Alexandre Astier évolue dans un univers tout particulier qui l’a nourri dans son processus de création. C’est un passionné des nouvelles technologies, il a pratiqué les jeux de rôle, et est friand de fantasy et de science-fiction. Il se rapproche de ce qu’on pourrait qualifier de culture geek. Les influences d’Astier sont nombreuses, et ont participé à faire de Kaamelott un objet audiovisuel tout à fait atypique.
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Influence de Christopher Vogler sur Alexandre Astier
D’où est venue l’inspiration de la shortcom originale Kaamelott ? Un des éléments essentiels dans le parcours d’Alexandre Astier est lié à son intérêt pour les travaux de l’Américain Christopher Vogler, qui a étudié la manière dont toute histoire se raconte et se structure par une narration disséquée. Son livre The Writer’s journey : mythic structure for writers (1992) a eu beaucoup d’impact quant à la façon de construire des récits dans différents milieux : cinéma, télévision ou littérature. Vogler a contribué à l’écriture de nombreux scénarios comme celui du film Fight Club de David Fincher ou encore de La Ligne rouge de Terrence Malick [1]. Il est également connu pour avoir travaillé pour les studios Disney en apportant ses compétences d’écriture de scénarios à des dessins animés comme Mulan ou Aladdin. Lorsqu’il travaillait pour Disney, Vogler mit en place un système qui lui permettait de repérer très rapidement les qualités et les défaillances d’un script. L’idée fut reprise par les studios d’Hollywood, sans lui demander son accord. Le système d’évaluation de Vogler est inspiré de l’étude classique de Vladimir Propp, Morphologie du conte (1928), et du livre The Hero with a Thousand Faces (Les Héros sont éternels) du mythologue ésotérique Joseph Campbell (1904-87), publié en 1949. De nombreux films suivent la structure expliquée dans le livre de Campbell ; les exemples les plus connus sont les films Matrix, Star Wars, et la série Lost. Vogler s’inspire aussi des archétypes de Carl Gustav Jung pour caractériser ses personnages, en retenant sept principaux : le héros, le mentor, le gardien du seuil, le messager, le personnage protéiforme, l’ombre, et le trickster. Ce qui est très intéressant chez Vogler, c’est qu’il mobilise des notions qui résonnent avec le récit qu’on voit s’accomplir dans Kaamelott. À titre d’exemple, Vogler parle d’un personnage récurrent, à savoir l’image du mentor, et se permet une analogie avec le personnage de Merlin l’enchanteur qui figure très régulièrement dans la shortcom Kaamelott [2].
Dans le livre de Vogler, il est rappelé qu’un voyage se construit toujours en trois étapes, étapes que l’on retrouve également dans la Poétique d’Aristote, où l’histoire est racontée en trois actes. Le premier acte concerne le départ du héros vers un monde nouveau, le second la route des épreuves, et enfin le dernier concerne le retour du héros chez lui après avoir achevé son voyage. A partir de la structure en trois actes de Campbell, Vogler condense, double et élimine des étapes pour n’en garder que douze :
1. Le monde ordinaire (=l’exposition du départ)
2. L’appel de l’aventure
3. Le refus de l’appel
4. La rencontre avec le Mentor (=l’aide surnaturelle)
5. Le passage du premier seuil
6. Les tests, les alliés et les ennemis (=le chemin des épreuves)
7. L’approche (=passage du second seuil ; accès à un lieu hautement périlleux)
8. L’épreuve suprême (=la rencontre avec la déesse, la femme tentatrice et la réunion du père)
9. La récompense (le don suprême)
10. Le chemin du retour (=le retour)
11. La résurrection (=le refus du retour, la fuite magique, la délivrance venue de l’extérieur)
12. Le retour avec l’elixir (=le passage du seuil au retour, le maître des deux mondes, et libre devant la vie).
Le parcours d’Alexandre Astier et l’origine de Kaamelott
En ce qui concerne Alexandre Astier, rappelons qu’il est avant tout un musicien. Il suit des études au conservatoire, ainsi qu’à l’American School of Modern Music de Paris, tout en pratiquant le théâtre. Ses parents, tous deux présents en tant qu’acteurs dans Kaamelott, sont familiers du monde du spectacle. Joëlle Sevilla, la mère d’Alexandre Astier est comédienne depuis les années 1960 et a ouvert une école d’acteur, l’Acting Studio ainsi qu’une société de production à Lyon. Son père, quant à lui, connaît une longue carrière à la télévision dans de nombreux téléfilms, mais aussi au théâtre en tant qu’auteur et comédien. En résumé, Astier grandit dans un cercle familial enclin à développer un intérêt pour la pratique créative. Il n’est donc pas étonnant de voir que ses parents, son demi-frère, ainsi que ses amis fassent partie du casting.
