La Web-revue : de la Kulturindustrie d’hier aux industries culturelles, créatives et numériques d’aujourd’hui, s’est ouvert un champ interdisciplinaire pour tous ceux dont les recherches interrogent la culture populaire industrialisée et les médias. Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles et numériques du côté des acteurs professionnels, qui sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation constante, d’où des débats « internes » dont doit tenir compte l’approche critique de la Web-revue.
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L’explosion de l’e-sport : « transformer les joueurs en relais de communication »
Le 1 et le 2 septembre, les finales européennes du jeu phare de l’e-sport, League of Legends, se sont tenues à Paris devant 20000 spectateurs. Depuis avril 2016, la France s’est dotée d’une association nationale regroupant les principaux acteurs du sport électronique, France eSports. Les joueurs disposent d’un statut juridique qui leur permet d’en vivre de manière régulée. La voie est désormais ouverte pour que les compétitions électroniques fassent leur entrée aux Jeux olympiques de 2024 ; Tony Estanguet, coprésident du comité Paris 2024, a expressément envisagé cette possibilité le 8 août, même si c’est le CIO, pas convaincu, qui prendra la décision. Mais l’e-sport intégrera prochainement les Jeux asiatiques en Chine (2022) comme « discipline médaillable ».
Cela dit, l’e-sport n’est pas tout à fait une discipline comme les autres. En mai 2016, au Videogame Economics Forum d’Angoulême, Benoît Clerc, le responsable des jeux vidéo de l’éditeur Bigben Interactive, a fait montre d’une transparence rare : « On ne fait pas de l’e-sport pour faire joli, mais pour améliorer le bénéfice opérationnel et transformer les joueurs en relais de communication. Cela permet aussi de maximiser les ventes sur la durée. » Bien entendu, l’e-sport n’est pas le seul à transformer ses joueurs en « relais de communication » (on pense à Neymar du PSG), mais le lien entre la compétition et le marketing direct du produit est ici particulièrement étroit.
Pour ces entreprises de jeux vidéo, l’e-sport est donc un puissant outil commercial. Au congrès professionnel Game Camp à Lille le 6 et le 7 juillet, Antoine Frankart, directeur de la société spécialisée Toornament, s’expliqua lui aussi de manière très franche : « Son premier intérêt, c’est d’être un outil marketing pour faire la promotion d’un jeu. L’e-sport permet de garder sa communauté active, qu’elle continue à jouer et à être motivée. Augmenter les revenus par utilisateur : plus un joueur reste dans le jeu, plus il va dépenser. Il va acheter des skins [vêtements virtuels], des DLC [downloadable content = des extensions (payantes)], etc. » Les Coupes du monde de TrackMania ont boosté les téléchargements du jeu et les ventes des extensions, prétend-il.
Selon Frankart, l’explosion de l’e-sport s’est jouée en trois étapes. D’abord, le lancement de League of Legends en 2009, qui devint, trois ans après, le jeu PC le plus joué au monde. Ensuite, la création en 2011 de la plateforme de visionnage Twitch, qui a permis la diffusion de partie d’experts. Enfin, l’organisation à partir de 2013 des League of Legends Championship Series, première compétition dotée de moyens professionnels et de primes financières. Huit ans après son lancement, League of Legends reste le jeu le plus regardé sur Twitch. On parle désormais d’un marché estimé à 892 millions de dollars juste pour 2016, selon Superdata.
« L’e-sport, ça permet de faire durer League of Legends dans le temps. C’est ce qui manquait aux autres jeux », poursuit Guillaume Rambourg, directeur de la filiale française de l’entreprise américaine Riot Games. L’e-sport favorise un petit nombre de jeux qui concentrent l’intérêt des joueurs au détriment des autres, dont on se lassait trop vite, et trop souvent. On ne décrète pas e-sport n’importe quel jeu vidéo, pas plus qu’on ne peut se passer de l’enthousiasme spontané de joueurs ordinaires. Poursuit Guillaume Rambourg, « Au début, League of Legends [… était] juste un jeu multijoueur où les joueurs s’amusaient beaucoup. On s’est rendu compte qu’ils étaient demandeurs de tournois, on a donc créé cet écosystème. Mais dans un premier temps, il faut d’abord que le jeu soit fun. Le reste, c’est aux joueurs de décider. »
Sources : « L’e-sport, la belle affaire de l’industrie du jeu vidéo » (William Audureau), Le Monde, supplément Éco & Entreprise, 3-4 septembre 2017, p. 8 ; https://www.lequipe.fr/Esport/Actualites/Paris-2024-estanguet-evoque-l-esport/824556
Aussi sur l’e-sport dans la Web-revue : Actualités #48, déc. 2016.
