La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et de communication d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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Les neurosciences investissent l’industrie audiovisuelle
Les professionnels de l’audiovisuel le disent tous : un bon programme doit déclencher des émotions. Mais ce qui restait jusqu’ici du domaine de l’intuition devient de plus en plus « scientifique ». Les chaînes de télévision font appel désormais aux spécialistes des neurosciences pour tester leurs programmes. On analyse la microsudation, le rythme cardiaque, la température du corps et les micro-expressions du visage des téléspectateurs (facial coding), qui permettent de déterminer les émotions soi-disant universelles (joie, peur, colère, mépris, surprise, tristesse, dégoût) à travers d’expressions inconscientes qui ne durent qu’un dixième de seconde, captées par caméra. La marketeuse Anne-Marie Gaultier, présidente de Datakalab, une start-up spécialisée dans les neurosciences, s’explique : « 90 % des stimuli qui nous affectent dans la journée sont traités par l’inconscient. Les études qui reposent sur des déclarations ne mesurent donc que partiellement le ressenti des consommateurs. […] Plus on active différentes émotions, plus le score émotionnel d’un programme télévisé est fort. Or, les émotions permettent la mémorisation, marquent les esprits. » Sur 20 programmes du groupe TF1 analysés par Datakalab, Quotidien (l’info-divertissement présenté par Yann Barthes sur TMC) et la série Grey’s Anatomy ont affiché les plus forts scores. On anticipe que ces techniques se généraliseront chez les producteurs, qui seront en mesure alors de prédire les émotions ressenties avant même la diffusion d’un programme.
Les neurosciences sont déjà utilisées dans la publicité. À l’automne 2017, M6 a mis en place une offre de ciblage émotionnel afin de faire associer les annonces à des émotions précises et ainsi augmenter leur mémorisation. De même, TF1 et France Télévisions Publicité ont mesuré, via Datakalab, la perception et l’« engagement » des téléspectateurs. « Il y a un lien entre le score émotionnel d’un programme et l’intérêt accordé à une publicité », dit Anne-Marie Gaultier.
Dans les pays anglo-saxons, l’utilisation de telles méthodes est plus développée. BBC Worldwide, avec la start-up CrowdEmotion, a testé plusieurs programmes (dont Sherlock et Top Gear) auprès de plusieurs centaines de personnes. « Cela a permis d’avoir une influence sur le prix de vente de certains programmes à l’étranger », note Matthew Celuszak, directeur général de CrowdEmotion. Aux États-Unis, plusieurs grands studios comme Disney font appel à ces procédés pendant la production d’un film. Les géants du Web commencent à s’y intéresser aussi. En 2016, Apple a acquis la start-up Emotient, spécialisée dans la reconnaissance faciale et à l’étude des émotions.
Source : « L’audiovisuel mise de plus en plus sur les neurosciences » (Marina Alcaraz), Les Échos, 23 mars 2018.
Le neuromarketing, ultime dérive dans la programmation des consciences ?
Le neuromarketing se propose comme alternative aux questionnaires et aux entretiens, jugés moins fiables. Comme le dit Matthew Celuszak, cité ci-dessus : « On s’aperçoit que des téléspectateurs, par exemple, n’osent pas dire qu’ils aiment tel et tel show, mais que les émotions parlent pour eux. »
L’idée que l’investissement émotionnel dans une émission peut se répercuter sur l’attention accordée aux spots publicitaires n’est pas nouveau. Depuis 2006 aux États-Unis, Nielsen IAG mesure la qualité du suivi (« engagement ») des émissions, c’est à dire la remémoration de détails narratifs. Cela explique pourquoi une série énigmatique comme Lost, classée première pour l’engagement de son public en 2010, a pu demander des tarifs publicitaires plus importants que NCIS malgré l’audience largement supérieure de ce dernier : 213 563 $ contre 133 304 $ pour un spot de 30 secondes (Advertising Age, 10 mai 2010).