L’épopée de Kaamelott débute en 2002 quand Astier réalise un court-métrage de 14 minutes intitulé Dies iræ. Il remporte en 2003 le prix du public Off-Courts pour ce projet, et assiste à une conférence de Christopher Vogler à Londres. Le court-métrage se déroule au château du roi Arthur pendant une réunion de la Table Ronde. Très vite, les chevaliers sont présentés comme lâches et faibles, très loin de l’image que la légende brosse d’eux [3]. En bref, la quête du Graal intéresse beaucoup moins les chevaliers que leur repas à venir. Alexandre Astier instaure un pacte de lecture : la cause noble des chevaliers ne sera pas représentée dans Kaamelott, mais au contraire, il sera montré un roi Arthur dépassé et découragé, entouré d’incapables. C’est dans ces éléments de dégradation que naît le comique burlesque du programme :
Je cherchais un chef impliqué dans des situations « defunessiennes ». […] Il me fallait aussi un sujet sur lequel l’imagination collective nourrissait déjà quelques clichés : le Graal, Excalibur… Un gros engin que je puisse redescendre de dix crans [4].
D’autre part, Astier évolue dans un univers tout particulier qui l’a nourri dans son processus de création. C’est un passionné des nouvelles technologies, il a pratiqué les jeux de rôle, et est friand de fantasy et de science-fiction. Il se rapproche de ce qu’on pourrait qualifier de culture geek. Les influences d’Astier sont nombreuses, et ont participé à faire de Kaamelott un objet audiovisuel tout à fait atypique. Il dit à ce propos :
Kaamelott c’est l’enfant de Warhammer et Donjons et Dragons. J’ai joué aux jeux de rôle, j’ai écrit des scripts de jeux de rôle, j’ai été maître de jeu. Je m’inspire d’archéologie, de bouquins d’histoire, et de bouquins de technique mécanique, mais jamais de l’univers d’un autre [5].
Pour l’écriture de Kaamelott, Astier s’est aidé d’un programme informatique. Il a pratiqué ce qu’on appelle l’ « Écriture Assistée par Ordinateur » ou EAO. Ce programme lui permet de développer une souplesse dans l’écriture, et être prêt à répondre à toute éventualité ou contrainte. D’autre part, Astier écrit beaucoup au dernier moment ; parfois la veille pour le lendemain, ce qui permet d’écrire et de réaliser un épisode selon les capacités de tournage du moment.
Les divers formats de Kaamelott
En janvier 2005, Kaamelott remplace Camera Café sur la chaîne M6 et connaît un succès immédiat. Il est composé de six saisons, appelées des livres. M6 programme pour la première fois cette shortcom en access prime time, c’est-à-dire à 20 h 40, juste avant le prime time de 21 h. Les épisodes des quatre premiers livres durent en moyenne 3 min 30 s. Ainsi, ce programme peut être classé dans la famille du format court. Cependant le livre V inaugure un nouveau format, celui de 7 minutes. Mais le montage de cette saison a demandé des efforts particuliers. En effet, trois différentes versions de cette saison ont été montées. Diffusée en access prime time sur M6, la saison était décomposée en 50 épisodes de 7 minutes chacun. Cependant, 4 épisodes de 52 minutes ont également été montés, mais Astier n’était pas satisfait de ces montages. Aussi, pour la sortie DVD de la saison, il monta l’ensemble sous la forme de 8 épisodes de 52 minutes [6]. La dernière saison de Kaamelott, le livre VI se compose de 9 épisodes de 40 minutes chacun. Ce livre raconte la jeunesse d’Arthur lorsqu’il était soldat à Rome. Ainsi, bon nombre d’éléments sont déjà connus du spectateur, grâce aux livres précédents. La saison est composée d’« antépisodes », car l’histoire se concentre sur des événements qui sont arrivés chronologiquement avant le récit original.