Ces dernières années, l’industrie des jeux vidéo a été l’un des secteurs de l’économie américaine avec la plus forte croissance. Elle est aussi parmi les plus rentables (21 milliards de dollars de revenus pour un chiffre d’affaires de 111,1 milliards aux États-Unis en 2013). Autrefois quasi artisanale, elle est maintenant dominée par quelques géants oligopolistiques (King, Halfbrick, Zynga, Kabam). On ne peut qu’être frappé par la mentalité business sans vergogne des professionnels cités, et l’absence de prétentions culturelles qui valoriseraient le produit symboliquement.
L’effet de dépendance chez certains joueurs est largement reconnu par la profession médicale. Cet effet n’a rien de secondaire, il est activement encouragé par l’industrie, qui mobilise les recherches en neurosciences à cette fin. Le consommateur idéal est une « baleine », terme réservé aux 2 % des joueurs pathologiquement accrochés, qui contribuent de manière disproportionnée à la bonne santé de l’industrie, et qui donnent l’exemple aux autres. Un jeu qui s’impose dans la durée devient une véritable vache à lait : en 2016, huit des dix jeux vidéo les plus vendus dans le monde étaient des suites (sequels) de produits déjà anciens. Sur ce plan, les industries cinématographique et vidéoludique s’alignent.
Un passage de l’écrivain William Burroughs sur la drogue comme marchandise idéale me vient à l’esprit, qu’on pourrait appliquer mutatis mutandis aux jeux vidéo, toutes proportions gardées. Le consommateur (idéal) fera la queue toute la nuit sous la pluie pour pouvoir acheter le produit le lendemain ; le jeu deviendra le centre de son existence, au détriment d’une vie sociale et intime. « La came est le produit idéal, la marchandise par excellence… Nul besoin de boniment pour séduire l’acheteur ; il est prêt à traverser un égout en rampant sur les genoux pour mendier la possibilité d’en acheter. Le trafiquant ne vend pas son produit au consommateur, il vend le consommateur à son produit. Il n’essaie pas d’améliorer ou de simplifier sa marchandise : il amoindrit et simplifie le client. » (Le Festin nu, 1959).
Tama Weaver et Michele Willson, « Social, Casual and Mobile Games » (chapitre 1)
Le nouveau paysage médiatique américain
Selon Rodney Benson, professeur de sociologie et des sciences des médias à la New York University (d’obédience plutôt bourdieusienne*), on peut distinguer au moins trois familles dans le paysage médiatique américain, tous genres et supports confondus. D’abord, celle de l’infodivertissement de masse (les sites internet comme Buzzfeed et le Huffington Post ; les grandes chaînes de télévision nationales comme CBS, ABC, NBC, leurs filiales locales et la chaîne câblée CNN). Puis vient la famille partisane comme Fox News (réactionnaire) et MSNBC (libéral), les radios majoritairement conservatrices, les sites comme Breitbart et Infowars, et la blogosphère ; cette famille, dominée par la droite radicale, peut facilement verser dans la désinformation, voire le mensonge ignoble. La troisième famille, c’est le journalisme traditionnel (le New York Times, le Wall Street Journal, Time, The Atlantic, etc., les journaux régionaux), à laquelle (quatrième famille ?) on peut associer les médias issus des secteurs publics et associatifs, très minoritaires et non indexés sur l’économie du marché. Les frontières entre ces catégories sont de plus en plus floues et poreuses. L’infodivertissement est un hybride qui tente de réconcilier journalisme et divertissement, alors que la neutralité de certains médias dits de qualité comme le New York Times est contestée, à droite surtout, mais aussi à gauche.
Contrairement à la situation en France, où beaucoup de journaux ne pourraient survivre sans les subventions publiques votées en 1944, l’information a historiquement rapporté gros aux États-Unis. Dans les années 1980, le groupe Gannet (qui publie USA Today, le quotidien national le plus vendu) a réalisé, avec ses cent titres, un profit net de 25 %, voire plus. Son modèle économique était d’éliminer la concurrence locale, de réduire le personnel et de comprimer les budgets (recours général à des dépêches d’agence). Jusqu’à récemment, la publicité représentait 80% du chiffre d’affaires de la presse écrite américaine, de loin la plus grande proportion dans les pays occidentaux.