En fait, il s’agit de l’application de deux théories scientifiquement très douteuses, car dépendantes de l’idée non prouvée de l’existence d’émotions universelles identifiables comme telles. Premièrement, le Facial action coding system (FACS), qui codifie les mouvements musculaires du visage (micro-expressions), développé par Paul Ekman et Wallace Friesen en 1976, et popularisé par la série Lie to me. Le système repose sur la description de 46 unités d’action (levée des sourcils, serrement de la mâchoire, etc.) codifiées ensuite en degré d’activation (intensité). Deuxièmement, la programmation neuro-linguistique (PNL), psychothérapie élaborée en 1973 à l’université de Santa Cruz (Californie) par l’étudiant en psychologie Richard Bandler (1950-) et le professeur en linguistique John Grinder (1940-), et popularisée par la série Mentalist. Il s’agit de modéliser les comportements de réussite des gagnants et des experts (managers, sportifs, artistes, etc.), et ensuite de reproduire l’expérience vécue de ceux-ci par mimétisme comportemental. Dans une optique néo-béhavioriste, on cherche à associer une émotion ressentie à un stimulus externe : c’est la technique dite « d’ancrage » visant à déclencher à dessein un stimulus visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et gustatif (un peu comme la madeleine de Proust). L’application publicitaire de cette technique est évidente, même s’il faut passer de façon quasi mystique d’un ancrage individuel à un ancrage de masse. Selon le psychologue Elwis Potier : « La PNL tient donc une place particulière dans [la] marchandisation des relations humaines, elle en est tout à la fois le produit et l’un des modes de production. »
L’influence de l’École de Palo Alto
Ces applications sont les descendants d’un courant intellectuel des années 1950, influencé par la cybernétique (la théorie des systèmes), et appelé après coup « l’École de Palo Alto ». Celle-ci est toujours enseigné dans les universités et les écoles de commerce françaises, même si ses dérivés sont largement discrédités dans les domaines de la thérapie, et du management. Indépendamment, des psychologues, des linguistes et des anthropologues habitant dans la région autour de San Francisco cherchaient à bâtir une grammaire de communication « non verbale » universelle, voyant en les gestes corporels autant de canaux qui « méta-communiquent » sur la relation inter-personnelle, au risque de parasiter celle-ci. C’est l’anthropologue Gregory Bateson, figure de proue de l’École de Palo Alto et inventeur du concept de la double contrainte (l’injonction paradoxale), qui a donné son approbation à la PNL dans la préface du premier livre de Bandler et Grindler. Et c’est l’anthropologue Ray Birdwhistell qui a cherché à établir une grammaire gestuelle compréhensive (la kinésique) en recourant à des séquences filmées. Birdwhistell a fini par qualifier lui-même son projet d’illusoire, ce qui n’a pas empêché Bandler et Grindler de le reprendre vingt ans plus tard, là aussi à partir des analyses vidéo.
Avec le tournant « neuro », le marketing s’éloigne encore plus des sciences sociales. Même si le marketing a traditionnellement partagé quelques outils méthodologiques avec la sociologie (questionnaires, entretiens, etc.), il a depuis longtemps élaboré ses propres concepts, plus adaptés à ses finalités instrumentales (les socio-styles, les CSP +, la génération Y, etc.). Il est à noter, cependant, qu’une école « cognitiviste » en sociologie (Gérald Bronner) préconise l’ouverture aux neurosciences, dans le but de minimiser l’importance des facteurs sociaux dans le comportement des individus.
Une start-up de la Silicon Valley vend l’immortalité numérique
Start-up fondée en 2016 par Michael McCanna et Robert McIntyre, deux docteurs en intelligence artificielle du MIT, Nectome espère être capable un jour de numériser, puis télécharger sur un ordinateur le contenu d’un cerveau humain conservé par ses soins. Mais ses futurs clients devront accepter d’abord d’être euthanasiés. Pour éviter des dommages trop importants, la technique mise au point par Nectome, la vitrifixation, doit être effectuée sur un cerveau vivant. Un liquide d’embaumement est injecté dans les artères du client sous anesthésie, ce qui entraînera la mort. Nectome a déjà conservé par cette méthode un cerveau de lapin, et un cerveau de cochon, dont les synapses peuvent être visualisées avec un microscope électronique, ce qui lui a valu deux prix scientifiques décernés par The Brain Preservation Foundation. En février, il a reproduit l’expérience sur une femme décédée deux heures et demie plus tôt.