Une des ambitions affichées d’Astier était de faire de son projet un film, mais il fallait qu’il fasse ses preuves avant de rechercher un financement. Ainsi, il envoie dès 2003 six pilotes à la société de production CALT, qui produisait également Caméra Café. Ces pilotes d’une durée moyenne de 5 minutes séduisent le producteur Jean-Yves Robin, qui demande à Astier de réaliser quatre autres pilotes d’une durée de 3 min 30 s afin de pouvoir présenter le projet à M6, qui commande la première saison de 100 épisodes. On voit là comment Alexandre Astier s’est adapté aux exigences économiques de la chaîne.
D’autre part, Kaamelott présente des qualités de réalisation, qui la classe comme une shortcom particulière. Elle est filmée en 16/9 et mobilise de véritables costumes et décors de l’époque du Ve siècle après J.-C. Les éléments historiques nécessaires augmentent le budget de ce genre de programme d’environ 20 %. De nombreux effets spéciaux sont mobilisés comme le scintillement d’Excalibur ou encore l’aspect luminescent de la Dame du Lac. Le programme est tourné avec des caméras haute définition afin d’obtenir un rendu visuel satisfaisant. On trouve aussi la présence d’acteurs déjà connus comme Bruno Solo que l’on connaît grâce à Caméra Café, ou encore Jean-François Rollin connu pour avoir joué dans la série Palace dans les années 1980. Ainsi, tous ces éléments ne font qu’augmenter le budget de Kaamelott. Chaque épisode du livre I aurait coûté 20 000 euros, ce qui monte à 2 millions d’euros de budget pour l’ensemble du livre [7]. Le budget augmente au fil des saisons du fait de l’augmentation des plans en extérieur, si bien que l’on parle de 3 millions d’euros pour le livre VI, chiffre donné par Alexandre Astier lui-même [8].
Un scénariste français
En quoi Alexandre Astier incarne-t-il le scénariste à la française ? En quoi son parcours permet-il de parler d’un auteur tout à fait particulier et atypique ? Afin de répondre à ces questions, je me concentrerai sur des vidéos dans lesquelles Astier revient sur Vogler [9]. Ces vidéos ont été enregistrées dans le cadre de l’Acting Studio et sont destinées à toute personne intéressée par le processus d’écriture scénaristique. À ce sujet, Astier dit :
Les méthodes telles que celles de Vogler servent à chaque fois que tu veux construire quelque chose. À chaque fois que tu veux comprendre avec recul et vue d’avion quelque chose que t’es en train de planifier. Moi, ça me permet, par exemple, d’écrire des choses extrêmes vite, et qui ne sont pas bancales à la fin ; parce qu’une fois que ça s’est placé, une fois que t’as mis les murs et les briques de ta baraque, remplir ça avec ton… je n’aime pas le mot, mais avec ton art, avec ce que t’es, ta créativité, ton caractère, ta signature […], c’est comme un architecte qui montrait des murs sans avoir fait de plan.
Cependant, le statut d’Astier est particulier, car il accepte de s’incliner à la structure de l’intrigue. Il s’apparente donc aux techniques d’écriture anglo-saxonnes qui sont régies par des normes et des principes que chaque scénariste doit respecter. Mais en même temps, il revendique aussi la liberté de création d’un auteur singulier. Il se trouve donc au milieu de deux visions différentes du processus de création : d’un côté, la nécessité de connaître les règles de l’écriture scénaristique, et de l’autre, la part d’inventivité, de créativité et d’innovation que l’auteur porte en lui et qui ne saurait être enfermée dans des lois trop rigides. Astier rappelle souvent qu’il est d’autant plus nécessaire de connaître les techniques d’écriture lorsqu’il s’agit du format court :
Pour le format court, c’est ultra utile d’avoir un peu de technique pour arriver en très peu de temps à ce que ton truc ne soit pas bancal. C’est plus facile de faire du bancal en 3 minutes que de le faire en deux heures. En deux heures, t’as le temps de retomber sur tes pieds […] Tu peux faire une scène qui ne sert à rien sans t’en apercevoir […] Ce n’est pas très grave parce que si tu la rattrapes après avec quelque chose qui marche, ça va. En 3 min 30 s, rien ne peut servir à rien, donc ça t’aide à rester concentré sur ce que tu dois dire, et ça t’aide sur l’écriture thématique. […] Et même en 3 minutes, tu peux t’amuser à donner une articulation rigide concrète et efficace à un truc de 3 min 30 s […] La technique est bonne pour tout ce qui concerne l’activité de raconter une histoire […] La technique, ça n’a jamais rien uniformisé […] La technique ne fait que développer le génie des gens qui sont potentiellement géniaux [10].