La crise de la presse écrite survient au début des années 2000 avec le déclin de petites annonces et réclames, en raison de la montée d’Internet. Entre 2005 et 2016, les revenus publicitaires de la presse sont passés de 49 à 20 milliards de dollars, dont seulement 30% venaient de la publicité en ligne. Les abonnements et les dons ne pouvaient compenser les pertes, et les cours des actions ont plongé. Un tiers des 60 000 emplois à plein temps de journalistes de la presse écrite a disparu, surtout dans le domaine des affaires publiques, jugé peu rentable. Seuls 12 à 16% en moyenne du budget des médias commerciaux sont affectés aux contenus. La presse papier, affaiblie, maintient tout de même des marges de 8 à 16 %, alors que les sites d’information en ligne ne génèrent pratiquement pas de profits.
La télévision reste la principale source d’information : 57 % des adultes regardaient des journaux télévisés en 2016, contre 38% qui consultaient plutôt des sites d’information en ligne, selon le Pew Research Center. Les grands journaux télévisés (ABC, CBS, NBC) tendent, pour maintenir ce public de masse, vers l’infodivertissement. Une des particularités des États-Unis, c’est la très faible présence d’un service public en matière d’information. Les financements du Public Broadcasting System (PBS) et de la National Public Radio ne dépassent pas 3 euros par habitant, alors en Europe ils sont de l’ordre de 70 euros en France, 86 euros en Royaume-Uni, 116 euros en Allemagne et 152 euros en Norvège. Aux États-Unis, ce sont des fondations privées comme Ford, qui se veulent libérales, et qui assurent une semblance de service public en subventionnant la presse à but non lucratif (308 médias alternatifs sont apparus entre 2005 et 2014). Cela, en échange, il est vrai, de généreuses déductions fiscales, et la possibilité de toucher un public « difficile », mais néanmoins solvable. Ces fondations ne sont pas donc totalement désintéressées, et cette presse, dépourvue de moyens (effectifs et budgets réduits), a du mal à s’imposer au-delà d’un public niche.
Tout cela mène à une question à tous égards cruciale : comment faire circuler de l’information objective dans un pays où les publics sont aussi clivés, inégaux et fragmentés ? Faut-il parler de fracture informationnelle ? La toile de fond ici, c’est l’élection inattendue de Donald Trump en 2016, et la diffusion répandue des fake news sur Internet pendant la campagne (Actualités #54, juin 2017). En France, cette question est moins aiguë, grâce en grande partie aux médias de service public, qui ont réussi historiquement à imposer une certaine qualité en la matière, sans perdre l’audience populaire, même si la tendance vers l’infodivertissement s’affirme aussi peu à peu. Une étude empirique menée dans plusieurs pays européens montre qu’en Europe occidentale (et on pourrait vouloir relativiser cette conclusion), même les personnes les moins instruites et les moins fortunées sont (presque) aussi informés de l’actualité que les plus privilégiés**. Mais, dit Rodney Benson, « aux États-Unis, un immense fossé sépare le quart [de la population] inférieur du quart supérieur… Qu’il soit élitiste, partisan ou de masse, aucun média américain n’est parvenu à se pencher sur la précarité liée à la mondialisation qui sous-tend le malaise politique actuel. »
*Il a codirigé avec Érik Neveu, Bourdieu and the Journalistic Field, Polity Press (Cambridge), 2005.
** James Curran, Shanto Iyengar, Anker Brink Lund et Inka Salovaara-Moring, « Media system, public knowledge and democracy : A comparitive study », European Journal of Communication, Thousand Oaks (Californie), 24 : 1, 2009.
Sur les « fake news » et l’élection présidentielle américaine de 2016, voir Actualités #54, juin 2017.
Résumé des grandes lignes de l’article très documenté de Rodney Benson, « Métamorphoses du paysage médiatique américain », Le Monde diplomatique, sept. 2017, pp. 18-19.
