Cette rubrique propose de suivre les actualités des industries culturelles du côté des professionnels de la publicité et du marketing, véritables « intellectuels organiques » au sens d’Antonio Gramsci. Bien que totalement intégrés dans un système économique organisé autour de la maximisation des bénéfices du capital privé, ces professionnels sont souvent divisés quant à la bonne stratégie à adopter face à l’innovation technologique constante, d’où des débats « internes » intéressants dont doit tenir compte l’approche critique de cette web-revue.
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Considérons, nous invite Mike Mikho, directeur du développement chez Big Fuel, une agence publicitaire spécialisée dans les médias sociaux, les forces et les faiblesses de la télévision en tant que médium publicitaire. Ses forces : un impact immédiat et de grande envergure sur les ventes, démontré par l’établissement durable de modèles media mix et d’une agence de mesure (Nielson) acceptée par tous. Ses faiblesses : les « earned media » (publicité indirecte, non payée, dans des émissions d’information, qui peut du coup favoriser la concurrence) et les bénéfices au long terme. Une marque lance une campagne publicitaire et les ventes augmentent, proportionnelles à l’investissement. Mais une fois la campagne terminée, les ventes déclinent de manière signifiante.
De plus en plus de marques utilisent les médias sociaux comme un mégaphone, pour prolonger leurs campagnes, profitant de l’impact supérieur des « earned media » et en même temps faisant baisser le coût par impression (cliques, reconnaissances) des annonces. Puisque les gens sont (théoriquement !) en permanence en ligne, la social TV permet aux marques de surveiller, et d’intervenir dans les conversations. Comme le dit Barbara Liss (Quaker Foods) : « avec la venue de la social TV, les marques ont maintenant des occasions pour renforcer la loyauté des consommateurs et pour compléter les annonces à la télévision. Si elles agissent correctement, elles peuvent améliorer la conversation [générale] ».
Mais la grande faiblesse de la social TV pour l’instant, c’est son incapacité à aller au-delà des stratégies de marketing traditionnelles. Pour Jon Budd (Hyundai), l’erreur consiste à promouvoir la « mesurabilité » de la social TV plutôt que comme un outil de marquage (branding) : « Au début, le digital se proposait comme un instrument de mesure au moment où le consommateur visé passait à l’acte d’achat, plutôt que comme un moyen de promouvoir une marque. La social TV risque de tomber dans le même piège. »
La monétisation des données pourrait être le talon d’Achille de la social TV, en raison de l’absence de mesure universelle. Barbara Liss va jusqu’à dire qu’il existe 100 agences de mesure start up pour chaque métrique proposée. Mikho demande aux confrères de ne plus se focaliser sur le retour sur investissement de la social TV, et de comparer les ventes par rapport à l’investissement publicitaire, avec le soutien complémentaire de la social TV et sans. Il faudra que les équipes broadcast media et social TV collaborent davantage, quitte à trouver un nouveau type de contenu adapté aux deux médias. Mais Mikho ne nous offre pas la moindre piste ici.
Commentaire du rédacteur.
Il faut situer ce débat en termes de problème publicitaire historique : le retour sur investissement (ROI) médiocre en dehors de l’impact immédiat d’une campagne en cours. A plus long terme, le ROI tend à plafonner à 1,0 (un dollar dépensé en publicité, un dollar gagné en ventes supplémentaires). La « pierre philosophale » de l’industrie, c’est de trouver le moyen d’améliorer durablement le ROI à 1,5. Dans le cadre de la lancée publique de Facebook, certaines agences prétendaient que le ROI publicitaire de celui-ci avoisinait déjà 1,5, résultat largement contesté aujourd’hui et indicatif d’un plus vaste problème d’évaluation dans l’industrie (voir Actualités #1). Il y a du pain sur la planche avant que le ROI publicitaire dans les réseaux sociaux ne soit amélioré : une enquête en janvier 2012 (Ehrenberg-Bass Institute, Australie) a révélé que seulement 1,3% de ceux s’identifiant comme fans d’une marque « s’engagent » avec elle sous la forme de cliques, posts, commentaires, tags et partages : si on soustrait les « likes » (engagement minimal), le chiffre tombe à 0,45% (Advertising Age, 27 janv. 2012). L’intervention de Mikho marque un retour au modèle classique du media mix par rapport à l’engouement initial pour les médias sociaux en tant qu’alternative aux médias traditionnels.
A plus long terme, la mise en place du projet défendu par l’industrie publicitaire américaine (la colonisation totale des réseaux sociaux et la neutralisation de fait des autres « mégaphones ») impliquerait la transformation quasi anthropologique de la vie en société où l’échange social deviendrait assimilable à l’interaction avec les marques. Mais dans cette anti-utopie, y aura-t-il besoin de médiateurs professionnels ? Des prototypes (voir vidéo en-dessous) d’un nouveau sujet-consommateur existent, assez terrifiants…
Source : « Advertising Age », 15 oct. 2012.
Narcissique et égocentrique? La vidéobloggeuse JuicyStar07 (Blair Fowler), posté le 8 octobre 2012 (en anglais). 755, 585 vues déjà (25 oct.)
Résumé et commenté par David Buxton.
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Professeur des universités – Paris Nanterre – Département information-communication
Dernier livre : « Les séries télévisées – forme, idéologie et mode de production », L’Harmattan, collection « Champs visuels » (2010)