Kaamelott reflète donc bien l’idée qu’il existe un savoir-faire français en ce qui concerne la scénarisation, qui se trouve particulièrement bien appliqué au format court. Si l’on a bien souvent reproché aux Français de ne pas savoir faire de sitcoms comme les Américains, il est en revanche admis qu’ils ont une certaine aptitude pour des formats innovants. Mais l’exemple de Kaamelott est un cas très particulier. De tous les shortcoms français, il est celui qui montre autant un travail sur le fond que sur la forme. Il est celui qui a coûté le plus cher, celui dont les inspirations sont les plus variées, allant de l’humour britannique des Monty Python, des œuvres de Vogler, aux dialoguistes français comme Michel Audiard.
Mais surtout, il est celui qui a la plus d’ambition. En effet, Astier n’a jamais caché son envie de faire de Kaamelott un grand projet cinématographique, sous la forme d’une trilogie. Les dernières saisons de Kaamelott, particulièrement la dernière, à savoir la saison VI, montraient une ambition cinématographique indéniable [11]. Cette ultime saison a été tournée dans les décors de la Cinecittà à Rome, qui a accueilli bon nombre de tournages comme celui de la série Rome de HBO entre 2004 et 2007.
Note de l’éditeur : pour une explication plus détaillée de la théorie de Vogler, voir Quentin Dispas, « Les origines de la théorie du ‘voyage du héros’ de Christopher Vogler« , Projections, posté 20 juin 2012.
Notes
[1] http://www.actingstudio-masterclass.com/presentation.php
[2] VOGLER, Christopher, Le guide du scénariste : la force d’inspiration des mythes pour l’écriture cinématographique et romanesque, éd. Dixit, 1998, page 49.
[3] http://www.youtube.com/watch?v=bSyO1_espUM
[4] Cité dans le mémoire de Laurie Malterre, Kaamelott : Une réécriture contemporaine du mythe d’Arthur, université de Limoges sous la direction de Jacques Migozzi, 2009.
[5] Donjons et Dragons est un jeu de rôle célèbre inspiré par l’univers de Tolkien. Warhammer est un jeu médiéval — fantastique qui a notamment donné lieu à la création d’un jeu de figurines. Entretien d’Alexandre Astier dans le documentaire Suck my Geek de Tristan Schulmann et Xavier Sayanoff, diffusé le 30 novembre 2007 sur Canal +.
[6] Éléments précisés grâce au mémoire de Laurie Malterre, op.cit.
[7] CONSTANS Marie-Eve, « Kaamelott étend son royaume », L’internaute, mis en ligne en février 2006, http://www.linternaute.com/television/dossier/06/kaamelott/en-savoir-plus.shtml
[8] « Kaamelott, le livre VI romain ! », Série TV, n ° 43, juin, p. 40.
[10] Citation d’Alexandre Astier issue de l’entretien Masterclass Christopher Vogler. http://www.youtube.com/watch?v=GpTx65_Lpcw
[11] http://www.youtube.com/watch?v=Oleb_zuF1hg
Extrait d’un mémoire de recherche (M2) en information-communication à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense, soutenu en juin 2013, adapté par David Buxton.
Bennaceur Sonia, « Alexandre Astier, scénariste français, et la shortcom « Kaamelott » – Sonia Bennaceur », Articles [en ligne], Web-revue des industries culturelles et numériques, 2013, mis en ligne le 1er décembre 2013. URL : https://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/Kaamelott/
Etudiante en master 2 recherche information-communication. Université Paris Ouest Nanterre La Défense.