L’été catastrophique du cinéma américain
Le chiffre d’affaires des salles de cinéma cet été aux États-Unis est au plus bas depuis dix ans. Selon les projections de Box Office Mojo (site recommandé), les recettes du box-office devraient ne pas dépasser 3,95 milliards de dollars cet été, une baisse de 13% par rapport à 2016. Les blockbusters estivaux comme Pirates des Caraïbes, Transformers, Baywatch/Alerte à Malibu, La Momie et Valérian n’ont pas atteint les scores attendus. « Il y a énormément de franchises usées et vieillissantes qui sortent », prétend Jeff Bock, analyste chez Exhibitor Relations. « Le paysage est encombré de suites et de quatrième ou cinquième versions de films », dit Chris Aronson, responsable de la distribution chez 20th Century Fox.
Parmi ceux pointés du doigt par les studios, on retrouve en priorité le suspect usuel : les sites de streaming illégaux, dont l’impact commercial réel dans la durée reste à être déterminé. Ce qui est plus intéressante comme facteur, car structurel, c’est la montée en puissance des séries télévisées, et les acteurs du streaming légal comme Netflix ou Amazon, qui sont à la fois producteurs et distributeurs de contenus. L’industrie s’interroge par exemple sur les effets de la diffusion en juillet-août sur HBO le dimanche soir de la saison 7 de Game of Thrones, qui a touché 10,7 millions de (jeunes) téléspectateurs américains chaque semaine.
Les producteurs du cinéma encaissent aussi les effets négatifs de la mutation de leur modèle économique. Depuis quelques années, les grands studios (Disney, Universal, Columbia) concentrent leurs investissements sur trois ou quatre superproductions à très gros budget. Stratégie à double tranchant : quand le succès est au rendez-vous (le dernier film dans la saga Guerre des Étoiles (Disney) avec 7 milliards de dollars de recettes internationales en salle, record du cinéma américain), c’est carton plein, sinon en cas d’échec, c’est toute l’industrie qui en pâtit. Disait déjà en 2013 Steven Spielberg, « Le système va imploser quand trois, quatre, voire une demi-douzaine de films à gros budget vont échouer ». Depuis juin 2017, les exploitants de salles aux États-Unis ont souffert en Bourse : AMC (-44 %), Imax (-22 %), National CineMedia (-25,5 %), Regal (-18,8 %) et Cinemark (-7 %). Soit une perte chez ces cinq groupes cumulés de 2,75 milliards de dollars en un mois et demi.
Source : « L’été catastrophique des blockbusters hollywoodiens » (Nicolas Richaud), Les Échos, 17 août 2017.
Des critiques gastronomiques écrites par un algorithme
Des chercheurs en informatique de l’université de Chicago, pilotés par le professeur Ben Zhao, ont publié en août le résultat de leurs travaux visant à générer de faux commentaires, grâce à une technologie d’apprentissage automatique (« Automatic Crowdturfing Attacks and Defenses in Online Review Systems »). Pour ce faire, ils ont construit un programme sur la grande base de données de commentaires du site Yelp contenant 4,1 millions de messages, rédigés par un million de personnes. Le programme d’intelligence artificielle a appris à les imiter, et peut s’adapter en fonction du type d’établissement, par exemple en précisant les noms des plats pour la critique d’un restaurant italien, par exemple. Le programme peut aussi être réglé pour générer des commentaires par catégorie allant d’une étoile (mauvais) à cinq étoiles (excellent). Les chercheurs affirment que les humains à qui ces messages ont été présentés n’ont pas été capables de distinguer les faux commentaires des vrais. « Non seulement ils échappent à la détection humaine, mais ils obtiennent un bon score « d’utilité » de la part des utilisateurs ». (Selon les critères du test de Turing, le programme est intelligent, mais il faut préciser qu’au stade actuel de la recherche, une machine ne peut « réussir » le test qu’en dupant les humains dans leur propre jeu).
Les faux commentaires ne sont pas un problème nouveau pour ce genre de plate-forme (Amazon, TripAdvisor), car les gens sont payés à la chaîne pour nuire ainsi à une entreprise, ou pour la valoriser. Les modérateurs (toute une profession) se battent contre les faux posts, aidés par des logiciels censés les repérer. Mais les programmes d’intelligence artificielle, selon les auteurs de l’étude, « pourraient se montrer bien plus puissants, parce qu’ils peuvent être déployés à grande échelle et être plus difficiles à détecter, les programmes pouvant contrôler le rythme de génération de commentaires ».