Selon les responsables de la société, la vitrifixation permet de conserver le connectome, l’ensemble des connexions entre les neurones d’un cerveau. Mais beaucoup de scientifiques restent sceptiques quant à la possibilité de reconstruire les souvenirs : « Le connectome ne fournit pas assez d’informations pour créer une stimulation d’un cerveau humain », dit Michael Hendricks, professeur à l’université McGill à Montréal. L’autre obstacle sera la puissance informatique requise. Affirme Sam Gershman, professeur à Harvard : « Nous connaissons le connectome des vers Caenorhaditis elegans depuis plus de dix ans, et personne n’a encore réussi à reconstruire leurs souvenirs. Et il ne s’agit que de 7000 synapses comparées à plusieurs milliers de milliards pour un cerveau humain. »
Nectome estime pouvoir faire une première démonstration en 2024 sur un volontaire souffrant d’une maladie en phase terminale, ce qui serait conforme à la loi en Californie. La vitrifixation permet de conserver un cerveau pendant des centaines d’années. Il y a déjà 25 clients sur sa liste d’attente, dont Sam Altman (1985-), le patron du Y Combinator, le plus prestigieux incubateur de start-up de la Silicon Valley, qui a abrité Nectome pendant trois mois. Forte d’une subvention de 1 million de dollars de la part de l’Institut national sur les maladies mentales, la start-up espère lever des fonds supplémentaires auprès des investisseurs. Le prix définitif de la procédure n’a pas encore été fixé, mais selon Robert McIntyre, « le potentiel commercial va être immense ».
Source : « Dans la Silicon Valley, Nectome vend l’immortalité numérique » (Jérôme Marin), Le Monde, 27 mars 2018, supplément Éco & Entreprise, p. 12.
Voir sur le transhumanisme et l’immortalité numérique, Actualités #28, février 2015.
Black Mirror
Non, ce n’est pas le pitch d’un futur épisode de Black Mirror. Mais ça pourrait très bien en être un. Supposons qu’il soit possible d’avoir une seconde vie dans le cloud avec les capacités cognitives du cerveau toujours intactes. Quel statut sera accordé à ces êtres numérisés par les vivants ? Voudra-t-on les intégrer dans le monde réel comme des êtres communicants, ou seront-ils condamnés à vivre esseulés dans le monde virtuel comme un blogueur radotant et égocentrique qui n’est suivi que par lui-même ?
Les comportements seront notés en Chine
À partir du 1 mai, certains citoyens chinois se verront attribuer un « crédit social » en fonction de leur comportement quotidien, notamment les sites qu’ils consultent sur Internet. Les mauvais sujets seront pénalisés par l’impossibilité d’acheter des billets de train ou d’avion pendant un an. Le principe doit être généralisé et obligatoire d’ici à 2020. À partir de cette date, pour chaque citoyen chinois, l’accès à certains services publics, aux logements sociaux, à divers emplois, aux possibilités ou de contracter un prêt bancaire sera conditionné par la bonne conduite. Place aux fayots, aux conformistes… Cet instrument de contrôle utilise des outils développés par Alibaba, Tencent et Baidu, les équivalents chinois d’Amazon, de Google, de Facebook.
L’idée d’un crédit social est une extension de la liste noire des débiteurs établie par le Cour populaire suprême en 2013, qui restreigne à ceux-ci l’accès aux hôtels de luxe ou aux clubs de golf. Les endettés peuvent avoir des difficultés de faire des achats en ligne et d’avoir une carte de crédit ou encore de faire inscrire leurs enfants dans des écoles cotées. Actuellement, sept millions de Chinois sont concernés. Désormais, la liste noire inclut de petites incivilités (fumer en public, être ivre dans l’avion, mal garer un vélo, tricher dans les transports en commun, présenter des excuses insincères) et des opinions politiques (fréquentation de « mauvais » sites en ligne).
