographies, et la manière dont il [sic] les pervertit à ses propres fins ».
Même si le film a été effectivement coproduit avec DMG Entertainment, une société de production basée à Beijing, Disney a décidé de ne pas demander un statut de coproduction lui permettant de contourner le système de quotas qui limite le nombre de films étrangers distribués (34 par an). Seulement cinq films (aucun américain) ont réussi à obtenir ce statut l’année dernière. Mais fort de ses 900 salariés, DMG peut prétendre au statut de société de production chinoise, du moins pour la version chinoise du film. Un Shanghai Disneyland devrait ouvrir ses portes en 2016, et les accords de coproduction bilatéraux se multiplient afin de contourner les quotas.
Les studios doivent accepter une longue liste de règles avant de pouvoir sortir un film en Chine. L’année dernière, deux séquences ont été coupées du dernier James Bond, Skyfall : une dans laquelle un garde de sécurité chinois se fait assassiner (incompétence professionnelle jugée insultante par les censeurs) et l’autre qui contient une référence en passant à la torture subie par le méchant aux mains des autorités chinoises. Des séquences ont aussi été enlevées de Men in Black 3 (notamment quand Will Smith et Tommy Lee Jones neutralisent les convives dans un restaurant de Chinatown), Pirates of the Caribbean : At World’s End et Mission : Impossible 3. Dans un test du système des quotas qui fait date, Looper (2012, avec Bruce Willis et Joseph Gordon-Levitt), film relativement mineur (coût 30 millions $, recettes globales 176,5 millions $), également « coproduit » avec DMG, a été légèrement remanié avec des scènes supplémentaires se passant à Shanghai. Pour la version chinoise d’Iron Man, des séquences « chinoises » (quatre minutes avec un placement de produit, une marque locale de lait, qui explique la prouesse de l’héros) ont été ajoutées. L’actrice populaire, Fan Bingbing, qui a aussi été « ajoutée » à X-Men : Days of Future Past (Fox), aura un rôle réservé à la version chinoise. L’acteur Wang Xueji jouera un rôle mineur dans les deux versions.
D’après les chiffres de la Motion Picture Association of America, la Chine, passée devant le Japon en 2012, est devenue le deuxième marché mondial en termes de recettes au box-office, reflétant l’émergence chez elle d’une importante classe moyenne urbaine, qui plus est spécialement friande de blockbusters en 3D. Un homme d’affaires issu du monde universitaire Bruno Wu (Wu Zeng) a lancé le projet d’un « Chinawood » dans la ville de Tianjin, près de Beijing, pour un investissement de 1,27 milliard $ provenant des capitaux publics et privés. Le réalisateur américain James Cameron (Titanic, Avatar) s’est impliqué dans le projet pour former des techniciens chinois aux dernières techniques du numérique et de la 3D relief.
Sources : variety.com ; Libération, 3 avril 2013, p. vi (Didier Péron) ; Libération, 12 avril 2013, p. 27.
L’exploitation des leaders d’opinion (KOL) dans les médias sociaux en Chine, Actualités #8, avril 2013
« Thoughtful China » (« média social » basé à Shanghai), en anglais.
L’explosion des médias sociaux (et surtout des microblogs, weibo) en Chine pousse les professionnels de marketing à s’appuyer sur des leaders d’opinion (key opinion leaders ou KOL). « Un aspect fascinant du paysage numérique chinois, c’est l’inclination des netizens à descendre dans les cyberrues pour donner leurs opinions, pensées et conseils. Des 500 millions d’usagers chinois en ligne, la moitié prétend être des blogueurs actifs », dit Chris Maier, directeur des solutions médiatiques et numériques chez Millward Brown Greater China. Le plus grand réseau social en Chine, Tencent QZone a 712 millions d’usagers inscrits (dont 580 millions actifs), suivi par Tencent Weibo, qui ressemble à Twitter (507 millions d’inscrits), Sina Weibo (400 millions), PengYou (propriété de Tencent, 259 millions) et RenRen, qui ressemble à Facebook (172 millions).
« Les marques veulent cultiver leurs fans à un niveau pratique, plutôt que de recourir à des reines weibo (blogueuses vedettes) comme l’actrice Yao Chen. Nous recherchons des KOL à un niveau plus terre à terre », dit Tina Hu, directrice de la société de conseil CIC. Les marques de luxe et de fashion sont très actives dans les médias sociaux, de manière directe : Cadillac, BMW, Mercedes-Benz, Coach, Dior, Burberry, Audi, Louis Vuitton, Chanel, Ferrari. Mais d’autres, moins connues ou moins connotées, préfèrent miser sur des KOLs, qui peuvent jouer le rôle d’ambassadeurs.
Selon Angie Au-Yeung, directrice numérique chez Lee Jeans China (VF Corp) : « Beaucoup de marques travaillent avec des KOL depuis quelques années et en ont appris les avantages et les inconvénients. Cela va aussi dans l’autre sens. Nous mesurons l’efficacité de nos KOL d’un point de vue qualitatif et quantitatif, ce qui permet d’affiner nos sélections au début. Nous examinons le contenu généré par nos KOL, que ce soit de la copie, des images ou de la musique. Sur le plan quantitatif, nous utilisons les mesures habituelles, à savoir le nombre d’interactions sur les plateformes numériques et le trafic qui se dirige vers nous. »
Un problème majeur pour des annonceurs, c’est le commerce de « faux » fans, de followers purement virtuels qui augmentent artificiellement l’importance des blogs, et des sites des marques. D’après Andrew Collins, président fondateur de la société d’analyse des médias sociaux, Mailman Group : « C’est un problème récurrent. Il faut analyser le contexte des discussions, les niveaux d’engagement, les commentaires, les retweets. Ensuite il faut analyser les followers, combien sont de véritables fans, et le niveau d’interaction que les KOL ont avec eux. »
Source : Advertising Age, mars 1, 2013.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)