Les chercheurs prétendent avoir conçu une méthode pour contrer leur propre application : un système capable de détecter les commentaires crées par le programme, à partir de l’un de ses défauts. Le texte qu’il génère utilise en moyenne moins de caractères différents qu’un commentaire humain. Le programme pour l’instant est donc loin d’être parfait pour imiter l’écriture humaine.
Pour le professeur Ben Zhao, tout cela ouvre des questions relatives à la fiabilité générale des textes en ligne : « Ça commence avec des commentaires en ligne. […] Mais ça va progresser vers des attaques plus importantes dans lesquelles des articles entiers écrits sur un blog pourraient être intégralement générés automatiquement ». Si l’algorithme semble fonctionner pour les commentaires de restaurants, c’est parce qu’il s’agit d’un format bien circonscrit. Les commentaires humains étant rédigés avec une qualité linguistique approximative, les textes automatiques encore imparfaits peuvent passer inaperçus. On attend dans l’avenir, les progrès aidant, des propos politiques et des actualités produits par des algorithmes. Qui s’en insurgera ?
Source : « Quand l’intelligence artificielle livre de fausses critiques gastronomiques » (Morgane Tual), Le Monde, supplément Éco & Entreprise, 7 sept. 2017, p. 8.
Annexe : exemples de faux commentaires automatiques. Une étoile (mauvais) : « Ne perdez pas votre temps et votre argent ! C’est le pire service jamais vu. Cet endroit est une blague. La serveuse était malpolie et a dit que le responsable allait venir, mais ce n’est pas arrivé. J’aurais aimé pouvoir mettre zéro étoile« . Cinq étoiles (excellent) : « La nourriture est incroyable. Les portions sont gigantesques. Le bagel au fromage était cuit à la perfection et bien préparé, frais et délicieux ! Le service est rapide. C’est notre endroit préféré ! On y retournera !«
Précédemment dans la Web-revue sur l’intelligence artificielle : Actualités #54, mai 2017.
Le produit se muant en objet communicant, l’entreprise se mettant en réseau, sera-ce la fin de la publicité ?
Jacques Marceau est président-fondateur de l’agence de relations publiques Aromates, et spécialiste attitré du MEDEF sur la question du numérique, surtout dans le domaine de la santé. Voici quelques extraits d’une tribune parue dans Le Monde.
« La mondialisation des échanges associée à l’avènement d’Internet contribue à transformer les entreprises en des écosystèmes de plus en plus déterritorialisés. Des écosystèmes qui évoluent eux-mêmes dans des « macrosystèmes » structurés par des lois et la réglementation des États dans lesquels ils opèrent, ou … par les contrats qui les lient à des géants mondiaux en situation de quasi-monopole […].
« Quant à l’intelligence artificielle, nourrie par des milliards de milliards de données issues des objets connectés, elle permet aux firmes qui détiennent ces données et les traitent de prédire l’intention de l’utilisateur, ce qui change radicalement l’économie industrielle et rend en particulier caduque la génération artificielle de la demande par les techniques traditionnelles du marketing et de son avatar, la publicité. Une inversion des lois du marché qui place dorénavant le client, en tant que « producteur de données », à la source de tous les processus, de la conception à la distribution du produit.
« Ce changement de paradigme fait que « l’entreprise-réseau » peut désormais s’exonérer du marketing au sens traditionnel, mais exige, en contre-partie, le développement de son « intelligence relationnel », à savoir un relationnel structuré avec chacune de ses parties prenantes à l’aide de puissants réseaux de communication et d’influence. S’il fallait une démonstration de cette évolution, il suffit d’observer les pratiques des GAFA américains, qui ont su faire de l’intelligence relationnelle le socle de leur stratégie de conquête. A cet égard, chacun pourra faire le constat de l’absence presque totale de publicité de ces géants américains du Net dans les grands médias, et parallèlement leur omniprésence dans les lieux de pouvoir, notamment, et pour ce qui nous concerne, dans les couloirs de la Commission européenne quand ce n’est pas sur le perron de l’Élysée !
« Dans une économie hyper-régulée, mondialisée et, de surcroît, numérisée, les lois du marketing qui avaient cours à l’époque de la prédominance industrielle et de l’avènement de la société de consommation ne sont de toute évidence plus adaptées aux nouvelles générations d’entreprises ou à celles qui ont entrepris leur transformation. Hier encore considérées comme l’adjuvant des campagnes de publicité ou simple outil de communication institutionnelle, les relations publiques s’imposent aujourd’hui non seulement comme l’un des piliers de toute stratégie d’entreprise, mais encore comme celui de leurs modèles économiques futurs. »
Source : « Nouveau moteur de l’industrie, l’influence remplace la publicité », Le Monde, supplément Éco & Entreprise, 8 sept. 2017, p. 7.