Le respect de la vie privée est fragile en Chine, où les droits fondamentaux ne sont pas toujours protégés. En outre, l’expression yinsi (vie privée) évoque plus le secret et la clandestinité qu’un espace personnel sacrosaint. Alors que les atteintes à la vie privée émanant d’entreprises ou de hackers sont dénoncées par les utilisateurs des réseaux sociaux, les intrusions d’origine étatique et sécuritaire dans la vie quotidienne sont plutôt vues comme un progrès rassurant, les services de police étant jusqu’ici perçus comme incompétents et corrompus. Mais l’État chinois semble mettre moins d’ardeur à traiter les délits de droit commun qu’à contrôler les dissidents ou les réseaux sociaux.
L’idée d’un système de notation sociale se retrouve dans l’épisode « Chute libre » (3 : 01) de Black Mirror, dans lequel les citoyens se notent entre eux. Ceux qui ont de mauvaises notes finissent en parias, en marge de la société.
Source : dépêche de Reuters, 16 mars 2018 ; « En Chine, le fichage high-tech des citoyens » (Brice Pedroletti), Le Monde, 12 avril 2018, p. 2.
Voir aussi Actualités #59, déc. 2017.
Tous noteurs notés ?
On aurait tort de penser qu’il s’agit-là de mesures propres à la Chine. Il se peut bien que la Chine, qui a développé un modèle mariant une économie capitaliste et un régime politique autoritaire, préfigure l’avenir de nos « démocraties libérales » en crise structurelle, où l’État social universel est petit à petit vu comme un luxe. Chez nous aussi, l’idée d’une note sociale fait doucement son chemin.
En 2013, un rapport cosigné par le conseil de Westminster (Londres) et un think tank privé a proposé de relier les demandes faites pour des allocations de logement municipales aux visites effectuées au gym, en utilisant des smartcards. Les possibilités offertes par des technologies de dépistage sont au cœur de l’argument du gourou d’Internet Tim O’Reilly : « La publicité s’est avérée le modèle économique indigène d’Internet. Je pense que l’assurance va être le modèle économique de l’Internet des choses ».
En juin 2014, Microsoft a signé un accord avec American Family Assurance, le huitième assureur des logements aux États-Unis, afin que les deux financent des start up proposant d’installer des capteurs dans les maisons et les voitures dans une stratégie de « protection proactive », qui se traduira par des baisses de cotisations pour les « bons clients ». Le rapport d’un autre think tank britannique, 2020health, en mai 2014, a proposé des ristournes d’impôts pour ceux-ci : « Nous proposons un paiement par résultats, une récompense financière pour ceux qui deviennent partenaires actifs dans leur état de santé, où si vous maintenez vos niveaux de sucre dans le sang à un niveau bas, si vous ne fumez pas, si vous réussissez à ne pas grossir, si vous payez vous-même des soins préventifs, alors il y aura un remboursement d’impôts ou une prime annuelle ». Ce qui est présupposé ici, c’est l’idée que ceux en mauvaise santé (écart mesurable de la norme) constituent un fardeau pour la société, et méritent d’être taxés davantage.
La régulation algorithmique
En déplaçant l’enjeu de la régulation sociale, la « régulation algorithmique » propose une utopie technocratique, celle de la gouvernance rationnelle sans passer par le débat d’idées, sans passer par la politique. Dans l’optique des idéologues de la Silicon Valley, l’économie de partage et ses algorithmes seront en mesure un jour de remplacer l’État providence : si vous êtes travailleur et honnête, bien noté partout, vous pourrez intégrer des réseaux sociaux d’entraide de plus en plus personnalisés. Sinon, tant pis, c’est votre faute.
Facebook fait acte de contrition
Depuis le 16 mars, la valeur boursière de Facebook a perdu 16 %, après la révélation qu’une société britannique de datamarketing, Cambridge Analytica, à la solde de la campagne Trump, s’est indument servi des données des dizaines de millions d’utilisateurs du réseau social afin d’influencer l’élection présidentielle aux États-Unis en ciblant leurs profils. Tout a commencé avec la collecte de 270 000 réponses à de faux tests psychologiques sur le réseau, et l’accès ultérieur aux profils des « amis des amis » des répondants. Le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, n’arrête pas de faire acte de contrition, le scandale étant plus grand qu’attendu. Au bas d’un post de blog (4 avril) de Mike Schroepfer, directeur technique de Facebook, a avoué que ce sont 87 millions de comptes (et non 50 millions évoqués jusque-là), dont les données ont été aspirés. Dans une conférence de presse le même jour, Zuckerberg a tenté de se justifier.