Les propos de Jacques Marceau sont intéressants, mais il importe d’emblée de préciser le statut de son discours. Car, en réalité, il intervient non pas en spécialiste (Le Monde le présente douteusement comme économiste), mais en acteur ; ce sont donc des propos profondément intéressés. On peut voir dans ce texte le début d’une offensive chez les professionnels des relations publiques contre leurs cousins, les marketeurs et les publicitaires, à consigner au passé en raison des progrès en intelligence artificielle. Dans un plaidoyer essentiellement pro domo, Marceau affirme en substance qu’une plus grosse part de la survaleur devrait revenir aux agences de relations publiques. Il serait plus efficace pour les grandes entreprises, dit-il, de dépenser plus en lobbying que d’arroser le public d’annonces publicitaires (dont la mesure reste incertaine, surtout sur support numérique). À cette fin, il avance le concept euphémique d’« intelligence relationnelle », qui sonne mieux qu’achat d’influence.
D’après Marceau, les géants mondiaux monopolistiques sont parvenus à imposer leurs propres normes et régulations face aux États nationaux. Il s’ensuit que l’entreprise n’est plus définie par ses implantations physiques (usine, bureau, entrepôt, etc.), mais par la qualité de son réseau en grande partie dématérialisé. Dans l’avenir, dit-il, le modèle économique d’une entreprise sera de plus en plus tributaire de la gestion des rapports de force entre l’entreprise en réseau, les États et le capital, qui forment un « macrosystème ».
La métaphore d’un écosystème se retrouve aussi en creux chez certains publicitaires, qui jouent la carte « économique » d’un meilleur rapport entre l’offre et la demande, grâce au traitement automatique des données numériques. À partir d’un même constat de transformation technologique, Nigel Morris, directeur de la grande société de publicité et de marketing Aegis Medias Americas (groupe Dentsu), a dit en 2012 : « La durabilité n’est pas qu’une question verte. Cela concerne la façon dont les affaires se font, et le fait que l’offre et la demande doivent être plus alignées. Par rapport aux médias [traditionnels], nous avons dans le monde numérique une source fabuleuse de données qu’on peut utiliser pur mieux aligner l’offre et la demande. Le tout est d’éliminer le gaspillage. Nous avons désormais beaucoup plus d’informations sur les consommateurs et sur ce que les intéresse, donc nous pouvons les diriger davantage vers ce qu’ils veulent vraiment »*. Il s’agit pour Morris de mieux gérer l’écosystème économique, en s’appropriant la perspective écologique ; pour Marceau, il s’agit de sublimer la gestion économique dans une gestion politique, les deux instances étant confondues. Dans les deux cas, on s’incline sans poser de questions devant l’évidence des soi-disant lois du « macrosystème » mondial (illogiquement mis au pluriel par Marceau). On ferait mieux de l’appeler par son vrai nom, le capitalisme, terme qu’on ne peut prononcer dans l’idéologie dominante.
*Advertising Age, 8 mai, 2012 (je traduis)
Le marché des logiciels pour espionner ses proches
Votre fils est-il gay ? Votre conjointe vous trompe-t-elle ? Si ces questions vous tracassent, vous pouvez acheter et faire installer à l’insu du suspect un logiciel espion qui piratera son compte Facebook et qui espionnera son ordinateur. Pour découvrir « une tendance homo », il y a des indices qui trahissent, prétend le site Fireworld : une obsession pour l’hygiène personnelle, un manque d’intérêt pour le sport, une passion pour les chanteuses divas.