« Jusque-là, nous ne voyions que les effets positifs de nos outils. Mais, ce n’est pas assez de connecter les gens. Nous n’avons pas suffisamment réfléchi à la manière d’éviter les abus. C’était mon erreur. […] La vie, c’est d’apprendre de ses erreurs. Quand on construit une entreprise comme Facebook, il y a des choses qu’on rate, personne n’est parfait ».
Commentaire. Symptomatiquement, Zuckerberg semble confondre la faute de l’entreprise avec la faute personnelle. Mais ne dit-on pas que, juridiquement, une entreprise est une « personne morale » ?
Source : « Zuckerberg poursuit l’opération réhabiliter Facebook » (Sandrine Cassini), Le Monde, 6 avril 2018, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
Sur les difficultés actuelles de Facebook, voir aussi Actualités #59, décembre 2017.
La télévision s’intéresse à la réalité virtuelle
La réalité virtuelle (VR) est apparue comme l’une des vedettes du Marché international des programmes de télévision (MIPTV), rencontre annuelle qui s’est tenue à Cannes le 9-12 avril. S’est expliquée sa directrice Laurine Garaude : « Cela fait maintenant trois ans que l’on accélère le développement autour de la VR. Il est essentiel, dans un marché de contenus comme le MIPTV, de réunir l’ensemble des acteurs qui travaillent à la recherche de nouvelles narrations. »
Cette technologie immersive, qui offre un univers à 360° grâce à un casque spécial, fait réfléchir les diffuseurs de contenus. Loin des créneaux et des grilles, les chaînes cherchent à reconquérir une audience plus jeune. Constate Pierre Block de Friberg, chargé du pôle Nouvelles Écritures de France Télévisions : « Les téléspectateurs, surtout les jeunes adultes, sont de plus en plus nombreux à consommer des contenus vidéo hors de l’écran de la télévision et à délaisser les programmes qui y sont diffusés. Il y a une grande appétence pour les nouvelles technologies. La réalité virtuelle accompagne ces changements d’usages. Elle permet de repenser la narration audiovisuelle, avec des histoires qui se vivent en totale immersion sans jamais sortir du cadre de l’image. » Quant à lui, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) organise des concours comme le « Challenge VR » afin de redonner un second souffle à ses archives.
Produits d’appel de la VR
L’engouement se vérifie d’abord à travers le développement de produits d’appel. Avec son application MYTV1 VR, TF1 a permis de suivre l’intégralité des auditions à l’aveugle de la sixième édition de The Voice, et souhaite réitérer l’expérience avec la Coupe du monde de football en juin, en proposant au spectateur une immersion en loge, avec la possibilité de regarder les matchs sous différents angles de vue. Dans The Enemy (2017), le photojournaliste Karim Ben Khelifa réinvente en VR le traitement documentaire des zones de conflit. Le spectateur se retrouve entre deux belligérants ; à lui de décider vers quel combattant se tourner afin d’entendre son témoignage. Dit Ben Khelifa, « En temps normal, s’informer est passif. Ici, on est constamment dans l’interaction. »
Selon les dernières prévisions du cabinet d’études américain Gartner, la réalité virtuelle devrait se démocratiser d’ici deux à cinq ans. Mais la VR n’est pas l’apanage des chaînes de télévision. Prédit Gilles Freissinier, directeur du développement numérique d’Arte France : « La VR ne remplacera pas la télévision. Elle permet seulement une complémentarité avec des narrations plus linéaires. » Selon Guillaume Esmiol, responsable Open Innovation de TF1 : « Ce n’est pas nous qui avons la main sur le futur de cette technologie. Nous sommes seulement un des acteurs qui peut contribuer à sa démocratisation. » C’est l’homme de télévision Pierre Block de Freiberg qui aura le dernier mot : « La VR est le nerf de la guerre à venir pour les jeux vidéo. »
Source : « Le monde audiovisuel à l’heure de la réalité virtuelle » (Mathieu Ait Lachkar et Camille Langlade), Le Monde, 8-9 avril 2018, supplément Éco & Entreprise, p. 8.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)