Stupide sûrement, mais est-ce si anecdotique que cela ? Depuis des années, souvent depuis des paradis fiscaux, une petite industrie exploite ce filon lucratif, flirtant avec l’illégalité. Le Monde a recensé au moins 15 entreprises qui visent le marché français, plus ou moins sérieuses. MSpy, qui domine le marché international, revendiquait en 2013 un million d’utilisateurs dans le monde. FlexiSPY compterait 130 000 clients. La société qui édite Hoverwatch prétend que sa solution a déjà été installée sur 12 millions d’ordinateurs. TopEspion et SpyStealth revendiquent 100 000 et 150 000 utilisateurs. Tous ces chiffres sont sujets à caution. BIBIspy compte 50 000 clients en France, selon son responsable Christian Passoni : « Notre marché principal, c’est la France, qui est le plus grand marché d’Europe en matière de logiciels espions. Les Français aiment bien ces produits. Ils les achètent sans problème. La France est un pays d’espions. »
Selon les sites des fabricants de logiciels espions, on peut en profiter dans les limites du droit français. Mais Christian Passoni reconnaît que 30 % à 40 % de ses clients utilisent ses produits de manière illégale. Dans un communiqué de presse en 2013, les dirigeants de mSPY se disaient « surpris de découvrir qu’environ la moitié de leurs clients utilisent le logiciel pour surveiller leurs partenaires amoureux ». Dans le Code pénal français, surveiller son conjoint, ou tout autre individu sans son consentement est illégal. La surveillance des salariés par leur employeur est strictement encadrée par la loi, qui impose la déclaration obligatoire à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et ne peut en aucun cas être permanente et systématique. Seule la surveillance des enfants mineurs par leurs parents est permise.
La vente de ce genre de produit est interdite pour une entreprise française, mais rien n’empêche une entreprise étrangère de le distribuer en France. BBIspy, par exemple, est basé à Brno, en République tchèque. Aucun site de vente de logiciels espions n’a fait l’objet de poursuites en France.
Source : « Logiciels espions grand public : un succès sulfureux » (Martin Untersonger), Le Monde, 10-11 sept. 2017, supplément Éco & Entreprise, p. 1 et 8.
EuropaCorp (Luc Besson) est en grande difficulté
EuropaCorp traverse une zone de turbulences (sa valeur boursière a dévissé de 10,36 % début septembre) depuis l’annonce fin juin de ses pires résultats financiers : une perte nette de 119,9 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 144,2 millions. L’échec de Valérian et la Cité des mille planètes aux États-Unis ne va pas arranger les choses. Le studio a tout misé sur ce film, le plus coûteux du cinéma français avec 197 millions d’euros (235,64 millions de dollars) déclarés au Centre national du cinéma. Selon l’analyste Alexandre Koller : « En cas de pertes importantes du film, le groupe n’a pas une solidité financière suffisante (avec des capitaux propres fin 2016 de 97 millions d’euros et des dettes financières nettes de 267 millions d’euros) et devrait faire probablement une nouvelle augmentation de capital. »
L’apporteur naturel de capital serait Fundamental Films, le groupe chinois déjà deuxième actionnaire d’EuropaCorp, et distributeur de Valérian en Chine. Mais inquiet du surendettement des grands groupes chinois, le gouvernement à Pékin bloque depuis mi-août les projets d’investissement à l’international de certaines entreprises, dont celles du cinéma. Vu la situation financière désastreuse d’EuropaCorp, il ne sera pas facile d’ouvrir son capital.
Selon le site Box Office Mojo, au 5 septembre, Valérian arrivait à 40 millions de dollars de recettes aux États-Unis et au Canada, ce qui ne couvre même pas les frais de publicité, facturés par le distributeur STX à 60 millions de dollars*. Il a aussi fait un score médiocre au Royaume-Uni (5,1 millions de dollars), ce qui confirme la contre-performance du film dans les pays anglo-saxons ; le film pourtant a été tourné en anglais. En revanche, le film a bien marché en Chine (62,4 millions de dollars), en France (35,9 millions), en Russie (13,9 millions), et en Allemagne (13,3 millions). Les recettes mondiales s’élèvent pour le moment à 219,5 millions de dollars, à mettre au bilan avec les frais de production cités ci-dessus (moins les crédits d’impôts, importants), et aux frais de promotion, normalement la moitié des frais de production. Le pire a été évité, mais on ne pourrait envisager une suite, qui aurait pu redresser les finances du studio français.
*Cf les recettes de 126,6 millions de dollars aux États-Unis pour le précédent film de Besson, Lucy.
Sources : « Une grande zone de turbulences pour EuropaCorp » (Nicole Vulser), Le Monde, 7 sept. 2017, supplément Éco & Entrepise, p. 8 ; http://www.boxofficemojo.com/movies/?page=intl&country=UK&id=valerian.htm
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)